
n’eft autre chofe qu’une grande cage, dont le fond
eft une mince.plaque de fer. Pour commencer la
danfe, on allume le feu fous le théâtre, & les
pauvres bêtes, qui commencent à fentir la chaleur,'
lèvent alors tantôt un pied, tantôt f autre î dans
ce moment, les violons jouent très-lentement j
mais lorfque la chaleur augmente, & que la tôle
devient un peu rouge, les aéteurs font obligés de
fauter, fous peine d’avoir le pied rôti jufqu’aux
ergots > alors les violons jouent beaucoup plus
v ite , & les muficiens ont foin de fiûyre le mouvement
des dindons , tandis que îësnpe&ateurs
ignorant la fupercherïe, s’imaginent que ces animaux
ont l’inuinét de fuivre la mufique.
Voyant que le directeur & fes confrères n’ é~
toient pas fi méchans que je l’avois cru d’abord,
la curiofité de les entendre encore une fois, & le
defir de les obferver, m’empêchêrent de changer
d’auberge. Nous foupâmes donc une fécondé lois
avec la même compagnie, & la converfaçion y
devint plus animée que le jour précédent, parce
u’on but quelques bouteilles de plus. Sur la fin
u repas , il y en eut un qui defira, pour l’inftruc-
tion générale, que chacun fe vantât du plus joli
tour qu’il jouoit dans l’occafion j fi vous y con-
fentez , dit-il, je vous promets pour récompenfe,
de vous enfeigner comment j’ ai fait pour vendre
trois louis un pot-de-chambre de faïence, qui ne
m’avoit coûté que fix fous. Alors, chacun fut piqué
de curiofité , & l’on acquiefça à la propofi-
tion. Le marché paroilfoit d’autant plus avantageux
, qu’ en enfeignant un feul tour, chacun pou-
voit en apprendre une douzaine. Les tours que
j’ appris en cette occafion, ne font, à proprement
parler , que des tours d’efcroquerie , & je crois
devoir les dénoncer au public, afin qu’on n’ofe
plus les employer.
Voici donc l’ aveu que firent quelques-uns de
ces convives, d’après l’invitation d’ un de leurs
confrères.
Premier Banquifie.
Mes chers confrères, je fuis encore novice dans
mon état, & je ne vous dirai peut-être rien qui
ne vous foit connu ; quoi qu’il en fo it, voici ma
meilleure rufe. Lorfque je vends des mouchoirs
dans les rues ou dans les promenades, je m’adrefife
ordinairement de préférence à ceux dont la physionomie
annonce l’inexpérience & la crédulité :
fachant que beaucoup d’hommes font bien aifes de
faire de bonnes affaires aux dépens du pauvre,
que les circonftances obligent de perdre ; je ne
manque pas de dire que je donne ma marchandife
à vil prix, & que j’ai befoin d’argent : alors plusieurs
personnes croyant profiter d’une occafion
favorable , veulent fiivoir le prix de ma marchandife
, & comme je fais qu’ils ne m’offriront guère
ue la moitié de ma demande, j’ai toujours foin
e leur demander le double de ce que je veux
obtenir. Ici j’ emploie dans l ’occafion, un petit
tour d’efcamotage pour faire croire que mes mouchoirs
font plus grands que tous ceux avec lefquels
on peut les comparer, quoique dans le fa it , ils
foient plus petits 5 mais ce n’eft-là que le commencement
de ma fineffe j car tandis que mon
chaland s’en va devant moi, fans marchander &
que je le fuis par derrière , en le priant d'ajouter
quelque chofe a l’offre qu’ il m’a déjà faite, je mets
fubtilement feus mon habit les deux ou trois mouchoirs
qu’il a déjà vus,& j’en tire de ma poche quel-
ques autres qui ont à-peu-près la même apparence>
mais qui font plus petits & plus groffiers. Après
cela, je continue de lui offrir ma marchandife eu
rabattant quelque chofe de ma première demande j
mais ordinairement il s’obftine, & ne me répond
rien} alors je paffe devant lui j je jette les nouveaux
mouchoirs par terre comme par défefpoir, & lui
donne à entendre que c’eftle befoin d’argent, qui
m’oblige de vendre à fi bas prix. Auffitôt, il me
paie en fe félicitant du bon marché , tandis que je
me félicite au contraire d’avoir bien vendu, &
quand il eft en train de ramaffer les mouchoirs,
je m’en vais bien v ite , crainte qu’ il ne me rappelle
pour les changer j voilà, meffieurs, par quel
moyen je peux falir pour une roue de derrière ce qui
ma coûté cinquante ronds; ( c ’eft-à-dire) vendre fix
francs , ce qui m’a coûté cinquante fous, )
Second Banquifie.
Quant à moi, meffieurs, je ne fuis pas encore
affez adroit pour faire des tours de main, & je me
contente de ne jouer que des tours d’efprit. J’allois
un jour de Paris à Cambray, & j’ étois fur un
cheval que j’avois emprunté ( pour ne pas le rendre) ;
quand j arrivai à Senlis, vers les huit heures du
lo ir , je m’arrêtai devant une auberge, où je ne
pouvois- entrer fapte d’àrgent, & je me mis à
conter, à quiconque voulut l’entendre, que je
venois d’être attaqué dans la forêt, par- des voleurs
qui m’avoient pris ma bourfe après m’avoir affom-
mé. Je m’ étois réellement battu avec un cocher
de fiacre, trois jours auparavant, & comme j’avois
un oeil poché au beurre noir , le peuple qui s’étoit
affemblé en foule autour de moi, crut que cela
provenoit d’ un coup de bâton, de la part des Voleurs.
Je ne manquai pas de dire comment ils
étoient habillés , & de quel cote ils avoient pris
la fuite j j’ajoutai, que j’étois un riche négociant
d Orléans, que j’allois à la Haye, pour une affaire
très-intéreflante, & que j’avois une maifon dans
telle rue, & un bien de campagne dans tel territoire.
Alors, un bon hommequi avoit tout entendu
de fa fenêtre, me fit prier de monter chez lui pour
fouper $ vous penfez bien, que je ne me préfentai
point avec un air emprunté, Comme mon habit. J?
lui contai combien il étoit itjtéreffant pour ma
famille, que j’ allaffe directement à la Haye, fans
retourner à Orléans, & je lui fis voir des lettres-
Et moi, meffieurs, quand je ne peux plus vendre
d’orviétan dans les villes,, je fuis marchand d’encens
dans lés campagnes. Je fais compofer une
pâte, dont je forme de petites tablettes comme
du chocolat. Quand on en jfctte une.au feu 3 elle
produit une épaiffe fumée , q u i, à vous dire la
vérité, ne fent ni b on, ni mauvais > mais j’ ai le
fecret de la faire paffer pour de l’encens d’Arabie.
Ce n’eft pas une merveille que de faire cette pâte,
feffentiel eft de favoir la vendre j pour cela^, je
tâche ordinairement de faire connoiffance avec le
carillonneur d’ un village. En lui payant bouteille ,
je lui promets un petit écu, à conditiofc qu’ il
m’introduira chez fon curé , pour lui dire qu’il me
connoît,& qu’il a fouvent entendu faire mon éloge
par des gens de fa connoiffance. Appuyé par cette
recommandation, je me pré fente au curé, pour
lui offrir de l’encens, de toutes les manières, car
en offrant de vendre mes tablettes, je lui fais des
complimens qui ne finiffent point. Cependant
M. l'abbé, à qui la flatterie n’en impofe pas, demande
à faire l’effai de ma marchandife j en con-
féquencè, on lui apporte du feu fur une pelle, 80
il jette un peu de mon encens, fur la braife j auffi-
tôt, je le prie d’obferver qu’ il s’.y eft mal pris, &
quil faht briferîes tablettes. J’en prends parmi les
autres, une bonne que je connais, à une marque
extérieure, & qui eft de véritable encens, & ,
fous prétexte d’-enfeigner au curé comment ii faut
faire, je brife celle-là en la jetant au feu 5 par ce
moyen, la chambre fe trouve embaumée un inftant.
apres, & le curé, flatte de cette bonne odeur,
achette mes tablettes, croyant que toutes pro
duiront le même effet. Quand mon tour eft fini,
le carillonneur ne manque jamais de me demander
l’écu que je lui ai promis ; je lui réponds ordinal-,
rement que je n’ ai pas de monnaie $ mais que je
lui donnerai fix francs le lendemain ,' W, je vais à
quelques lieues de-là , pour en.faire autant.
Quatrième Banquifie.
Meffieurs, quand je fuis dans une auberge de village,
chez de boirnes gens, je tâche de faire connoiffance
avec l’aubergifte & avec les payfans du voila
g e - Je fais tourner la converfation fur lés gens
qui vont courir le monde, & qui ont affez de né-
ghgeace pour être cinq à fix années fans écrire à
leurs parens ; alors il arrive quelquefois qu’on- me
parle d’un tel & d’ un tel, qui font partis, il y a dix
Amufemens des Sciences.
B A N 2 7 2
à douze ans, & q u i, depufc.ee temps-là, n’ ont
donné aucune nouvelle. Quand on m’apprend qu’il
exifte dans le voifinage, des parens défolés .pour
une pareille caufe, je ne manque pas de m’ informer
bien au jufte des moeurs, delà taille, du métie
r , & des inclinations de ce voyageur abfent,
& , après cela, j’écris pour.lui, ou plutôt en fon
nom , une lettre dans iaquellëfé lui fais dire qu’il
a fait fortune dans un pays lointain, &: que n’ayant
point d’enfans, il s’eftimera heureux ae partager
fon bien à fes parens. Vous penfez b ien , bonnes
gens, que je ne manque pas de bien recommander
l’honnête homme qui fera porteur de
la lettre , & que quand je vais la remettre moi-,
même, je ne manque'pas non plus de dire, du
parent abfent, tout ce que j’ en ai appris dans le
village voifin, pour prouver; que je le; connois.
Après cela, je raconte comment il a fait fortune,
& j’enfeigne comment il faut s’y prendre pour
quil envoie de l’ argent. Je n’ai pas befoin de vous
aire le refte, & vous voyez fans doute , auffi bien
que moi, que la famille deyroit être bien pauvre,
pour que je fortifie de la maifon fans en avoir fou-
tiré quelques maltaijes ,, ( quelques louis.)
Cinquième Banquifie.
Je veux m’acquitter furde-champ de ma pro-
meffe, en vous apprenant comment j’ ai vendu
mon pot de chambre trois louis. J’étois domicilié
à Namur, lorfqu’une maladie affez longue me ré-
duifit à la dernière mifère, & m’obligea de vendre
fucceffivement mes meubles & mes hardes ; il ne
me reftoit qu’ un vieux pot caffé que je réduifis en
pouffière impalpable ; j’en fis une multitude de
petits paquets, que j’ arrangeai très-proprement
dans une caffette, comme fi c’eût été une marchandife
très-précieufe j enfuite j’achetai d’un épicier,
à deux liards p ièce, douze cents exemplaires
d’un recueil de chanfons qu’il avoit achetées lui-
même d’ un poète , à fix fous la livre.
Muni de mes chanfons & de ma poudre, je vais
fur la placé du marché, j’ affemble le peuple au fon
de la trompette, & je l’amufe fucceffivement avec
mon cor-de-chafie, ma voix & mon violon. Fn-
fuite je parle en ces fermes, à la populace aflem-
. blée ; meffieurs & dames, vous voyez en moi lé
1 coufin-germain du juif-errant ; je fuis le fameux
Vulrinetti, qui voyage depuis trente ans en Autriche
, én Hongrie , & dans tous les états de
fa majefté l’empereur & roi (ic i j’ôte mon chapeau
, & tout le monde en fait de même ) 5 c’eft
moi qui fuis ce, grand chimifte, inventeur de la
poudre merveilleufe , dont une pincée feule dans
une pinte d’huile bouillante, fuffit pour détruire,
dans une maifon, les punaifes, les fouris & les
rats>&: ce qu’il y a de plus admirable,c’eft que cette
même poudre, qui eft un poifon pour les bêtes mal-
fàifantes, fait le plus grand bien à l’homme, parce
M m