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déjà dans la même famille propos & repos fd ’où
viennent propo/èr, propofable , proportion ; re-
pofer, repofée , repofoir.
Voici une cor redion à faire au contraire dans
les dérivés. Il eft d’ufoge d’écrire nez avec un z ,
à caufo du latin nantis, dont il n’y a pas d’inconvénient
de conferver la trace : pourquoi donc n’é*
criroit-on pas avec la même conforme na\al-, natalité
, na\tird, na\arde, na\arder, na\eau , nasillard
y nasiller l
La quatrième conféquence ; foroit de conforver la
conlonne finale du radical dans ceux même de fos dérivés
où elle eft muette, à moins que la pofîtiondans les
dérivés n’induisît à la prononcer. Ainfî , on a eu
raifon de fopprimer le p du radical corps dans les
dérivés corfage , corfelet, corfet, corfé, parce que
le j? y embarrafleroit la prononciation : ainfî, auroit-
on raiièn de fopprimer le p dans baierne, batifer,
Jean-Baùfle, batiflère, parce qu’on feroit tenté
de Vy prononcer comme il faut le prononcer &
l ’écrire dans baptifnal. Mais quand cette lettre radicale
ne nuit point à la prononciation , c’eft nuire
à Y Analogie que de la (upprimer : quoi de plus
inconfoquent, que de fopprimer au pluriel le t final
des mots de polylÿllabes terminés au fîngulier par
n t , quoiqu’on le garde dans les =■ mohofyllabes i
Pourquoi, en écrivant les dents, les chants, les
plants , les vents , s’obftine - t - on à écrire les
méchans, les tridens , les propos confotans , les
contrevens ? Pourquoi terminer de la même manière
, au pluriel, des mots qui ont des terminaisons
différentes au fîngulier, comme payfan &
bienfaifant , dont les féminins font payfane &
bienfaifante , & dont on veut que les pluriels masculins
foient payfarts & biénfaifans ?
Il foroit fuperfîu d’entrer là-deffus dans de plus
grands détails; il me fiiffit d’avoir mis fîir la voie:
mais je terminerai le tout par une remarque bien
lènfée de M. Changeux ( Biblioth• gramm. I. Mém.
ch. z. ) c« .L a Grammaire n’eft qu’un abrégé des
y> Analogies, & les Analogies font une Gram-
» maire détaillée : c’eft là tout l’efprit de l’art gram-
» matieal», ( M . B e a u z é e * )
A nalogie , fobft. f. ( B e ll. Lett. ) Sans compter
l ’accord de la parole & de la peniée , qui eft la
première règle de l’art de parler & d’écrire, nous
avons encore dans le ftyle plufîeurs rapports à ob-
forver , lefquels peuvent être compris fous le terme
d'Analogie. .
Par Y Analogie du ftyle en lui-même, on entend
l’unité de ton & de couleur. Le langage a différents
tons, celui du bas peuple, celui du peuple
cultivé , celui du Monde & de la Couf , qu’on appelle
familier noble, celui de la haute Éloquence ,
celui de la Poéfîe héroïque ; & dans toûf cela une
infinité de gradations & de nuances, qui varient
encore félon les âges, les conditions, & les moeurs.
Par l’unité de ton & de couleur, on ne doit pas
entendre la monotonie : le ftyle peut être homo-
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gène fans uniformité. C’eft dans la variété des
mouvements & des images que confifte la variété
du ftyle. Les tons différents dont je parle, font à
la langue ce que les divers modes font] à la Mu-
fique : chaque mode a fon fÿftême de ions analogues
entre eux ; chaque ftyle a de même un cercle de
mots, de tours, & défigurés qui lui conviennent, &
dont plufîeurs'ne - conviennent qu’à lui. C’eft dans
ce cercle que la plume de l’écrivain doit s’exercer :
& plus elle y confèrve de liberté , de vivacité, &
d’aifàncè ; plus , dans ces limites étroites, le ftyle a
de variété; . :.'f, . . ,r\ •. '■ r > • • •
1 Le ton le plus, aifé à prendre & à foutenir, après
celui du bas peuple, c’eft le ton de la hauteÉlo*-
quence & de la haute Poéfîe ; parce qu’il eft donné
par les bons écrivains , & qu’il ne dépend prefque
plus des caprices de l’Ufàge. Un homme au fond
de fà province peut, en étudiant Racine , Fenelon,
& M . de Voltaire , fo former au ftyle héroïque.
Le ton le plus difficile à faifir & à obfèrver avec
jufteffe, eft celui du familier noble : parce qu’il eft
le plus fojet de tous aux variations de la mode ;
que les couleurs en font aufli délicates que changeantes
; & que, pour les appercevoir, il faut un
fontiment très-fin & habituellement exercé. C ’eft
fur quoi les gens du monde font le plus éclairés &
le moins indulgents : toute la fàgacité de leur eC-
prit fèmble appliquée a remarquer les expreffion«
qui s’éloignent de ieur ufâge ; ou plus tôt, fans étude
& fans intention , ils en font frappés, comme par
inftind, & les bienféances de ftyle ont en eux des
juges aufli févères que les bienléanees de moeurs.
Voilà pourquoi un ouvrage dans le genre familier
noble ne peut guère être bien écrit, dans notre langue,
qu’à Paris, & par un homme qui fè foit formé au
milieu de cette fociété choifîe qu’on appelle leMonde•
• C’eft encore moins par la diverfîté des tons, que
par l’incertitude & la variation continuelle de leurs
limites, qu’il eft difficile d’obfêrver, en écrivant,
une parfaite Analogie de ftyle. Parler la langue
fîmple de l’honnête bourgeois , fans tomber jamais
dans celui du bas peuple; parler le langage noble
& familier de la Cour & du Monde, fans s’élever
jufqu’au ton de la Poéfîe & de l’Éloquence, fans
s’abaifler jufqu’au ton bourgeois ; donner à Chacun
la couleur & la nuance qui lui eft propre , & con-
fèrver fans monotonie cette Analogie confiante,
dans le degré de noblefïè ou .de fîmplicité qui lui
convient : voilà l’extrême difficulté.
A mefîire qu’une langue fè polit & que 1« goût
s’épure, les diversftyles s’affoibliffent & leur cercle
fè rétrécit. Le goût leur faifànt le partage des
termes & des tours propres à chacun d’eu x , une
partie de la langue eft réforVée à chacune des claffes
dont nous avons parlé, une partie aux arts & aux
foiences, une partie au Barreau , une partie à la
Chaire & aux ouvrages myftiques ; la profè même
eft obligée de céder aux vers une foule d’expref-
fîons hardies & fortes qui l ’auroient animée, ennoblie
, élevée, fi l’Ufàge les y eût admifes.
; A N ‘ A
Bien des gens regrettent la langue d’Amyot &
de Montaigne, comme plus riche & plus féconde :
c ’eft qu’elle admettoit tous les tons. Les écrivains
font aujourdhui les efolaves de l’Ufàge ; Amyot &
Montaigne en étoiçnt les rois.
On a prétendu que la diverfîté des tons, dans le
langage, tenoit à la diftin&ion marquée des différentes
claffes de citoyens dans une monarchie. Si
cela èft, heureux l’écrivain dont la langue eft celles
d’une république !
La même raifon nous fait porter envie aux anciens.
Peut- être leur langue avpit-elle des tons auffi
variés que la nôtre : -mais la gêne à laquelle ils
étoient fournis par rapport à Y Analogie, n’eft pas
fenfible pour nous. Prefque rien ne nous fèmble bas
dans les écrits des grecs & des latins: les nuances
délicates nous échappent, les inégalités du ftyle
ont difparu dans l’éloignement. Nous fommes bien ju ges
des chofès , mais nous ne le fommas pas des- mots ;
& ce n’eft guère que for parole que nous croyons Té-
rence & Horace plus élégants que Plaute & juvénal.
Il y a de plus, entre l’exprefïion & la penfée,
une autre efpèce d'Analogie ; & celle-ci eft donnée
ou par la nature ou par l’habitude.
Quand la parole exprime un objet qui, comme
elle, afïeéte l’oreille ; elle peut imiter les fons par
des fons , la viteffe par la viteffe, & la lenteur par
$a lenteur, avec des nombres analogues. Des articulations
molles , faciles , & liantes , ou rudes,
fermes, & heurtées , des voyelles fonores, des voyelles
muettes , des fons graves, des fons aigus, &
un mélange de ces fons plus lents ou plus rapides
for telle ou for telle cadence, forment des mots
qui, en exprimant leur objet à l’oreille , en imitent
Je bruit, ou le mouvement, ou l’un & l ’autre
à la fois : comme en latin, boatus, ululatus ,
fragor ,frendere, frémi tus ; en italien, rimbombare,
t remare; en françois, hurlement, gazouiller, mugir.
C’eft avec ces termes imitatifs , que l’écrivain
forme une focceffion de fons qui, par une reC-
fèmblance phyfîque, imitent l’objet qu’ils expriment :
Olli inter fefe magna, vi brachia tollunt
In numerum. . . . . .
S o u p ir e , étend les 'b r a s , ferme l’oeil , & s’ endort.
Les exemples de cette expreflion imitative font
rares, même dans les langues les plus poétiques.
On a mille fois cité une certaine de vers latins ou
grecs, qui, par le fon & le mouvement, reflèin-
blent à ce qu’ils expriment. Mais plût au Ciel que
notre langue n’eût que cet avantage à envier à celles
d’Homère & de Virgile !
Une Analogie plus fréquente dans les poètes anciens
& dans nos bons poètes modernes, eft celle
du ftyle qui peint, non pas le bruit ou le mouvement
, mais le cara&ère idéal ou fènfîble de fon
objet. Cette Analogie confifte non feulement dans
l’harmonie, mais for tout dans le colpris. Alors le
ftyle n’eft pas l’écho , mais l’image de la nature :
il eft doux & lent dans la plainte, impétueux dans
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la colère, rompu dans la fureur; ij peint lé trouble
des efprits comme celui des éléments.
Ilia graves oculos eonata attollere , rursus
Déficit : infixum Jîridet fub pectore vulnus.
Ter, Ce fe attollens cubitoque innixa , levavit;
Ter revoluta toro cfi : oculifque errantibus alto
Qiieejivit cala lucem, ingemuitque repertâ.
Cette forte d’Analogie foppofè un rapport naturel
, & une étroite correspondance du fèns de la
vûe avec celui de l’buie , & de l ’un & de l’autre
avec le fons intime , qui eft l’organe des pafiions.
Ce qui èft doux à la vûe nous eft rappelé par
des fons doux à l’oreille, & ce qui eft riant pour
l’ame nous eft peint par des couleurs douces aux
yeux. Il en eft de même de tous les caractères des
objets fonfibles ; le tour, le nombre, l’harmonie,
le coloris du ftyle peut en approcher plus ou moins :
mais cette reflèmblance eft vague, & par là peut-
être plus au gré de l ’ame qu’une imitation fidèle;
car elle lui laiffe plus de liberté de fè peindre à
elle-même ce que i’expreffion lui rappelle ; exercice
doux & facile qu’elle fo plaît à fè donner.
L ’Analogie d’habitude, eft celle que des imprefo-
fîons répétées ont établie entre les lignes de nos
idées & nos idées elles-mêmes.
C ’e ft, comme nous l’avons dit , la première
règle de i’art de parler & d’écrire , que l’expreffion
réponde à la pensée. Mais obforvons que cètte
liaifon qui le plus fouvent eft commune à toute
une filiation d’idées & de mots, eft quelquefois
aufli particulière & fons foite, for tout dans le
langage métaphorique. On dit la vertu des plantes,
on ne dit pas des plantes vertueufes. On dit que
le travail eft rude , & on ne dit point la rudejfe
du travail. On dit voler à fleur d'eau, & on ne
dit pas que l’eau eft fleurie. On dit le myflêrè
pour le fecret, & on ne dira point ( comme a fait
le tradudeur des poéfîes de U tz , poète lyrique
allemand ) les myrthes myflérieux, pour d ire, qui
font Vafyle du myflère. Mais en prenant une idée
plus vague, on dira, un ombrage myflérieux. Quelquefois
même un fîmple déplacement des mêmes mots
change le fons : achever de fe peindre, 8c s'achever de
peindre, ne fîgnifient point la même chofo. Voyez
A ch e v e r . L ’Analogie des mots entre eux n’eft donc
pas une raifon de les appliquer à des idées analogues
entre elles : l’Ufoge n’eft pas conséquent.
Ofefervons aufli que la liaifon établie entre les
mots & les idées, eft plus ou moins étroite , félon
le degré d’habitude ; & que de là dépend for tout
la vivacité , la force, l’énergie de l’expreffîon.
Toutes les fois qu’on veut dépouiller une idée
d’un certain alliage qu’elle a contradé, dans fon
expreffion commune, en s’affociant avec des idées
baffes, ridicules , & choquantes ; ôn fait bien d’éviter
le mot propre, c’eft à dire, le mot d’habitude.
De même, lorique par des idées àccefloires on veut
relever , ennoblir une idée commune ; au lieu de
fon expreffion fîmple & habituelle, on a raifon