
Croyez-vous, lui dit M. Van-Eftin , que j ’àî :
envoyé cette réponfe, feulement au bout du parc,
pour vous épargner une plus longue courfe, 8c que
j’aurois pu l’envoyer auffi facilement a trois lieues'
plus loin ? — Je le crois , dit M. | quelque
împoffibilité phyfique que j ’y apperçoive j après
ce que j’ai v u , je ne faùrois en douter.. — Ne
convenez-vous pa$aulïi, dit M. Van-Eftin, que
puifque j’ai le pouvoir de faire paffer fubtilcment
un écrit dans une caffette fermée à cle f , éloignée
de trois ou quatre lieues ; je pourrois 3 par le
même moyen , envoyer invifiblement dans l’efto-
mac d’un homme , qui fer oit a la meme diftançe .a
une potion chymique de ma compofition ? r. | en
conviens , dît M. Fïill- -- O r , il eft clair , ajouta
M, Van-Eftin, que je peux mettre dans cette .potion
des matières glaciales , des drogues venimeufés ou
ar.fénicales ; donc je peux, par ce moyen , envoyer
au loin des maladies fiévreufes', & refroidir les
tempéramens les plus vigoüreux; c’eft-a-dire, que
je peux nouer l’ aiguillette , donner des maléfices ,
& exercer toutes fortes de fortilèges. — Ma foi *
dit M. H ill, vous pouvez, vous vanter de tout
cela auprès de moi. Je fuis prêt à vous en croire
fur votre parole, & je vous difpenfe de me donner
de nouvelles preuves. — Eft-il poffible s’écria
M. Van-Eftin , qu’ un favant foit parvenu^à1 cet
excès de crédulité, qui lui fait ajouter foi a tous
les contes les plus .ahfurdes* /
M. Hill ayant oui dire?, que tout ce qu’ il avoit
vu & entendu dans le pavillon , étpit i effet de
quelques caufes fimples & naturelles, pria inftam-
ment M. Van-Eftin de lui donner la Solution dé
ce problème , lui promettant de lui garder le
tfecret, afin que fes moyens ne fuffent pas connus
du public, & qu’ ifp û t , dans la fuite, répéter la
même expérience avec le même fuccès.
J’avois réfolu , répondit M. Vàn-Eftin, de ne
confier m©n!fecret à perfonne ; cependant je vous
promets de vous donner un jour la clef de ce logo-
gryphe / ^condition que vous n’en parlerez point
dans ce pays-ci. 'C e que vous pourrez en dire , à;
votre retour en Europe, ne parviendra fans doute'
'jamais aux oreilles de mes voifins, que j'ai intérêt
de conferver dans l’ ignorance fur ce point : maisdî
mes moyens étoient tin jour découverts, je m’en
confolerois par le plaifir que j’ai eu de prouver
déjà ,. par plufieurs expériences réitérées., qu’un
fait qui paroît miraculeux à bien des gens , n eft
fouvent qu’ un effet préfenté à l’ignorancé par la
fupercherie , & que l’ inftriiâion fait ordinairement
évanouir le merveilleux 3 en detruifant notre
admiration ; d’où il s’enfuit, que pour bien diftin-
g.uer une opération vraiment miraculeufe , de
celle qui n e l’ eft, point, il faut commencer par bien
étudier les loix de la nature , & les preftiges de
l’art. Apprenez donc, dès à préfent, que je ne
fuis*parvenu à yous féduire, que par la réunion
d’une infinité de caufes phyfiques 8c mécaniques*
pour lefquelles j’avois fait , a votre infu , dé
grands préparatifs , & dont l’effet vous a paru
magique 8c femblabie à des maléfices 8c à des fortilèges..,
parce qu’ il vous a été exagéré par un
fophifme, où le.menfonge fe préfentoit fous les
denors de la naïveté» •
Explication,
Vous avez, d’abord écrit une queftion , en appuyant
votre , papier fur un porte-feuille couvert
de taffetas noir, enduit de fuif 8c de noir de fumée
dans fa furfaçe intérieure , fous laquelle étoit
cache un papier blanc. Vous avez écrit fur ce
papier | fans le favoir , parce' qu’en gravant vos
câràéfères fur le papier extérieur que je vous ai
préfenté , le crayon dur dont vous vous êtes
fervi , a marqué les mêmes traits fur le papier
caché , à l’aide du fuif 8c du noir de fumée dont la
furface intérieuré du taffetas étoit enduite. .
Par ce moyen , quand vous m’avez rendii ce
pdrte-feuille , ç ’étoit en vain que vous cachiez
votre é c r it , il m’a été facile de voir , d un ,coup-
d’oe il , dans le porte-feuille , ce que vous veniez
d’ écrire deux fois , fans le favoir ; Sc de vous
dire que votre queftion étoit compofée de huit
mots.
Quand votre écrit a été brûlé , je vous ai pré-
fenté aufiî-tôt un papier blanc , plié en quatre ,
fur lequel vo.us avez figaé avec paraphe ; je vous
ai promis de l’envoyer au bout du parc , fans
aucun émiffaire, 8c je vous difois la vérité ; mais
quand je vous ai alluré .qu’ il contenrit là réponfe a
votre queftion, c’étoit avec raifon que, je n’ ai
pas voulu vous permettre de le déplier, puifqu il
n’y avoit encore rien.
Après votre départ, j’ai écrit promptement
la. réponfe fur ce,même papier , en me fervant
d’une encre rouge 8c. violette pour fatisfaire a
votre demande : je l ’ai mife dans une boite ronde
de liège , que j’ ai jéttée à la hâte dans un petit
tuyau fouterrain dont une extrémité va aboutir
au pavillon.. Faifant alors ufage d’un grand foufflet,
pour produire dans, ce tuyau un verk impétueux ,
j’ ai pouffé la boulé de liège dan^ le pavillon,
avec toute la rapidité que vous communiquez a
dés fèves ou à des' pois , quand vous les lancez
pour tuer des oifeaux , en foufiant dans un§
farbacane(i).
En arrivant à fa deftination , la boule de liège
a pu tomber dans la caffette , qui étoit alors
‘ (i) L’expériçnce prouve qu’on peut pouffer ainfi la
boule de liège jufqu à fix liçues.
buvette',' Sc entrer dans le tiroir fupérieiir de
îa commode ., parce que le deffus de cette commode
, qui eft mobile fur des charnières comme
le couvercle d'une malle , étoit dans ce moment
appliqué .contre le mur. fig. T 3 de la f l . 7 ,
de Magie manche. Tome V H L des gravures.
Dans cette partie du mur aboutit un fécond
tuyau , dont le vent pouffe fortement le deffus de
la commode, qui, tombant par fon propre poids,
fait tomber aufli le couvercle de la caffette,-8c par
c e moyen la fait fermer à clef.
Le refte de l’opération fe termine à l'aide d’un
faifceau de vingt-cinq ou trente tuyaux , dont les
extrémités , comme celle des deux premiers dont
nous venons de parler , font cachées, pour- la
plupart, par des eftampes encadrées, qui, pendant
à un clou par un feul anneau , s’éloignent
du mur dans leur partie inférieure , pour
ïaiffer paffer le vent quand on foufle , 8c qui
fe rapprochent du.mur par leur propre gravité,
«quand on ceffe de foufler.. -
Le troifième tuyau fert à faire'partir un mouvement
d’horlogerie caché dans l’épaiffeur de h
porte du pavillon. Ce mouvement frappe trois
coups à la porte , quand on foufle dans le tuyau,
par la même raifon qu’une montre à répétition
fonne les heures quand on pouffe le bouton de la
boîte.
A l ’aide d’un quatrième tuyau, on fait partir un
tourne-broche , qui fait tourner des cylindres
femblables à des flores fur lefquels la tapifferie
blanche du pavillon fe roule , pour difpàroître
précipitàment, 8c pour .découvrir la peinture à
frefque qui rèpréfente fur le mur des figures de
diables 8c d ’animaux.
Quatre autre tuyaux qui vont aboutir dans les
■ embrafures , fervent à fermer les volets de là fenêtre
8c de la lucarne en les repouffant violemment
loin du mur.
Le neuvième tuyau fait partir la détente d’un
plftolêt à deux coups , chargé avec dé"là poudre
imbibée d’eau puante, pour répandre à l’ entour
une mauvaife odeur..
Douze autres tuyaux fervent de porte-vent à j
des.tuyaux d’ orgue., dont le fon aigre 8c difcor-
dant imite le cri de divers animaux.
' Un tuyau d’orgue à voix humaine , s’ il eft
enfermé dans une boité oblongue qui s'ouvre
& fe refermé peu-à-peu quand Le tuyau parle ,
»exprime parfaitement le miaulement d’un chat
ton le roulement de voix d’un enfant â la mam- .
anelle. . v- . . . .. .
D'autres tuyaux d’orgue , à l ’aide d’un nifton
mobile, produifent un fon de voix qui pafie par
degrés infenfibies de l’aigu au grave, 8c du grave
à l’aigu ; ce qui, étant fait avec une certaine précaution
j exprime affez bien le gémiffement d une
perfonne accablée de douleurs.
11 eft parfaitement inùtile d’expliquer ici par
quel art des tuyaux d’orgue peuvent exprimer
le hurlement d’un loup, le cfoaffement d'un corbeau
, le rugift'ement du lion , le mugifiement
des vagues : ces effets dépendent d’une eonftruc-
tion particulière, qu’on pourroit absolument peindre
par des mots, mais qui, à coup sûr, ne feroit
entendue que par des fâéteurs d’orgues. Dailleurs ,
il n’tft point de tuyau à anché, un peu difcordant,
qui ne puiffe exprimer le cri d’un animal ,-pourvu
qu’il foit fur le ton néceffaire , & qae: l’oi-ganifte ,
©u le Cylindre' clouté qui en tient lieu', le faffe
parler à propos. ‘ -
J’avertis , en paffant, que, pour produire les
fans les plus effrayans , il faut ajouter à ces tuyaux
d’orgue des pots de. terré couverts de parchemin
bien tendu, comme celui d’ une caiffe de tambour.
Si , au centre de ce 'parchemin, 011 attache un
peu de crin frotté de c ire , il fuffiià de pincer ce
crin en gliffant ' d’une.certaine manière , pour entendre
un fon horrible, capable de faire dreffer
les cheveux.
Il n’eft guère poffible de faire entendre ce bruit
pendant k nuit, dans un village , fans que les habi-
tans difent, le lendemain, qu’on a entendu le loup-
garou.
Une douzaine de pots préparés dè cette façon
, peuvent à tel inftarit qu’on délire, faire
un vacarme effrayant , au moyen d’une-mécani-
que qui parte d’elle-même comme un revéil ordinaire
, ou qu’on fait partir à volonté en foufiant
dans un tuyau.
Le bruit & les-éclats du tonnerre font imités
par de fortes timbales, & par des coups violens
donnés fur un paquet de planches a demi-creufès ,
fufpendues à une corde 3 ou par les moyens employés
à l’Opéra , 8cc. &c. (1)
Le pavé de l ’intérieur du pavillon étant porté
fur un grand madrier , qui eft prelque en équilibre
fur une poiitfè tranfverfàlè', peut être mis eià
■ mouvement par de très-petites forces , à l’aide
(1) Nota. On peut fuppr'rncr plufieurs tuyaux.*
pour y (ubfti.ruer des pédales^qui, fe remuant infenfi-
blement dans lé pavillon fous les pas de ia perfonne
envoyée, feront partir divers ruouveixienrs dhorJo-
-jtericji&ë. &c. .