
ARITHMÉTIQUE. Les deux aîles du mathé- |
maticien, difoit Platon, font l'arithmétique & j
la géométrie. En effet, toutes les-queftions des
mathématiques fe réduifent à des déterminations
de rapports de nombres ou de grandeur. On
pourroit même dire , en continuant la compa-
raifon de l’ancien philofophe , que l’arithmétique
eft l’aîle droite du mathématicien} car il eft in-
ponteftable que les déterminations géométriques
n’offriroient le plus fouvent rièn de fatisfailant
à l’efprit, fi les rapports ainfi déterminés ne pou-
yoient fe réduire à des rapports de nombre à
nombre. Ceci juftifie l’ufage où l’on eft de commencer
par l’arithmétique.
Cette fcience offre un grand nombre de fpécu-
lations & de. recherches curieufes j dans la
moi (Ton que nous en arons fa ite , nous nous
fommes bornés à ce qui eft le plus propre à
piquer la curiofité de ceux qui ont le goût des
mathématiques.
J)u fyfiêmç numérique, & des diverfes efpeces
d‘arithmétiques.
été différent. En e ffet, au lieu de dire après io ;
dix plus un ou onze], dix plus deux ou douze,
nous aurions monté par des noms fimples jufqu’à
, douze ; enfuite nous aurions comptée par douze
plus u n , douze plus deux , 8cc , ' jufqtt à deux
douzaines î le cent eût été douze douzaines, le
mille eût été douze fois douze douzaines ,
& c . Un peuple fexdigitaire auroit sûrement une
arithmétique de cette efpèce , & n’en, feroit pas
pas plus mai, o u , pour mieux dire , il jouiroit
de divers avantages dont notre fyftême numérique
eft privé.
Cela a engagé des philofophes à examiner les
propriétés de quelques autres fyftêmês de numération.
Le célèbre Leibnitz a eonfidéré celui o ù ,
après deux, on recommenceroit par deux plus
un ; c’eft ce qu’il appelle l’arithmetique binaire.
Dans ce fyftême arithmétique , on n auroit que
deux chiffres > î & o > & les nombres s’y marque-.
' roient ainfi :
Un. . . . , . . ........ . . . . . . i
Deux. . . . . . . . . . w . . . . . . . . io
Il n’eft perfonne qui n’ait remarqué que toutes
les nations connues’ comptent par périodes de
d ix , c’eft-à-dire, qu’après avoir compté les unités
depuis i jufqu’ à dix , on recommence par ajouter
ides unités à une dixaine ; q u e , parvenu à deux
dixaines ou 20 , on recommence à ajouter des
unités jufqu’à trente ou trois dixaines, & ainfi
de fuite jufqu’à cent ou dix dixaines ; que de
dix fois cent on a formé les mille, & c . Cela
eft-il néceffaire, ou a-t-il été occafionné par quelque
caufe phyfique , ou eft-ce Amplement un effet
du hafard ?
Pour peu qu’on réfléchiffe fur cet accord unanime
, 1 on ne penfera poiftt que ce foit l’ouvrage
du hafard. Il eft non-feulement probable , mais
çomme démontré , que ce fyftême tire fon origine
de notre conformation phyfique. Tous les hommes
ont dix doigts aux mains , à quelques-uns
près , & en très-petit nombre , q u i, par un jeu
de la nature.,, font fexdigitaires. Or, les premiers
hommes ont commencé par compter fur leurs-
doigts. Après les avoir épuifés en comptant les
unités , il leur falloit en former un premier total ,
& recommencer à compter par les mêmes doigts,
jufqu’ à ce qu’ ils fufîent épuifés une fécondé foisj
puis une troifième, & c . De-là l’ origine des dixaines
, q u i, retenues elles-mêmes fur les doigts,
n’ont pas dû aller au-delà dp d ix , fans obliger
4’en formet un nouveau total appelle centaine,
& c » 4e dix centaines, le mille , & c j 8c ainfi de
fuite.
Il fuit de-là une conféquence çurieufe» c’eft
que. f i , au lieu de 10 doigts , nous en avions
gu douze, notre fyftême de numération auroit
T ro is .. . r ^ . n
Quatre. > . . . . , ......................... ... fïoo
Cinq. ........................................... . ; . . . r 101
Six. .U > . . . . . . . . . . . i . . . . . n o '
Sept. . ................................ .... • • • : U 1
Huit. . @ . . . . . t t ^ 1000
Neuf. . . .................................... ioqi
Dix................................. toio
Onze. . . . . . • . ^ . . . io i i
Douze. . . . v . . . . I • 1 • • -............... iioq
Treize. ............................ 1101
Quatorze.. . ......................... ... * m o
Quinze. .......................................... 11 h
S e ize .,......................... ... . . i . v -i;6oo0
Trente-deux.................................... 100000
Soixante-quatre.............. .................... . iqqooqo
Deux mille trois cents foixantedix
neuf. . . . . . . . . . iooioiooioii
Comme M. Léibnitz trouvoit, dans cette manière
d’exprimer les nombres, quelques avantages
particuliers , il a donné dens les Mémoires
de Berlin ( tome 1 des anciens Mémoires ) , les
règles pour pratiquer , dans cette efpèce d’ arithmétique
, les opérations ordinaires de l’arithmétique
vulgaire. Mais il eft.aifé de voir que ce
nouveau fyftême a , quant à l’ufage ordinaire ,
rioconvénient
l’mcètivénieiw 3’exiger un trop -gratid notnbte
de.xaraâères ; • il-en faudroit ' vingt pour ex-
pt-jmer un nombre d’environ un million > ce
qui feroit extrêmement incommode dans la pratique.
; Il ne faut pas , au re fte , omettre ici une chofe
eurieufe au fujet de cette;arithmétique1-binaire ji
c ’eft qu’elle donne l’explication d un , fymbole;
chinois, qui avoit fort tourmenté les favans en
antiquités chinoifes. Il étoit queftion 4e certains
caraaèrés révérés par fes chinois , & coiïfiftans'
dans les différentes cotabinaifons d’une petite ligne
entière & d’une biifee $ caractères attribues
à leur ancien empereur Fohi. ■ Le vP. B ouv e t,. je-
fuite, célébré’ millionnaire' de là .Çhihè, ayant été
informé dés idées de M. Leibnitz, remarqua que,
fi la ligne entière repréfente hôtré 1 8c là lighe
brifée notre o , ces caractères ne Font autre cHdfe
que la fuite des nombres exprimés par l’ arithmé--
tiquebinaire. Il feroit fort fmguiier qu’une énigme,
chinoife n’eut trouvé fon OEdipe- qu’en Europe b
Mais peut-être tout cela èft-il plusdngénieux que:
folide. *
Mais fi l’ on a bien fait de laiflFer au nombre des
spéculations -curieufes , ^arithmétique, binaire de
Léibnitz , il n’en eft pas de mênie de' l’ârithmé-
tique duodénaire î de cette arithmétique, q u i,
ainfi que nous Bavons dit plus haut, auroit eu
lieu 3. li nous eùflfonsrétéi fexdigitajres. En; effet,
elle eût été tout auffi expéditive , 8 1 même:un
peu plus, que l’arithmétique aCtuelle > le!, nombre
de caraCtètes, qui n’eût été augfnenté que de
deux pour exprimer dik & onze*, n’eût pas plus
furchargé la mémoire que celui des caraCtères ac-^
tuels ; & il en réfulteroit des avantages^ qui doivent
faire regretter quelle n’ ait pas été primiti-
vetoent miFe" en üfage; -
Cela feroit probablement -arrivé à fi laphilofo-
phieeût préfidé -à cet établiffemerit. Car on eût
d’abord'VU que le nombre dou^e eft , dfe tous les
nombres j'depuis I jufqu’ à 20 , celui qiii jouit de
l’avantagé d’être àcla-fois le plus petit 3 & d’avoir
le plus- grand nombre de divifeurs} car 12 à 4 divifeurs
qui le partagent fans fraCtion,, ffavoir 2 3
3 ,4 &'6; Le'nombrë iS a aüffr, à la vérité , 4 dir
VÏfeurs ; ’rriais-, étant plus grand que ■ 1-2 .3 celui-ci
méritoit là préférence pour ifiefuter les périodes
de la numération. Elfes euflènt eu alors l’avantage
de pouvoir être divifées, la première d’uti
st douze , par 2 4 , 6 j la fécondé d’un à cent
quarante-quatre, par 2 , 3 ,4 3 6 3 8 , 9:, 12 , ré.,
243 3 6 ,4 8 ,7 2 5 tandis que, daqs l’ufage ordinaire
, la première période d’un à 10 n’a que deux
divifeurs , 2 & 5 ; la fécondé n’a que 2, 4, y ,
10,20,2^3 yo!- On' rencontreroit pàr conféquent,
dans.ladéfignation des nombr.es,plus rarement des
ûraCtiops.
Amufemens des Sxiehcès%
Mais/ce qu’i l y eût ’eu fut-ftb.dt dl;avàn’tagê’'uixi
dans cette forte d e numétatiod, c’éft qu’ëlle eût
introduit dan's d’iifagé lés divifions 8c les. fous-di-i
vifions des m'efurés quelconques en progreffion
dùodécimafei Airifi, de même que , par hafard,
le pied fe divifé en 12 pouces, le pouce en 12 lignes
,. la ligne en: 12 points 5 la livré :fe feroit di-,
vifée en 12 onces 3 l’ohGe èn 12 g ro s , lé gros en
12 fcrupules ou autres parties dénomitoees comme
on voudra ; le jour eût été divifé en 12 portions
appelléesheures, fi l’on veut >, l’heure en 12 autres
parties qui auroient valu 10 minutes j chacune
de ces parties en 12 autres, & ainfi fiicceffiveinent.
Il en eût été de inêmè dès mefures dé conte-
; nâtVcë , & c , &c:
Ôn demandera quels avantagés il y eût eu dans
: cette divifibn ? Le voici. Ôh fait que tous les
: j*ôürs, quârid il eft quéftion de partager une me-
: fure en ? , en 4 parties, en 6 , ôn fie trouve pas
; un nombre entier de mefures de l’ëfpèce infe-
i rieure, ou c’eft uniquement par hafard. Amh ^ un
[ tiers, un 6c de livres ne donne pas un nombre
ljufte d’onces j un tiers de ' livré numéraire né
; donne pas un nombre entier dë fous. -Il en eft dè
j même du muid & de la plupart des autres .mefures
des liquides , & c > on pourroit en trouver bien
d’autres exemples. Ces inconvéniëns, qui corn-
j pliquent le calcul, n’auroient pas lieu , fi'l’on eût
j fuivi par-tout la progreflion duodécimale. -
i Le fécond avantage réfulteroit de la comui-
naifon de l’arithmétique 'duodénaire ‘ avec cettê
progreffion duodécimale. Un nombre de livres 3
de fous , de deniers un nombre de. pfeds , de.
pouces , de lignes î ou bien de livres , d’onces,
& c , étant donné, feroit exprimé comme le fon t,
dans l’arithmétique ufuellè , fes nombres entiérS
& de même efpece. Pair exemple 3 en fuppofalit
ue la toife fut de, 12 pieds, coigmedl faûdroit
ans ce fyftême. de numération j fi l’ on avoit 51
toifes y pieds 3 pouces 8 lignes à exprimer , il ne
faudroit pâ$ écrire 9l y? yp 8l , iilàis "firrlplenierit
9y 38 ; & toutes lè§ fois quon auroit -un. nombre
femblable, exprimant une dimenfion en^ toifes >
pieds, pouces , & c , lë premier chiffre à droite
.exprimeroit des lignes, fe fécond des pouces, 1e
troifîèiiié dés p’iëds , lé quatrième des toifes , fe
binquièmë; dës douzaines dé toifes qu’on pour1-
roit exprimer par un notn firrtple, par exemple ,
paj fe nom .de .corde., &c. Enfin., lorfqu il ferp.it
queftion d’ajoutér , de fouftraire, de multiplier
Ou divifer de femblables grandeurs entt’elles ,
on Ôpérëtoit comme fur des nombres entiers ;
"8c c e qui en réfulteroit, défigneroit de ' même,
par l’ordre dés chiffrés , dés lign e s , pouces ,
pieds , &c.
Il eft- aifé de fentir combien cela feroit commode
dans la pratique. Aufù un mathématicien