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parlé de ce fleuve ainfi que du lac de Genève
d’une manière à ne pouvoir être
entendus, je vais rapporter brièvement ce
que j’en ai vu moi-même, 8c qui fera peut
être plus certain comme étant plus dans
Pordre naturel.
Une variée bordée d’un côté par les
hautes montagnes des Alp es, & de l’autre
par le Mont-Jura , forme le fond du lac
de Genève qui-a dix-huit lieues de France
de longueur. Une petite rivière 8c un
grand nombre de ruilfeaux qui defcendent
des montagnes & dés côtes, rempliffent
la cavité du vallon. L ’eau qui déborde
forme le Rhône près de la ville, & comme
dans cette partie le lac a moins de profondeur
que dans fon centre, l’eau y elf très-
limpide & très tranfparente ; les cailloux
du fond y font couverts de moufle, parce
que même dans les plus grandes tempêtes
les eaux ne les déplacent pas de l’endroit
où ils font tombés la première fois. Le
Rhône après être forti du la c , roule fes
eaux fur un lit de cailloux pendant l’elpace
de quelques lieues; il entre enfuite dans
une gorge étroite formée par deux rochers
coupés perpendiculairement ; il traverfe
enfuite la haute montagne du Crédo , au
pied de laquelle le Rhojie difparoît 8c fe
perd par une caufe bien différente de celle
qui fait difparoître la Guadiana.
La montagne du Crédo efl un compofé
de terre fablonneufe, remplie de pierres
arrondies depuis le fommet jufqu’à une
grande profondeur. En face de cette montagne
il y en a une arutre en Savoie , d’égale
hauteur, qui eft également remplie de
petits cailloux fabloneux , calcaires, de
granit & de pierres à fufil, & c’eft entre
ces deux montagnes que paffe le fleuve.
Comme le pied du Crédo efl de couches
de roches calcaires qui diffèrent eritr’elles
par la dureté, les eaux, avec le temps, ont
miné 8c détruit une touche de la pierre
la plus tendre qui fe trouvoit entre deux
couches de pierre plus dure, & la rivière
s’efl jettée au milieu. Je paffai pai-deffus
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la roche fupérieure qui pénètre dâns
■ les bâfes des deux montagnes; je traversa
i la rivière & je paffai de France en
; Savoie en moins d’une minute, n’y ayant
pas quarante pas d’un bord à l’autre. Cette
voûte fîngulière eft percée dans quelques
endroits, & l’ eau qui fort par les trous pa-
; roit bouillonner au milieu de ces énormes
maifes de rochers qui fe font brifés. C ’eft
j là comme s’opère la fameufe dilparatioiv
du Rhône, fi connue fous le nom de perte
du Rhône qui peut avoir environ fcixante
pas de large dans cet endroit. On trouve
à une portée de fufil une difparution fem-
blable, mais celle-ci eft plus petite ; elle
provient également de la deftrudion d’une
autre roche tendre par la cavité de laquelle
le Rhône entre avec la plus grande
rapidité après avoir formé une cafcade.
Après avoir expliqué de cette manière
la nature du Rhône & de fes difparulions,
voici comme, je raifonne. Si les pierres
rouloient avec les eaux des rivières, le*
vuides qu’il y ' a dans le Rhône devroient
en être remplis; car lorfque le courant
entraine ces pierres dont une infinité eft
potiffée en avant, il faudroitnéceffaire-
ment qu’il s’y en arrêtât quelques-unes
dans les trous. Or comme je n’en découvris
pas la moindre trace, quoique le lit
de la rivière depuis Genève jufque là , foit
pour ainfi dire hériffé de ces pierres, j ’en
conclus que , ces cailloux ne roulent pas ;
mais ce qu’il y a encore de plus concluant
que tout le relie , c’eft qu’au fond des paf-
fages couverts dont nous venons de parler
, il n ’y a pas unfeul caillou jufqu’aux
endroits où le fleuve paffe dans des ter-
reins qui en contiennent ; & quoique dans
les ter reins que le Rhône parcourt dans
la grande étendue de fon «ours, il y en ait
beaucoup qui font pleins de pierres arrondies
de différentes natures 5c de différentes
formes, du moins jufqu’à Lyon ,
je ne crois pas cependant que perfonne
ait vu une feule de ces pierres à l’embouchure
du Rhône dans la mer, ni dans le
Golfe de Lyon où le Rhône va fe p#rdre,,
B O W
E n fin , j’ajouterai encore une autre
preuve, quoiqu’il mefemble en avoir déjà
trop donné. A quelques pas de l’endroit
où le Rhône fe perd, on traverfe la rivière
de la Vaiferine, qui prend fa fource près
de Nantua dans le Haut-Bugey ; le lit de
cette rivière eft plein de cailloux, parce
que les montagnes & les terres par où elle
paffe en font également remplies. Il y a
un endroit où cette rivière fe précipite
avec une impétuofité bruyante dans une
efpèce de caverne.'Si ces cailloux , dis-je1,
rouloient avec la rivière, cette caverne
du moins en devroit être remplie, & ce
qu’il y a de certain, c’eft qu’on n ’y en
voit pas un feul. En allant à Genève, je
jettai' dans1 la rivière-par-demis ce trou
quelques pierres que j’avois marquées, 5c
à mon retour je lés retrouvai dans un même
endr oit fans qu’elles euffent bougé d’une
ligne. 1 ; v
Je ne lînirois pas, fi je voulois rapporter
le grand .nombre d’obférvations que-
j’ai recueillies, 8c qui sue perfüàdent que,
les pierres ne roulent point ’ dans les
rivières y.comme .-on le croit ordinairement;
mais il eft tems de finir.cettè dif-
fertation. J’avoue franchement que je fuis
perfuadé-que les pierres ne remuent pas,
& c’eft: ce qui m’a Fait dire ailleurs que
les eaux de la mer, quelqu’agitées quelles
foient, ne peuvent remuer au fond ni les*
huitres ni les autres matières plus pefantes
qu’un volume d’eau d’une même grandeur.
Si quelqu’ un me demande comment on
pourra expliquer l’arrondiffement de ces
cailloux fans fuppofer qu’ils roulent par
l’impullion des eaux des rivières , & qu’en
fc frottant les uns contre les autres , ils
perdent leurs angles ; je leur répondrai
que je n ’en fais rien , que je. me fuis fait
un lyftême à cet égard , mais que je n’ofe
pieu aflhrer. Je dirai encore que quelque
hypothèfe qu’on puiffe adopter, elle àura
pour moi moins d’inconvéniens que l’opinion
générale dans laquelle on eft que les
rivières roulent les pierres! ! En effe{ ,
B o w p
qui ne craindra pas d’embraffer tin fyftême
qui lui faffe avouer que le Rhône, par
exemple, a roulé fes eaux fur le fommet
de la montagne du Credo , fort élevée ;
car comme je l’ai d it , cette montagne
eft coropofée de pierres arrondies, 8c il
en' faudra dire autant d’une infinité de
montagnes qui fe trouvent dans fe môme cas
que ie Crédo. -
On voit quelquefois rouler des cailloux
& même de très-grands morceaux de
roches îentrainés du fommet des montagnes
par les eaux des ruilfeaux dans les
grandes tempêtes 5c dans les crues d’eau,
ainfi qu’il arrivé dans les rues des grandes
villes par la grande quantité d’eau qui
vient fe réunir dans'les' goutières ; cela
ne me furprend pas, parce que ces pierres
fe trouvant .idans un terrein très-incliné,
leur propre poids les dilpofe à rouler,
5c l’eau augmentant ce poids, 5c entrai-
: nant la terre qui les tient réunies au fo l,
le s 1 fait néceffairement changer de place,
jufqu’à les tranfporter fürun terrein où leur
poids naturel Sc leur pofition les arrêtent.:
C ’eft auffi pour cette raifon qu’on trouve
autant de piefref 'arrondies dans les r i vières;
mais comme ndus l’avons va ,
on ne trouve' ces pierres que,dans les
endroits où lès rivières paffent à travers
des collines ou des plaines qui contiennent
ccs pierres. Lès tremblcmcns des terres,
les •■ inondations, les tempêtes 8c d’autres
caufes paflagères précipitent les pierres
dans les rivièr es ; mais plus que tout enc
o r e , l’eau qui mine & qui emporte la
terre qui Içs tient unies à fes bords, les
force par leur propre poids à tomber
dans lé lit de la rivière , comme dans le
lieu lé plus profond;
Après avoir détruit la fauffe opinion
de cêuX qui difent les pier-res roulent
dans les riviereS;, il ne refte plus à vaincre
que la difficulté d’expliquer comment ces
pierres s’arrondiffent; ■ mais je le répété,
c’eft une entreprife des plus difficiles ; 5c
elle renferme en elle tant d’obftacles , tant
G a