
trous où elles s’étoient logées , par la preflion du
feflort. La règle directrice ayant alors la liberté
de defcendre le long des côtés du grand cadre, on
la retire en arrière jufqu’à ce que les,deux pointes
moufles fe logent d'elles-mêmes dans les deux
nouveaux trous. On a pour ldrs entre la règle &
le côté fupérieùr du cadre , un efpace (uffifant
f>our écrire une ligne. Si Ton veut laifler deux
ignés blanches , il faut laifler fauter deux trous ,
& ainfi de fuite. On doit avoir grand foin de tenir
la plume un peu écartée du bifeau de la règle ,
en allongeant les doigts. Cette pofition donne la
facilité de tracer les queues de lettres, telles
que celles des p , des g & des q. Lorfque la rencontre
du côté du cadre indique la fin de la li~
Tgne, on foulëve les deux renorts, & Ton fait
defcendre la règle directrice.
Nota. Cette machine eft due à une dame de
Haris, à qui les circonftances l'ont rendue né-
ceflaire. La defcription ci-deflus eft de M. Pin-
geron.
DEVIN DE LA VILLE. Il y avoit à Londres,
{dit M. Decremps) dans IeStrand, une riche marchande
de modes, nommée Mde Williams. Elle
s ’appercevoit depuis long-temps qu’on lui voloit
journellement des marchandifes ; mais elle ne favoit
fur qui jetter fes foupçons, parce que fes filles de
boutique qui étoienten grand nombréconfervoient
toutes également les dehors de la modeftie & de
l ’honnêteté. Cette dame s’étant trouvée un jour
dans une maifon particulière où M. Hillfaifoit,
Î>armi fes amis, des tours qui confiftent à deviner
a penfée d’autrui, ou à découvrir des chofes cachées,
fut frappée d’ étonnement de voir des opérations
dont elle avoit entendu parler, mais qu’elle
avoit regardées' jufqu’alors comme fabuleufes.
Elle pria très-inftamment M. Hill de vouloir bien
fe tranfporter chez e lle, pour tâcher d’y recon-
noître la perfonne qui fe rendoit fi fouvent coupable
de vol domeuique ; M. Hill acquiefça à la
demande, & fe flatta même de découvrir la personne
infidelle, pourvu qu’elle fût du nombre de
celles qui demeuroient encore dans la maifon \ &
>qu’ on la fit paroître devant lui. Il promit à Mde
Williams d’aller chez elle un certain jour ; enfuite
il lui parla fecrètement, & finit par la prier de
ne point parler de lui à fes ouvrières, afin que
. fon arrivée n’étant point annoncée , il pût prendre
les efprits au dépourvu, x
Au jour '.marqué,, M-. Hill entra chez Madame
Williams , dans un mitant où elle îe plaignoit à
fes filles de boutique, de ce qu’une d’entre elles
lui avoit ■ volé depuis peu une montre d’or : fi elle
fut furprife de voir M. Hill fous un coftume
•étranger, couvert d’un grand manteau, ayant une
barbe longue & noire, & ne parlant que par fen-
•tences, les ouvrières rie le furent pas moins de
voir un homme qui les regaxdoit en face avec des
yeux hagards, & qui, tournant de tous côtés fa
tête ombragée a*un chapeau rabattu, fembloit
vouloir lire dans tous les coeurs, & percer les
murs par fes regards étincelans. Il remit une lettre
à Madame Williams, qui lui d it , après l’avoir
lue : Quoi, Monfieur, vous êtes donc cet homme
fi célèbre., c e grand devin de la v ille , dont on
vante par-tout les talens & qu’on a tant de peine
à trouver quand on en a befoin. Madame , répondit
brufquementM. H ill, le temps que je perds
a ecouter vos complimens eft irréparable : congé-
diez-moi bien v i t e , & donnez-moi la réponfe
qu*on vous demande , pour que je m’ acquitte
promptement de ma commiflîon.
De grâce, lui dit Madame Williams, daignez
vous arrêter un intiant pour me faire trouver ce
qu’on m’ a volé.
Madame, répondit M. H ill, en fe fâchant,
puis-je vous indiquer le lieu où l’on a dépofé les
chofes volées, fi vous ne me dites promptement
eh quoi confifte le larcin.
Hâtez-vous, le temps fuît & nous traîne avec loi,
Le moment où je parle eft déjà loin de moi.
Madame Williams dit alors qu’on lui voloit tous
les jours des rubans, de la moufleline, de la gaze,
dès bijoux.
Il eftimpoffible, dit M. Hill, que je découvre
tout cela dans le même inftant, parce que chaque
objet demande une opération particulière , par
quoi voulez-vous donc que je commence?
Hé bien i dit Mde Williams , commencez par
ma montre.
Votre montre, répliqua M. H ill, en lorgnant
fucceflivement toutes les filles avec une grande
lunette ; votre montre n’eft point i c i , elle n’eft
point ici , vous dis-je 5 & tournant enfuite fa lunette
vers le grand jour : Je la vois votre montre,
continua-t-il, elle eft à répétition & à recouvrement
j elle eft faite par D a v is , horloger dans
Drury-Lane, & porte le numéro 213. Elle ne va
point parce qu’on ne la monte plus': bre f, je la
vois en gage depuis trois jours pour dix giffi
nées.
Auffi-tôt après, M. Hill ordonna à toutes les
demoifelles de détacher promptement de leur ceinture
toutes leurs poches fans y fouiller, & de les
dépofer dans une grande boîte. Il apporta cette
boite dans un cabinet particulier, & revint bientôt
après , ayant dans la majn le billet d’emprunt,
avec lequel on fut chez le prêteur fur gage pour
retirer la montre.
Madame Williams pria M. Hill de dire dans quelle
poche il avoit trouvé ce b illet, pour reconnoitre
la perfonne qui avoit mis la montre en gage-
Madame, dit alors M. H ill, en prenant un air encore
plus févere qu’auparavant, qui êtes-vous ,
<je vous prie , & pour qui me prenez-vous ? Me
fuis-je engagé à vous découvrir la coupable ? Ne
vous ai-je pas promis tout Amplement de vous
trouver la chofe volée? Je tiens ma parole : ne
me demandez rien.au-delà.
Un inftant après, M. Hill voulant examiner
chaque perfonne en particulier, ordonna d’allumer
un grand feu dans l'appartement voifin ; ayant
enfuite fermé toutes les fenêtres , il fe fit éclairer
par quatre bougies, & demanda qu’ on f î t venir
MifRadegon.de : celle-ci étoit toute furprife de
voir que fon nom étoit connu d’un homme qui
ne devoit jamais avoir entendu parler d’e lle , Sc
refüfa d’aller auprès de lui ; mais madame W illiams
lui obferva qu’on pouvoit attribuer fon refus
à la crainte quelle avoit d’être trouvée coupable
par M. Hill. Cette raifon leva toutes les difficultés
qu*on pouvoit oppofer, & Milf Radegonde entra
dans la chambre où M. Hill l’attendoit.
Auffi-tôt qu’elle y 'fut arrivée, M. Hill la pria
de faire ufage d’une lunette qu’ il avoit pofée au
bout d’une table, Sc lui fit v o ir , à l’ aide de .cet
inftrument , les quatre bougies allumées qui
étoient à l’autiw b out, quoiqu’entre les bougies
& la lunette, il y eût une grofle pierre très-maf-
five pour intercepter les rayons.
C’eft avec une pareille lunette, lui dit M. H ill,
que je prétends lire toutes vos pénfées. Ayant
’enfuite mêlé un jeu de^ cartes , il la pria d'en
•prendre une fecretement, & de la bien cacher
dans un porte feuille : alors il lui donna une autre
lunette,, avec laquelle elle vit bien diftinéfement
la carte qu’elle venoit d’envelopper. Vous v o y e z ,
ajouta M. H ill, que je peux connaître tous les
fecrets de votre coeur : ne v-ous rendez donc pas
plus coupable, en cherchant à me cacher vos
fautes, & fouvenez vous que fi vous avez le coulage
d’avouer ingénûment votre inconduite , je
recompenferai votre bonne foi par la plus grande
•diferétion.
Milf Radegonde ne voulant rien avouer, M.
Hill entra dans une efpèce de fureur, & d’un
;grand coup de hache, il fit fur une cloifon, une
ouverture qu’ il boucha suffi tôt avec un verre :
Ne croyez pas , dit-il, que j’aie befoin de votre
aveu ; je faurai bien découvrir la vérité fans
votre confentement. Alors la conduifant vers l’ouverture
qu’il venoit de former, il lui fit voiT à
travers une gla ;e, un tableâu qui arepréfentoit en
’grand la boutique de madame Williams 5 on y
voyoit lé portrait de toutesles ouvrières s & M m
Radegonde reconnut le fiën. Si vous êtes répré-
-henfihle, dit M. M l votre portrait va devenir
t>oir comme un charbon, pour marquer la noir-
^eur de yotre ame. Auffi-tôt on vit une tache
■ hoire fe former peu-à-peu fur le portrait de MijT
Radegonde ; mais comme elle ne voulut jamais
avouer aucune efpèce de larcin , M. Hill comprit
qu’elle n'étoit point coupable à cet égard ; cependant
la tache qui venoit de fe former fur le portrait
de cette demoifelle, fembloit prouver qu’il
n’y avoit aucune certitude dans les opérations de
M. H ill, & qu’il fe trompoit dans fes prétentions;
mais il prouva bientôt le contraire eri interprétant
fes atterrions de la manière fuivante : Je
n’ai pas^afluré,dit M. Hill à MifT Radegonde, que
vous euffiez volé madame Williams, j ’ai prétendu
feulement que fi vous vouliez bien examiner le
fond de votre eonfcience , vous y verriez quelque
lourde faute à vous reprocher. Là-deflus il
la pria de prendre fecretement une autre carte
pour la mettre dans fa poche , & de regarder en-
fuite dans la glace où elle avoit vu fon portrait.
Le premier tableau avoit difparu , & l’on voyoit
à fa place la repréfentation d’ un vafte édifice
avec une greffe boule q ui, fans être attachée en
aucune manière, fembloit monter, defcendre, &c
remonter le long d’un mur contre les loix de la
gravitation ; elle imitoit en roulant le bruit d’ un
çafofle dans le lointain. A peine Radegonde eût-
elle regardé pendant une minute que la boulé
difparut, & l’on vit à fa place les vers fui vans
écrits en lettres de feu :
•Radegonde, tu tiens l’as de coeur dans ta poche-g
Tu ri’es donc pas toajours exempte de reproche.
La demoifelle bien furprife de ce qu’ on con-
noiffoit fans la voir la carte qu’ elle a v a it , s’imagina
qu’on devoit connoitre egalement une faute
qu’elle avoit à fe reprocher. Frappée de tous les
objets qu’elle venoit de v o ir , elle révéla un fe-
cret qu'on ne lui demandait point, en avouant
les larmes aux yeux., qu’eüe avoit cédé aux inf-
•tances.de M. Williams.
Heureufement pour le maître de la maifon 9
madame Williams n’entendit point cet aveu, &
M. Hill étant trop diferet pour l’en informer^
Milf Radegonde., en s’en allant, reçut de M. Hill
de très-fages confeils fur la manière dont elle
devoit -fe conduire à l’avenir, apres quoi l’ on fit
monter madem.oifelle Fanny.
Celle-ci étoit une très-jolie brune, qui verfa
un torrent de larmes auffi-tôt qu’elle fut arrivées
élle n’attendit point pour faire fa confeffion, que
M. Hill eût fait ufage de fes lunettes, de fon opti-
; q u e , de fon mouvement perpétuel ; après avoir
affûte qu’elle ri’ avoit pas volé la m o n t r e é l is
avoua tout nettement qu’elle avoit pris, en dif-
férens temps, toutes fortes de marchandifes, pour
fecourir un amant dans la détrefle.
M. Hill lui promit de garder le fecret, à condition
qu’elle rendroit toutes les marchandifes qui
j>o.uyoient lui -refter., & que,- dans huit jours*'