
homme a voyagé , on peut connoître fort fou-
vent à fa première converfation qu’il a été bien
loin fans qu’ il le dife explicitement : on peut dil-
tinguer très-facilement par fon coftume , (on teint,
fon accent & fes expreffions s’il vient de l’Efpa-
gne ou de la Ru (fie j alors fi on lui dit qu’ il a
été dans des pays lointains qu’on ne défigne
p o in t, mais qu’on appelle fimplement méridionaux
ou feptentrionaux , félon la couleur de fon
vifage } & fi on ajoute à cela qu’il lui eft arrivé
des aventures plus ou moins agréables , félon
que la beauté de fa taille & de fa figure paroiflent
lui en avoir donné occafîon , fes réponfes peuvent
donner lieu à de nouvelles affertions , que l’ on
peut détailler ou rétra&er à moitié en les interprétant
félon le befoin. Les propofitions fur l’avenir
peuvent être annoncées d’unemanière plus
détaillée & moins générique : elles ne demandent
prefque aucune circonfpection de la part du devin
ou de la devinereffe , parce qu’ il ell impoffible
d’en démontrer fur le champ la fauffeté.
La vieille devina le nombre d’écus de 6 livres
& de pièces de 24 fols que M. Hill avoit dans fa
bourfe par un hafard que voici : Une de fes voi-
fines , qui lui fervoit ae commere en lui prêtant
Fes fecours dans l’ occafion, avoit vu par hafard
M. Hill dans une boutique de mercier, un demi-
quart-d’heure avant qu’il entrât chez la vieille j
M. Hill avoit acheté dans cette boutique quel-
ues merceries , & pour les payer il avoit tiré
e fa poche une bourle à moitié pleine de louis :
la commere voifine, dont nous venons de parler 3
s’étoit apperçue , fans faire femblant de rien ,
que M. Hill payoit pour 3 livres 12 fols de mar-
chàndife , & que fur un louis on lui rendoit trois
écus de 6 livres & deux pièces de 24 fols : voyant
un inftant après que M. Hill entroit chez la aevi-
nereffe, elle préfama que c’étoit pour faire tirer
les cartes ; en conféquencè , elle envoya à la
forcière un petit écrit qui l’avertifioit de ce que
M. Hill avoit dans fa bourfe. C e fait eft arrivé
tel que je viens de le raconter : la vieille me l’a
avou é , & m’ a dit en même temps que lorfque
les gens venoient la confulter pour la première
fois , elle les renvovoit ordinairement fous prétexte
d’occupations importantes , j0& que fa voifine
fuivoit alors fecrettement les perfonnes renvoyées
pour favoir leur demeure & s’informer en-
fuite de leur nom & de leurs affaires. Elle a ajouté
qu’elle nous auroit également renvoyé à notre
arrivée , fi elle* n’avoit reçu par hafard, de la
part de fa voifine une inftrucfion qui lui fuf-
fifoit dans ce moment pour nous donner la plus
haute idée de fes talens dans l’art des devins.
Elle m’a dit enfin qu’elle avoit employé l’efca-
motage & les faux mélanges pour m ettre, comme
par -hafard , dans une rangée des cartes deux carreaux
& trois trefles parmi beaucoup de coeurs ,
pour nous frire çroire par-là que l’arrangement
de ces cartes exprimait deux pièces de 24 fols ;
trois écus de 6 livres & le grand nombre de louii
que M. Hill avoit dans fa bourfe.
La réponfe que la vieille fit à M. Hill , en
lui difant au hafard qu’il n’avoit point d’enfans,
ne pouvoir jamais la mettre dans l’embarras, puif-
qu’on auroit admiré la vérité & la jufteffe de cette
réponfe dans le cas où M. Hill n’auroit réellement
pas eu d’ enfans j & que dans le cas contraire
, elle pouvoir donner une ombre de vraifem-
blance à fa propofition.
La petite découpure mife fur la main d’une
femme pour deviner fi elle étoit mère, ou pour
faire çroire qu’on pouvoit deviner par ce moyen,
n’étoit autre chofe que de la raclure de corne
faite avec un morceau de verre ou un rabot : cette
fubftance animale, quand elle eft mince comme
du papier de ferpente & longue d’un pouce fur
environ fîx lignes de large, fe remue très-vifi-
blement fur la main , tant elle eft fenfible au
nouveau degré de chaleur qui la pénétre. On lui
donne avec les cifeaux & le pinceau la figure
d’un enfant emmailloté , pour la rendre plus myf-
térieufe & plus analogue a la queftion propofée,
quand il s’agit de dèviner la fécondité d’une femme.
Si c’eft une fille qui propofe la queftion , on met
fur fa main une figure de tafétas. qui refte parfaitement
immobile. Si on fait au contraire que
c’eft une femme & qu’ elle a des enfans, on lui
donne la corne découpée dont les mouvemens
frappent les yeux , tandis que la réponfe affirmative
étonne l’efprit par fa jufteffe.
La vieille fut facilement que la dame qui tenoit
fur fa main la découpure de corne étoit mère , &
que la jeune fille qui tenoit fur fa main la découpure
de tafetas s’appeloit Rofalie , parce quelle
avoit trouvé dans le billet apporté par fa voifine
la note fuivante : Faites bien attention que la
dame au jupon noir eft la mère de la jeune de-
moifelle au ruban bleu. J’ ai entendu que l’une
difoit à l’autre avant d’arriver chez vous : fou•
viens-toi Rofalie de ne pas me nommer 3 & de ne
pas m’appeller. ta mère. 5 & l ’autre a répondu ,
oui maman »,
On voit par-là qu’une précaution prife pour
embarraffer la vieille a fervi à la faire triompher.
• ■ . y .
La vieille devina par hafard que le mari de »
même dame s’appelait George i mais dans cette
circonftance très-fortuite, elle mit beaucoup d’a-
dreffe. Vo ic i comment : on avoit chanté depuis
peu chez elle une chanlon dont les verfets finiifent
par ce refrain :
George , George
Donne-moi de ton fucre d’orge.
Elle avoit les oreilles & l'imagination fi frap'
pées de ce refrain, qu’elle le répétait fans cette}
de forte que quand la dame au jupon noir demanda
fi ion mari reviendroit bientôt ds la campagne
, la vieille alloit répondre , oui madame ,
% vous lui dire£ a fon retour : George , George ,
donne moi de ton fucre d'orge : mais fe voyant interrompue
, & n’ayant pas le temps de prononcer
fon refrain jufqu’au b ou t, parce qu’on lui dè-
mandoit comment elle pouvoit connoître le nom
de M. George , elle comprit aufli-tôt qu’elle avoit
prononcé le nom de la perfonne en queftion , &
profita de cette circonftance pour Faire croire
qu’elle avoit deviné par des moyens merveilleux
U magiques , ou par la fimple combinaifon des
cartes auxquelles on fait fignifier tout ce qu’on
veut comme au fon des cloches.
Mais me dira-t-on , fi l’homme en queftion
n’avoit pas eu le nom de George , la vieille fe
feroit réellement trompée en lui donnant un nom
qu’il n’avoit pas : comment auroit-elle fait pour
cacher cette erreur ?
Je réponds qu’il n’ y auroit même pas eu d’erreur
, parce que la vieille ne prétenaoit pas nommer
la perfonne par fon nom ; le mot ae George
n’étoit donc dans fa bouche qu’une façon de
parler.
En faifant couper le jeu de cartes de la main
gauche , en joignant à cela plufieurs autres cérémonies
vaines en apparence , la vieille étoit plus
adroite qu’ il ne paroit d’abord , parce que les
cérémonies dans les tours, quelqu’inutiles quelles
paroiffent, frappent toujours les yeux & l’imagination
, partagent l’attention du fpeéhteur ,
fervent fouvent de moyen pour cacher des manipulations
, 8 c de prétexte pour exeufer des erreurs.
'
En ne devinant que la première & la dernière
lettre du nom de Rofalie, quoiqu’elle fût le nom
tout entier, c’ étoit encore de fa part un tour d’ a- !
dreffe, par l’ignorance apparente des cinq autres
lettres, elle fembloit prouver évidemment aux
fpe&ateurs que les deux lettres devinées n’étoient
point connues par des moyens ordinaires.
Pour faire trouver enfemble le roi de coeur
la dame de trefle , quand il fallut prédire mon
mariage, la devinereffe employa les boîtes à double
fond de la manière fuivante : elle préfenta
«abord la première boîte comme dans lafig. 22 y
meme pl. 4 s de Magie blanche tom V III des gravures
5 pour faire voir qu’ il y avoit dedans un
roi. de. coeur : elle tenoit dans ce moment dans J
le couvercle un carré de carton , qui cacha en-
juite le roi de coeur en tombant au fond de la
boite quand on la ferma ; & comme ce carton
«oit de la même couleur que l’intérieur de la
boite, on crut que le roi de coeur en étoit forti.
Hi présentant la fécondé boîte de la même manière
pour faire voir qu’ il y avoit une dame de trefle ,
3 vieille tenoit dans le couvercle un pareil
carton qui cachoit une dame de trefle & un ro*
de coeur ; ce carton tombant au fond de la boîte
quand on la ferma , cacha la première dame de
trefle , & laiffa paroitre la fécondé , qu'on prit
pour la première , avec le roi de coe u r , qu’on
rit pour celui qui avoit difparu dans la première
oîte.
Si la demoifelle pour qui on faifoît cette expérience
a fenti dans ce moment une grande palpitation
de coe u r , c ’eft qu’elle penfoit à une affaire
affez importante pour avoir le coeur agité entre
la crainte & l’efpéranCe : l’imagination & la crédulité
ont pu d’ailleurs contribuer à cette crife
comme dans les expériences du magnétifme animal.
Les réponfes données à la jeune perfonne fur
fa conduite paffée , étoient, comme on l ’a vu ,
fufceptibles d’ être interprétées en bien ou en
mal, de forte que la vieille devoit toujours pa-
roître avoir raifon. Ces réponfes étoient écrites
d’avance avec de l’encre lympathique invifible
faite avec du vinaigre diftillé & de la litharge.
Pour rendre l’encre vifible , il fuffifoit de mettre
les cartes dans un bocal où on avoit mis de l ’eau ,
de la chaux vive & de l’orpin. La feule vapeur
de cette compofition chimique fuffifoit pour pro-r
duire l’effet defiré. Ce qu’ il y avoit de plus frappant
dans cette opération, c’eft que la vieille ,
fachànt fur quelles cartes étoient les réponfes
contraires ou favorables , faifoit toujours tirer
celles qu’elle jugeoit à propos, quoique cela
parût fait au hafard , & cela par les moyens employés
à faire choifir une carte forcée.
MAGNÉTISME ANIMAL.
Extrait du rapport des commiffaires charges parle roi
de iexamen du Magnétifme Animal.
» Le roi a nommé , le 12 mars 1784, des médecins
choifis dans la faculté de Paris, MM. Bo-
r ie , Saliin, d’A r c e t, Guillotin , pour faire l ’examen
& lui rendre compte du magnétifme animal ,
pratiqué par M. Deflon } & , fur la demande de
ces quatre médecins, fa majgfté a nommé , pour
procéder avec eux à cet examen , cinq des membres
de l’académie royale des fciences, MM. Franklin
, le Roi , Bailly, de Bory, Lavoifier. M. Bo-
rie étant mort dans le commencement du travail
des commiffaires, fa majeftéa fait choix de M. Ma-
jau lt, do&eur de la faculté, pour le remplacer.
Expofttion de la doctrine du Magnêt ■ M Animal.
*> L’agent que M. Mefmer prétend avoir découvert
, qtf’ il a fait connoître fous le nom de
Magnétifme A n im a l, è ft, comme il le caraétérife
lui-même, &fuivantfes propres paroles , un fluide
univerfellement répandu 5 il eft le moyen d’ une
influence mutuelle entre les corps celeftes, la