
3 ^ 8 C O N
y jouifioit , 8c par la double certitude que Tes
travaux feroient libéralement payés 8c que fes
produ&ions feroient parfaitement exécutées. Si
quelques compofiteurs de cette chapelle pontificale
étoient Flamands, & quelques chanteurs Èfpagnols,
il ne s’ enfuit pas que les Italiens aient dû le contre-
point, ni l’art du chant aux Pays-Bas ou à l’Éfpàgne.
L ’école romaine de mufique 8c de chant étoit
établie depuis tant de fièclès, qu’il eft naturel
d’imaginer que ces étrangers vinrent à Rome, inoîns
pour enfeigner la mufiqùe , que pour rapprendre.
Il eft cependant vrai qu’au commencement du
quinzième fiècle , plufieurs exeellens compofiteurs
Flamands fe répandirent en Italie ., comme dans
toute l’Europe ; mais il eftprobable, malgré l’afier-
tion de Jean Tinélor en faveur de l’Anglois
Dunftable, que le contre-point, {impie d’abord ,
enfuite figuré , fut connu en Italie avant de l ’être
en Angleterre & dans les Pays-Bas. Les Italiens
ont été fans doute les premiers, comme ils ont
été depuis les meilleurs muficiens des temps
modernes ; mais ils ont négligé d’en, coriftater
les preuves. Bonàdies , maître de Franchino Gafi
jb r io , eft certainement aufti ancien qu’aucun autre
bon contre - pointillé dont il fe foit confervé
quelques ouvrages ; mais il ne refie rien de lu i,
au lieu que nous avons des compofitions d’Oken-
heiin, de Jofquin, d’Ifaac, de Brumel, & des
autres maîtres Flamands, Allemands & François
du quinzième fiècle. (V o y e z l’article Pays-Bas.) 1
11 doit y avoir eu , entre le temps de Jean de
de Mûris & le milieu du quinzième fiècle, un
■ grand nombre de muficiens dont les ouvrages fe
font perdus. Tous les arts fe perfeâionnent pro- I
greffivement, 8c l’harmonie de Jofquin eft tellement
fupérieure à ce qui nous eft refté des maîtres
plus anciens que lu i , qu’il parcît y avoir entre
eux la différence de deux ou trois fiècles ; & il
eft difficile d’imaginer qu’aucun muficien eût pu ,
même avec des pas de géant , parvenir à une
composition fi régulière, fi favarçte , & à des inventions
fi ingénieufes , quelque fuperieur que fût
fon génie à celui dé fes prédécefleurs.
Rome fut pillée & brûlée en 1527 , par l’armée
de Charles V. Lés "livres 6c les manufcrits les
plus précieux furent la proie des flammes. C ’eft-
là , fans doute , ce qui rend fi difficile de trouver
des compofitions antérieures à cette époque , dans
-une ville qui avoit continué long-temps d’être la
capitale des arts , après avoir cefte d’être celle
du monde., Mais fi Okenheim , Jofqiiîn , Brumel
& d’autres maîtres étrangers n’apportèrent pas le
contre-point en Italie , il eft oh moins certain
qu’ils y contribuèrent beaucoup à fes progrès.
I l régnoit alors une fingulière coutume à laquelle
tous les compofiteurs étoient forcés de fe foumertre.
C ’étoit de prendre pourifujet de leurs’compofitions un
trait connu de mélodie.Dans tous les morceaux d’une
c o N
méfié, par exemple, une des parties faifoît entendr»
cette mélodie fur différens mouvêmens , tantôt en
prolongeant les notes, tantôt en les abrégeant, mais
en confërvant toujours le premier chant ; 8c les
autres parties deffinoient fur ce motif dès imitations
, des canons, des fbgues. Cet ufdge fubfiftoit
encore du temps de Zarlin, & Glareanus nous
apprend que du fien on ne compofoit guèrès de
.méfiés que fur quelque ancien motif. Huila eft
fere hodiè m'ijj'a , quce non ex antiquo themate quo-
piam deprompta. Le petit nombre de celles qui
n’étoient pas ainfi compofées , mais fur des chants
de l’invention du maître, étoient intitulées: Mijfa
fine nomint : les autres avoient pour titre les paroles
du trait de plain-chant ou même de la charifon qui
fervoit de motifs à tous les mouvemens.
Lorfque ces motifs étoient tirés du plain-chant
ou de la mélodie des hymnes que l’égîife chantoit
depuis plufieurs fiècles, & qu’ils devenoient, dans
l’églife même,« la bafe du contre-point dans une
grande compofitipn, cela pouvoit avoir quelque
cfaofe de pieux, de foleir.nel,8c une propriété locale,
capable de défarnier la cenfiire,& d’engager les chefs
& les ordonnateurs du culte, à tolérer oc même à approuver
cette méthode; mais quand les compofiteurs
offenfoient les oreilles pieufes par les airs légers &
mondains de quelque chanfôn triviale ou licéncieufe,
lorfqu’ils les adaptaient à d’humbles fupplications *,
à des hymnes facrées , à de faintes prières , dont le
fentiment devoit être fans ce fie effacé de l’efprit
de l’aftemblee par la répétition fréquente de ces
fragmens profanes dans toutes les parties du’choeur,
ils abufoienr du privilège. A'hatnionifer des chants
connus, 8c prouvbiéht auffi peu de goût & d’intelligence
, que dé décence & de .refpèâ pour les
cérémonies religieufès dont la direéïidn leur étoit
confiée.
L’une des anciennes chanfons qui fut le pliis
en faveur pour cet ufage dans le quinzième'fiècle,
8c même au commencement du feîzième , eft
celle de Y homme armé. Dans tous les recueils
de méfiés des maîtres qui iloriftoient alors on ep
voit un grand nombre qui ont ces deux mots pour
titre, & qui ont toutes pour motif l’air de cette
chanfon. Le P. Martini iuppofe que c’étoit une.
charifon provençale : il canto d'una certa canton*
provençale. M. Burney croit, au contraire , que
c’eft cette fàmeufë charifon de Roland, que des
François armés chantoient à la tète des troupes^,
en 1 honneur de ce paladin , lorfqu’ils marchaient
à l’ennemi.
La méfié de Jofquin , appellée Didadi, eft un
morceau curieux, compofé fur un air qui étoit probablement
très-connu de fon temps : la partie de
tenore en répète continuellement le chant fur différentes
mefures, & d’une façon fi fingulière que l’auteur
a cru nécefiaire , non-feulement de donner en
notes la réfolution-de chaque mouvement, mais
c o N
è e placer au commencement de chacun l’ un des
lignes fuivans de prolation. (V o y e z Prolation. )
Au Kyrie , ou aux deux premiers mouvemens :
Au troifième & quatrième mouvemens , & in
terra y 8c qui tollis :
Ainfi des autres. Cela fignifioit que dans les deux
premiers mouvemens la longue étoit égale à deux’
brèvçs, & la brève à deux femi-brèves , &c.
Que dans les deux fuivans la longue étoit égale à
quatre brèves, 8c la brève à quatre femi-brèves.
Dans les mouvemens Pâtre m omnipotentem, 8c
Crucifixus, la longue valoit fix brèves ; au SanElus
elle en valoit cinq. Ce qui étoit exprimé de la
même manière, c’eft-à-dire, par les faces correspondantes
du dé inférieur, le fupérieur marquant
toujours par l’ tmité la Valeur de la longue.
L’auteur avoit fans doute choifi ces lignes, des
proportions rhythmiques par allufion à une chanfon
qu’il avoit prife pour le fujet de fa meffe.Dadi,
pluriel de Dado, fignifie des dez en Italien , &
Dïdadi étoit, ou le titre ou les premiers mots ,
d’urfe chanfon populaire, fur le jeu des dez ou
fur les jeux de hafard en général, qui eut cours
pendant le quinzième fiècle.
Toutes ces fingularités pénibles ont depuis longtemps
perdu ieur prix, & ne paroiflent plus que
bizarres. On les voyoit alors-d’un autre oeil.
On feroit tenté de dire de prefque tous les compofiteurs
de c e temps , en voyant tant de recherche
, d’efforts, de combinaifons , 8c fi peu de
mélodie dans leur mufique, qu’ils avoient plus ;
d’art 8c de favoir que de génie, fi l’on ne réflé-
chiffoit pas que ce que nous nommons mélodie i
n’exiftoit pas encore dans le fens où nous l’entendons
aujourd’hui ; que le génie confifte principalement
dans l’invention, 8c qu’il falloit un fonds
inépuifable de talent inventif pour combiner de
tant de manières les Ions de l’harmonie fimultanée,
pour créer tant de fujets divers , d’imitations , de
canons , 8c de réponfes ingénieufes , fur des chants
fimples 8c communs. C ’étoit-là le principal objet
du travail des étudians , 8c l’ambition des plus
célèbres compofiteurs.
Mais dans le fiècle fuivànt une mélodie plus
fignifiante & plus noble s’introduifit dans les parties
du contre - point. C ’eft l’époque d’une révolution
ïntéreflante qui fut préparée par les grands maîtres j
C O N , 3,49
dont nous venons de parler J opérée par le génie
de Paleftrina , de quelques - uns de fes contemporains
& de fes élèves , 8c confolidée par un
grand nombre d’ouvrages 8c de traités, où d’habiles
théoriciens, tels que Pierre Aaron, le célèbre
Zarlino , Artufi de Bologne , le Vénitien Zacconi
8c plufieurs aunes, établirent 8c démontrèrent les
principes de l’ar t, fixèrent ainfi ce que les leçons
verbales 8c les exemples même ont de vague 8c
de fugitif ; 8c répandirent en Italie, 8c d e - là an
Europe, la doârine encore nouvelle de l’harmonie
8c du contre - point.
Palejlrina, auteur de cette belle révolution ,
étudia d’abord à fonds les grands maîtres qui
l’avoient précédé, 8c fe rendit familières toutes
les difficultés de leur ftyle. Il s’appliqua enfuite à
fi-mplifier, à épurer l’harmonie , à chercher une
mélodie plus coulante 8c plus naturelle. Il paya
cependant a fiez fouvent encore le tribut à l’ancienne
méthode dont il avoir fu corriger le pé-
danrifme , la recherche 8c l’obfcurit'é. Sa mefie,
fur le chant de Y homme armé9 eft remplie de vaines
8c inutiles difficultés. Elle eft fi embarraffante à
déchiffrer,. que Zacconi a compofé un commentaire
de treize pages in-folio, pour en expliquer
la note & en réfoudre les canons ; 8c que malgré'
ce commentaire , ;peu de muficiens font capables
de la réduire en partition. 11 fuivit donc auffi
dans fon premier temps l’ufage abfurde de com-
pofer des motets & des méfiés fur des chants
vulgaires. Mais depuis 1570 , il abjura totalement
cette coutume gothique. Son ftyle , qu’il fe fit
une étude confiante de polir 8c de perfectionner ,
devint enfin le modèle que tous les autres maîtres
fe proposèrent d’imiter; 8c les meilleures compofitions
eccléfiaftiques produites depuis fon
temps, furent nommées , pour comble d’éloge,
alla Palejlrina.
Nanino , fon condifciple 8c fon intime ami,
Cifra, fon é lè ve , Màrençio, 8c d’autres maîtres
de L’école Romaine , fe firent gloire de fu i r a fes
traces , tandis que Zarlino à Venife , à Padoue
Cos tan ço Porta , Vecchi 8c Monteverde à Mantoiïe ,
Bottrigari & Aitufi à Bologne , tâchoient de
mettre auffi dans leur contre-point la clarté , l’élégance
8c la pureté Paleftrinienne.
Parmi ces imitateurs, qui tous cependant avoient
dans leur ftyle quelques parties qui leur étoient
propres ,' Monteverde doit fur-tout être diftineué
parce qu’après avoir atteint le terme où Paleftrina
venoit de porter le contre-point, il lui fit -faire lin
pas de plus, en y introduifant des hardiefles &
des diftbnances nouvelles. Ce fut lui qui employa
le premier les diflbnances doubles, telles
que la neuvième 8c quarte, la feptième 8c
neuvième, la feptième 8c lëconde ; ainfi que la
faufle quinte 8c la-feptième non préparées. En
oütre-paflant ainfi les réglés prefcrites depuis long