
qui élève la Comédie au rang des plus beaux
poèmes, & ce qui mérite à l’Apologue ce fènti-
ment d’admiration que le beau ièul obtient de nous.
Que Molière veuille arracher le mafque à 1 Hy-
pocrifie; qu’il veuille lancer lur le théâtre un censeur
âpre & vigoureux des vices criants de lôn fiècie;
que la Fontaine, fous l’appât d’une Poche attrayante,
veuille faire goûter aux hommes la fageile & la
vérité; & que l’un & l’autre ayent choifi dans la
nature les plus ingénièux moyens de produire ces
grands effets ; tout occupés du prodige de l ’art &
du mérite de l ’artifte, nous nous écrions, Cela eft
• beau ; & notre admiration fe mefure aux difficultés
que l’artifte a dû vaincre, & à la force de génie
qu’il a fallu pour les furmonter. _ ,'r
De là vient que dans-un poème, des vers où 1 énerg
ie , la précifion, l’elegance, le coloris, & 1 har-*-
monie fe réunifient fans effort, font une Beaüie ^de
plus , & une Beauté d’autant-plus frappante , qu’on
lent mieux l’extrême difficulté de captiver ainlî la
langue & de la plier à lôn gré.
De làVient auffi que, fi l’art veut s’aider de moyens
naturels , pour faire fon illufion & pour produire
lès effets, .il retrancHëîe lès Beautés, de fon mérite,
& de là gloire. Qu’un décorateur employé réellec
ment de l’eau pour imiter une calçade , 1 art n eft
plus rien: je vois la nature en'petit, & chétivement
préfemée : mais qu’avec un pinceau ou les
plis d’une gaze, on me repréfente la chute des eaux
de Tivoli ou les cataraétes du Nil , la diftance pro-
digieulè du moyen à l’effet m étonne 8s me transporte
de plaifir.
Il en eft de même de l’Éloquence. Il y a de
J’adreffe , fans doute, à préfenter à fes juges les
enfants d’un homme accufé, pour lequel on demande
grâce , ou à dévoiler a leurs yeux les charmes
d’une bille femme , qu’ils alloient condamner 8c
qu’on veut faire ab fou dre : mais cet art eft celui'
d'un adroit corrupteur, ou d’un fpjliciteur habile ;
pe n ’eft point l’art d’ un orateur. Les dernières paroles
de Céfar répétées au peuple romain, font un trait
d’Éloquence de la plus rare Beauté-, fà robe enfân-
glantée , déployée fur la tribune , n’eft rien qu’un
heureux artifice, A ne comparer que les effets, un
.Charlatan l’emportera fur l’orateur le plus éloquent;
mais le premier emploie des moyens matériels, &
c ’efi par les fens qu’il nous frappe : le fécond n’emploie
que la puiffance du fintiment & de la raifbn ,
p’eft l’ame & l ’efprit qu’il entraîne : 8e fi on ne
dit jamais du charlatan, qu’il fait de belles chofès,
quoiqu’il opère de grands effets, c’eft que fis moyens
trop faciles n’annoncent, du Côté de l’art & du
génie,aucun descaraâèresquidiftinguent le Beau;
.tandis que les moyens de l’orateur, réduits au charme
de la parole, annoncent la force Se le pouvoir d’une
" urne qui maitrife toutes les âmes par l’afcendant de
la penfée ',. afcendant merveilleux, & l’un des phénomènes
les plus frappants de la nature.
Le pathétique, ou l’expreffion de la fouffrance ,
h’ eft pas une belle cliofè -dans fôn modèle. La douleur
d’Hécube, les frayeurs de Mérope, les tour*
ments de Philôéfète, le malheur d’CEdipé ou^d Orefte,
n’ont rien de beau dans la réalité,, & c eft peut-
être ce qu’il y a de plus beau dans 1 imitation
Beauté-d’effet, prodige de l’art, de fe penctrer avec
tant de force des fèntiments d’un malheureux, qtl en
l’expbfànt aux veux de l’imagination, on produifè
le même effet que s’il étoit préfent lui-même, &
que, par la force de l’illufion , on émeuve les coeurs,
on arrache les larmes , on remplifle tous les efprits
de compaffion ou de terreur.
Ainfî, foit dans la nature, (oit dans les arts ,
(bit dans les effets qui réfùltent de l’alliance & de.
l’accord de l’art avec la nature., rïep n’eft beau que
ce qui annoncedans un degré qui nous étonné ,
la force , la richefe , pu M intelligence , de 1 une
ou l’autre de ces deux caufes, ou de toutes deux
à la fois.
On peut dire qu’il y a du vague dans les ca-
radères que nous donnons au Beau. Mais il y a aufli
du vague dans l’opinion qu’on y attache : li.dee en
eft fouvent fadice ; & le fendaient, relatif a 1 habitude
& au préjugé. Par exemple , la même couleur
qui eft riche & belle aux yeux d’une claile
d’hommes , n’eft pas telle aux yeux d une autre
dafle par la feule raifon que la teinture en eft commune
& de vil prix. Pourquoi ne dit-on pas du
lever du foleil ou de fon coucher, qu’il eft beau
quand le ciel eft pur & ferein ? Et pourquoi le dit-
on , lorfque, fur l’horifon , i l fe rencontre des nuages
fur lsfquels il femble répandre 1a pourpre & l’p rf
C ’eft oue l’or & la pourpre font dans nos mains
des chofes précieufes ; qu’à leur richeffe , nous avons
attaché’ le fentiment du Beau par excellence ; &
qu’en les1 voyant briller d’un éclat merveilleux lur
les nuages que le foleil colore, nous les comparons
à ce que Findùftrie , le luxe , & la magnificence offrent
de plus riche à nos yeux. A des idees invariables,
il faut des caractères fixes ^ mais a des
idées changeante?, il faut des caradères fù fceptibl.es,
comme eues , des variations de la mode & des
caprices de l’opinion. _
(C Au refte , mon opinion fur le Beau le trouve
appuyée , en quelque forte, de l’autorité de Cicéron.
» L a nature, dit-il, a fait les ehofes de mamere
» que, dans tout ce qui porte avec loi une tres-
» grande utilité , on reoonnoît auffi un grand ca- ■
» radère de dignité ou de Beauté ut ea quæ
maximum utilitatem in fe continerent, eadem luibe-
rent vlùrimum vel d’gnitatis vel fcep e etiam venuf-
tatis. Et cet accprd, il le remarque dans 1 ordre
de l’univers, dans la forme arrondie des deux dans -
la fiabilité de ïa terre , placée & fufpendue au
centre des fphères céleftes, dans les révolutions du
foleil, dans celles des planètes autour de notre
globe, dans la ftrudure des animaux, dans 1 or-
ganîfation des plantes , enfin dans les grands
ouvrages de l’induftrie humaine , comme danx la
conftruâion d’un n'avîre* , dans l’architeaure a un
temple. » Dans ce temple, dit-il, la 'majefte a
*> été la fiiite de l’utilité, 8c ces deux cara&ères
» fè font liés de forte que, fi l’on imagine un Ca-
» pitole fïtiré dans le ciel, au deffus des nuages ,
» il n’aura aucune majefté , à moins qu’il ne foit
» couronné de ce faîte qu’on n’inventa que pour
» l’ecoulement des pluies : Nam quum ejfet habita
ratio, quemadmodum ex utrâque tecli parte aqua
delaberetur, utilitatem templi fafligii dignitas con-
Jequuta ejl ; u t, etiamji in c'oelo Capitolium fia -
tueretûr ubi imber effe non pojfet, nullam fine
fafiigio dignitatem habiturum elfe videatur. De
Orat. 1. 3. .
Je ne m’engage point à vérifier, dans fès détails,
la penfée de ce grand homme ; il me fuffira 4’ob-
lêrver, que oe qu’il appelle utilité dans les ouvrages
de la nature & dans les productions des arts
c ’eft ce què j’appelle intelligence , c’eft à dire ,
fàgeffe d’intention & ordonnance de deffein. ) ( M.
Ma rm o n t e l . )
Le Beau eft grand, noble, & régulier ; on ne
peut s’empêcher de l’admirer: quand on l’aime, ce
n’eft jamais médiocrement ; il attache. Le Joli eft
fin, délicat, & mignon ; on eft toujours porté à le
louer: dès qu’on l ’aperçoit, on le goûte; il plaît.
Le premier tend avec plus de force à la perfedion,
& doit être la réglé du goût. Le fécond cherche les
grâces avee plus de foin, & dépend du goût.
Nous jetons fiir ce qui eft beau des regards plus
fixes & plus curieux* Nous regardons d’un oeil plus
éveillé & plus riant ce qui eft jo li.
Les dames font belles dans les romans. Les bergères
font jolies dans les poètes.
Le Beau fait plus d’effet fur l’efprit ; nous ne
lui refufôns pas nos applaudiffements. Le Jo li fait
quelquefois plus d’impreffion fur le coeur; nous lui
donnons nos fèntiments.
Il arrive affez fouvent qu’une belle perfonne brillé
& charme le's yeux, fans aller plus loin ; tandis que
l i jolie forme des liens & fait de véritables pallions:
® première a pour- partage' les éloges qu’on
doit a la Beauté'; & la féconde a pour elle l ’inclination
qu’on fént pour fè qui fait plaifir.
• taille, la ■ proportion, & la régulante
des traits, forment les belles perfonnes. Les
jo lie s le font par les agréments, la vivacité des
yeux, 1 air & la tournure gracieuiè du vifage quoique
moins régulière.
En fait d’ouvrage, d’efprit, il faut , pour qu’ils
loient beaux , qu il y ait du vrai dans le fujet, de
1 élévation dans les penfées, de la jufteflè dans les
termes, de la nobleffe dans l’expreffion , de la
nouveauté dans le tour., & delà régularité dans la
conduite : mais le vraifemblable, la vivacité la fin-
gulante, & le brillant, fuffifent pour les rendre jo lis .
Que qu un a dit que les anc.ens étoiem beaux,
& que les modernes font jolis : je ne fais s’il a bien
rencontre ; mais cela même efl du nombre des jolies
çholès, . & non des belles. 'T-’I'a -; : -,
Q r a u m . e t L it t é r a t . Tome I .
Le Beau eft plus férieux, & il occupe. L e J o li
eft plus g a i , & il divertit. C ’eft pourquoi ion ne
dit pas, une jo lie tragédie ; mais on peut dire,
une jolie comédie.
J e mets au rang des belles réponfès , celle
d’Alexandre^à Parménion fur les offres de Darius;
■ "celle de Louis X I I , au fujet de ceux qui en avoient
mal agi à fon égard avant qu’il montât fur le trône ;
& celle de madame de Barneveld au prince d’Orange,
Maurice jle Nafîau , fur les démarches qu’elle faifoit
auprès de ce prince pour fàuver la vie à fôn fils
aîné, qui avoit eu connoifiance de la confpiration
de fon frèré fans la découvrir. L e premier répo.nd
a Parménion, qui lui diloit que, s’il étoit Alexandre,
il accepteroit le? offres de Darius : « Et moi auffi , fi
33 î e/°ta Parm^L'on m. Le fécond réplique à fès
courtifans , qui cherchoient à le flatter du côté de
la vengeance , qu’il ne çonvenoit pas au roi de
France de venger les injures faites au duc d’Orléans.
Enfin madame de Barneveld , interrogée avec une
eipèce de reproche par le prince d’Orange, pourquoi
elle demandoit la grâce de fon fils & n’avoit
pas demandé celle de fon mari, lui répond, que
c efl parce que bon fils efl coupable & que (ôn mari
etoit innocent.
Je place dans 1 ordre de ce qui eft jo l i , les repar—
des & les faillies galconnes quand elles ont du fel.
Telle eft, par exemple, la rêponfe d’un mauvais
peintre devenu médecin , qui dit à ceux qui lui
demandoient raifbn de fôn changement d’état, qu’il
avoit voulu choilir un art dont la terre couvrît les
fautes. ( L ’abbé G ir a r d . )
■ C f r e l ie efl même la féponfê ingénieufè du duc
d Albe a Henri II. roi de France. L ’empereur-
Charles -cjuint avoit voulu faire croire, que le foleil
s’etoh arreté pour lui donner le temps de rendre fa
viâoireplus complète à la journée de Mulberg; &
fès flatteurs avoient ofé l’écrire , comme en ayant
ete ^témoins. Henri II. crut pouvoir , quelques
années après, demander au duc d’Albe ce qui en
étoit: « J’étois, répondit-il, fi occupé ce jour-là
» de ce qui lè paffoit fur la terre, que je ne pris
» pas garde à ce qui fe paffoit dans le ciel. » )
( M . B e a u z é e . )
Qui dit de belles chofès * n’eft pas toujours écouté
avecj attention, quoiqu’il mérite de l ’être ; la convention
en eft quelquefois trop grave & trop lavante.
Qui dit de jolies chofès , eft ordinairement
écouté avec plaifir ; la converlâtion en eft toujours
enjouée. ”,
Le mot de Beau fe plac^fort bien à l’égard d©
toutes fprtes de chofès quand elles en méritent l ’épithète.
Celui de Joli ne convient guère à l ’égard
des chofes qui ne Ibuffrent point de médiocrité ;
telles font la Peinture & la Poéfîe : on ne dit ni Un
jo li poème, ni Un jo li tableau ; ces fortes d’ouvrages
tant beaux; ou, s’ils ne lé'fënt pas, ils font mauvais.
Lorfque les épithètes de Beau & de Joli font-
données à l ’homme, elles cefTent d’être fynonymes,
leurs lignifications n ayant alors rien de coujiuim.»