
ces individus métaphyfiqués qui (ont l*objet des Mathématiques
, Le point, La ligne, le cercle, le triangle
, &c.
C’eft par une pareille opération de l’elprit que
l’on perfonnifie fi foüvent la nature & Van.
Ces noms d'individus ipécifiques font fort en ufiige
dans P Apologue , le hup & Vagneau, Vhomme f U
cheval, &c. on ne fait parler ni aucun loup ni aucun
agneau particulier; c’eft un individu (pécifique
& métaphysique qui parle avec un autre individu.
Quelques fabuliftes ont meme perfonnifie des êtres
abftraits : nous avons une fable connue, où Fauteur
fait parler Le jugement avec Vimagination^ il y a
autant de fiéhon à introduire de pareils ijirerlipeu-
teurs, que dans le refie de Ja fable. Ajoutons ici
quelques obfervations à l’occafion de ces noms fpé-
cifiques.
i" . Quand un nom d’efpèce eft pris adjeéttve-
ment, il n’a* pas befoin d’article : tout homme ejl
animal ; homme eft pris fübftantivement, c’eft un
"individu fpéeifique qui a fon prépofitif tout ; mais
animal eft pris adjéâivement i comme nous l’avons
déjà obfervé. Ainfi, il n’a pas plus de prépofitif que
tout autre adjèâif n’en auroit Sç l’on dit ici unir
m al, comme l’on diroit mortel, ignorant, &.c.
C ’efl ainfi que l ’Écriture, dit que toute chair, ejl
fo in , omrùs.caro fcenum , Ifàie , ch. x l. v. 6. c ’eft
à dire, peu durable, pérïftable, corruptible, &c.
& c’eft ainfi que nous difôns d’un homme fans esprit,
qu'il ejl bête.
Le nom à’efpèce n’admet pas l’Article lorf-
qu’ii eft pris félon fit- valeur indéfinie .fans aucune
extenfion ni reftriéfion , ou.application individuelle,
c’eft à dire qu’alors le nom eft confidéré indéfinir
ment comme forte > comme efpèce , & non comme
un individu fpéeifique; c’eft ce qui arrive furtout
lorfque le nom d’efpèce , précédé d’une prépofition,
forme un fens adverbial avec cette prépofition,
comme quand on dit par jahufie , avec prudence,
enpréfence, &e.
Les ôifc.aux vivent fans contrainte
S’aiment farts feinte.
C ’eft dans ce même fêns indéfini que l ’on dit
avoir peur, avoir honte , faire pitié’ , &c. Ainfi on
dira fans Article : cheval, ejt un nom d’efpèce ,
homme, ejl un nom d’efpèce ; & l’on ne dira pas le
cheval ejl un nom d'ejpêce, l’homme ejl un nom
• d'efpècey y&Tzzçpie le premier mot /<?-marqueroit
que l’on voudroit parler d’un individu , ou d’un
nom confidéré individuellement.
3*. C ’eft parla même rai-fon que le nom d’efpèce
n’a point de prépofitif, lorfqu’avec le fècours de la
prépofition de il ne fait que l’office de fimple qualificatif
d’efpece, c’eft à dire lorfqu’il ne fèrt qu’à
défigner qu’un tel individu eft de telle efpèce •. une
montre d’or; une épée d’argent ; une table de marbre
; un homme de robe ; un marchand de viny un
joueur de violon, de luth, de harpe, &c. une ac-r
tion de clémence , une femme de vertu, &c.
4°. Mais quand on perfonnifie l ’eipèce, qu’on en
parle comme d’un individu fpéeifique, ou qu’il ne
s’agit que d’un individu particulier tiré de la généralité
de cette meme elpèce ; alors le nom d'ejpece ,
étant confidéré individuellement, eft précédé d’un
prénom : L a peur trouble la raijon ; la peur que
j ’ai de mal faire ; la crainte de vous importuner ;
Venvie de bien faire ; Vanimal ejl plus parfait que
l ’être injenfibLe : jouer du violon , du luth , de la
harpe ; on regarde alors Le violon , le luth, la harpe
&e. comme tel infiniment particulier , & on n’a
point d’individu à qualifier adje&ivement.
Ainfi , on dira dans le fèns qualificatif adjedif,
un rayon d’ejpèrance , un rayon de gloire , un fen-
timent d'amour ; au lieu que fi on perfonnifie la
gloire , Vamour , &c. on dira avec un prépofitif ;
Un héros que la gloire élève
N’eft qu’à demi rédompenfâ ;
Et c’eft'peu, li l’amour n’achève
Ce que la gloire a commencé.^ ' ( Qinnault. )
Et de même on dira , j ’ai acheté une tabatière
d'or ^ 8c j ’ai fa it faire une tabatière d’un or ou
de l ’dr qui ni ejl. venu d'Efpagne. Dans le premier
exemple, d'or eft qualificatif indéfini , ou plus tôt
c’eft un qualificatif pris adjedivement ; au lieu que
dans le fécond , de l ’or ou d'un pr , il s’agit d’un
tel or c’eft un qualificatif individuel, c’eft un individu
de l’efpèce de l ’or.
' On dit d’un prince ou d’un jminiftre qu’// a l'ef-
prit de gouvernement : de gouvernement eft un qualificatif
pris adjedivement;; on veut dire que ce
miniflre gouverneroit bien , dans quelque pays que
ce puiffe être où il feroit employé : au lieu que, fi
l’on difoit de ce miniftre qu’i l a l'efprit du gouvernement
, du gouvernement feroit un qualificatif individuel
de Lefprit de ce miniftre ; on le regarde-
roit comme propre fingulièrement à la conduite des
affaires du pays particulier où on le met en oeuvre.
Il faut donc bien diftinguer le qualificatif fpécifi-
aue adjedif, du qualificatif individuel : une taba*
tière d’or, voilà un qualificatif adjedif ; uue tabatière
de l'or que , &c. ou d'un or que, c’eft un qua*-
lificatif individuel, c’eft un individu de l’efpèce de
l’or. Mon efprit eft occupé de deux fubftantifs ;
i . de la tabatière; i . de l ’or particulier dont elle
a été faite.
Obfèrvez qu’il y a auffi des individus colledifs ,
eu plus tdt des noms colledifs dont on parle comme
fi c’étoient autant d’individus particuliers : c’eft ainfi
que l’on dit le peuple, l’armée, la nation, le par*
lement, &c-
On confidéré ces mots-là comme noms d’un Tout,
d’un enfemble : l ’efprit les regarde par imitation
comme autant de noms d’individus réels qui ont
plufieurs parties ; & c’eft par cette raifôn que, lorfi-
qpe quelqu’un de ces mots eft le fujet d’une proportion.,
les logiciens difènt que la propofition eft
fingulière.
On voit donc que le annonce toujours un objet
confidéré
A R T
confidéré individuellement par celui qui parle (oit
au Singulier , L a maifon dt monvo’.fm ; foit au pluriel
, Les maifons d'une telle ville font battes de
briques. ' - ...
Ce ajoute à l’idée de le , en ce qu il montre, pour
ainfi dire, l’objet à l'knagination, &fuppofe que cet
objet-eft déjà connu , ou qu’on en a parie auparavant.
C ’eft ainfi que Cicéron a dit, tnlm
hoc ipfum diuifOrat. pro Marcello ) Qu eft ce en
effet que ce long temps. . , . .
Dam le ftyle didaftique, ceux qui écrivent en
latin , lorfqu’ik -veulent faire :remarquer un mot,
en tant qu’il eft un tel mot fe fervent t o n » de
„ 6. ) : ce mat Adhuc eft un adverbe compofe.
F Et l’auteur d’une Logique, apres avoir dit que
l’homme feul eft raifonnable , homo tantum ratio-
nalis, ajoute que ly Tantum rehqua entia excludu :
ce mot tantum exclut tous les autres etres. ( J ht
lof. ration, auci. 1‘ . Franc. Caro efom. ) Venet.
' ‘ c e fut Pierre Lombard, dans le onzième fiècle, &
S. Thomas, dans le douzième, qui introduisent 1 u-
fi«re de ce ly : leurs difeipies les ont. imites. Ce ly
r.’eft autre chofe que l'Article françqi s i , quietoit
■ en u [âge dans ce temps-là : Ainfi fut U chanaus
de Galathas pris : li baron & h dux de i emfe .
li vénitiens par mer, & üfrançon par terre. Ville-
Hardoiiin, lib\ III. p. 5 3- On fait que Pierre Lom-
bard & S. Thomas ont fait leurs études & feront
acquis une grande réputation dans lumverfite de
Paris. .: . .
Ville-Hardouïn & fes contemporains ecrivoient
l i , & quelquefois li , d’où on a fait l y mit pour
remplir la lettre foit pour donner à ce mot un air
feientifique , & l’èlever.au deffus du langage vulvaire
de ces temps-là. . - , . ,
Les italiens ont confervé cet Article au piunel,
& en ont fait auffi un adverbe qui figmfie / a e n-
forte que ly Tantum , c’eft comme fi 1 on difoit ce
mot-là Tantum. . ’ , .c
Notre ce & notre le ont le meme pffice indicatif
que r i & que ly , mais ce avec plus d energie que le.
e -.M on , ma, mes ; ton, ta , tes ; Jon ,Ja ,J e s ,
Scc. ne font que de (impies adjeftifs tirés des pronoms
petfonnels ; ils marquent que leur, fubftantit a un
rapport de propriété avec la première, la fécondé ,
ou la troifième perfonne : mais de plus, comme ils
font eux-mêmes adjeâifs prépofitifs & qu ils indiquent
leurs fiibftaniifs, ils n’ont pas beloin d ctre
accompagnés de l'Article LE ; que fi l’on dit le mien,
le tien c’eft que ces mots (ont alors des pronoms
fub'ftantifs. On dit proverbialement que le mien St
le tien font pères de la difeorde.
6°. Les noms de nombre cardinal un, deux , etc.
font auffi l’office de prénoms ou adjeâifs prepoli-
litfs : dix fa lla it , centécus.
Mus fi l’adjeâif numérique & fon fubftanüf font
enfemble un Tout, uni forte d individu colleâ if, & 1
CiUMM, ET LlTTtRAT. TomC I.
que l’on veuille marquer que l’on confidéré ce Tout
fous quelque vue de l’efprit autre encore que celle
de nombre ; alors le nom de nombre eft précédé de
l’Article ou prénom qui indique ce nouveau rapport.
L e jour de la multiplication des pains , les apôtres dirent
à Jéius-Chrift : NftUf n’avons que cinq pains b
deux poijfons (Luc , ch. jx . v. I 3.) : voilà cinq pains
& deux poijfons dans un fens numérique abfolu ,
mais enfuite l’évangélifte ajoute que Jeius-Chrift, prenant
les cinq pains & les deux poijjans , iesde-
nit &c. voilà les cinq pains ts les deux poijons
dans un fens relatif à ce qui précède, ce (ont les
cinq pains & les deux poiffons dont on ayoït parle
d’abord. Cet exemple doit bien faire fentir que le,
la , les ; ce , c e t, cette , ces, ne font que des adjeâifs
qui marquent le mouvement de 1 e(yrlt, qui
fé tourne vers l’objet particulier de fon îdee- .
Les prépofitifs défignent donc des individus déterminés
dans l’efprit de celui qui parle ; mais lor(-
qUe cette première détermination n’eft pas ailee- a
appercevoir par celui qui lit ou qui écouté , ce (ont
les cirçonftances ou les mots qui fuivent, qui ajoutent
ce que l’Article ne fauroit faire entendre ; par
exemble , fi je dis Je viens de L'erfailles, j y ai vu
le roi , les circonftances font connoitn? que je parie
de notre augufte monarque ; mais fi je voulois faire
entendre que j’y ai vu le roi de Pologne , je ferois
obligé d’ajouter de Pologne à le roi ; St de meme (1,
en lifant l’hiftoire de quelque monarchie ancienne
ou étrangère , je voyois qu’en un tel temps le roi ht
cette cliofe, je comprendrois bien que ce (eroit le
roi du royaume dont il s agiroit. .
Des noms propres. Les noms propres n étant pas
des noms d’efpèces, nos pères n’ont pas cru avoir
befoin de recourir à VA nicle, pour en faire des noms
d’individus, puifque par eux-mêmes ils ne (ont que
cela. . , - .
Il en eft -de même des êtres inanimés auxquels on
adreffe la parole : on les voit, ces etres , pui qu on
leur parle ; ils font préfents, au moins a 1 imagination
: on n'a donc pas befoin d'Article pour les tirer
de la généralité de leur efpèce, St en faire des individus.
Coulez , Ruiflcau , coulez, fuyez-nous.
FU-fas , petits Moutons, que vous êtes heureux!
Fille des Plaides, trille Goutte 1
( Deshoulières. )
Cependant quand on veut appeler un homme ou
une femme du peuple qui paffe , on dit communément
l'Homme, la Femme ! é c o u te la belle F Me, la
belle Enfant ! Sic. Je crois qu alors il y a ellip.e .
écoutez, vous qui êtes la belle F ille , Sto. vous qui
êtes VHomme à qui j e veux parler, 8tc. C eft ainfi
qu’en latin un adjeâif qui paraît devoir fe rapporter
au vocatif, eft pourtant quelquefois au nominatif.
Nous difons fort bien en latin , dit Sanâius, D é fende
me, Amice mi, & defende me, Amicus meus,
en foufentendant, tu qui es amicus meus ( Sanfl.
Min. I. II. C. vj. ) Térence , ( Phorm. a3 . II.