
la néceiïité de l’obfervation pour augmenter 1
nos véritables connoiflances en géogra-
phie-phyflque, que d’en développer l’ulage
& la bonne méthode. On eft allez convaincu
maintenant des inconvéniens qu’entraîne
après elle cette préfomption oifive
qui nous porte à vouloir deviner la nature
fans la confulter ; bien loin que la
fagacité & la méditation puiffent fuppléer
aux réponfesfolides& lumineufes que nous
rend la nature lorfqüe nous l’interrogeons,
elles les .fuppofent au contraire comme
:un objet préalable vers lequel fe porte
leur véritable effort : ne nous diminuions
jamais.ces principes. Heraclite fe plaignoit
de ce que les philofophes de fon teins
cherchoient leurs connoilfances dans de
petits mondes que bâtiffoit leur imagination,
& non dans le grand qui étoit expofé
à leurs regards. Si nous noirs expofions à
mériter le mêmereproche, fînous perdions
de vue ces confeilsr.fi fages', nous méccn-
noîtrions autant nos propres intérêts que,
ceux de la vérité. Qu’e£t-il relié de ces
belles rêveries des anciens? Il n’y a que
le vrai 8c le folide qui brave la deftruétion
des terns & lés ténèbres de l’oubli. Des
abllraétions générales lur la nature peuvent-
elles entrer en comparaifon d’utilité avec
un feul phénomène bien vu & bien difcuté?
Nous voulons donc des faits & des observateurs
en état de les faifir 8c de les recueillir
avec fuccès.
On comprend aifément que la première
qualité d’un obfervateur , efl d’avoir acquis
par l’étude & dans un développement fuffi-
lant, les notions préliminaires capables de
l’éclairer fur ie prix de ce qu’il rencontre.;
de forte qu’il ne lui échappe aucune cir-
conltance effentielle dans l’exam en des faits ,
& qu’il réunifié en quelque façon toutes
les vues poffibles dans leur difcuffion ;
qu’il ne les apperçoive pas rapidement ,
imparfaitement, fans choix, fans difcer-
nement, & avec cette ftupide ignorance
qui admet tout & ne diftingue rien. On
püife dans l’obfervation habituelle de la
nature l’heureux fecret d’admirer'fans être
ébloui : mais la lèéture réfléchie & attentive
forme de folides préventions qui diffipent
aifément le preflige du’premier -co.up-
d’oeil.
Il faut avouer que plufîeurs obflacles
nous privent de ces avantages. Les per-
fonnes en état de mettre à profit leurs con-
noiffances voyagent peu, ou pour des objets
étrangers aux progrès delà géôgraphie-phy.
fique. Ceux qui le trouvent fur les lieux â
portée, par exemple, d’une fontaine fingu-
• lière , périodique ou minérale , d’un amas
de coquillages & de pétrifications , négligent
ces objets ou par ignorance, ou par
diflradion, ou enfin parce qu’ils ont perdu
à leurs yeux ce piquant de fingularité &
d’importance qui fixent toujours nos recherches.
Les .étrangers & les voyageurs,/
même habiles .lès rencontrent par hafard,
ou les vifîtentà deffein; mais ils ne peuvent
d’une vue rapide en acquérir une con-
noiffance détaillée & approfondie. Des
obfervations fuperficielles faites à la hâte,
ne préfentent les objets que d’une manière
bien imparfaite ; on ne les a pas vus avec
ce fang froid , cette tranquillité de difcuf-
fion , avec ces détails de correfpondance
fi néceflaires aux combinaifons lumineufes.
Qnfupplée par des oui-dires , par des rapports
exagérés , à ce que la nature nous
montreroit avec précifîon fi nous la con-
fultions à loifir. Il réfulte de cette précipitation
que les obfervateurs les plus
éclairés, frappés naturellement des premiers
coups du merveilleux , font fouvent
dupes de leurfurprife : ils n’ont pufe placer
d’abord au point de vue favorable ; ils de1
figurent la vérité parce qu’ils l’ont mal vue,
& rendant trop facilement de fauffes im-
preflions, ils mêlent à leurs récits des, cir-,
confiances qui les ont plus féduits qu e-
clairés, Si l’on efl fujet à l’erreur , même
quand on efl maître de la nature, & qu’on
la force à fe déceler par des expériences,
à combien-plus de méprifes & d’inattentions
ne fera-t-on pas expofé , lorfqu’on
fera obligé de parcourir la Vafle étendue
des continens & des mers , pour la chercher
elle-même où elle fe trouve, & où
elle ne nous laiffe appercevoir qu’une très-
petite partie d’elle-méme , & fouvent fous
des afpeéts capables de faire illufiom
Un obfervateur qui s’eft confacré à
cette étude par goût , ou parce qu’il
eft , & s’efi mis à portée de voir ,
doit commencer par voir beaucoup,
ejivifager fous différentes faces , fe fami-
iiarifer avec les objets pour les recon-
noître aifément par la fuite, 8c les comparer
avec avantage ; tenir un compte exaét de
tout ce qui le frappe & de tout ce qui
mérite de le frapper; recueillirfes obfervations
avec ordre , fans trop fe hâter de
tirer des conféquences prématurées des
faits qu’il découvre , ou de raifonner fur
les phénomènes qu’il apperçoit. Cette précipitation
qui féduit notre amour-propre,
efl la fource de toutes les fauffes combinaifons
, de toutes les induélions imparfaites
, de toutes les idées vagues dont ;
l’on fùrcharge des objets que l’on n’a
encore envifagés qu’imparfaitement ; en
forte que les parties les moins éclaircies
font par cette raifon celles qui ont plus
prêté. à cette démangeaifon de difcourir.
Outre cette expérience des mauvais
fuccès qu’ont eus les réflexions précipitées
, nous avons d’autres motifs pour nous
eu abftenir. Comme l’infpeétion attentive/
& réfléchie de notre globe nous promet
une multitude infinie de lumières 8c de
connoiflances abfolument neuves , un ob-
lervateur qui commence à donner un
enfemble fyftématique à la petite portion
de faits qu’il a recueillis, femble regarder
comme inutiles toutes les decouvertes
qu’on a lieu de fe promettre de ceux qui
partageront fon travail, ou fe flatter d’avoir
a (fez de pénétration pour fe palier des
éclairciffemens qu’ils pourroient lui offrir.
Nous croyons aulîi qu’un obfervateur
Géograpkie-Pkyfique. Tome I.
doit être en garde contre toute prévention,
toutes vues fixes & dépendantes d’un fyf-
tême déjà concerté ; car dans ce cas on
interprète les faits fuivant ce pian ; on
gliffe fur les circonftances qui font peu
compatibles avec les principes favoris , &
l’on étend au contraire celles qui paroiffent
y-convenir.
Nous ne prétendons pas cependant qu’,on
obférve faus deffein & fans vues. Il rfeft
pas polfible que le Ipedacle de la nature
ne fafle naître une infinité de réflexions
très-folides à un obfervateur qui a de la
fagacité , & qui s’efi inftruit avec exactitude
des découvertes de ceux qui l’ont
précédé , même de leurs idées les plus
bizarres. Nous convenons que l’on peut
avoir un projet déterminé dans fes recherches
, mais avec une fincère difpolition de
l’abandonher , dès que la nature fe déclarera
contre le parti qu’on avoit embrafle
provifoirement. Ainfî on ne fe bornera
pas à un phénomène ifolé, mais on en
recherchera toutes les circonftances ; on
les détaillera avec ce zèle de difcuflxon
qu’inlpire le defir de trouver la correfpondance
que ce phénomène peut avoir
avec d’autres. Quoique nous condamnions
cette indifcrette précipitation de bâtir en
obfervant, nous ne voulons pas que l’on
oublie que les matériaux qu ’on raffemble
doivent naturellement entrer dans un
édifice.
Telles font les vues par lefquelles on
peut fe guider dans l’examen réfléchi des
faits ; mais que doit-on voir dans les dehors
de notre globe ? A quoi doit-on s’attacher
d’abord ? Je réponds qu’il faut s’attacher
aux configurations extérieures, aux formes
apparentes ; ainfî l’on faifira d’abord la
forme des continens, des baffins des mers ,
des chaînes de montagnes , des croupes ,
& enfin des vallées ; 8c à mefure qu’on
parcourra un plus grand nombre de ces
objets , ces formes venant à s’offrir plus
[ ou -moins fréquemment à nos regards ,
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