
trouvera peut-être qu’il a eu quelqu’intérêt
à mettre la défcription faftueufe de ces
rêveries populaires dans la bouche de So-
erate, à qui d’ailleurs il en attribue beaucoup
d’autres fur toutes fortes de fujets.
Mais quels motifs les phyficiens qui font
venus après lui ont-ils eus d’adopter cette
hydrographie de l’Acheron , du Phlégé-
ton , du Cocyte , pour expliquer l’origine
des fources & des fleuves? C ’ell néanmoins
fur ce fond fabuleux que l’on a établi les
plus grandes relfources de la nature, pour
produire les écoulemens.des rivières &
des fleuves. Eft il étonnant après cela
qu’ayant admis .ppur bâfe de cette explication
une hypothèfe aufîï abfurde, on en
ait conclu, comme fait ici Sénèque, que la
terre avec fes. réfervoirs d’eau éternels ne
doit pas plus s’apperçevoir de la perte des
eaux qu’elle fournit aux fleuves, que la nier
ne fent le furcroit des eâüx qu’elle en
reçoit ?
Mais s ’il efl évident,dans tout état de caufis,
que la furabondance des eaux des fleuves
doit être auflï fenfible dans le badin de la
mer , que l’épuifement le feroit fur la terre
s’il n’étoit réparé , il eft donc néceflaire
qu’il fe falfe un échange continuel ; & les
magafins d’eau de l’intérieur feront alors
aufîï inutiles qu’ils font fabuleux. Kircher
dans fon monde fouterrain, décrit, defîine,
pf éfente des coupes de ces réfervoirs fou-
terrains , qui fervent félon lui à la difiri-
bution de ces eaux. Il nous indique même
de la meilleure foi du monde le jeu de ces
eaux, comme s’il avoit eu des obfervations
précifès fur tous ces objets. C ’eft-là
où plufieurs écrivains modernes puifent
chaque jour. Eft-il donc fi difficile de fe
borner dans l’obfervation de la nature à
ce qu’on voit & à ce qu’on peut voir ? il
eft vrai qu’on prend fouvent le change
lorfqu’on. ne fait pas analyfer les faits.
On a devant les yeux tout ce qu’il faut
pour la folution d’un problème intéreflànt,
& l ’on imagine des agents & des machines
aufli compliquées qu’inutiles.
Y I I.
S é n è q u e .
Des eaux pétrifiantes.
Plongez une baguette dans certaines
eaux , peu de jours après vous en retirerez
une pierre; le limon fe dépofe autour des
corps & s’y attache, peu à peu. Vous en
ferez moins furpris , fi vous fongèz que
l’Albula & prefque toutes les eaux fulphu-
reufes forment des croûtes folides dans
l’intérieur des canaux où elles coulent.
On voit en L y d ie , au rapport de Théo-
phrafte, des ifles flottantes, compctfées
de pierres légères : j’ai vu une ifle flottante
fur le lac de C'utilie : on en voit atiflî nager
fur les lacs de .Vadisnon & de Staton. Celle
du lac de Cutilie,quoique foutenuepar Peau,
eft chargée d’arbres & produit de l’herbe :
elle flotte-cà& là au g ré , jlç;rie dis pas
des yents, mais du moindre mouvement
de l’air. Mobile au plus léger fouffle ,
elle ne féjourne jamais dans le même lieu ;
on aflïgne deux caufes à ce . phénomène :
la pefanteur de l’eau & ïamatière même dont
l ’ifle eft formée , & qui bien que propre
à produire des arbres eft légère & fp'ôn-
gieufe. Ce ne font peut-être que des troncs
d’arbres légers & des feuilles éparfes dans
le lac qui ont été réunis par le gluten
d’une eau graiïe & vifqueulê; les rochers
mêmes qu’on y trouve font perméables
& criblés de pores femblabies à ces pierres
que forme l’eau en fe durciflant, fur-tout
à _ la furface des eaux médicinales , où
les immondices de l ’eau rafîemblées 8c
incorporées par la moufle , parviennent
à fe, confolider, & forment un aflemblage
mêlé d’air & de vuide qui doit ^néceflaire-
•ment être léger.
Réflexions fu r les flolphatares.
Les eaux foufrées de Tivoli fortent
d’une efpèce de lac peu étendu, qui offre
aux curieux le fpeétacle aflfez étonnant de
plufieurs ifles flottantes, femblabies à
celles; dont parle ici Sénèque. Ces eaux
foufrées rendent au loin une odeur de foie
de fcufre; c ’eft un foie de foufre à bâfe
terreufe. La couleur de ces eaux eft comme
celle d’une eau où l’on a fait diffoudre
une petite quantité de favôn : le lac eft.
rempli le long de fes bords de roleaux
très-touffus, dont la végétation paroît
vigoureufe dans certaines parties & fe ralentit
dans d’autres. Par l’examen des ifles
flottantes, il eft aifé de voir qu’elles ne
font compofées à leur bâfe que d’un tifîu '
très-ferré de ces tiges de rofeaux qui ont
formé comme une charpente légère , laquelle
eft recouverte d’une terre végétale
femblable à la tourbe, & qui eft un débris
de ces mêmes rofeaux. Les racines de ces
rofeaux ne pouvant plus- végéter , fe détachent
infenfiblement du fond des bords
du lac & vont flotter fur l ’eau où elles
font le jouet des vents qui les arron-
diffent par le frottement réciproque- de
leurs bords. Les mêmes, vents y tranf- i
portent aufli des graines qui peuplent ces
ifles de plufieurs efpèces de végétaux:
quelques-unes ont jufqu’ à vingt & même
trente pieds de diamètre. Lorfque certains
curieux halardent de s’embarquer fur ces
ifles, elles plient & annoncent par cette
foupleffe la matière dont elles font com-
pofées.
Gemuit fub pondsre cimba.
Sutilis. yirg- Eneid. Lib. 6.
euffent été produites par les dépôts abon-
dans que forment les eaux foufrées le long
des bords du canal par lequel ces eaux
fe jettent dans IeTéverone ; mais on n’ob-
ferve aucun de ces dépôts fur les bords
du lac. Ce n ’eit qu’à une certaine diftance
qu’on.en peut voir de trcs-abondans qui
.ént pris les formes les plus bifarres. Partout
Quelques obfervateurs , allez célèbres
d’ailleurs , ont publié que ces ifles avoient
pour bâfes des pierres trouées, rongées
par les eaux foufrées le long des bords du
lac. Ces_phy-ficiens n’ont pas vu que ces
eaux chargées d’un principe terreux , ne
pouvoient ronger les pierres des bords du
lac , qui d’ailleurs paroiffent bien confer-
vées dans leur état naturel. Il autoit été |
..plus vraifemblable que ces pierres trouées i
où il y a quelques chûtes qui faro-
rifent l’évaporation de l’eau, les dépôts
font plifs abondans qu’ailleurs. C ’efl à
l’extrémité du-cours de cette eau & dans
un endroit où elle coule en nappes dilatées,
que1 fe trouvent dans les mois les plus
chauds de l’année, une infinité de petits
befoards qui font les dragées qu’on nomme
eonfletti di Tivoli. Ces objets ont arnufé
fouvent les curieux & les amateurs ; mais
la produétion de Ces eaux la plus intérêt-
fante & celle qu’on remarque moins ordinairement
, c’efl le1 travertin, forte de
pierre blanche folide,. d’un grain fort
lin , formée de couches ondées & fortement
unies enfemble dans certains parties ,
& dont la réunion eft la moins ferrée dans
d’autres , & même ne s’eft pas faite fans
laitier quelques vuides. Ce travail de l’eau
eft tellement compaflqu’ilp.çurroitprendre
le poli. On emploie cette pierre parafite
dans la conftruâion des plus fuperbes édifices
de Rome & des environs. On trouve
ici des carrières où les naturaliftes peuvent
fuivre les progrès de ces dépôts & des
infiltrations qui leur ont donné fuccefîï-
vement. le._degré de folidité qu'ont ces
pierres, & au moyen de laquelle les
blocs .qui entrent , dans les bâtimens
prennent la vive arrête des moulures. Ces
mêmes eaux foufrées fe rencontrent fort
fouvent dans l’Apennin, aux environs
de Tivoli & de Viterbe , & fur-tout entre
Rome & Naples, & même en Tofcane.
Ordinairement de grandes mafîès de travertin
font difpofées le -long des bords du
canal où-coulent ces eaux , qui forment au
fortir des rochers-de l’Apennin des ruif-
feaux fort abondans d’eau plus ou moins
blanche. Il paroît que Sénèque connoif