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désignent des objets phyfîques. Veut-on exprimer des
objets moraux, intellectuels , purement abftraits?
il faut alors recourir à l’art, & emprunter, comme
fÿmboles de ces objets infonfîbles, les noms des
êtres phyfîques qui ont avec ces objets quelque
rapport de reflembiance, d’analogie ( Voyez O nom
a to p é e ). Voilà donc les langues forcées dès l ’origine
à puifor dans 1*Allégorie les exprèffions des
idées purement intellectuelles.
Quand il fut queftion enfuite de mettre, fous les
yeux de toute une peuplade, des inftruâions
permanentes, on fut obligé d’y repréfonter les
idées abstraites^par les images'des objets corporels,
dont elles avoient emprunté les noms dans le langage
: ainfî, des ailes défîgnèrent les vents ; un
triangle , la divinité ; un cercle, l’immortalité ;
Un .q i î , lejfoleil ou la Providence; une balance,
la juftice ; &c.
Biéntot l’habitude de dire ou de peindre une
choie pour en faire entendre une autre, étendit
au delà des bornes du belbin une relfource que
le befoin avoit imaginée : les Beaux-efprits difpu-
tèrént à le n v i, a qui excelleroit dans ce genre;
à qui imagineroit les tableaux les plus piquants
par la beauté des images, par le gigantefque des*
per formages, & p a r la difficulté de deviner la
vérité caçhée fous le voile de Y Allégorie. On
voit au livre des Juges ( ch. i^i j une preuve. '
de ce goût de l’Antiquité pour ce genre d’énigme.
Samfon dit aux trente philiftins qui étoient venus
a les noces ( v . 12-14) : Proponàm vobis pro-
blema : quod f i folveritis mihi intra feptem dies j
convivii, dabo vobis trigenta findones & totidem j
tunicas ; fin autem non potueritis folvere , vos
dabitis mihi trigintà findones & ejufdem numeri tunicas.
Qui refponderunt ei : Propone problema,
m auduimus. D ix it (pue eis : De comedente
exivit cibus, & de forti egreffa eft dulcedo. Nec
ppiuéruntper très dies propofitionem folvere. Tout
le monde coiindît le fondement de cette Allégorie,
& la manière dont le s philiftins vinrent à bout
d’en découvrir le fons naturel.
Ç.® goût î puife 'd’abord par l ’amour propre
dans la néeeffité , animé enfoité par les intérêts
de la^ vanité, fo fortifia chez les premiers hommes
par 1 influence du climat, » Dans les pays brûlants
» de l’Afie, dit M. Court de Gébelin ( Genie allég.
» des anc.' pag. ,19 ) , les efprits font toujours
» exaltés, ils s’enflamment aifément, ils s’élancent
» aux n u e s i l s font fans cefle dans les extrêmes
*, v^fs » ga*s \ fpirituels , remplis d’une imagination
55 .brillante , il faut des aliments à cette activité
» brûlante , a ce genie ardent , à cette imagina-
» tion echauffeè : ils ne peuvent donc rien dire
» naturellement ; ils veulent qu’on ne s’exprime qu’à
33 demi , afin de devoir le refte à eux-mêmes; ils ne
» parlent qu’à l’ombre du voile & par figure ; tout Ce
» change chez eux en Métaphores & en Allégories...
yAllégorie, le porta naturellement for les
» objets les plus intéréflànts pour les hommes,
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n ceux de la Religion & de notre origine, là
n conftruétion de l’univers , les effets merveilleux
» des éléments, leurs combats & leurs réunions,
» les révolutions fàlutaires des affres , les avantages
» ineftimables des travaux des hommes, fortout
» ceux de 1 Agriculture,, . • On perfonnifia tous
» ces effets, toutes ces caufos, leurs rapports
» memes. Ainfî, tout s’anima , tout fut mis en
» a dion. Des récits , hifforiques en apparence ,
» vifs & intéreffants, remplacèrent des définitions
” j^G“ es ^ froides ; & les métaoaorphofos variées
» de la nature devinrent des métamorphofos forpre-
» nantes detres animés. De là ces évènements
» merveilleux, qui firent les délices de l’Anti-
» quité, que la Jeuneflè lit avec tant dè plaifîr,
» & qui font le défofpoir des Critiques , qui ne
» veulent pas voir ce qui y eft & qui y voient
» ce qui n’y eft pas.
Denis d Halicarnafîe nous allure ( Antiq. rom.
L ïv. I I .) , que » les Allégories grèques ren-
» forment une philofophie réelle ; & que ceux qui
» font capables d’en découvrir l ’origine , en pro-,
» fitent beaucoup , tant dans la théorie que dans la
. » pratique : que, dans la théorie , elles dévoilent
.» les myffères de la nature; & que, dans la
» pratique , elles fourniflent un grand nombre de
»' fojèts de morale. «
Plutarque, cet^ écrivain fi judicieux , qui s’étoxt
fi fort appliqué à connoître l’antiquité , s’explique
de même dans un pafïâge que nous a eonforvé
Eusèbe ( Prepar. évang. Liv. III. Ch. 1. ) , &
que ce lavant évêque avoit tiré du Traité de Piu-
; tarque, intitulé les Dédales platéens, qui n’exifte
plus. » La théologie la plus ancienne, tant celle
» des grecs que eelle des barbares, n’eft autre
» choie que la philofophie naturelle, & envelopée
» de fables qui dévoilent la vérité aux lavants
» d’une façon myftique & figurée; comme cela
» paroît par les poèmes d’O rphée, les rits égyp-
». tiens , & les traditions phrygiennes. « - ■ /
^/Poute l’Antiquité, étoit perfoadée que les fables
n étoient que des A lié go rie s , dont le voile couvroit
les inft méfions les plus importantes. Mais avec le temps
on perdit de vue le fons primitif des Allégories
mythologiques, on s’en tint à la lettre, on déifia-
les etres fiâifs qui à l ’origine n’étoient que. des
fymboles ^ & le Paganifme couvrit la terre de
dieux chimériques & d’opinions impertinentes.
Les premiers apologiftes de la religion chrétienne
firent rougir les païens des abfurdités de leur
prétendue théologie : mais ceux-ci, attachés par
habitude & par.amour propre à une croyance,
qui n’otoit rien à la raifon Humaine de fon orgueil,
& qui autorifoit l’emportement des paffions par
des exemples confàcrés , fongèrent à donner au
paganifme des apparences plaufîbles ; ils prétendirent
y montrer, fous l’emblème des fi étions &
fous la gaze de Y Allégorie , les focrets de la Phy-
fîque , les principes de la Morale, les profondeurs
de la Théologie, & même les férieufos impertinents
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'de la Thêurgïe. Une tradition confiante & foivîe
avoit infpiré aux païens cette défenfo de leur religion;
» & il eft v r a i, dit M. de Gébelin ( Génie
>> allég. p. 5 1 ) , qu’un païen éclairé dans l’anti-
» quité auroic pû juftifier l’origine de ces fables ;
» mais il auroit toujours été forcé de défàvouer
,, 4’abus étrange qu’en avoit fait le Paganifme : &
» défàvouer ces abus ç ’étoit anéantir le Paga-
>>. nifîne. » Dailleurs toute la Mythologie étoit
alors, & depuis long temps,, débitée & crue littéralement
; la multitude continua de prendre tout à
là lettre; les interprètes même pe pouvoient pas
Ce déguifêr ce qu’ils mettoient d’arbitraire dans
leurs prétendues Allégories ; & leurs interprétations
ne parurent, aux écrits -droits, que l’aveu réel
de l’imbécillité d’un; fyftême, qu’on tâthoit vair
nement de revêtir des couleurs delà raifon.
: Quoiqu’on ait mis au grand jour l’abfordité des
Allégories que les- doéteurs du paganifme imaginèrent
pour juftifier leurs fables ; eft-il impoffible
d’en trouver, de plus raifbnnables , de plus propres
à expliquer l ’origine de la Mythologie fans auto-
rifer les conféquences abliirdes adoptées par les
païens ? Des hommes habiles ont cru que l’on
pourroit fouiller cette mine & en tirer des tréfors
précieux. L ’illuftre chancelier Bacon , Blackwel
fon compatriote, Bafhage dans fon Hiftoire des
juifs, l’abbé Pluche dans fon Hiftoire du ciel,
l’abbé Conti noble vénitien , font tous perfoadés
que les fables ne font que des Allégories qui
couvrent la fâgefTe des premiers inftituteurs du
genre humain. Mais entre les ouvrages qui ont
paru for cette matière, il faut principalement
diftinguer Y Origine des dieux du paganifme, &
le fens des fables découvert par une explication
fuivie des poéfies d'Héfiode, par M. l’abbé Bergier;
& Le monde primitif analyfe & comparé avec le
monde moderne , par M. Court de Gebelin. Ces
deux fàvants écrivains , par l’ufàge raifonnable
qu’ils ont fait de leur vafte & profonde érudition,
Ce font rencontrés for les principes fondamentaux
dé l’explication des Allégoriés mythologiques ; &
il y à lieu de croire que le concours de leurs
travaux & de ceux des gens de lettres qui marcheront
for leurs traces, nous fera découvrir enfin
les inftruâions cachées fous le voile de ces A llé gories.
Il paroît en effet que , dans tous les temps, cette
figure a été regardée comme un moyen sûr de fixer,
d’une manière plus délicate , plus agréable, &
par là même plus efficace & plus folide , les
évènements dont ôn vouloit confàcrer la mémoire,
les préceptes qu’on jugeoit nécelfaires , les maximes
qu’on fo propofoit d’inculquer, les leçons de toute
efpèce qu’on prétendoit donner.
Au commencement du V e fiècle de l’ère chrétienne
, dit M. Fréret ( Mém. de VAcad. des
Infcript. Tom. V . ) , il y avoit dans les Indes
un prince très-puiflant, dont les Etats étoient fitués
vers l ’embouchure du Gange : il prenoit le titre
À L L iay
faftueux de Roi des Indes. Son père avoit contraint
un grand nombre de louverains, de lui payer
un tribut & de fe foumettre à fon empire. L e
jeune monarque oublia bientôt, que les rois doivent
être les pères de leurs peuples ; que l’amour des
fojets pour leurs rois eft le foui appui folide du
trône ; que cet amour foui peut attacher véritablement
les peuples au prince qui les.gouverne,
& dont ils font toute la. force & toute la puiflance ;
qu’un roi fans fojets , ne porteroit qu’un vain titre
& n’auroit aucun avantage for les autres hommes.
Les bramines & les rajals , e’eft à dire, les prêtres &
les Grands , repréfèntèrent toutes ces fchofos au
roi des Indes : mais enivré de l’idée dè fâ grandeur
, qu’il croyoit inébranlable , il méprifà leurs
fàges repréfontations ; les plaintes & les remontrances
ayant continué, il s’en trouva bleffe ; &
pour venger fon autorité , qu’il .crut méprifee de
ceux qui ofoient défàpprouver. fa .conduite , il les
fit périr dans les tourments. Cet .exemple effraya
les autres ; oh garda le filence ; & le prince,
abandonné' à lui-même , & , ce qui étoit encore
plus dangereux pour lui & plus terrible pour fos
peuples , livré aux pernicieux confoils des flatteurs,
fo porta bientôt aux. derniers j-excès.^ Les peuples,,
accablés fous le poids d’une tyrannie infoppartable,
témoignèrent hautement combien leur étoit devenue
odieufe une aùtorité, qui n’étoit plus employée
qu’à les rendre malheureux. Les princes tributaires ,
perfoadés qu’en perdant l’amour de fos peuples,
le roi des Indes avoit perdu tout ce qui faifott fà
forcé , fo préparoient à fecouer le joug & à porter
la guerre dans fos États. Alors un bramine ou
philofophe indien , nommé S i j fa , fils de Daher ,
touché dés malheurs de fà patrie, entreprit de
faire ouvrir les yeux au prince fur les funeftes
effets que fà conduite alloit produire : mais, instruit
par l’exemple de ceux qui l ’avoient précédé,
il fontit que fà leçon ne deviendroît utile, que
quand le prince fo la donneroit à lui-même &
ne croiroit point la recevoir d’un autre. Dans cette
vu e , il imagina le jeu des échecs, où le roi „
quoique la plus importante de toutes les pièces ,
eft impuilîànt pour attaquer - & même pour fo
défendre contre fos ennemis , fans le fecours de
fos fojets &' de fos foldats. Le nouveau jeu devint
bientôt célèbre ; le roi des Indes en entendit parler
& voulut l’apprendre. Le bramine Sijfa fut choifî
pour le lui enfeigner ; & fous prétexte de lui en
expliquer les règles, & • de lui montrer avec quel
art il falloit employer les autres pièces à la défenfo
du roi, il lui fit appercevoir & goûter des vérités
importantes, qu’il avoit refufé d’entendre jufqu’alors.
Le prince , né avec de l’efprit & des fentiments
vertueux, que les maximes des courtifàns n’avoient
pu étouffer, fo fit l’application des leçons du bramine
; & comprenant que l’amour des peuples pour
leur roi fait toute fà force, il changea de conduite
& par là prévint les malheurs qui le menaçoient.
Le prince, fenfîble & reconnoiffant , laifîà au