
comptait la mufique; & la lyre à fept cordes etoic
regardée comme une de fes inventions. Nous avons
vu dans l’article Egyptiens , que celle qui fut inventée
par le Mercure d’Egypte n’avoit que trois
cordes j cette différence futfit-elle pour en établir
une entre ces deux Mercure? C ’eft ce qu'au fond il
importe fort peu d’examiner ; mais on lait que les
Grecs , lorfqu ils deifioient quelqu’un de leurs héros,.
recouroieut ordinairement à la théogonie égyptienne,
d’où iis ejnpruntoient un nom pour leur nouveau
dieu; & dans la fuite on attribuoit louvent à
cclui-çi les aâ ions du dieu donc il portoic le nom.
Apollon eft encore un de ces dieux dont l’origine
parole égyptienne j mais de toutes les qualités qu’on
lui attribue, ne conlidérons ici que fes qualités mu-
fîcales. On fait que Pan prétendit, avec fa flûte à
tuyaux , le difputer à la lyre d’Apollon. Midas fut
choiii pour juge : il décida en faveur de P an , & deux
oreilles d’ânes furent le prix de cette belle décifion :
on reconnpît dans cette fiction la vengeance de quelque
poète mépiifé par l’imbécile roi de Phrygie.
M a r fy a s , autre joueur de flûte, vaincu par Apollon
, n’en fut pas quitte à fi bon marché que Pan &
Ion admirateur: le dieu, défié trois fois par ce flû-
t cu r ,.q u i ne vouloir pas avouer fa dé fa ite , l’écorcha
tout vivant. Cette cruauté eft une tache dans
i ’hiftoite du dieu des beaux-arts. Diodore prétend
qu’il eu eut un tel repentir, ’qu’il brifa les cordes de fa
lyre , ce qui retarda, d i t - il, pendant quelque temps
les progrès de ce bel inftrument.
Malgré tous les monumens anciens qui repréfen-
tent le fopplice de M a r fy a s , SC le témoignage des
auteurs qui l'attellent, un écrivain moderne (Fortunio
Liceti. Hierog. cap. 109 ) l’a regardé comme purement
allégorique, & en a donné ^explication fui-
vante, Avant l’invention de la lyre , la flûte étoit
regardée comme le premier des inftrumens, & en-
richilToit tous les muficiens qui favoient en jouer.
L a ly r e , dès qu’elle fe fit entendre , la mit dans un
tel diferédit, que les joueurs de flûte furent tous
ruinés. C ’eft ce qui fit dire qu'ApolIon avbit enlevé
la peau de Marfyas , le meilleur Auteur de fon temps ;
ce qui paroîc d’autant mieux imaginé, que lamonnoie,
félon P o llu x, étoit alors de cuir. Cette punition, dit
M* Burney, a fouvent été infligée, dans nos temps
modernes , à l ’infériorité , non-leulement par des ta-
lens fupérieurs, mais aufli par la mode.
L a victoire qu’Apollon remporta fur le Erpent
Python lui fît donner le nom de Pytkien, & celui de
Pythie à la prêtreffe de Delphes, qui rendoit fes
oracles..Elle les prononçoic d’abord en vers & même
en mufique. Lucain dit ;
Sive catiet fatum, feu quod jubet ille canendo
f i t fatum.
ôc fé lo n P lu ta rq u e , la voix, de la prêtreffe éto it a c -
compagnie du fon de la flûte. A cette Pythie on joignit
dans la fuite cinq grands prêtres pour les fa -
crifices, un grand nombre de prêtres inférieurs, de
milic iens , de joueurs d’inftrumens, & des choeurs de
jeunes gens des deux fexes, qui danfoient & chan-
toiént, aux fêtes d’A p o llo n , au fen des flûtes & des
lyres. . '
Les Mufes n’étoient, dans l’origine, qu-ianç troupe
de chanteufes & de muficiennes au fervice d’Ofiris
’ ou du grand Bacchus égyptien, fous la direction de
1 fon fils Orus : les Grecs en firent des filles de Jupiter
& de Mnémofyne. Si d’autres prétendent que les
Mutés étoient Hiles de Piérus , roi de Thraco, c’eft
que les muficiennes d’Ofiris avoient d’abord été
célèbres dans la Thrace fous le nom de Mufes, & les
filles de ce Piérus, qui les imitoient par leurs talens,
devinrent célèbres fous le même nom.
On connoît les divers attributs de ces fuivantes
d’Apollon. Parmi les peintures antiques d’Hercula-
num, on a diftingué celles qui les représentent conformément
aux idées reçues , à quelques légères
diffé rences près. Mais i l exifte une épigramme de
Callimaque, qui établit une autre diilribution de
leurs emplois. L a v o ic i, traduite en latin par Natalis-
Cornes :
CAll io pe reperit fapientes provida cantus
Meroum. C liô cycharam clarijf.ma. Voçem
Mimorum E ü t e r p e , tragicis Ut ata qUerelis
Melpomene dulcem mortalibus addidit ipfa
JBarbiton. E t fuavis tibi tradita tibia fertur,
T er PSi c hoR-E. Divumque E rato mox promût hymnos.
Harmoniam cunclijque P olymnia cantibus addit. .
E uranie coeli motus atque aftra notavit.
Comica y,ita tibi efi morefque, T h a l ia , reperti.
Dans cette épigramme, Calliope conferve les
chants épiques ; Uranie, la fcience desaftres; Thalie,
le théâtre comique : mais C lio , mufe de l’hifloire,
n’a plus pour inftrument que la cythare ; Euterpe,
toujours peinte avec la flûce, préfide à la tragédie ;
Mdpomène, à qui elle étoit attribuée , a fait pré-
fent aux mortels du Barbyton ou de la lyre ; Terp-
fichore quitte cet inftrument, dont elle accompagnoit
la danfe, pour prendre la flûte ; Erato a inventé les
hymnes, au lieu de préfîder aux poéfies amoureufes;
& Polymnie, q u i , fclon les poètes, avoit l ’emploi
donné ici à E ra to, ou q u i , félon la peinture d’He r-
culanum, étoit la mufe de la Fable , n’a ici d’autre
fonction que de donner à tous les chants de l ’har-
moniç, c’eft-à-dire, de la douceur & de la grâce.
Bacchus a joué un rôle trop important dans la
mythologie m’uficale pour n’en pas faire ici mention.
C e fut lui, félon Diodore de Sicile, qui établit le
premier des repréfentations théâtrales & des écoles
de mufique, où ceux qui fe diftinguoiênt par leurs
talens pour cet art étoient difpenf'és de toutes fonctions
rions militaires. C ’eft pour ce la , dit cet auteur, que :
les muficiens raffemblés en compagnies ont fouvent
jo u i, depuis, d’un grand nombre de privilèges. C e
qui paroît certain , c’eft que les dithyrambes , qui
furent l’origine des repréfentâtions dramatiques ,
étoient aufli anciens que le culte de Bacchus; & l ’on
ne peut guère douter que les cérémonies de fes myf-
tères n’aient été la fource de la pompe & des illufîons
du théâtre. Audi ceux qui, dans Rome & dans Athènes
, paroifloient fur la fcène en chantant, danfant,
ou récitant des vers pour i’amufement du peuple, ;
étoient-ils appelés ferviteurs de Bacchus. -
Paufanias parle d’une place d’Athènes, confacrée : à Bacchus le chanteur, aiufî nommé , d it- il, pour ;
la même raifon qui faifoit nommer Apollon le chef
& le conduHcur des Mufes. On en peut conclure que
Bacchus étoit regardé par des Athéniens, n o n - fe u lement
comme le dieu du v in , mais comine celui
du chant. En e f fe t , dans toutes les orgies, procef-
fions, triomphes & folemnités inftituées par les Anciens
en l’honneur de ce dieu, la.mufique jouoit toujours
un grand rôle. Ce la eft prouvé par des fculp-
tures antiques, où l’on voit des muficiens & des
muficiennes qui chantent autour de lui , bu qui
jouent de la lyre & de la flûte ; & des Faunes & des ;
Satyres qui l’accompagnent avec des tambourins ,
des cymbales ou crotales & des cors«
Si nous paiTons des divinités du premier ordre
aux dieux terreftres ou au demi-dieux, Pan femble <
mériter la première place parmi ceux qui influèrent !
fur les progrès de la mufique; il n’eft même dans ;
cette clafle inférieure que fuivant la mythologie des 1
Grecs. Les Egyptiens l’avoient mis au rang de leurs 1
grandi dieux y mais c’eft aux opinions grecques que ;
nous devons nous conformer ici.
Pan fut l’inventeur de la flûte, fiflula, que les Grecs
nommèrent fyrinx ; & l’on fait la jolie fable à laquelle
cette invention a donné lieu. Syriux eft une
nymphe qui fuit les pourfuites du dieu Pan. Elle
fe fauve aux bords du Ladon ; elle implore les
nymphes du fleuve. Pan croit l’atteindre ; mais il
n’embraffe que des rofeaux. Sous cette forme nouvelle
, S yrin x, agitée par les vents , rend quelques
fons harmonieux ; & le dieu, charmé ae cette mélodie
, forme avec des rofeaux l’inftrument auquel
il donne le nom de cette nymphe cruelle.
Lucien repréfente Pan comme le miniftre, le
compagnon, le confeiller de Bacchus. Il étoit tour
à tour b erge r, muficien, danfeur . chaffeur & guerrier.
C ’étoit lui qui dirigeoit les Bacchanales; mais
furtout il jouoit fi parfaitement de la flûte, que Bacchus
n étoit jamais heureux fans lui.
Après le dieu Pan viennent les Satyres , dont les
plus anciens, félon Paufanias, étoient appelés Silenesy
à caufe de Silène, gouverneur de Bacchus. Silène
étoit fi bon muficien , qu’il inventa plufieurs inftrumens
de mufique. Il eut même, comme Marfyas , Mufique. Tome I,
le courage de défier Apollon; mais il efltau moinsjc
bonheur de fortir du conibat fans y laifler fa peau.
Les Syrènes, ces chanteufes célèbres des côtes de
Sicile , furent aufli mifes au rang des demi-déefles ;
elles étoient trois , Parthenope, Lygée & Leucofie.
Hygin place'leur naiffance après l’enlèvementde Pro-
ferpine : Ovide les dit filles d’Acheloiis, & de l'une
des Mufes. Selon les uns , elles étoient moitié
femmes , moitié poifTons ; félon d’autres , moitié
femmes & moitié oifeaux. D ’anciens monumens qui
fubfîftent encore , les repréfentent fous ces deux formes.
Paufanias dit que les Syrènes, par le confeil de
Junon , défièrent les Mufes'aux combats du chant,
& que les Mufes les ayant vaincues, arrachèrent les
plumes d’or de leurs ailes, & s ’en firent des couronnes
dont elles ornèrent leurs têtes.
Les Argonautes ne purent fe fouftraire à l’enchantement
de leurs v o ix , qu’en écoutant les chants d’O r phée.
On connoît le moyen qu’employa, pour s’en
garantir, Ulyfle , qui n’avoir pas fur fon vaifTeau un
chanteur aufli habile. Scion Bochart, le nom de
Syrène étoit phénicien & fîgnifîoit chanteufe. Il eft
probable qu’ il y eut anciennement fur la côte de Sicile
.des chanteufes célèbres, mais de moeurs corrompues,
qui donnèrent lieu à cette fable par leur talent
pour léduire les voyageurs La vi&oire des Mufet
fur ces dangereufes corruptrices eft: encore une de
ces fi étions ingénieufes de l’imagination des Grecs.
Si les Mufes ont confervé q'uelque pouvoir fur les e f-
prits modernes , on peut dire que les Syrènes font
bien loin d’avoir perdu leur influence. Chaque âge
a fes Syrènes, chaque Syrène fes feélateurs ; & lorfqùe
la beauté & les talens fe réunifient en elle s , on n’a
pas trop , pour leur échapper, de tout le fecours de!
Mufes.
V o ilà quel fut l’état de la mufique en Grèce, fou t
le gouvernement des dieux & des demi-dieux , c’e ft-
à-dire, dans ces temps d’innocence & de fîmplicité*
où tous ceux qui avoient inventé & enfeigné aux
hommes quelques arts néceflaires à la v ie , étoienc
déifiés après leur mort, & regardés comme les protecteurs
des arts qu’ils avoient inventés. V oyons
maintenant ce qu’elle fut dans les fîècles nommés
héroïques / mais comme il feroit difficile de dire quelque
chofe de certain fur la mufique de ces temps
reculés, bornons-nous à parler des muficiens célèbres
dont les noms fe font confervés , & furtout
dégageons leur hiftoire de ce qu’elle a d’aliégoriquç‘
8c de fabuleux.
Tous ces premiers muficiens, Amphion, Chiron^
Orphée ,L in u s , furent en même temps les premiers
poètes & les véritables inftituteursdu genre humain. Il
feroit inutile de pouffer plus loin cette énumération,
& de copier les laborieuses compilations de Fabricius
& de M . Burette : une notice abrégée de ce qu’il y a
de moins incertain fur ces héros confacrés par tant
de fiècles, fuffira pour donner une idée de ce que fuç
la mufique entre leurs mains. Bbbbb