
Monté enfuite fur une petite table, il fe baifloit i
pendant qa’on attachoit les crochets à la fangle ,
le redrefloit enfuite Se élevoit l'âne en appuyant
fes mains fur Tes genoux ; mais il difoit qu'il avoit
moins de peine à élever des fardeaux même plus
pefants que l’âne, parce que l’animal fe débattoit
en perdant terre.
Lorfque le jeune homme foulevoit ainlî de terre
l'ane ou quelqu'autre fardeau plus pefant, il' avoit
le corps droit & les genoux pliés , de forte qu'il
mettôit les trefîes de fes cheveux dans le même
plan que les têtes des os , des cuiffes & les chevilles
des pieds. La ligne de direction du corps Se
de tout le poids paflfoit ainfi entre les plus fortes
parties des pieds qui fupportoient la machine,
alors il fe relevoit fans cnanger la ligne de direction
, Se dans ce moment, toute la force procéd
â t , fuivant M. Defaguiliers, des extenfeurs des
jambes qui font fix fois plus confidérables que les
mufcles des lombes , Se qui par conféquent feroient
incapables d'un femblable effort.
La raifon pour laquelle l'âne en fe débattant
rendoit le fardeau plus incommode, c'eft qu'il
faifoit vaciller la ligne de direction j quand elle
étoit portée en avant ou en arrière , les mufcles
des lombes fe mettoient en jeu pour la rétablir
dans, fa première lïtuation.
On voit quelquefois des gens qui, couchés à
terre, font placer fur leur poitrine une enclume
de fer ; tandis qu'un autre prend un barreau qu'il
cafle fur l'enclume ainlî placée fur. la poitrine de
l'homme renverfé ; on frémit aux coups de marteau
que l ’on voit frapper, fous lefquels il fem-
ble que cet homme doit être écrafé. Tout le myf-
tère confifte dans la proportion de l'enclume & du
marteau 5 lï le marteau par exemple ne pèfe qu’une
liv r e , Se que l ’enclume en pèfe quatre cents,
quelle que foit la vitefle du marteau, l'enclume
frappée en aura quatre cents fois moins. Le coup
pourra être aflez violent fans qu'elle parcoure plus
d'une ligne , & la poitrine en s'abaiflant de cette
quantité ne peut fouflrir beaucoup. Elle peut
encore foutenir un poids aufli énorme. L'homme
ainfi couché ne parle point, l’air étant retenu dans
fa poitrine lui donne la force de fupporter ce poids
à-peu près comme une veflie pleine d'air g dont
le col eft adapté à un tuyau étroit, refte gonflée,
lorfqu'une force très-foible, même par rapport au
poids dont elle eft chargée , empêche l'air de s'échapper
du tuyau.
Tour extraordinaire nouvellement inventé.
M. Van-Eftin nous prévint, dit M. Décremps,
que nous allions voir un véritable prodige ; &
préfentant à M. Hill un crayon avec un carré
de papier fur un porte-feuille, il lui dit : Je vous
p rie, Monfieur , d ’écrire' là-deflus telle phrafe
que vous jugerez à propos en Anglois, en latin ,
en Hollandois ou en françois ; employez à votre
gré des caraélères grées , arabes ou allemands j
des lignes héraldiques ou hiéroglyphiques , je
finirai ce que vous aurez é c r it, fans le v o ir5
cachez-vous bien Se ne montrez votre écriture à
'perfonne pour ne pas foupçonner d’être trahi
par quelqu'un qui pourroit être d’intelligence
avec moi.
M. Hill fortit auflitôt de la chambre avec le
crayon , le porte-feuille Se le papier , fur lequel
il écrivit cette queftion en françois :
Vous mêleç-vous toujours d'un peu de diablerie ?
Enfuite, rentrant dans la chambre , il cacha
cet écrit dans fa poche, rendit à M. Van-Eftin
fon crayon Se fon porte-feuille, le fomma d'accomplir
fa promelfe , en devinant ce qui venoit
d'être écrit.
Si je ne faifois que c e la , répondit M. Van-
Eftin , vous ne regarderiez mon opération que
comme un fimple tour de pafle-pàfle ; mais comme
je vous ai promis de.faire un vrai prodige, per-
mettez-moi d’y ajouter quelqu'autre circohftance 5
brûlez donc le papier fur lequel vous venez d’é crire.
M. Hill ayant brûlé fon é crit, M. Van-Eftin Ini
montra auffi-tôt un autre morceau de papier plié
en quatre, en difant : voici, Monfieur, la réponfe
à la queftion que vous venez d'écrire &-de brûler
; cette réponfe eft écrite depuis long-temps,
parce que j'avois prévu votre demande : ne la lifez
pas encore $ contentez-vous de m'entendre d ire,
dans ce moment-ci, que votre queftion eft com-
pofée de huit mots dont le premier eft un mono-
fyllabe. Je Veux que cette réponfe aille à trois
quarts de lieue d'ici fans envoyer aucun émiflaire ;
mettez-y votre feing, avec paraphe , pour pouvoir
la reconnoître; allez vous-en enfuite au bout
du parc, prenez la cle f du pavillon qui termine la
grande allée : quand vous y ferez arrivé, ouvrez
le tiroir fupéneur de la commode ; l'écrit que
voici s'y trouvera renfermé dans une caflette ,dont
voici pareillement la clef. ,
M. Hill ayant figné 8 e paraphé cet é c r it , prit
les trois clefs du pavillon-, du tiroir Se de la caf-
fette 1 Se s'en alioit bien vite chercher la réponfe
au bout du parc, quand M. Van-Eftin l'arrêta pour
lui parler en ces termes : vous pouvez me donner
des furveillans & mettre des gens aux aguets autour
de la maifon , pour vous aflurer que je n'envoie
perfonne ; aucune précaution de votre part ne peut
me faire échouer dans mon entreprife 3 la réponfe
eft déjà arrivée à fadeftination. Cependant, fi yous
. Voulez, elle va fortir de la caflette pour que vous
lat rouviez à moitié chemin fous un arbre 5 bien
plus, elle fera écrite de la couleur que vous allez
me demander , Se je vous donne à choifir fur les
fept couleurs de l'arc-en-ciel.
Je veux , dit M. H ill, après avoir réfléchi un
inftant, qu elle refte dans la caflette, Se que les
mots foient alternativement écrits en rouge Se en
violet. 11 efpéroit d’embarrafler M. Van-Eftin par
cette demande j mais il fe trouva lui feul dans
F embarras, quand on lui, répondit de cette manière
: — Elle eft précisément écrite comme vous
la demandez- 5 j'avois prévu votre choix , & je
vous prouverai à votre retour que je peux favoir
d’avance toutes vos penfées.
Après çela, M. Hill court bien vî-te au bout du
parc 3 il arrive hors d'haleine, il ouvre à la hâte
la porte du pavillon, le tiroir de la commode ,
& - la caflette dans laquelle il ne voit d'abord
qu’une.petite boule 3 il croit que l'opération eft
manquée : mais il s’apperçoit bientôt que cette
boule-eft une petite boîte ronde , il ne l’a pas
plutôt ouverte, qu'il reconnoîtlé papier fur lequel
peu d'inftans auparavant il avoit mis fon feing &
fofi paraphe : il le déplie avec empreflemçnt 3 T
voit une écriture rouge & violette,comme il l'avoit
demandée, Se fe trouve ravi d'admiration en lifant
la réponfe fuivante :
Pourquoi m'accufeç-vous d'un peu de diablerie ,
Puifque vous ne croye£ qu'a la blanche; magie ? —
Dans ce moment il entend frapper trois coups
à la porte 3 il va pour ouvrir, &,ne trouve perfonne
: un autre en pareille circonftance, auroit pu
croire que c'étoit un lutin j mais il s'imagina tout
Amplement que c’étoit quelqu’ un qui fe cachoit
derrière le pavillon pour lui faire peur. Cependant
il en fait rapidement le tour, & ne découvre rien :
en rentrant, il eft étonné de voir que le mur, qui
lui avoit paru d ’une blancheur éblouiflante , fe
trouve tout-à-coup peint en camayeu. D'un côté,
il voit un tableau repréfentant aes bêtes farouches
, des tèteslïériflees de ferpens, des lutins de
toute efpèce. De l'autre c ô té , c'eft la tentation
de Saint-Antoine, où les diablotins font repré-
fentés fous toutes fortes de formes. Il rit de voir
u'on a repréfenté le diable avec le corps d'une
arpie , la queue d'un crocodile, les défenfes d'un
fanglier, la tête d'un cochon, de le capuchon d’un
derviche.
Dans ce moment on frappe trois autres coups à
la porte, les volets de la fenêtre fe ferment d'eux-
memes 3 au milieu des ténèbres, il voit briller un
petit rayon de lumière qui ne dure qu'un inftant :
il entend dans la cheminée deux coups de piftolet:
jl penfe d’abord qu'il y a des „voleurs Se des aflaf-
fins, il craint pour fa vie Se fon efprit le trouble.
Une odeur fidfureufe & bitumineufe fe répand j
autour de lu i; l’air retentit des bruits les- plus
effrayans, il croit.entendre des loups qui hurlent»
des, chiens qui aboyent, dès ours qui grondent,
des chats qui miauknt, de^ taureaux qui beuglent
, des corbeaux qui croaflent, Se des ferpens
qui lïfflentv
Parmi tous ces cris lugubres, il diftingue des
voix plaintives & gémilfantes, qni annoncent la
douleur & le défëfpoir 3 le filence fuccède , mais
il eft bientôt interrompu par une voix de tonnerr«
qui fait trembler les vitres en prononçant ces ver«:.
Infenfé, qui ne crois qu a. la blanche magie ,
Tremble ! voici l'enfer avec fa diablerie.
Auflitôt il fent deux ou trois fecoufles de tremblement
de terre ; il entend un bruit fouterrain
femblable à celui de la mer en courroux, quand le
fixement des vents Se le mugifîement des vaguer
font pâlir le matelot le plus intrépide. Au milieu
du tonnerre Se des éela«rs, il voit paroître trois
fquelettes q u i, en grinçant les dents , agitent la
mafîe de leurs os , & font craquer leurs bras , en
fecouant des torches allumées'dont la pâle lueur
augmente encore l’horreur de ce lieu. M. H ill,
fur le point de fe trouver mal, entend une voix
qui lui dit :
Rajfure-toi , le prefirge efi fini.
Dans ce moment les torches s’éteignent, les
fquelettes difparoiflent, & les fenêtres s’ouvrent.
Revenu de fa terreur, M. Hill voudroit bien pourvoir
fe perfuader à lui-même , que ce qu’il vient
de voir Se d’entendre , n’eft qu un fonge & une
illufîon, mais mille circonftances s’y oppofent. It
tient encore dans fa main le papier qu’ïi a trouvé
dans la caflette, Se qui femble y être venu par
une opération magique: ce papier lui donne la
réponfe à une queftion qu’ il n’a communiquée à
perfonne. La voix forte qui l’a menacé de l’enfer
& de fa diablerie, lui a caufé dans l’oreille un tin-
toin qui dure encore : le feul fouvenir des trois
fquelettes Se de leurs mouvemensle fait friflonnerj
il craint de voir renouveller à tout inftant cette
fcène d’horreur. Voilà donc cet incrédule, cet
efprit fort , qui attribuoit prefque toutes les
merveilles à l ’énergie de la nature qu au génie des
artiftes, obligé de croire maintenant aux devins ,
aux forciers, aux lutins Se aux revenans. Quand il
eft de retour au lo g is , on achève de le mettre
dans la perplexité, en lui difant tous les pas Se les
divers mouvemens qu’ il a faits dans le pavillon ,
comme s’il y avoit eu des témoins oculaires. On
lui dit qu’il a fouri en voyant fur la muraille la
figure du diable , qu’il a trémoufle au premier
coup de piftolet, qu’ il a reculé au fécond, Se qu’il
étoit aflîs tremblant fur un fauteuil, quand les
trois fqueletes ont difparu.