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Ces vers bourfoufflés font fonores î ils itirprirellt
long temps la multitude , qui, iortant à peine de fo
croflièreté, & qui plus eft , de l’infîpidité ou elle
avoit été plongée tant de fîèclés, étoit étonnee &
Tavie d’entendre des vers harmonieux ornes de grandes
images. On n’en là voit pas allez, pour fontir 1 extrême
ridicule d’un roi d’É gypte, qui parle, comme
lin écolier de Rhétorique, d’une bataille livrée au
delà de la mer Méditerranée, dans une province
qu’il ne connoît pas, entre des-‘étrangers qu’il doit
également haïr. Que veulent dire des dieux qui n ont
ofo juger entre le gendre & le beau-père, & qui cependant
ont jugé par l’évènement , foule manière
dont ils étoient cenfés juger ? Ptolomée parle de neuves
près d’un champ de bataille où il n’y avoit point
de fleuves : il peint ces prétendus fleuves rendus rapides
par des débordements de parricides ; un horrible
débris de perches qui portoient des figures d aigles
de charettes callées ( car on ne eonnoïiioit
point' alors les chars de guerre) ; enfin des troncs
pourris qui fo vengent, & qui font la guerre aux vivants.
Voila le galimathias le plus complet qu on put
iamais étaler, for un théâtre. I l fafloit cependant p*u-
fieurs années pour déc lier les yeux du Public, &
pour lui faire fontir qu’il n’y a qu à retrancher ces
vers pour faire une ouverture de fcène parfaite.
VAmplification, la déclamation, l ’exageration
furent de. tout temps les défauts des grecs , excepte
d e , Démofthène & d’Ariftote.
Le, temps même a mis le foeau de 1 approbation
prefque univerfelle à des morceaux de Poefîe ab-
furdes, o^rce qu’ils étoient mêlés à des traits ebiouit-
fânts- qui répandoient leur éclat for eux ; parce que
les poètes qui vinrent après, ne firent pas mieux,
parce que les commencements informes de tout art
ont toujours plus de réputation que l’art perfectionne ;
parce-que celui qui joua le premier du violon tut
yeg-rdé comme un demi-dieu, & ^ue Rameau na
eu que des ennemis; parce qu’en general les_hommes
jugent rarement par eux-mêmes, qu ils foivent
Je torrent, & que le goût épure eft prefque aufli
jare que les talents. , v* j
Parmi nous aujourdhui la plupart des formons, des
eraifons funèbres, des difcours d’appareil, des harangues
dans de certaines cérémonies, font des .Amplifications
ennuyeufes , des lieux communs cent &
cent fois répétés,' 11 faudroit que tous _ces difcours
fufient très rares pour être un peu fopportabies.
Po rquoi parler quand on n’a rien à dire de nouveau.
Il eft-temps de mettre un frein à cette extrême intempérance;
& par conféquent de finir cet article.
( V o l t a ir e , )
♦ AMPOULÉ, adf. ( Belles-Lettres.) Le Projïcii
ampullas d’Horace femble avoir donné lieu à cette
expreflion figurée. On appelle un ftyle , un vers,
un difcours. ampoule' ,. celui ou 1 on emploie de
grands mot? à exDrimer de petites chofes , ou la
force de Fexpreftïon Ce déploie mal à propos , ou
la parole excède U penfée , exagere le fenumsct.
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Il n’eft point d’expreflions, dont l’énergie ou l’&
lévation ne trouve la place dans le ftyle : mais il
faut que la grandeur de l’objet y réponde ; & de
la juftefie de ce rapport, dépend la juftefié de
l ’expreftion. Qu’un autre que Phèdre penfat que
Ion amour pût faire rougir le foleil, ce foroit du
ftyle ampouléMais apres ces vers:
Noble & brillant auteur d’une iliuftre famille,,
T o i, donc ma mère ofoic le vanter d’être fiUe;j '
il eft tout fîmple & tout naturel que la fille de
Pafiphaé ajoute :
Qui peut être rougis du trouble où tu me vois.
Il n’eft pas moins naturel que la fille de Minos,
juge des morts , fo reprélente fon père épouvanté
du crime de fa fille inceftueufo, & laiffant tomber „
en la voyant, l’urne terrible de fes mains*
Miférable 1 5c je vis ! & je foutiens la vue
- De ce facré foleil dont je fuis defcendue ! B
J’ai pour aïeul le père & le maître des dieux ÿ
Le ciel, tout l’univers eft plein de mes aïeux:
Où me cachet î Fuyons dans la.nuît infernale.
Mais que dir-^e ? Mon père y tient l’urne fatale ;
Le fort, dic-on , l’a mite en fes févères mains ;
Minos juge aux enfers tous les pâles-humains.
Ah ! combien frémira fon ombre épouvantée , |
Lorfqu’il verra fa fille , à fes yeux préfentée
Contrainte d’avouer tant de forfaits divers v
Et des crimes peut-être inconnus alîx enfers î
Que diras-tu, mon Père , à ce fpedacle horrible ?
Je crois voir de ta main tomber l’urne terrible.
De même -, après le feftin d’Atrée , père d’A -
gamemnon , qui fit reculer le foleil , ' il n’y a-
aucune exagération à foppofor que Clytemneftre,
pour un crime qui lui paroit fomblable, difo au
foleil :
Recule : ils t’ont appris ce funefte chemin.
L ’art d’èlever naturellement le ftyle à ce. degré-
de force., co.nfifte à y dïfpofor les- efprits par des
idées qui auterifont la hauteur de_ l’expre/fion.
L e Moi de la Médëë de Corneille eft fublime,,
parcé qu’il eft dans la bouche d’une magicienne
lameufo ; fans cela, il foroit extravagant & ridi-
De même il n’appartient qu’à la Gorgone;, de
dire ;
Les traits que Jupiter lance du haut des cieux/,
N’ont rien de plus terrible
Qu’un- regard de mes yeux.
De même ce vers dans la bouche d’0 /ftave3
Je- fuis maître de moi comme de l’univers ,
; n’eft qu’une- expreftion noble & fîmple*
De même après ces vers.,
Je n’appelle plus Rome un enclos de murailles ,
Que' fes; profaigtions comblent de funérailles ;
A ME '
oertorlué p'éfit ajouter :
Et comme autour de moi j’ai tous fes Y fais appuis J
Rome n’eft plus dans Rome , elle eft toute où je fuis.
Le ftyle-ampoulé n’eft donc jamais qu’un ftyle
élevé outre mefore.
On a d it , des plaines de Jung , des montagnes
de morts ; & lorfque ces exprelfions ont été placées,
elles ont été juftes. Qui jamais a reproche
de l’enflure à ces deux vers de la Henriade 7
Et des fleuves françois les eaux enfanglantees,
Ne portoient que des morcs aux mers épouvantées.
Longin, dans fon Traité du Sublime, cite comme
une expreflion ampoulée , Vomir contre^ le ciel î
mais fi on difcit de Typhoé , qu’il a vomi contre le
ciel
Les reftes enflammés de fa rage mourante,
l ’expreflion foroit naturelle.
Dans la tragédie de Théophile , Pyrame, croyant
qu’un lion a dévoré Thisbé, s’adreffo à ce lion , &
jui dit :
Toi j fon vivant cercueil, reviens me dévorer.
Cruel Lion , reviens ; je te veux adorer :
S’il faut que ma dé elfe en ton fang fe confonde ,
Je te tiens pour l’autel le plus facré du monde.
Voilà ce qui s’appelle de l’ampoulé : l’exagération
en eft rifîble à force d’être extravagante.
Mais c’eft une erreur de penfor que les degrés d’é-
iévation du ftyle foient marqués pour les divers genres.
Dans le Poème didaéiicyae, le plus tempère de
tous, Lucrèce & Virgile fo font élevés aufli haut
qu’aucun poète dans l’Épopée.
Lucrèce a dit d’Épicure : «Ni ces dieux, ni leurs
» foudres, ni le bruit menaçant du ciel en courroux
» ne purent l’étonner. Son courage s’irrita contre les
» obftacles. Impatient de brifor letroite enceinte de
» la nature, fon génie vainqueur s’élança-au delà
5) des bornes enflammées du monde , & parcourut à
» pas de géant les plaines de l’immenfîté ».
On fait de quel pinceau Virgile, dans les Géorgi-
ques , a peint le meurtre de Céfor.
La Fontaine lui-même, dans l’a p o lo g u e a pris
quelquefois le plus haut ton : il a ofé dire du
chêne :
Celui de qui la tête au ciel étoit voifine ,
Et dont les pieds touchoient à l’empire des morts.
(€[ Il a ofé dire, en parlant de l’Aftrologie $
Quant aux volontés fouveraines
De celui qui tait tout, & rien qu’avec deffein ;
Qui les fait, que lui feul ? Comment lire en. fon fein ?
Auroit-il imprimé fur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans fes voiles ? )
L e naturel & la vérité font de l’efience de-tous les
genres : il n’en eft aucun qui n’admette le plus haut
ftyle, quand le fojet l’élève & le foutient; il n’en eft
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%üC7ih ou de grands mots vides de fons, des figures
exagérées , des images qui donnent un corps gigan-
tefque à de petites penfées, ne faflënt de l’enflure ,
& ne forment ce qu’on appelle un ftyle àmpoulé.
L ’Épopée , la Tragédie, l'Ode elle-meme , ne
demandent plus de force & plus de hauteur dans les
idées , les fontiments, & les images , qu’autant que
les fujets qu’elles traitent en font plus fùfoeptibles ,
& que les perfonnages qu’elles emploient , font fup-
_po£es avoir plus de grandeur dans l ’ame & d’élé^i
vation dans l’efprit.
II' en eft de même'de la haute Éloquence : tout
doit y être vrai, ou refièmblant au vrai ; & non
feulement les figures, mais les mouvements oratoires
font tous fournis à cette règle. Métaphore , exclamation
, imprécation , apoftrophe, profopopée , hy-
potipofè, tout ce qu’il y a de plus véhément devient
froid ; tout ce qu’il y a de plus noble & de plus fé-
rieux devient grottefque & ridicule , dès que le
faux, l’outré , l ’enflure enfin s’y fait appercevoir.
Or la vérité relative dont il s’agit, eft dans le rapport
de proportion , non feulement du ftyle avec la
chofe , mais du ftyle avec la perlonne dont on parle
ou qui parle elle-même. Rien n’eft fi accablant dans
la réplique que le ridicule jei^îir une emphafe déplacée
: c’eft à cette di[convenance du langage avee
.l’orateur, que Démofthène s’eft attaché dans fo harangue
pour la couronne, en réfutant la péroraifon
d’Efehine fon accufoteur.
« O terre ! 6 foleil ! ô vertu , avoit dit Efohine ;
» & vous fources du jufte difoernement, lumières
« naturelles & lumières acquifes, par où nous dé-
» mêlons le bien d’avec le mal, je vous en attefte :
» j’ai de mon mieux fecouru l’État, & démon mieux
» plaidé fo caufo ».
Ce n’étoit là qu’un lieu commun , qu’une déclamation
ampoulée , que la conduite & lés moeurs ‘
d’Efohine ne rendoient pas fort impofonte. Aufiï*ae
quel ton Démofthène y répondit !
ce Que penfez-vous , dit-il aux juges, de cet
» hiftrion travefti, qui, comme dans une pièce tra-
» gique, s’écrie : O terre ! ô fo le il ! ô vertu ! Qui
» invoque les lumières naturelles & les lumières
» acquifes qui nous éclairent fîir le difeernement du
» du bien & du mal 7 car je'ne fùrfais point ; vous
» l’avez entendu proférer de telles paroles. Vous
» Efohine, le réceptacle de tous les vices, par où,
» vous & les vôtres, avez-vous quelque commerce
» avec la vertu l Par où difoernez-vous le bien d’a-
» vec le mal? Dans quelle fource avez-vous puifé
» ce talent lumineux ? Par quel endroit Pavez-vous
» mérité ? Et de quel droit prononcez-vous le nom
» de lumières acquifes » ?
On voit par cet exemple qu’une raifon folide vaut
mieux que cent exclamations vagues : flèches volan--
tes, mais émoufiées, qu’on fo renvoie tour à tour,
& qui ne portent aucune atteinte. Qu’il me foit
permis d’achever en deux mots cette métaphore, de
de conclurequ’il ne fuffit pas qu’un trait d’Éloquence
ait des plumes ; qu’il faut qu’il foit armé d’un fou