
cartes , répliqua la vieille > mais je perfide dans
mes prétentions, & je foutiens que vous n'avez
jamais eu d’enfans.
Cette réponfe adroite & piquante ayant occa-
fionné quelques éclats de rire , qui ne plurent pas
beaucoup à M. H ill, on demanda à la vieille fi
une certaine femme de là compagnie avoit eu des
enfans y la vieille;répondant que c étoit très-facile
à connoïtre, tira de fa poche une petite figure
d’enfant 3 qui ne paroifloit autre chofe,qu’un petit
morceaujle vélin peint & découpé, fig. B même
planche 4 de Magie blanche.
Elle pria cette dame de mettre cette découpure
fur fa main,. en lui diftmt : « Madame, fi vous
n’avez point eu d’enfans,cette figure va relier couchée
&: parfaitement immobile 5 mais fi vous avez
goûté y ne fût-ce qu’un inftant, le bonheur d’être
mère , cet enfant va fe remuer , fe remettre fur
fon féant, & exprimer, par les mouvemens, la
fenfibilité de votre coeur, & cela en moins d’une
minute , fans que perfonne y touche ».:En même
temps la vieille mit une figure pareille fur la main
d’une jeune demoifelle de la compagnie : cette
féconde figure refta fans mouvement î mais la
première frétillant comme une parpe, prit & quitta
plufieurs fois de fuite la pofition qu’on avoit annoncée
: fes mouvemens étoient fi' v ifs , qu’elle
feroit tombée par terre fi on n’avoit penfé à la
retenir , en la remettant différentes fois vers le
milieu de la main. La dame, pour laquelle on faifoit
cette opération, avoua qu’ elle avoit eu des enfans ;
& la v ie ille , en opérant ainfi, réunit tous les
fuffrages , tant par la vérité de fon alfertion, que
par la fingularité de fon expérience.
La même dame, furprife plus que perfonne, fit
de nouvelles queftions : « Apprenez-moi., dit-elle,
fi mon mari reviendra bientôt de la campagne».
I l reviendra bientôt, répondit la vieille > Joh retour
vous conféra le plus grand plaifir , & vous lui direç y
mon cher ami George. . /Quoi , répliqua la
dame en l’ interrompant, eft-cè que vous favez fon
nom? — « Sans doute, dit la vieille 5' car les lettrés
g 3 e font toujours désignées par le roi dé coeur &
la dame de carreau î & le fept dépiqué 8ç le huit de
trefle marquent lés lettres o , r : or vous avez tiré
les fufdites cartes dans l’ordre quejè viens d’annoncer
j par conféquentles quatre premières lettres
du nom de votre mari font#, e , o, r y ce qui me
fait préfumer qu’il s’appelle George ». Ce raifon-
nement parut démonftratif pour deux raifons , 1°.
parce qu’il étoit inintelligible , & qu’une infinité
de gens admirent ce qui eft au-deflus de leur intelligence
j 20. parce que laconclufion annonçoit
le vrai nom de monfîeur & de madame George , &
qu’ un raifonnement femble toujours bon aux
yeux du vulgaire , quand il tend à prouver une
vérité 5 comme fi on ne voyoit jamais de faux raifonneurs
qui cherchent à étayer la vérité fur des
fophifmes.
C e nouveau trait de la part de la devinereffet
joint à ce qu’elle avoit fait à M. H ill, mit dans
l’enthoufiafme tous ceux qui favoient que la vieille
n’avoit pas été prévenue de notre vin te , & que
par conséquent elle n’avoit pu faire aucune information
fur notre compte pour préparer fes oracles.
Avant de prendre congé de notre magicienne,
nous lui demandâmes quel étoit le nom d’une jeune
demoifelle de la compagnie que nous avions amenée
avec nous; auffi-tôt elle confulta les cartes en les
tirant & en les combinant à fa manière, & finit
par nous dire quelle ne pouvoit pas découvrir le
nom tout entier, mais que le nom commençoit par
une r , &: finiffant par un^> cependant, ajouta-
t-elle, je ne fais fi mademoifelle s’appelle Rofe,
Raimonde ou Rofalie. La demoifelle , qui portoit
ce dernier nom, fut auffi furprife que nous d’une
pareille réponfe } non-feulement parce que cette
réponfe, quoiqu’incertaine , touchoit réellement
au b u t, mais encore parce que l’incertitude &
■ l’efpèce de méfiance avec laquelle elle étoit prononcée
, prouvoit la bonne foi & la bonhommie
de la perfonne qui nous réporidoit.
Je demandai enfuite à la vieille fi je me marierois
avec la même jeune perfonne dont elle venoitde
deviner le nom : elle me répondit qu’elle n’en
fa voit rien, mais qu’elle alloit interroger le fort:
alors elle mit un roi de coeur dans une boîte,,
qu’elle me donna, en me priant de la tenir bien
: ferrée dans ma main droite : elle mit enfuite la
dame de trefle dans une autre boîte qu’elle donna
à la demoifelle, én la priant de tenir cette boîte.
?dans fa main gauche : après quoi , elle me pria de
prendre avec ma main gauche la droite de la de-
»moifelle. Maintenant, dit-elle en gefticulant, &
en nous lançant un regard effroyable : « Je vous
magnétife par l’influence de Jupiter & de Saturne,
& je vous annonce que fi le fort doit vous féparer
pour toujours , les deux cartes que jeviensd’e'nfer-
mer relieront chacune dans fa boîte pour exprimer
votre féparation par leur éloignement: mais fi vous
devez vous unir fous les loix de l’amour & del’hy-’
men vous allez d’abord fentir dans votre coeur une
palpitation extraordinaire ; & le roi de coeur, qui
eft dans la main de monfîeur, vafortirinvifiblement
j de fa boîte pour aller joindre la dame de trefle dans
la main de mademoifelle. Ceci n’eft point un badi-
; nage m | continua - 1 - elle en regardant fixement.
Ila’jeune perfonne1, & en lui tâtant lé pouls : « Je
| fens déjà que votre coeur palpite , & que lé roi
de coeur eft dans votre boîte ». La demoifelle
1 avoua qu’elle venoit de fentir une oppreflîon, un
affaiffement & un battement de coeur extraordinaires
: & .moi , impatient de favoir la vérité touchant
une expérience fi fingulièie , j’ ouvris ma
boîte avec précipitation, & je n’y trouvai rien,
quoiqu'elle n*eût pas été ouverte depuis qu'on y
avoit mis le roi de coeur. Les deux cartes fe trouvèrent
réunies dans la boîte où la dame de trefle
étoit feule un inftant auparavant.
Quoique cette opération étonnante parût être
<fun heureux préfage pour moi, je vouluseontredire
la vieille fur fa prédiction , en feignant d’êtremarie,
pour lui prouver que je ne pouvois pas époufer
mademoifelle Rofalie ; mais elle répliqua quelle
étoit bien affurée que je ne l’épouferois pas en
premières noces. Un inftant après , quelqu un lui
dit à l’oreille que je to is célibataire, & que je m’é-
tois dit marié pour le feul plaifir de la contredire.
Je m’en fuis apperçue , dit-elle tout bas, & j’ai
voulu lui prédire un évènement fâcheux pour lui
rendre la monnoie de fa pièce. Au refte, continua-
t-elle touthaut, «e j’ ai non-feulementl’art de prévoir
les évènemens, mais je poflede quelquefois dans
mes mains les eau fes qui peuvent les avancer ou les
retarder ». Ici je lapriai de détruire, s’il étoit pof-
fible, tout ce qui pourroit retarder mon bonheur ;
mais elle me dit que cette partie de fon talent ne
pouvoit être exercée ni dans tous les temps , ni
dans tous les lieux.
Enfuite on lui demanda fi une autre demoifelle
delà compagnie avoit toujours été bien fage. La
vieille, pour répondre, fit choifir , dans un jeu
ordinaire, des cartes , fur le dos desquelles on ne
voyoit d’abord aucune écriture, mais où on lifoit,
après les avoir jettées pour un inftant dans un bocal,
une réponfe très-anologue à la queftion propofée :
la jeune perfonne , fur la fageffe de laquelle on
faifoit des informations , parut enorgueillie de la
réponfe favorable quelle obtint d’abord j c’ eft pour:
quoi la yieilie, pour la punir de fon orgueil, &
fous prétexte de favoir u les cartes diroient toujours
la même chofe, fit paroître fur une autre
carte une fecpnde réponfe, q u i, en interprétant
la première, lui donnoit un Sens tout oppofé. Cette
feconde réponfe humilia la jeune demoifelle au
point qu’il'Fallut en donner une troifième pour la
confoler j c’eft: ainfi que la vieille donna fucceflive-
mettt fix réponfes, qui, fans fe contredire directement
, annonçoient le pour & le contre touchant
lafageffe de la perfonne en queftion, & qui faifoient
paroître alternativement le chagrin & la férénité
fur fon front. Voici les fix reponfes telles qu’on les
lut à mefure qu’elles fortoient du bocal.
Première réponfe.
L'Amant gui te demande ua bonheur attendu,
Par ta févérité £e trouve confondu.
Seconde reponfe.
Ton amant par hafard £e trouve confondu,
Lat je coanois tan goût pour le fruit défendu.
Troifième réponfe*
Je connais ton penchant pour le fruit défendu ,
Mais aux loias de Colin tu n’as point répondu.
Quatrième réponfe.
Au fidèle Colin fi tu n’as répondu ,
A la grappe d’ailleurs tu peux avoir mordu.
Cinquième réponfe.
Tu pourrois à la grappe avoir un peu mordu ,
Mais tu tiens ce bijou que d’autres ont perdu.
Sixime & derniere réponfe.
Oui tu tiens ce bijou que d'autres ont perdu ,
Du moins tu dois l’avoir, car on te l'a rendu.
Cette dernière réponfe fut donnée à la jeune
perfonne d’une manière myftérieufe. Elle n’étoit
point comme les autres fur une carte à jouer, mais
Sur une feuille de papier où on ne voyoit que des
notes de mufique formant des airs connus. ( Voye-^
fig. y , pi. 11 de Magie blanche , tome r l l l des
gravures.
Cette feuille, courut de main en main fans que
perfonne pût en déchiffrer l’écriture myftique, excepté
la jeune perfonne à qui la réponfe s’adreffoit.
« Te l eft le pouvoir de mon art, dit la vieille, que
quoique cette écriture foit indéchiffrable aux yeux
aes hommes les plus pénétrans, je peux en; un inf-
tant, & fans prononcer un feul mot, mettre qui
que cè foit en état de la li r e , & d’en faire une
pareille » La devinereffe , après avoir donné par
ces divers moyens la plus haute opinion de fes
talens où des dons merveilleux qu’on lui croyoit,
fit une infinité de prédirions en vers, auxquelles
tout le monde parut ajouter foi.
Frappé des preftiges dont j’ avois été témoin,
je tâcnai de faire prolonger la féance chez la
devinereffe pour avoir eccafion de lui arracher
quelques - uns de fes fecrets ; mais autant elle
etoit habile dans l’art de faire illufion, autant
elle poffédoit celui d’éluder toutes1 les demandes
indiferettes qu’on pouvoit lui faire : c’eft pourquoi,
quand je la {priai de me dire comment elle avoit
pu deviner le nom de madame George 3 c de ma-
demoifelle Rofalie j elle me répondit de cette
manière : « Croyezrvous, Monfieur, que je puiffe
vous ènfeîgner en un inftant ce que je 11’ai pu
apprendre que par une application continuelle pendant
un demi-fiècle. Savez-vous la phyfique, la
chimie ? Avez-vous étudié la cabaliftique & l’aftro-
îogie ? Après cela , elle me demanda fi je çonnoif-
fois la vraie caufe qui fait tourner la luné autour
de la terre, . & la terre autour du foleil j je lui
Oo o o 1