
lui montrant le couvent des jéfuites qui fe trouvoît
vis-à-vis de ce palais. Un principe politique des jéfuites
étoit de le prévaloir , par-tout où ils s’étabhf-
foient, de tout ce qui pou voit être agréable aux
Princes & augmenter l’influence de leur ordre fur
le peuple. Ils trouvèrent en AU.nugne Fenfeigne-
ment de la mufique.., établi dans les écoles , & le
goût de cet art répandu par-tout ; ils en favorisèrent
l ’étude & la pratique.
Une autre circonflance qui contribua infiniment
à fortifier l ’effet de ces motifs d’encouragement,
c’eil le goût v if & éclairé que les princes les plus
diftingues & les plus puiffants montrèrent à la fois
non-feulement pour les productions , mais encore
pour la pratique de la mufique. Ce n’étoit pas fim-
plement en eux un befoin d’amufement ou un air
de magnificence ; ils chantoient eux-mêmes dans
leurs concerts, ils jouoient de plufieurs inflruments;.
plufieurs meme1 compcfoient. Léopold étoit du
nombre : on exécutoit fouvent, dans fa chapelle ,
des ouvrages de facompofition. L ’impératrice-reine
étoit très-bonne muficienne, & l’étude de la mu-
fique a été fort Poignée dans l’éducation de fes
auguftes enfants. Le féu éleéleur palatin jouoit
très-bien de la flûte & du violoncelle, & a publié
différentes pièces de mufique. Sa foeur, Féleélrice
douairière de Saxe, a compofé des opéra. Elle avoit
.appris la compofition de Porpora, & a eu long-
tems à ion fervice le. célèbre chanteur Guàdagni.
M. le duc de Wirtemberg jouoit avec une grande
Jùpêricritê du clavecin, 8c toute l’Europe a été
.témoin de-la magnificence extraordinaire avec la-
.cuelle il faifoit exécuter fur les théâtres de Stutgàrd
cç de Lomsbourg les opéra qu’il faifoit -cômpofer
.au Payant &- fécond Jomelli. C ’efl fur ces mêmes
théâtres que le créateur de la véritable danfe dramatique
, l’ingénieux Noverre , a fait exécuter
le s plus beaux de fes ballets. Sans parler du grand
nombre d’autres princes d'Allemagne qui ont cultivé
la mufique & contribué à fes progrès, je ne
citerai plus que l’immortel Frédéric I I , qui en dirigeant
lui-même tous les détails cî’un grand royaume ,
trouvoit le tems de jouer tçtis les jours de la flûte
you r Pe défennuyer , & qui compofa un menuet
dans fa tente après avoir perdu la bataille de Collin.
Le goût de ce prince pour la mufique avoit cela
d e remarquable , qu’il s^étoit formé & développé
malgré les obflacles, les plus impofants. Frédéric
' 'Guillaume , fon pere , qui regardoit comme une
Pantaifîe ridicule oc frivole la paflion que le prince
royal témoignoit pour les arts , lui avoit défendu
très-férieufement, non-feulement de faire de la mu-
fjqxre , mais même d’en entendre ; & l ’on fait combien
il étoit dangereux, même pour fon fils , de lu i.
délobéir. Cependant la reine mere voyant que le
goût de fon fils pour la rruifique fembloit s’accroître
par les difficultés & par-Je danger , engageoit des
jnuficiens pour lui ; mars il étoit important que
toutes ces petites négociations fufferit couvertes-,
jtes ombres du jnyflère : fi le Roi eût découvert
A L L
qu’on avoit méprifé fes ordres , les virtuofes qui
auroient.été complices de la défobéiflance, cou-
roient le rifque d’être pendus. Souvent le prinCe
prenoit le prétexte d’une chaffe pour faire de la
mufique ; & c’étoit quelquefois dans une Caverne ,
ou au fond d’un bois qu’il établiffoit fes concerts.
Frédéric II a fait conflruire un fûperbe théâtre
oîi il faifoit repréfenter dés opéra à grands frais. It
avoit des concerts réguliers ; il protégeôit & pen-
fionnoit des compofiteurs & des virtuofes. célèbres.
Une prote&iôn fi aélive de la part d’un monarque ,
. dont l’efprit & les talents, ainfi que le génie”, eurent
tant d’influence fur les efprits, fur-tout en Allemagne
; auroit pu faire faire à la mufique des progrès
plus marqués qu’elle n’en a faits dans fes états.
| Mais le premier oc le plus ptiifFant encouragement
des arts , c’eft la liberté : Frédéric étoit amateur
; mais il étoit fouyerain : il vouloit étendre fur
les goûts l’autorité qu’il étoit accoutumé à exercer
fur les volontés ; & il rêfroidifloit par des préférences
exclufives l’émulation que fes fuffrages &
fes bienfaits dévoient exciter. Il ne faifoit exécuter
que la mufique de certains maîtres , & jugeoit fur
les noms des auteurs , plus que fur le mérite des
ouvrages. Ce prince , qui ne pouvoit pas icuflrir la
poéfie de fes compatriotes, n’aimoit guère que
leur mufique. Ses deux auteurs favoris étoiènt
Graun pour la mufique vocale , & Quantz pour
les airs de flûte: Ce Quantz avoit été fon maître
pour cet infiniment, & l’élève roi en jouoit aufS
bien que le profefléur. La réputation de Graun &
de Quantz etoit , dit M. Burney, une efpèee de
religion à Berlin, & l’on y juroit par leurs noms,
plus que par ceux de Luther & de Calvin. Ce n’efk
pas qu’il n’y eû t, à cet égard,un fchifmecomme
fur tout autre dogme ; mais les diffidents n’y ha-
fardoient leurs opinions que tout bas ; au lieu que
ceux du parti dominant etabliflbient tout haut leur
doélrine ; ainii, dans ce même pays où regnoit
une tolérance univerfelle à l’égard de la religion ,
on n’ofoit y profefTer en mufique d’autres opinions
que celle du prince. Il en réfulta , ajoute le
même écrivain , que la mufique de Berlin efl plus
véritablement allemande , que celle d’aucune autre
partie de Y Allemagne ; car , quoiqu’on y donnât
confiant ment , dans le carnaval , des opéra italiens
, Sa Majeffé pruffienne ne fouftroitpas qu’on
y en exécutât d’autres queceux.de Graun , d’Agri-
cola & de H a f le ;& encore très-peu du dernier,
quoiqu’il fût fupérieür aux deux autres ; mais il
avoit fans doute le malheur d’être trop italien dans
fa manière.
Frédéric II foumettoit fes virtuofes , comme fes
foldats, à une difeipline févère. Il avoit fa place au
parquet derrière le maître de Chapelle , fuivant des
yeux là partition. Si quelqu'un des chanteurs ou
fes exécutans s’avifoit de changer , de fnpprimer
ou d’ajouter une feule note à la partie dont il étoit
chargé , il lui étoit enjoint de par le R o i, de fe conformer
3 ce quj Jçrif par lecompoûteyjq Cet^s
difciplhie ,-excellente pour prévenir les licences 8c
les écarts du goût, n’étoit pas moins efficace peur
arrêter en même tems Feffor du talent 8c les progrès
de l’art. La mufique a donc été , pour ainfi
dire, flationnaire dans ce pays pendant tout le
règne de ce prince , qui laifioit à cet égard moins de
liberté peut-être que dans les matières de gouvernement.
Ajoutons ici un mot du célèbre organise
SebaftienBach. Vo u s c r o y e z difoit-il à un François,
qm le roi aime la mufique ; non i l 11 aime que la fiû te :
& encore f i vo u s croyes' q u 'il aime la flû te , vo u s
vo u s tro/upe^ , il ri aime que fia flû te .
Il n’y a point de pays au monde, fans en excepter
l’Italie, où le peuple ait un goût plus général
pour ia mufique qu’en .Allemagne ; parce qu’il n’y
en a point où les oreilles foient plus continuellement
frappées de mufique de toute efpèee. Dans
toutes les villes , dçs troupes de virtuofes ambulants
parcourent les rues 8c remplifTent les auberges \
chantant & jouant des inflruments. Par-tout où il y
a des univerfités & des collèges , les étudiants fe
raflemblent pour aller dans les rues, la nuit fur-
tout , chanter des hymnes, des canons , ou des morceaux
d’opéra à plufieurs parties , s’accompagnant
de toutes fortes d’inffruments ; & ils reçoivent fans
fcnipule de l ’argent de ceux qu’ils ont amufés ( i) .
Les enfans font exercés , dans les villages mêmes
à chanter en parties ; & ceux des foldats ont aufli
des écoles particulières où ils apprennent à chanter.
Il y a peu de domefliques qui ne fâchent jouer de
quelques inflruments. Tous les princes onturie mufique
militaire ; & la plupart ne croiroient pas avoir
bien dîné fi le repas n’étoit accompagné au moins
de timballes & de trompettes.
Nous avons déjà fait connoître les premiers
compofiteurs pour la mufique de théâtre que Y A l lemagne
ait produits; nous allons donner une légère
notice de ceux qui fe font diffingués dans
Tes différentes parties de la mufique.
Jean - Frédéric Agriebla', que nous avons cité
comme un des compofiteurs favoris du feu roi de
P-rufiè , étoit né en 1720 dans là Haute-Saxe ; il
avoit étudié là mufique à Leipfick, fous le fameux
Sebaflien Bach. En 1751 il fut nommé par Frédéric
compofiteur de la cour. Ses compofitions dans
tous les genres font très-nombreufes , 8c portent le
caraélère d’un génie heureux & facile. Il étoit un
des meilleurs organises de F A llem a g n e , d’où font
fçrtis les plus grands organises. Agricola a montré
un talent plus .original dans la mufique d’églife,
que dans celle du théâtre ; mais il n’ofoit fe livrer à
fon g°ùt pour la première. Le roi de Pruffe ne pouvoit
pas fouffrir ce genre de mufique ; lorfqu’il ap-
prenoit qu’nn compofiteur avoit compofé un ora-
torio ou un motet, il croyoit que fon goût en étoit
gâté , 011 qu’il en . manquoit ; & lorfqu’il enten-
doit enfuite exécuter, quelque morceau de mufique
(0 II y a à Berlin un établiflerne-nt pour élever ~a
entants qui font irrilruits dans la mufique, font vêtus
Çn un-formes , & vont ainfi chanter dans les rues*
« théâtrale du même compofiteur , il aimoit à dire :
,j cela fient i’éghje. Agricola a publié un petit Ou-
■ j vrage allemand ; fiur l'art de chanter, qui ell fort
eftimé. •
C h a r le s -H e n r i G ra u n é to it n é en 1 7 0 1 . , dan s l e
c e r c le é le& o r a l d e S a x e . I l fu t d ’a b o rd clia n te u r
dans u n e é g i ife d e D r e fd e . L o r fq u ’ i l eu t p e rd u fa
. v o i x d e d e i fu s , il f e liv ra à .la c om p o f it io n . I l fit
. d’a b o rd d e la m u fiq u e d ’é g life . E n 1 7 2 3 , i l ,a lla à
B iu n fw ic k p o u r y ch an te r la ta ille dans le s o p é ra
| q u ’on d e v o i t y d o n n e r . O n débuta pa r un o p é ra d e
! Henri l'oifeleur. L e s airs qu ’i l a v o it à ch an te r n e lu i
p a ru r en t p a s fion s i l en fit d’autres q u ’i l ch an ta
a v e c les. p lu s g rand s ap p la u d iffem e n ts . C e fu c c è s
l ’e n c o u ra g e a à ten te r l a c om p o f it io n d ’un opéra» Il
m it e n m u fiq u e un p o èm e a llem an d in t itu lé Poli-
dore , q u i réu ffit b e a u c o u p 8c c om m e n ç a fa r ép u ta t
io n . 11 r e f ia a t ta ch é à la c o u r d e B r u n fw ic k ju f*
q u ’e n 1 7 3 5 q u e F r é d é r ic , a lo r s p r in c e r o y a l , le
p r it à fo n fe r v ic e . II co n t in u a d e ch an te r dan s le s
o p é ra 8c en c om p o fa un gran d n om b r e , a in fi q u e
b e a u c o u p , d e p iè c e s 'p o u r l ’é g life & p o u r l e c o n ce
r t. 1 1 m o u ru t à. B e r lin -e n 1.759. V o i c i c e q u ’ o n
dit d u ca ra étère d e fe s o u v r a g e s dans u n e n o t ic e d e
fa v ie , im p r im é e à B e r lin e n 1 7 7 2 , à la tê te d ’un
r e c u e il d e duo ,8c d e trio d e c e c om p o f ite u r .
« C om m e c om p o f it e u r i l p o f fé d o it p a rfa item en t
53 l ’h a rm o n ie & .tou te s le s f in e f ie s . Ses, c om p o f i-
» tion s fo n t tqu te s d’ u n e h a rm o n ie p u r e , ju f ie ,
” fa c i le à fa ifir ; & fe s a c c om p a g n em en ts , q ù o iq u e
» p le in s q n an d i l iç fau t ^ n ’é to u f fe n t jam a is la. v o ix .
” S e s p iè c e s à p lu f ieu r s p a rtie s r é c itan te s fo n t tou te s
” trè s -b ien t ra v a illé e s . O n t ro u v e dans to u te s fe s
” oe u v r é s le s m o d u la tio n s le s p lu s ré g u liè r e s ; & it
». é to it f i fe n fib le là-.d efîùs , q u ’i l é to it b le f fé de la
p p lu s p e t ite du re té dans l a m o d u la tio n : fa m é lo d ie
’ 3 e f l u n e de s p lu s a g r é a b le s q u e l ’o n p u if le trou«
»J1 v e r , & c e n ’e f l p a s t ro p dire. Q u o iq u e le s airs
>3 d e M . G raun n e m ah q u en t n u llem e n t d e fe u ,
,J3 c e p e n d a n t i l réu flifToit g é n é ra lem en t m ie u x dans
» le s e x p r e ffio h s a g r é a b le s , d o u c e s 8c ten d re s . S e s
33 adagio fu r - to n t fo i it d e s c h e f - d ’oe u v r e s & a n -
» n o n c e n t p a rfa item en t la d o u c e u r , l ’am én ité &
3> l ’a ffa b ilité d e fo n c a ra é lè re v ,
Tous les compofiteurs que nous avons nommés
avoient formé - en • partie leur goût fur celui des
maîtres italiens, dont la mufique étoit adoptée &
applaudie fur tous les théâtres d'Allemagne ; mais
ils avoient, .• en même tems confervé un caraélère'
particulier tenant au goût national, parce qu’ils
avoient mis en mufique des poèmes allemands
avant de travailler fur des poèmes italiens , & que
le caraélère de la mufique a des rapports nécef-
faites avec Faccent & la déclamation de la langue
à laquelle elle s’afTocie. Ces, differents maîtres
forment donc une efpèee d’école mixte où le goût
italien, eff modifié par une teinte très-fenfible de.
germanifme. Il s’eff élevé au milieu d’eux un homme
q u i, ’ né avec un talent rare & un goût exquis , fe
forma ccfiu&e les autres fur la mufique des habilee