
M. de S. Marc ayant entrepris de faire remettra
ion Adelle, engagea M. Piccinni à retoucher les endroits
dont lui-même n’étoit pas content. L’a dm: ni f-
tration promit que dès que ces changemens feroient
faits, l'opéra feroit repris. Piccinni fe mit à l’ouvrage:
quand on lui demandent qtels nouveaux morceaux
il comptoit changer, il fourioit pour toute réponfe,
& tous les jours avançant'fon travail, il fe trouva
au bout de quelques mois, que depuis le commencement
jufqu’à la fin, Adelle, à quelques fcènes près ,
étoit refaite toute entière. Mais la peine qu’il s’étoit
donnée fut inutile: on lui manqua de parole, & le
public fut ainfi privé d’un de fes meilleurs ouvrages.
Il avoit accepté depuis long-temps un poeme du
genre le plus auftère : c étoit Clytemneftre, tragédie
en cinq a£es, fans ballets. L’auteur des paroles &
fes amis s’étoient engagés à le faire jouer dès qu’il
feroit mis en mufique ; ils avoient avec les adminil-
trateurs de l’opera des relations qui paroiffoient les
autorifér à prendre cet engagement. Piccinni s’étant
enfin décidé, fe livra à cette longue & laborieufe
compofition avec fon ardeur accoutumée, comme s’il
n’avoit jufqu’alors éprouve ni tracafferies, ni injuf-
iices , ou comme s’il n’en avoit plus à craindre.
Il reconnut encore cette fois, que quelque peine
que lui pût donner la compofition d’un ouvrage*
k temps qu’il employoit à ce travail étoit toujours
pour lui le meilleur temps. Après, une première
répétition de fa mufique, qui fut trouvée fublime ,
on chercha querelle au poeme ; on refufa de le recevoir;
on s’y obftina long-temps^ on ne vouloit
plus donner à l’opéra de pièces fans ballets & fans
fêtes ; le fu;et étoit trop trille ; on étoit rebattu de
la famtle d’Agamemnon, & mille autres raifons
femblables. Enfin, par accommodement, on exigea
du poëte qu’il fe réduisît en trois aéles, & l’on promit
à cette condition de repréfenter Clytemneftre. Cette
réduélion étant faite , Piccinni ne fe découragea point ;
il facrifia d’excellens morceaux de mufique, en refit
de nouveaux, refferra ceux qui étoient un p*u trop
étendus , donna en un mot à toutes les parties les
proportions, les liaifons & l ’unité qui en pouvoient
foire un bel enfemble. Soins, travaux, patience inutiles
f i l lui fut impoflîble, après tout cela, d’obtenir
qu’on le mît au théâtre.
Ce dernier trait d’injuftice lui fut plus fenfibfe que
tous les autres, & le détermina à quitter la France.
11 en étoit follicité depuis long-temps par fes amis
d’Italie, qui avoient obtenu pour lui du roi de Naples
une place qu’ils Te preftoient d’aller occuper ;*il l’étoi t
aufli par lé mauvais état de fa fortune, & par la
fituation des affaires en France, qui avoit totalement
dérangé les fiennes.
Son traitement alimentaire dé fix mille livres,
condition fans laquelle il n’eut pas quitté fa patrie
avec une famille nombreufe, avoit été changé erë
penfion qui fe trouvoit, depuis la révolution de 1789-,
iufpendus comme celle de tous les autres pensionnaires
de l’état, quoiqu’elle fût d’une autre nature.
La penfion de 3,000 livres de l’opera, qu'il avoit
gagnée par fes travaux, avoit été aufli, depuis plu-
fieurs années, mife avec les autres penfions de cette
efpèce , à la charge du tréfor. public, & la fufpenfion.
s’étendoit fur e lle, quoiqu’elle n’èût rien de commun
avec les grâces accordées aux dépens de ce tréfor.'
Enfin le revenu de fes ouvrages étoit nul-, puifque
lradmimftration de l’opera femfeloit prendre à tâche
d’ufer entièrement ceux de Gluck & de Sacchini,
plutôt que ce repréfenter les fiens.
Accablé de tant de pertes K que pou voit faire
un père de famille qui, tant à Paris qu’à Naples9
avoit chaque jour vingt-deux perfonnes à nourrir des
fruits de fon travail?Quitter une terre étrangère où;
depuis quinze ans il luttoit avec dè> forces trop inégales
contre l’intrigue & ïa malveillance des hommes
&C contre le cous« invincible d s événemens. C ’eft
à quoi il fe décida enfin au mois de feptembre 1791 'r
il régîa fes affaires, les remit entre les mains de
quelques amis, leur confia les partitions originale»
d*A dette & de Clytemnejlre, partit avec fa, femme
& fes enfans, pour aller, plus heureux que fon
compatriote Sacchini, jouir encore du beau ciel de
Naples , & refpirer l'air pur de la. patrie des beaux
arts.
Outre ces deux dernières productions, dans deux
genres entièrement divers, & qui accroîtront: nécef-
fairement un jour nos richeffes- muficales, il nous
a donc laiflé Roland, Aiÿs, Iphigénie en Tauride ,
Didon-, Endynùon, Pénélope,. en tout huit grands
opéra, fans compter le joli opéra-bouffon du Faux
Lord & le Dormeur éveillé, compofition riche, originale
& variée, qu’on n’a pas affez entendue, &
le charmant opéra de Phaon, ou il avoit prodigué
les reffources de fon imagination créatrice, & qui,,
avec quelques changemens dans le poëme, paroîtroit
fans doute au théâtre avec plus de fuccès encore qu^
le Dormeur-
Au milieu des tracafferies qu’on lui fufeitoit fan»
ceffe & des perfécutions dont il fut conftamment 1®
viCtime au milieu de fes embarras domeftiques r
malgré de fréquentes maladies & le facrifice qu’il
étoit obligé de faire d une grande partie de fon temps
à des leçons particulières * & à récoie de chant dont
il étoit dire&eur, voilà ce que ce grand artifte a
fait pour la France. Quelque peu favorable aux- arts
que foit l’état critique où la France s’eft'trouvée, où»
.elle fe trouve encore, n’ëft-il pas honteux pour e'ie
de n’avoir rien à répondre quand- on demande ce
qu’èilè a foit pour lui i
On peut terminer au départ de ce maître rhiftoire
de notre révolution muficale, Les grands intérêts qui
Occupent maintenant tous les efprits, laîffent peu de
place aux objets de pur agrément, & ne permettent
plus de mettre la même chaleur à ce qui les concerne.
Mais peut-être le bon goût a-t-il profité de ce relâche
pour s’établir. On juge avec moins de paflion, &
Ton juge mieux. Une troupe nouvelle de bouffons
italiens, fupérieure à foutes celles que nous avons
eues jufqu’ici , s’eft fait entendre fur un théâtre à
part : n’excitant plus dans les propres foyers de l’opéra
françois une guerre inteftine, elle s’eft foit écouter
& goûter même des parafons du chant françois, &
ce qui étoit plus important pour nos progrès en mufique,
même des chanteurs françois,
La mufique de Paifiello, de Cimarofa, de Sarti,
d-tGugüelmi, &c. chantée par une Morichelli, une
Balletti, par un Mandini, un Simoni, un Viganoni,
un Rovèdino, jouée & , fi l’on peut parler ainfi,
pantomimée par des aCleurs tels qu’un Rafonelli, un
Erocchi, &c. accompagnée par le meilleur orcheftre
de Paris, c’eft-à-dire, peut-être de l’Europe, cette
mufique a fini par l’emporter fur tous -les préjugés
nationaux, & par réunir tous les fuffrages.
Comme dans ces opéra, nommés bouffons, il y
a des morceaux très-touchans, que même des pièces
entières, telles, par exemple, que la Pa^ça per-
amore, font dans le genre pathétique, & que ces morceaux
& cette pièce entière ont fait verfer beaucoup
de larmes; on a compris enfin que pour être théâtrale
& dramatique, la mufique ne devoir pas ceffer
d’être chantante & régulière. On a comparé avec le
ftyle,.de ctette mufique, celui des bons ouvrages fran-
çoiïfoits pour un plus grand fpeftacle par deux grands
maîtres italiens; on a reconnu qu’aux changemens
près, qu’exigeoit la différence des langues, celle des
ïujets traités, & celle aufli des fpeâateurs, au goût
defquels il leur avoit encore fallu céder quelquefois,
le fond du fly le, des formes, des proportions étoit
le même. On y a comparé les ouvrages d’un autre
maître, & fans oublier ce qu’ils ont d’excellent, principalement
dans le genre pompeux ou terrible ; fans
oublier fur-tout ce qu’il a fait pour nous tirer de
la barbarie, & l’impulfion forte qu’il a donnée à
notre révolution muficale, on a reconnu que ces
ouvrages perdoient à la compàraifon ; on a reconnu
•nfin que pour atteindre autant qu’il eft pofîible à
la perfeéîion de la mufique théâtrale, il faut faire,
non pas toujours ce qu’a fait M. Gluck, mais ce
qu’il s’étoit d’abord propofé de foire, c’e ft-à-dire,
réunir le fyftême dramatique des François avec le
fyflême mufical des Italiens.
Malgré tous ces avantages remportés par le bon
goût, notre révolution en mufique eft-elle entièrement
faite ? Au lieu de répondre moi-même à cette
queftion, je finirai par la réponfe qu’y donna le
do&eur Burney.
$ Quoiqu’il y ait beaucoup à foire en France
p ou r la réfo rmation m u fic a le , il y a cepend ant déjà
beaucoup d e fa it dans l’efp a c e de quarante a n s , pa r
les op éra comique s de D u n i , de P h iî id o r , d e M o n -
f i g n y , d e G r é t r y , & pa r les o p é ra fé r ieu x de P ic cinni
& d e S a c ch in i. C e u x de G lu c k qu o iq u e é v i demment
com p o fé s fur l e plan d e ceu x d e L u lli &
de R am e a u , fon t b ien fupé rieu rs à ceu x d e ces anciens
com p o fitëu r s , p o u r l e rh y thm e & p ou r les effets.
M a is en comp arant les o p é r a fra n ço is , m êm e d e P ic cinni
& de S a c c h in i, a v e c le s o p é ra italiens de ces
ex ce llen s m a î tr e s , j’y d é co u v re facilement une c om -
plaifance p o u r l ’ancien g o û t des F r a n ç o is , a u fli-b ien
q u e les entrav es de la la n g u e , & qu e lq u efo is l ’imitation
d’un ce rta in tou r de phra fe & de période tant
dans l e chant q u e dans le réc itatif. Mais qui p eu t
les b lâmer d’a v o ir ac com m od é le u r s chants au g o û t
d e leurs ju g e s ? **
« S i la b on n e mu fiqu e & la b on n e e x écution fon t
jamais v é r itab lem en t fenties en F r a n c e , c e doit ê .r e
p ro g r e fliv em en t . C e n’e f t pas affe z d’a v o ir entièrement
o u b lié l’ancienne m u fiq u e , il fout en co re qu ’un
g o û t d e chant totalement différent fo it ad opté &
é t a b l i , autrement c e fe ro it en v a in q u e les plus
grands com p o fitëu r s , affiftés des meilleurs p o ë te s de
Puni v e r s , ten te ro ien t d’a chev er la ré v o lu t io n m u fica
le . *» ( M. Ginouené. )
F R A P P É . WM pris fubjl. C ’eft le temps o ù l ’on
b aiffe la main o u le p ie d , & où l’on frappe p ou r
marqu er la m e fu re . ( V o y e z Thèfis. ) O n n e frappe
o rdinairement du pied q ue le p rem ier temps d e chaque
m e fu r e ; mais c e u x qu i cou pen t en d e u x la m e fu re
à q u a t r e , frappent au fli le tro ifièm e . E n battant de
la main la m e fu r e , les F ran ç o is n e frap p en t jam a is
qu e le prem ie r temps & m a rq u en t les autres pa r
dive rs m o u v em en s de main ; mais les Ita liens frappen t
les d eux p rem iers d e la m e fu re à t ro is , & lè v e n t le
tro ifièm e : ils frap p en t d e m êm e les d e u x premiers
de la m e fu re à q u a t r e , & lè v e n t les d eu x autres.
C e s m ou vemen s fo n t plu s Am p le s & femblent plus
commod es. ( / . J. Roujfcau. )
* i l y a un p eu de p a rtia lité à d ire q u e , frapper
deu x fo ls dans une m e fu r e , fo it p lu s f im p le q u e de
ne frapper qu'une. S i le b ru it du b â ton o u d u pied
eft d é fa g ré a b le , com m e R . l e rema rque a illeu r s , c e
d é fa grémenî fera d’autant p lu s fen fib le qu ’il fera plus
fréquent. Il y a un autre in con v én ien t à frapper les d eux
prem iers tems d e fuite, c’eft q u ’un des exécutans, q u ’un e
diftra&ion àuroit égaré & q u i n’auroit pas entend u le
frappé du premier tems , p o u r ro it prendre le fé c o n d
p o u r le premier. A u r e f t e , tou te s ce s o b fe rva tio n s
fon t minutieufes. L e s Ita liens c om m e les F r a n ç o is , en
marquant différemment la m e fu r e , s’entend ent é g a -
m en t bien ; & com m e les deu x manières d épend ent
d’une co n v en t io n r e ç u e , on n e p eu t pa s d ire q u e
l’une fo it plus commod e q u e l’autre.
( M. Framery. )
Frappé, C ’eft toujours au frappé qu e l’harmonie
LUI i;