
philofophes ont attribué la même propriété
au Danube, fondés fur ce que fa fource
étoit inconnue comme celle du N il, & fes
eaux plus abondantes en été qu’en hiver,
comme celles du fleuve de l ’Egypte; mais
on a reconnu la fauffeté.de ces deux preuves.
On fait que la fource du Danube efl
dans la Germanie. Quant à la crue de
fes eaux, elle commence, à la vérité,
dans l’été ; mais dans un tems où le Nil ne
quitte pas encore fon lit : pendant les pre- j
mières chaleurs, quand le foleil plus ardent
a la fin du printems , fond les neiges qu’il
fait difparoître, avant que le Nil commence
à groffir. Pendant le relie de l’été , il
diminue, fe réduit à l’étendue qu’il a pendant
l’hiver & defcend même au-delfous
de cette mefure.
Au contraire , le N i l , dès avant la canicule
, croît au milieu des chaleurs juf-
qu’au-delà de l’équinoxe-. C ’eft le fleuve
le plus admirable que la nature ait expofé
aux regards du genre humain; elle en a
réglé le cours de manière qu’il inonde
l ’Egypte dans le tems où la terre, brûlée
par les plus grandes chaleurs, fe pénétré
plus profondément de fes eaux , & en
abforbe une aflez grande quantité pour
fuppléer à la féchereflè du relie de l ’année ;
car , l’Egypte , dans fa partie qui avoifine
l’Ethiopie , ou elt abfolument dépourvue
de pluies , ou n’en reçoit que rarement
& en trop petite quantité, pour fertilifer
un terrein qui n’efl pas accoutumé aux
eaux du ciel.
Les débordemens du Nil font la feule
elpérance de l’Egypte ; l’année efl fertile
ou abondante félon que ce fleuve croît
plus ou. moins ; fl l’on favoit où commencent
ces crues , on en fauroit la
caufe.
Le premier accroiflèment du Nil fe
fait remarquer près de l’ifle de Philé; à peu
dediflance de cette ifle, il efl dlvifépar
un rocher. Ç’efl là que la crue du fleuve
commence à devenir fenfible. Au bouc
d’un efpace confidérable , s’élèvent deux
rochers que les habitans nomment les
veines du N i l , d’où s ’écoule une grande
quantité d’eau, mais non pas allez pour
pouvoir inonder l’Egypte.
Delà le fleuve avec des forces fenfî-
blement plus confidérables, roule dans
un lit plus profond , plus reflerré latéralement
par des montagnes qui l’empêchent
de fe déborder ; enfin aux environs de
Memphis, il recouvre fa liberté, fe répand
dans les campagnes & par- des canaux
artificiels qui dilpenfent à chacun la quantité
d’eau qu’il v eu t , il parcourt toute
l’Egypte. D ’abord il efl difperfé ; mais
infenfiblement fes eaux réunies & fta-
gnantes, préfentent l’afpeâ d’une mer
trouble & immenfe ; il perd la rapidité
de fon cours par l’étendue des terreins
qu’il occupe, embralfant à droite & à
gauche l’Egypte entière,
L ’efpoir de l’année dépend de fe
crue du ^ fleuve , 8c le laboureur ne fe
trompe j amais dans fes calculs ; car la
.mefure du débordement efl conflamment
celle de la fertilité qu’il procure ; il fournit
a-la-fois des eaux 8c de la terre au fol
aride 8c fabloneux de l’Egypte. Ses eaux
fangeufes dépofent tout leur limon dans
les lieux deflechés & fendus par la Chaleur,
& lient au moyen des matières graffes
& vifqueufes qu’elles charient, les terreins
trop meubles , procurent ainfi aux campagnes
le double avantage de les arrolèr 8c
de les engrai(Ter ; auflï les lieux où f* ne
s ’étend point, demeurent flériles & incultes.
Cependant une crue trop abondante
efl nuifible. Tandis que les autres fleuves
détrempent & épuifgnt les terres , le Nil
qui les furpafle tellement en grandeur a
Cela d admirable , que bien loin de miner
& de dégrader le fo l, il lui donne une
nouvelle vigueur, non - feulement par
les eaux dont il l’abreuve, mais fur-touj)
par fon. limon fertile , dont le mélange
fert de lien & d’aliment aux fables. L’on
peut donc dire que l’Egypte doit au Nil
non-feulement la fertilité de fes terres,
mais fes terres mêmes. C’efl: un beau
fpedacle que-, le Nil débordé dans ces
vafles plaines. Les campagnes font cachées
, les vallées font couvertes , les villes
parodient à fleur-d’eau comme des ifles,
& au milieu du continent, on ne peut
commercer qu’en bateaux : & les cultivateurs
font d’autant plus fatisfaits qu’ils
apperçcfivent moins de leurs champs.
Le N il, lors même qu’il fe tient dans
fon lit , fe jette dans la mer par fes embouchures
; du refle , il nourrit des animaux
auflï gros & auflï mal-faifans que ceux
de la mer. Combien doit être grand un
fleuve qui fournit des ■ animaux de cette
taille & des alimens fuffifans , & un efpace
où ils fe trouvent à l’aife ! Balbillus,
le plus vertueux des hommes & le plus
confommé en tout genre de connoiflànces,
àflure avoir vu pendant fa préfeâure d’E gypte,
à l’embouchure la plus confidérable
, un combat en règle d’une troupe
de dauphins, venus de la mer , contre
une armée de crocodiles qui s’étoient
avancés du fleuve à leur rencontre. Il
ajoute que ces crocodiles furent vaincus
par. des ennemis dont le naturel efl pacifique,
& la morfure nullement dange-
reufe. C’eft que les crocodiles , quoique ;
couverts dans la partie fupérieure de leur
peau d’écailles dures & impénétrables aux
dents mêmes des plus énormes animaux ,
ont le deflous du ventre Toupie & tendre..
Les dauphins au moyen des épines Taillantes
dont leur dos efl armé, bleflbient
cette partie en plongeant fous l’eau, & leur
fendoient le ventre en s’avançant en fens
contraire. Plufieurs ayant été tués de cette
maniéré, les autres prirent la fuite comme
après une défaite. E n effet, le coCrodile
eft un animal qui fuit ceux qui le bravent,
A devient hardi avec les lâches : auiïi n’eft-
ce point par leur conilitution, ni p a r .
aucune qualité du fang, mais par la témérité
.& le mépris que les habitans de Ten-
tyre en viennent à bout. C ’eft qu’ils ofent
les pourfuivre & les prendre dans leur
fuite avec des cordes ; mais c’en efl fait de
iceux qui n’ont pas affez de préfence d’ef-
prit ou de courage pour les pourfuivre.
Tout le monde fait que le Nil fut
deux années confécutives fans fe déborder,
favoir la dixième & la onzième du règne
de Cléopâtre. Ce malheur fut regardé
comme le préfage de la chute de deux
puiflances : en effet on vit s’éteindre
la domination d’Antoine & celle de Cléopâtre.
Callimaque allure que dans des
fiècles précédens il avoit été neuf ans
fans fortir de fon lit.
Mais paffons aux caufes qui produifent
ces débordemens, & commençons par
celles qu’on a fuppofées le plus anciennement.
Anaxagore dit que ce font les
neiges fondues fur les montagnes d’Ethiopie
, qui vont • fe rendre dans le Nil.
C ’étoit le fentiment de toute l ’antiquité ;
mais une foule de preuves en démontrent
la fauflfeté. D ’abord l’Ethiopie eft un
climat brûlant, c’eft ce que prouvent -
le teint bafané des habitans & les T ro glodytes
qui ont des maifonsfouterraines.
Les pierres y font auflï brûlantes que fl
elles avoient fubi l’aétion du feu , & cela
non-feulement au Midi, mais même au
déclin du jour. Le fable ardent fe refufe,
aux pas des hommes; le vent du Midi qui
vient de ce pays eft le plus chaud des
vents. Les animaux qui chez nous fe
cachent pendant l’hiver, ne difparoiflent
là en aucun temps ; le ferpent même ,
pendant l ’hiver fe montre à la furface de
la terre. A Alexandrie, .même, quoique
placée loin de ce climat brûlant, il ne
tombe plus de neiges ; un peu plus haut
on manque même de pluie.
Comment donc un pays expofé à des
chaleurs fi exceflîyes, conferveroit-il