
241 C H A
8ç de carefies. II lui demanda comment il pouvoît
allez récompenfer tant de talens, & l’affu a qu’il
ne lui refuferoit rien. Farinelli, qui étoit prévenu ,
pria feulement Sa Majefté de fe faire rafer & habiller,
ce qu’Elle n’avcit.pas fait depuis long-temps,
& de tâcher de paraître au Confiil comme à ion
ordinaire. Depuis ce temps la maladie du Roi diminua
fenfiblement, & le chanteur eut tout l’honneur
de cette cure.
Dès-lors le Roi ne put plus fe paffer de lui ; il lui
accorda une penfion de 80,000 livres, & le fit Chevalier
de l’ordre de Saint-Jacques. Il l’éleva enfin à
un tel degré de faveur, que Farinelli étoit regardé
comme fon premier Miniftrei Ce qu’il y a de plus
extraordinaire, c’eft qu’au lieu d’être étourdi & enivré
de fon élévation, il n’oublia jamais qu’il n’étoit qu’un
itiuficien. Il mit tant de. modeftie & d’égards dans
fes relations avec les Nobles delà Cour d’Efpagne,
que perfonne n’envia fa faveur,.& qu’il obtint même
l’'eftime^& la confiance générales.
, Son crédit fut à-peu-près le même fous le fuccef-
feur de Philippe , Ferdinand V I , qui ajouta l’ordre
de Çalairava à celui de Saint-Jacques , dont Farinelli
étoit déjà décoré. Mais à l’avénement du dernier
R o i, en 17 5 9 , le,nouveau Monarque & le
nouveau Miniftre n’étant favorables ni à la mu-
fique., ni aux établiffemens du régne précédent,
Farinelli eut ordre de retourner en Italie. Sa penfion
lui fut cependant continuée, 8c il eut la per-
miflioad’emporter tous fes effets. Il partit d’Efpagne,
où il étoit relié vingt ans : après a,Voir vifité Naples,
fa patrie, il allai fe fixer à Bologne , en 1761. Il fit:
bâtir dans les environs un palais fuperbè;, où il a
paffé le relie de fa vie { chéri des habitans de Bolo
gne, vifité par les plus illuftres ; Voyageurs , &,
toujours auffi Ample , aufli mioflefte dans fon opulen
ce , qu’il l’avoit été dans fa faveur à, la Cour. 11
y ell mort en 1782 , âge dé plus de 80 ans.
Il eut pour rival,, dans une partie de fa carrière mu-
fi cale , le célèbre Caffarelli, qui.l’égala peut-être
en réputation & en talens , mais non pas en honnêteté
& en modeftie. Porpora , qui déteftoit fon in-
folence, le regardoit cependant comme le plus grand
chanteur qu’eut jamais produit l’Italie. Il parut pour
la première fois à Rome, en 17 16 , dans l’opéra de
Jïaldemaro ; delà il fut fucceflivement appelle dans
toute l’Italie , 8c bientôt dans toutes les principales
yîlles ' de l’Europe.
En 1753 , le. Maréchal de Richelieu le fit venir
en France pour fatisfaire la curiofité de la Dauphine
, qui avoit témoigné un extrême defir de l’entendre.
Avant de. retourner à Naples , il chanta une
.feule fois au concert fpirituel, & quelques amateurs
fe fouvîennent encore de la fenfation. qu’il y
fit. Il amaffa de grandes richeffes, dont il jouit longtemps
à Naples.;, dans‘une maifon magnifique qu’il
.y avoit bâtie , & fur-laquelle on lifoit cetté inferip-
tion : Amphion Thebas, ego domum. 11 y eft mort en
£783 , après avoir acheté un duché .pour fon neveu,
C H A
qu’il a fait fon héritier, & qui porte maintenant le
titre de Duc de Santo dorato. ( Doéleur Burney,
hiß. gên. de la rnußque. )
Dansle même temps, Elifi, Giziello, Manzoli,en-
fuite Guadagni, Guarducci, 8c plufieurs autres plus
ou moins fameux, remplirent les théâtres italiens 8c
étrangers. Pacchierotti 8c Marchefi ont foutenu dans
•' ces derniers temps la réputation des , écoles d’Italie,
Marchefi paffe aujourd’hui pour le premier chanteur
de l’europe.-
Un nombre infini d'excellentes’cantatrices fe font
fuccédées fans interruption , depuis près d’un fiècle.
Le nom des Gabrieli, des Mingotti, des deVAmicis,
a été célèbre avant celui des Aguy a ri, des Danzi,
des Mara, des Todi. Elles avôient été pr-écédéés
par des talens peut-être aufli difiùigués, 8c plus éton-
nans encore , parceqii’ils' étaient les premiers, &
j que dans un art tout nouveau ils atteignoient à une
iperfe&ion qu’on a pu à peine égaler depuis. A cette
première époque , deux ou trois cantatrices fe partagèrent
fur tout les fuffrages. Leur éloge ne peut être
ici déplacé : il éft intlreffant de fixer les yeux
fur celles qui Ont pour ainfi dire ouvert la route, &
d’en rappelle? le ffoüvenir. Des talens fi brillans,
•mais fi paffagers, ne laiffent après eux aucune trace
que ce vain bruit de louanges.
Vittoria Tefi, de Florence, élève de Redi St de
Çhmpeggi, réunit à l’inflexion de voix la plus pathétique
, à Fmtoflation la plus jufte, à une prononciation
claire, diftinéle , fonore, au port le plus
noble 8c le plus diftingué , une connoiffance de la
fcène, une aélion admirable, une exprefîion fur-
prenänte de tous les difîerens caraâères. Elle fut
non-feulement la meilleure cantatrice, mais aufli
la première aéïriee de cet âge.
Faußina. Bot dont, dé V enife, élève de Gafparini,'
excellent contrepointifte, devint également célèbre
par fon propre mérite 8c par le bonheur d;être l’é-
pôufe du fameux Haffe, plus connu èn Italie fous
le nom dé Saffone. Agilité de voix fans exemple,
facilité fans égale, légèreté dans les paffages, adreffe
infinie à conferver 8c à reprendre fon haleine,
inflexions de voix neuves 8c brillantes, mille autres
qualités enfin dont le prix 8ç la rareté firent l ’étonnement
de tous les coniioiffeurs, ont rendu le
nom de cette cantatrice immortel comme celui de
fon époux.
A ces deux célèbres virmofés joignons-en une
troifième, moins diftinguée par la perfection de fon
chant que par un autre mérite plus refpeâable aux
.yeux du philofophe, On connoit les malheurs dont
Metàftafe fut accablé dans fa. jeuneffe, après la
mort de fon premier bienfaiteur Gravina. Non-
feulement on lui refufa un miférable emploi pour
vivre, non-fèulemenf i l f ç vit prêt à périr de,faim,
mais ce qui fait frémir to.üs les coeurs fenfihles ,'en
Italie ,^ dans cette ville même qui devrait être
aufli fiere de l’avoir produit qu’elle l’eft de fon
capitole 8c de fes anciens triomphes, ^il eut à fubir
c H A
une procédure ignominienfé. L ’Europe aurait perdu
pour toujours -cè. gVand poète, fi la fameufe cantatrice
Marianria Bulgarina ne l’eût retiré de l’in-
dioence 8c ne l’eût rendu à la vie* Gette oeuvre de
l’amour 8c de la générofité mérite d’être inferite
dans les faftes, trop peu remp lisses venus humaines
, 8c dénoncée à la recOnnoiffance étemelle
des arts. fArtéaga , Révolutions du Théâtre L y rique.
)
P s’en faut beaucoup mue çe foient -là tous' les
chanteurs 8c tou es le s ‘‘cantatrices célèbres qu’a
produits l’Italie. Ce n’eft'mê'mé .qu’une partie de
ceux du premier rang; mais il ferait inutile d’augmenter
cette lifte: 11 fefoit très-utile-en revanche
d’expliquer par quelle méthode les écoles italiennes
font depuis 11 long-tems la fource inépnifable de ces
talens prodigieux. Maintenant que les préjugés nationaux
font détruits , qu’en France on eft défabufé
de la chimère d’uiie mufique françoife, 8c que nos
chanteurs tâchent prefque tous de bonne foi d’imiter
lés chanteurs d’ Italie, ce ferait rendre feryiceà
l’art que d’en dévoiler les fecrets ; nous pourrions
trouver dans plufieurs traités italiens, dans les con-
feils d’habiles profeffeurs, 8c dans les c o n v en tions
d'un grand maître , les lumières qui nous
manqueraient pour remplir cette tâche ; mais nous
ferions un ouvrage 8c pon pas un article. Pour nous
renfermer dans -de jufles bornes, contentons- nous
de jetter rapidement quelques réflexions 8c quelques
principes.
On veut imiter les chanteurs italiens, on les
écoute attentivement : on retient quelques paffa-
ges, quelques ornemens, quelques-uns de ces
rifionnïenù del canto , dont ils abufent quelquefois
par trop de facilité, mais q.ui deviennent ridicules
quand cette facilité y manque : on les tranfporte fur
notre langue, dont l’auffèritè peut en effet être
adoucie. mais jamais au point dé fe donner impunément
les mêmes licences que la langue italienne.
On fe croit alors égal ou même fupérieur à
ce qu’on imite fi mal, 8c l’on parle fort légèrement,
quelquefois même avec mépris, de ces talens fi
Vantés que Fon croit fi aifè d’acquérir.
Qu’ eft on cependant aux yeux des vrais connoif*
feurs ? un finge mal-adroit, un •miférable perroquet
; on efi enfin- pour le chant ce que ferait
pour la danfe un homme allez fouple, allez agile,
mais dépourvu dé tout principe, q u i, voyant tous
les jours danfer un VeAris, un Gardel, parviendrait
faifir quelques-ui>s de leurs pas , de leurs
élans, de leurs geAes , 8c q u i. lès plaçant de travers
ail n^iliçu d’1111 bal, croirait égaler fes modèles.
; Ces ornemens', ces rifiorimenti, plus ou moins
difficiles à faifir, ne font pas le fond de l’art du
phant ; ils en iont, fi l’on veut, le perfeéfionnè-
jnent; mais on peut dire qu’ils font plutôt luxe que
riçhéffe.
f e yéfltablp riche|îe çlu chant efi la juflqfîe 8c la
C H A 245
rondeur des Tons , l’étendue naturelle ou artificielle
de la v o ix , l’art de la renforcer 8c de l’adoucir
à volonté, celui de la faire fortir pure ,
large , pleine, 8c dégagée de toute influence gutturale
8c nafale, celui clc ménager Fhaléine , de la
prolonger au-delà de fa durée ordinaire, 8c de la
reprendre impercepfLbleraènt ; celui de lier les fons.
enir’eux, de les enfler 8c de les diminuer par degrés
infenfibles ; celui de paffer avec adreffe de la voix
dp poitrine à celle de tête 8c réciproquement, 8c de.
travailler tellement les plus hauts foiis. de la première
8cles plus bas de la fécondé, qu’en fç fuc-
cédant ils paroifferit de la même force 8c du même
• volume : c’eff enfuite une belle articulation , une
prononciation nette 8c difiinélê ; ç’efi enfin une
forte de déclamation chantante dont la • fource eft
dans l’ame , 8c qui donne à la mufique expreflive^
de quelque caraifière qu’elle, foit, le genre d’expref-
fion qui lui convient.
Voilà une légère efqiiiffe de ce qu’il faut acquêt
rir avant que de paner aux agrémens du chant*
Lorfqu’üne étude longue 8c conAânte^vons aura
rendu maître de tous ces points çffentïels qui font
le côrps de Fart, vous y joindrez facilement ce
qui n’en efi que la parure : mais fi e’efi par cette
parure que vous voulez commencer, elle fera toujours
incomplette , comparée de pièces mal;: amorties
8c placées au halard : vous n’aurez qu’un
habit d’arlequin , d’autant plus ridicule qu’il fera
vuide, 8c qu'on s’apperçcvra facilement qu’il n’y
a rien deffous.
Si vous vous fentez le courage d’entreprendre
la véritable étude de l’art du chant, fi vous êtes
affez jeune pour avoir cette foupleffe d’organes
qpi fe prête également à acquérir. 8c à prendre
des habitudes , efforcez - vous, d’abord d’oublier
tout ce que vous croyez favoir. Je ne vous dirai
pas de faire 8c de répéter fouvent la gamme,
vous n’en êtes pas encore là. Avez-vous une voix
de tenore ? commencez par vous affûter des fons
qu’elle poflede .réellement-. 8c de fa véritable étendue.
Pour cela, chbififiez le fon qui vous eft le
plus naturel 8c le'plus facile : ce fera un fol par
exemple : donnez.ee fui de toute .la force- de votre
voix , mais fans ferrer la gorge . fans chercher ce
qu’on appelle en France du mordant, 8c ce qui
mord en effet les oreilles fenfibles.. Faites fortir-
le fon, comme je Fai dit plus haut, pur , large,
plein , & dégage' de toute influencé gutturale &
natale.
Dçfcendez enfuite un ton plus bas , 8c tâchez
d'entonner le fa de la même manière. Delà paffez
au mir, 8c voyez bien fi voue voix ne commence
point à foiblir j à vaciller , à fortir avec moins
de jufteffç , de plénitude 8c de rondeur. Je fiip-
pofë qu’elle defeeride ainfi jufqu’au re ; mais que
fi vous voulez la faire aller plus bas , 'vous trouvez
déjà queiqu’obftacle 8c quelque diilicuîté >•
1 ^rrètez-yous là ; teuçz-Yous pour dit que Y ut gray^