
i i 6 B A R
fent tous les grands poèmes italien s, ils en -chantent
des tirades entr’en x lu rce t air en alternant les fiances.
I l eft poffible qu’ils donnent la préférence à la Jè-
rufalem délivrée , mais On croit pouvoir affiner qu’ ils
chantent de même des m ôrceauxde tous les poèmes
qui ont en Italie une grande réputation. Qu an d ils
h’o n t point d’air qui leur 'con v ien n e , ils improvisent
un chant qù’on doit plutôt regarder comme
une efpece de déclamation. {M. Framery.)
Bardes , forte d’hommes très-finguliers !& très“
refpeélés jadis dans tes G a u l é s le fq u e l s étoîen*
à-la-fois p rêtres , prophètes^ poètes & muficiens.
Bochard fait dériver ce nom de parat, chanter ;
& Camden convient avec F e ffu s, que Barde lignifie
un chanteur ; en ce ltiq u e , Bard. (J. J. Roujfeau.)
B A R D E S . O n entend ordinairement p a r ce
mot les poètes & les chantres de la guerre chez
les Germains', les Gaulois & les B re to n s ; mais
nous verrons" bientôt qu’ils n’étoient pas bornés
à ce feu! emploi. „
O n ne voit-pas fans étonnement, dans l’hiftpire
de ces peu plés , & fur-tout dans celle de l’Irlande,
de quelle pulffance & de quelle çonfidératiôiï les
Bardes jouiffoient. I l eft allez curieux dè rechercher
par quels degrés ils y étoient parvenus.
Leur origine fe perd dans la nuit des temps7:
e lle eft fab u leu fe , comme tant d’autres origines.
L ’époque où l’hiftoire commence à parler le langage
de la vérité e ll ce lle de l ’irruption des
Milefiens en Irlande. Amergin , frère des deux
princes Heremon & H e b e r , qui s’en emparèrent,
prit le titre d’ Ardfilea, ou de ch e f des Bardes,
qui lui impofoit les devoirs de p o è te , d’hiftoriën
& de légiflateur.
L e poète Cïrmac Cïs, & Onna Cear.finn, joueur
de harpe , avoient accompagné ces deux princes
d'ans leur expédition. Lorfque ceux-ci partagèrent
entr’eux leur con q u ê te , ils fe partagèrent auffi les
deux bardes. L e poète échut à He remon, & le
mulicien à Heber. C e Heber eut en partage la
partie méridionale de Fille ; & l ’on a obfervé que
lè goût 8c la connoiffance de la mulique ont été
particuliérement répandus dans cette partie.
Depuis lors-, jufqu’au règne de Tighernmas.,
Fan du monde 2815 ( 1 ) , Fhiffoire ne nous apprend
rien des Bardes. C e r o i, auffi Tage que guerrier,
porta une lo i fomptuaire pour diftinguer par les
vêtémens les différents ordres de ion peuple.
D ’après cette lo i , les p a y fa h s , les foldats & tout
le dernier ordre dévoient avoir des habits d’une
feule couleur ; les officiers militaires, de deux ;
les commandans de bataillons,. de trois ; les chefs
des 'maifons d’hofpitalité, de quatre ; la principale
n obleffe, de c in q ; & les Ollanhs ou tardes^ de
f i x , c ’eft-à-dire. d’une feule couleur moins que les
habits de la famille royale. T o u te guerrière qu’étoit
alors l’Irlande , les armes y étoient donc moins
refpeélées encore que les lettres. Peut-on appeller
(1) Près de üoo ans avant J. G,
B A R
barbare fme nation dans laquelle lé fa v o iï obtient
le s ' premiers honnéurs après la royauté ?
Dans toutes les parties du royaume il y avoit
des colleges inftitués p o u f 'l’éducation des Bardes.
Ils y étoient élevés ...par d e s . Druides , qui leur
apprenoient fh if to ire , l ’éloquence & les lo ix , par
le moyen de la pôéfie , feule interprète des fciences
dans ces fiècles reculés. La mufique faifoit auffi
une partie effentielle de leur éducation.
Qu an d le jeune élèv e avoit fini Tes études,'
qui duroient quelquefois doiïze années, il prenoit
le titre d'oUarnh ou de doéteur ; il étoit alors
fufceptible de toutës les dignités de fon o rd re ,
& devenoit filea ,.breitheamh ou feanacha, dignités
qui avoient été autrefois réunies dans les mêmes
bardes, mais qu’on avoit enfuite féparées , à caufe de
la difficulté d’en remplir en même-temps les devoirs.
C eu x de la-première de ces trois claffes étoient
les poètes. Ils mettoient en vers les dogmes de
la religion ': ils animoient les troupes pendant &
après le com b a t , par des odes & des chants
guerriers : ils célébroient "ceux qui étoient morts
courageufemem ; & dans les fêtes publiques , ils
amufoient la nation par dès fables des temps anciens
: ils s’àccompagnoient en pinçant de la harpe,
infiniment que tous les -bardes touchoient avec
beaucoup d’habileté.
Ils fervoiént auffi de héraults. Ils accompa-
gnoient confiamment le général fur le champ de
bataille, & marchoient a. la tête de l’armée , vêtus
de longues robes blanches tenant en main des
harpes brillantes , & environnés d’une foule . de
muficiens. Pendant la .chaleur du combat $ ils fe
retiroient à part. Leurs perfonnes étoient facrées ;
& ils regardoient en fureté toutes les aétions des
c h e fs , pour en faire le fujet de leurs chants.
O n a eu raifon de comparer ce s chants à ceux
de T y r th é e , & de dire que s’ils avoient pliis dé
ru d effe, ils avoient du moins la même f o r c e , ■ &
produifoient les mêmes effets : _
Mares animos in fortia bslla.
Verfibus exacuit.
L a fécondé c la f fe , ce lle des Breitheamh' o a
Pnhons , étoit compofée de légiftes. Ce s Bardes
promulguoient les lo i x , en les chantant fur une
efpèce de récitatif ou de chant monotone, & fe
plaçoient pour cela en plein qir fur un lien élevé.
Ils foutenoient leurs vo ix par une forte de baffe
con tin u e, qu’ils faifoient eux-mêmes fur la harpe-.
Ils avoient auffi le double emploi de juges & de
législateurs. Ils rendoient la juftice & contribuoient
à la formation des loix.
Les Seanachas , ou ■ ardus de la troifiême claffe ,
étoient antiquaires , généalogiftes & hiftoriens., Ils
rappelloient les évènemens remarquables, & con-
fervo ien t, dans d’affez mauvais v e r s , les généalogies
de leurs patrons. Chaque province & chaque
prince ou ch e f avoit au moins un de ces Seneacïms;
à fes gages.
B A R
- Outre ces trois ordres de bardes, il y eu aVoit
un autre infé r ieu r , compofé . de B aides inftru-
mentifies. Ils avoient cinq différens titres , félon
qu’ils jouoient de l’un; Ou de l’autre de cinq
différens inftrumens ; mais leur titre'gén éral étoit
celui d’oirfidigh, Ils açcompagnoient les chants des
Bardes dés trois ordres fupérieu'rs , & fe tranf-
fliettoient, comme eux , une dignité ou profemon
héréditaire.
Dans ces premiers fiècles toutes les cérémonies
publiques , les pompes funèbres , & même les
afiemblées nationales , étoient autant d’occafions ou
les Bardes de toutes les claffes étoient employés ;
ils en faifoient lé principalornement ; & ce p euple,
que nous regardons comme prefque fauvage * étoit
fi fenfible aux beautés de la mufique , qu’on le
voyoit entourer religieufement le choeur des
Bardes, éprouver à leur gré les impr.effions les
plus contraires, s’afflig e r,fe réjouir, s’agiter tumul-
tueufement, ou s’arrêter dans une forte de recueillement
relig ieu x, félon le caractère dè miifique
exécuté par les È ardes. .
Ils continuèrent d’être en honneur dans les
premiers fiècles de l’ère chrétienne. O n voit dans
l’état de la maifon du fameux Cormac O Conn,
élu roi Fan 254 après J. C . , un barde Brèilkéamh
pour le confulter dans les cas difficiles ; un Seana-
cka pour éclaircir les- points dé Fhiftoire & de la
chronologie ; un Arâ-filea pour compôfer l’éloge
du prince & celui de fes ancêtres, & une troupe
de muficiens pour lui procurer un doux fommeil ,
& pour le divertir dans fe s momens de repos.
Le principal ornement de la cour de ce prince
fut le guerrier poète & muficien, que M . Mac-
pherfon nomme b ingai, & dont Fin étoit le vé r itable
nom.
Son fils Oifin, que M. Macpherfon appelle
Ofifian , f u t , comme l u i , l’un des plus grands
héros, & l’un des premiers poètes de fon fiècle.
Les poèmes qu’on lui attribue font-ils ou ne font-
ils pas de lui ? Cette queftion, qui n’eft plus pro
blématique en A n g leterre, eft étrangère à notre
fujet.
Fergus, Barde contemporain de Fin & d'Oifin,
fut auffi grand poète qu’eux. C ’étoit fur-tout dans
les combats que fon génie brilloit de tout fon
éclat , & qu’ il exerçoit tout fon empire. A la
bataille de F in t r y , Oifiin ayant engagé un combat
fingulier, commençoit à plier. Fergus l’apperçut,
& des hauteurs où il étoit p la c é , il lui adrefla
des chants qu'Oifin entendit, & qui lui rendirent
le courage & la viâo ire .
Après l’établifiement du chriftianifme en Irlande,
les Druides difparurent ; mais F ordre des Bardes
garda toutes fes In firm ion s, avec cette feule différen
c e, qu’au lieu d’adreffer leurs hymne's aux
faux dieux du paganifme, ils confacrèrent leurs
harpes & leurs y o ix aux louanges du dieu des
chrétiens.
B A R 117
B ien tô t comblés), d’honneurs , de richeffes & de
puiffance , revêtus''de privilèges extraordinaires ,
poffeffeurs d’un art q u i , en adouciffant les âmes.,
acquiert un . grand afeeridant fur e lle s ; relped -S
des grands & du peuple par féten du e de leurs
cônnoiffances, les Bardes devinrent d’une infolençe
& d’une corruption intolérables.
Leurs richeffes étoient immenfes , leurs privilèges
exce'ffifs. Après les occafions d’éclat où leurs
chants avoient tellement animé les trou pes, qu’aucun
Irlandais n’avo-it fu i , ou n’étoit mort honfeu-
fement^ on leur avoit donné des terres, qui étoient
regardées enfuite comme facré es, & qui ne fup-
portôient aucune impofition. O n conçoit que dans
des fiècles guerriers le nombre de ces conceffions
dut bientôt être confidérable.
Outre ces terres , les Bardes avoient encore le
droit d’être nourris -aux dépens de l ’état pendant
la moitié de l’année. Ils alloient fe loger où ils
v o iilo ien t , & mettoient à contribution, félon leur
fantaifie, tous les habitans de T ille .
Sous le règne de H u g h , ils eurent l’arrogance
de demander des ornements pareils à ceux que
le roi portoit fur fes-vêtements. Ils injurioient la
n obleffe, &• fe rendoient coupables de raille excès.
Leur nombre s’acerut au point qu’ils formoient
un tiers de la nation irlandoife. Le s arts. langmf-
foient faute d’ouvrie rs, Fagriculture par le manque
de laboureurs. - , ^ - ;,, ■
• Enfin le roi fe v it obligé de con voque r, en 580 ,
une affemblée nationale, dont le principal objet
devoit être Fcxpulfion & l’entière abolition de
l’erdre des Hardes; mais elle fe réduifit à en diminuer
confidérable ment le nombre & les privilèges.
O n n’exila que les plus_ coupables.
L ’irruption des Danois arrêta en Irlande le»
progrès des arts, & y fit fuccéder en peu de temps
la plus profonde ignorance. C e s barbares détrui-
firent tous les collèges des Bardes, & brûlèrent
tous les^livres. Les Bardes qui purent fe fauyer
fe cachèrent dans les b o is , dans les dé fe rts,. & ^
parmi les montagnes ; les autres furent mis en
captivité.Leurs harpes, comme celles des Ifraëlites,
dans une occafiôn pare ille, demeurèrent muettes,
ou ne rendirent plus que des fons lamentables
dans des vallées folitaires & fous l’abri des plus
profondes cavernes.
Après-l’expulfion des D an o is , le roi Brien rendit
aux arts & à l’ordre des Bardes toute leur fplen-
deur. I l étoit lui - même excellent muficien. L a
harpe dont il fe fe r v o i t , après avoir paffé par
une infinité de mains , fut dépofée en 1782 dans
le mufoeum du college de la Trinité de Dublin.
Sa forme & Ton étendue prouvent l’habileté du
monarque, s’il eft vrai qu’elle lui ait appartenu.
Depuis ce temps l’Irlande fut troublée par des
guerres fréquentes, & les arts s’éclipsèrent ou
reparurent fou v en t , félon les yiciffitudes de la
guerre.
Dans le jmoyen â g e ? malgré Fefciavage où