
la mer par des canaux fouterrains , leur
deflàiement & c . : de l’autre, l’élévation'
des vapeurs & la diftribution des eaux à
la furface des continens par les pluies. Il
faut avouer qu’à l’égard de ces différens
moyens fuggérés par les anciens , les modernes
ont autant perfectionné les faux
que les vrais. Si d’ un côté on a comparé
le produit des pluies avec la dépenfe des
fleuves & trouvé dans plulîeurs réfultats
que ce produit fuffifoit & au-delà pour
cette dépenfe & pour lês autres befoins de la
nature : de l’autre, Defcartes a établi dans les
entrailles de la terre des efpeces d’alembics
par lefquels il dillile l’eau de la mer.
Il a embelli & meublé ce laboratoire fou-
terrain : & malbeureufement ce qui n’étoit
chez les anciens qu’une limple conj eéture,eft
devenu tant dans les ouvrages de Defcartes
que dans ceux de fes difciples,un fyfiême,
«ne hypothcfe raifonnée, dont le fuccès
n’a pas répondu aux efforts qu’on a faits
pour l ’établir.
I
S é n è q u e .
Retour des eaux de la mer par les canaux
fouterrains.
Il y a des philofophes qui prétendent
que la terre réabforbe la quantité d’eau
qu’elle fournit chaque jour : que la mer
ne grolîit jamais, parce qu’elle ne gardepas
ce que les embouchures des fleuves ÿ
verfent , mais les reftitue aux continens
par des conduits invifîbles. On voit les
fleuves fe rendre à la mer , mais ils en
reviennent en feeret , ils fe filtrent en .
paffam. Les chocs multipliés & les frot-
temens que leurs eaux éprouvent au milieu
des fentes de la terre, les- dépouillent infen-
fïblement de leur amertume, leur ôtent
leur faveur défagréable , les rendent pures
& potables.
Réflexions. !
Deux raifons également puilfantes dé- I
truifent cette opinion du retour & de
l’infiltration des eaux de la mer vers les
fources des rivières. La première , c’efl
que tous les torrents & les fleuves ont leurs
fources infiniment élevées au defius du
niveau de la.mer. La fécondé, c’efl qu’en
fe filtrant au travers des terres, rien ne peut
faire croire que l’eau de la mery déj ofe fon
fel. Les nuages , les brouillards, les pluies,
& furtout les amas de neiges fur les montagnes
font des moyens.plus faciles, &
beaucoup plus fimples dont la nature fe
fert vifiblement pour fournir à l’entretien
de ces fources abondantes.
V .
S É N 4 QUE.
Sur Vemploi de teau des pluies.
Je puis vous aflixrer m o i, qui fuis cultivateur
, que la pluie n ’efl jamais allez
confidérable pour pénétrer la terre au-
delà de dix pieds de profondeur ; toute
l’eau pluviale eft’ abforbée par la première
couche &'ne defcend pas plus bas. Comment
donc la pluie pourroit-elie donner aux
fleuves l’impétuoiité que nous leur
voyons, fi elle ne mouille que la furface
de la terre? La plus grande partie de fes
eaux eft emportée à la*mer par lé courant
des fleuves ; la terre n’en boit qu’une
petite quantité , & encore ne la retient-elle
pas. Car ou elle efl altérée & elle s’abreuve
de tout ce qui tombe, ou elle efl défai-
térée & rejette le fuperflu. Audi les premières
pluies ne groflïffent- elles pas les
fleuves , parce que 1g terre altérée attire
à elle toutes les eaux.
Réflexions.
Sénèque combat dans cet article le fyf-
tême de l’origine des fources & des fontaines
par les pluies , en développant
très-bien des objections que les phyfîciens
modernes ont auflx fait valoir, mais que
des expériences & des obfervations plus
exaftes ont détruites. On a contefté,comme
le fait ici Sénèque , la pénétration de l’eau
pluviale dans les premières couches de la
terre, parce qu’après les pluies cm n’a pas
trouvé que l’eau fût parvenue au-delà de
feize pouces dans des terres meubles ; & ce
fait préfente une difficulté aflez grande,
mais qui dilparoît dès qu’on a obfervé
l’organifation des parties fuperficielles du
globe. On voit alors que les couches &
les lits de la terre voifins de la furface
éprouvent plufieurs interruptions qui font
autant d’ouvertures favorables , par .lesquelles
l’eau pluviale s’inlînue ,, jufqu’à ce
qu’elle rencontre les lits d’argile, & qu’elle
prenne fon écoulement au-dehors par-tout
où les couches qui fervent à la conduite
fouterraine de cette eau, fe trouvant interrompues
, fournilfent des iffues favo
râbles. Les faits viennent à l’appui de cette
circulation intérieure de l’eau : car les eaux
de certaines fources abondantes groffilfent
Se même fe troublent fenfiblement après
les pluies : il faut donc que l ’eau des pluies
trouve des routes favorables pour parvenir
à une profondeur égale à celle des réfer-
voirs des fources. Ceci établit incontef-
tablementune pénétration de l’eau de pluie
affez abondante pour entretenir le cours
perpétuel ou paflager des fontaines. Les
puits d’ailleurs tarilfent ou diminuent par la
féchereiïe,&augmentent à lafuite despluies.
Certaines fontaines coulent ou font à fe c ,
quoiqu’elles foient fort éloignées des amas
de neiges qui fondent à certaines heures
du jour. Donc il y a une pénétration
prompte & facile de l’eau à travers les
premiers lits de la terre.
Il y a deux fortes de rivières qui coulent
fur la furface de la terre , les unes tirent
leur origine des grandes montagnes ,
comme celles qui fortent immédiatement
des Alpes & des Pyrénées , & qui font des
rivières principales & du premier rang. Il
y en a d’autres qui prennent leurs fources
dans les montagnes du fécond ordre , dans
des collines , elles font auffi du fécond
ordre. Les premières roulent dans leur
lit les débris de grandes montagnes d’où
elles fortent. Les autres ne’ roulent que
des matériaux des collines & moyennes
montagnes où elles prennent leur origine ;
celles ci font plus fujettes à la fechereffe x
leur lit eft toujours plus vafeux, plus fale,
& leurs eaux moins limpides que celles
des grandes rivières. Lorfque Sénèque dit
qu’on trouve des-1 fources fur le fomrnet
dés. montagnes , il fe trompe. Quand cela
arrive .il y a toujours des montagnes voi-
fines plus élévëes , fans cela les fources &
les fontaines ne percent qu’à une certaine
diftance au-deffous du fommet. D’ailleurs
que l’eau s’infiltre à travers les couche*
de la terre , l’hiftoire & la vue de toute*
les grandes cavernes & des ftalaâites qui
s’y forment «5c des gouttes d’eau qui tombent
continuellement de leurs voûtes , en
font une preuve palpable & fans réplique,
V I.
S é n è q u e .
Sur le dépôt des eaux intérieures.
D’autres philofophes veulent que l’intérieur.
du globe foît rempli d’eaux douce*
ftagnantes, comme l’Océan & fes golphes ,
mais plus oonfîdérables, parce que la profondeur
des cavités de la terre furpafle de
beaucoup celle de la mer : voilà les réfer-
voirs d’où les fleuves tirent leur origine.
Eft ilfurprenant que la terre ne s’apperçoive
pas de leur perte, puifque le furcroit de
leurs eaux’ eft infenfible à la mer ?
Réflexions.
Platon dans fon Phédon nous a tranfmis
la fable des réfervoirs d’eaü que l’on a
diftribués depuis lui avec tant de pro-
fufion dans les entrailles de la terre. On
K k k 2