
X ARCEUR. Voici le conte que fit un farceur
en amufant une compagnie. Il arriva , dit il, dans
\ orck un événement extraordinaire. On avoit mis
en prifon un vieux cordonnier accufé d’homicide.
La juftice entendit contre lui les dépofitions de
cinquante - deux témoins. Les uns déclaroient
l ’avoir vu jeter un enfant dans la rivière ; lçs
antres difoient avoir entendu les cris de l ’enfant
noyé ; d’autres enfin , dépofoient qu’ ils avoient
vu l’accufé fe mettre én .colere & frapper horriblement
cet enfant avant, de le jeter dans l’eau.
Le vieillard fe défendoit, en difant q u e ,. dans
cette accufatioiljil n’y avoit point de corps de délit,
puifqu’aucun citoyen ne fe plaignoit d’avoir
perdu fon enfant, & qu’on ne pouvoit lui pré-
fenter le corps d’un enfant tué. Cette réflexion
èmbarrafloit un peu les juges, qui ifetoient pas
des gens de lo i , mais Amplement douze cordonniers
, parce que > dans ce *pays-là, chacun eft jugé
par fes pairs, & que la province d’Yorck fourmille
dp cordonniers , comme le limoufin dérailleurs
de pierres. Ne pouvant confronter l’accufé avec le
corps noyé que le, courant de la rivière avoit
emporté jufqu’à la mer, les juges avoient envie
d’envoyer leur confrère aux petites-maifons de ce
pays-là, & cela avec d’autant plus de raifon que,
dans l ’interrogatoire., on voyoit l ’accufé rire
comme un fo u , & donner planeurs autres fignes
de folie : cependant comme il avoit de longs intervalles
de raifon, & que les fymptômes de démence
étoient un peu équivoques, on n’ofoit lui
faire grâce de la vie; la dépolïtion des témoins
étoit d’ailleurs très-précife , & fembloit exiger
Une punition exemplaire.
- Vous êtes bien embarrafles, dit le vieillard,
permettez-moi de recevoir ici tout-à-l’heure la
vifite d’ un de mes amis, & je ferai bientôt ceffer
votre irréfolution. Sur la permiffion qu’il obtint
de recevoir cette vifite, il manda fon ami ^qui
vint bientôt après,avec Une grande malle, dans laquelle
étoit un petit berceau ; l’accufé en-tira un
grand* fabre, & puis un enfant qu’il prit entre fes
bras, en lui difant : te Adieu , mon cher filsjf je
vais mourir aujourd’hui pour avoir tué ton frère».
Cependant l’enfant pleuroit & paroiffoit fenfible
aux adieux du vieillard. Les juges étoient furpris
du premier aveu qui venoit d’échapper à l’accufé,
lorfque celui-ci continua de cette manière r « Que
deviendras-tu, mon cher enfant, quand tu n’auras
plus auprès de toi celui qui t’a donné I’exiftence ?
L ’abandon & le mépris, voilà ta perfpe&ive ; la
raifère & l’opprobre , voilà ton partage ; mais ,
non, dit-il, tu n’auras point un pareil fort, c’eft à
préfent pour la dernière fois que tu fais entendre
tes gémiffemens ». Enfuite le; vieillard, infenfible
aux cris de l ’enfant, parut entrer en fureur contre
lu i , & fit un mouvement pour lui donner un
coup de fabre : arrête, malheureux , s’écrièrent les
juges d’une commune voix ; mais il n’étoit plus
teriaps : le coup étoit parti, & la tête de l’enfant
fouloit déjà fur le parquet.
Les juges furent tous aufli étonnés que le lefteur
va l’êtfe dans un inftant, quand ils virent qu il
n’y avoit pas de fang répandu , quoiqu’il y eut un
enfant décapité : ils s’appèrçurënt bientôt qu’on
n’avoit coupé qu’une tete de bois ; ils fe plaignirent
d’abord de cet excès de mauvaife plaisanterie
qui venoit de les foumettre à une fi rude
épreuve. C ’eft pour conferver ma vie , dit le
vieillard à fes confrères, c’eft pour vous prouver
que l’enfant qu on m’accufè d’avoir jeté dans la
.rivière peut être femblable à .tous égards à celui
que j’ai décapité fous vos yeux. Vous voyez maintenant,
ajouta -t-il, qu’il ne faut pas toujours
juger un homme d’après tes bruits populaires,&
qu’on peut mettre une petite reftriétion à la maxime,
vox populi y vox Dei.
Les juges, ravis de voit qu’ils ne seraient af-
fèmblés ce jour-là que pour un crime imaginaire,
prièrent leur confrère de dire par quel art il avoit
pu tromper les yeux & les oreilles jufqu’au point
de faire une illufion. générale. Vous le faurez
bientôt, dit le vieillard; écoutez monhiftoire.
.J’ ai paffé une partie de ma, jeunefle avec une
troupe ambulante de bateleurs , compofée de
toutes fortes de gens à talens ; l’un favoit imiter
au naturel le chant cîu merle, de l’ alouette ,. de
la grive & du roffignol ; l’autre contre-faifoit la
chouette, & faifoit entendre le miaulement d’un
chat j un troifièmë imitoitalfez bien le chant dit
co q , le roucoulement d’un pigeon & le glouffe-
ment d’une poule' ; mais il excelloit fur-tout à
jouer le rôle de dindon;. un quatrième ,
c’étoit moi-même ) , avoir porté fi loin l’art d’aboyer
& dé ricaner , que par-tout où nous pallions
, les c-hiens & lés baudets du voifinage ac-
couroient déboutés parts pourfe mettre à l’unilTon.
Nous étions er'rans de village en village, & h
public appelîoit notre troupe l'a iménagerie. Pique
ae ce qu’on nous donnoit un nom fatyrique, je
conçus le noble delfein d’obliger en quelque façon
le public à faire en ma faveur une exception honorable";
l’amour de la gloire me fit créer pour moi
un rôle nouveau , pour n’être plus défigné fous-
la dénomination commune. J’ofai me. flatter qu&
F À R *
je pourrois parvenir un jour à imiter la voix d’un
enfant à la mamelle. Mes efpérances. furent .bientôt
accomplies ; car les leçons que j>a!lois prendre
journellement à l’hôpital des enfans-trouvés j &
les frequens exercices que je faifois en mon particulier,
me valurent bientôt de grands applaudif-
femens, en portant au plus haut point un talent
pour lequel la nature' fembloit m’avoir formé. Je
n’ai jamais regretté les peines que je m’étois
données pour rn’ inftruire dans ce nouvel art ; mon
favôir m’a fervi plus d’ une fois à voyager fans
argent, & à jouer des comédies ou il n’y avoit
d’autre aéteur que moi ; mais il eft dans ma vie
une époque remarquable, où mon talent m’a fervi
à jouer une fcèrie bien plus intérelFante depuis
trois mois je foupirois en vain pour une. ingiate,
que je hé pouvois fléchir ; entré en tapinôis dans
la chambre de cètte bçlle inhumaine, j e nie tapis-
un jour au fond dé fa ruelle, & je ns "entendre
ma voix enfantine elle crut entendre les1 cris
d’un enfant nouveau-rié, & accourut aufli-tôt par
pitié, pour me bercer & pour fécher mes pleurs ; (
mais quelle fur fa furprifé,. lorfque s’appercevant
du tour qu’on lui jouoit, elle ne trouva, derrière
le rideau, que cet enfant malin dont l’empire s’ér
tend dans toute la nature ! Le dieu d’amour qui
l?attendoit>, la bleffa cruellement.; mais il ne la
renvoya point fans adoucir fes maux, en la couronnant
de rofes, pour laYecompenfer du tendre,
fentiment qui l’avoit amenée. 1
je îuuc a- m acquitter ae
mon nouvel emploi, je m’apperçüs bientôt que
j’étois obligé de me cacher, ou dé jouer devant
des aveugles, pour produire l’illüfion dans l’ art
nouveau que j’avois inven té. C ’étoit en vain que
je faifois entendre la voix d’un enfant à ceux qui
ne voyoient aucun enfant auprès de moi, & qui
voyoient remuer mes lèvres ; ils s’appercevoient
a l’inftant du déguifemënt dè ma voix , & fe plai-
gnoient de ce qu’ils avoient deviné trop tôt &
, tî:.0P facilement le mot de. l’ énigme. Alors j’ima-
grnai dè porter dans mes bras une poupée emmaillotée,
couverte d’ un voile; & pour perfuadêr
aux fpe&ateurs que certaines paioles né fortoiént
pas de ma bouche, je réfolus de prononcer d’une
Voix enfantine des mots qui n’exigent point-, le
mouvement des lèvres : je m’apperçus qu’avec un
certain effort & un peu d’exercice, je pourrais
parvenir à prononcer, fans aucun mouvement apparent
de mes lèvres, tous les mots où il n’entre
que des confondes dentales , linguales ou gutturales
,^e*eft-à-dire , des confonnes, telles que d3 1 ,
3 qu on prononce des dents , de la langue on
u gofier3 par exclufion aux confonnes labiales,
qu on prononce des lèvres, telles que b , m , p.
y a une infinité de ces mots qu’on peut prononcer
ain fi fans remuer les lèvres , fur-tout quand
®n. P ^ e d’une voix enfantine , parce que cette
01x demande une prononciation gênée. Je don-
F A R ƒ / y
herai pour exemple lés mots filjvans en quatre
Lingues, différente^ : ce quon dit, efi certain ,* quellç
heure eftriih i l eft lejnq heures. ftNajinette y fo/in-e fo
cloche; il eft déjà temps ; f i S ignora. Nonne feriè
dixîftu I D IP IT. IN JE S T .
Quand je fus bien exercé devant un miroir à;
jouer la,partie enfantine de mon. rôle fans remuer
lèvres , je parus fur un théâtre dans un pays
ou j etois inconnu ; je portai entre mes bras une
poupée couverte d’un voile,avec laquelle j’entrais
en converf^tion : elle me répondoit, touftbit,
chantoit, pleuroit & crachoit ; & comme je l’ in-»
terrogois avec ma voix naturelle ^ qui eft très-*
grave, on étoit naturellement perfuadé que la
yoix enfantine, ^ui fe faifoit entendre aufli-tôe
pour donner la reponfe,. ne devoir pas provenir
de la même bouche. La çréfence d’un eprps emmailloté
, & l’immobilité, de mes lè vre s, ache-
| voient l’ illufion. Cependant je prononçois quelquefois
, d’une voix enfantine , toutes fortes de-
mots, fans aucun choix ; mais alors, crainte qu’on
ne vit le mouvement de mes lèvres, j’avois foin
de bailler ma tête vers la poupée, & d’appliquer
mon vifage contre fon voile , comme pour la ca-
! relier & pour lui parler de plus .près.
. Maintenant je vous ai fait entrevoir les premiers-
principes de mon art, vous voy e z , Meilleurs, que
les témoins oculaires que vous avez entendus
contre moi, peuvent avoir mal vu : je fuis peut-être
coupable*, dans ce moment c i , de vous en avoir
donné une preuve trop f r a p p a n t e & de vous
avoir tenus trop long-temps en fufpens; mais je
vous prie de pardonner ma faute en faveur de ma
leçon, .
-Au refte, ajouta le vieillard en finififant, j’ou-
bhois de vous, dire que lorfque je paroilfois fur un
théâtre, pour jouer moi feul un comédie à deux
| | § § g fétois obligé dé faire un petit aveu à toute
raflemblee.: Si la compagnie s’étoit féparée en
croyant que j’avois toujours eu dans mes bras la
perlonne réelle d’un enfant, on n’auroiteu d’autre
plâifîr que celui d’entendre un petit dialogue amufant,
& l’on ferait fom du fpeêlacle dans l ’idée
qu’on venoit de voir S ra’entendre une chofe fort
ordinaii-e; j’étôis donc obligé, pour faire preuve
d'induftne, de faire voir fur la fin que je n’a-
vois dans mes bras qu’une poupée de carton. C et
aveu produifoit la plus grande furprifé; il fe trouvent
alors des personnes qui prétendoient expliquer
.ce pHénoméne’ en difant que je parlois du
ventre ; quelque-temps apres, la gazette & le
public me donnèrent le nom de‘ V e n t r i l o q u e .
( D e c r e m p s . )
Faujfe expérience de Magdebourg.
M. Hill dans un repas , voulant amufer une
compagnie, & interrompre des chanteurs impor-
tu|js, commença de chanter lui-même d’une yoîx
T î t ’z
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