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qu’en détail. Ce qui manque. à la plupart des peintres
de caradère, & ce que Moliere, ce grand modèle
en tout genre, poflédoit éminemment, e’eft ce
coup d’oeil philosophique, qui fàifit, non feulement
les extrêmes , mais le milieu des choies : entre l’hypocrite
fcélérat, & le dévot crédule, on voit l’homme
de bien qui démafque la fôélérateffe de l’un , & qui
plaint la crédulité de l’autre. Molière met en oppo-
lïtion les moeurs corrompues de la fociété, & la probité
farouche du Mifànthrope : entre ces deux excès
paroît la modération d’un homme du monde, qui
hait le v ice, mais qui ne croit pas devoir s’ériger
en réformateur. C’eft à cette précifion qu’on recon-
noît Molière, bien mieux qii’un peintre de l’antiquité
ne reconnut fôn rival au trait de pinceau qu’il
avoit tracé fur une toile.
Si l’on nous demande pourquoi le comique de
fituation nous excite à'rire, meme fans le concours
du comique de caradère ; nous demanderons à notre
tour d’où vient qu’on rit de la chute imprévue d’un
paflant. C’eft dé ce genre de plaifànterie que Heinfius
a eu railôn de dire ; PUbis aucupium eft & abufus.
Voye\ R i r e .
I l n’en eft pas ainfi du comique attendrifîant; peut-
être même eft-ilplus utile aux moeurs que la Tragédie
, vu qü’il nous intéreffe de plus près, & qu’ainfî,
les exemples qu’il nous propofè nous touchent plus
fènfiblement : c’eft du moins l’opinion de Corneille.
Mais comme ce genre ne peut être ni fôutenu par
la grandeur des objets, ni animé par la force des
lîtuations, & qu’il doit être à la fois familier & inté-
refTant ; il eft difficile d’y éviter le double écueil
d’être froid ou romanefque: c’eft la fîmple nature
qu’il fout làifîr ; & c’eft le dernier effort de l’art,
que d’être en même temps ingénieux & nature].
Quant à l’origine du comique attendriffant, il faut
n’avoir jamais lu les anciens pour en attribuer l’invention
à notre fiècle ; on ne conçoit même pas que
cette erreur ait pu fûbfîfterun inftant chez une nation
accoutumée à voir jouer l’Andrienne de Térence,
où l’on pleure dès le premier ade. Quelque critique,
pour condanner ce genre , a ofe dire qu’il etoit
npuveau : on l ’en a cru fur fà parole ; tant la légèreté
& l’indifférence d’un certain Public, fur les opinions
littéraires, donne beau jeu à l ’effronterie & à
l’ignorance. ;, . . '
Tels font les trois genres de comiques, parmi lef-
quels nous ne comptons ni le comique de mots fi fort
en ufage dans la fdciété, foible reffource des efprits
fans talent, fans étude , & fans goût;ni ce comique
obfcène, qui n’eft plus fôuffert fur notre théâtre que
par une forte de prefèription , & auquel les honnêtes
gens ne peuvent rire fans rougir ; ni cette efpèce de
iraveftiffement, où le parodifte fè traîne après l ’ori-,
ginal, pour avilir, par une imitation burlefque , l’ac^
tion la plus noble & la plus touchante : genre mé-
prifàble , dont Ariftophane eft l’auteur.
Mais un genre fùpérieur à tous les autres, eft celui
qui réunit le comique de fituation & le comique de
çaradèr.e, c’eft à dire $ dans lequel les perfonnag.es
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font engagés, par les vices du coeur ou par lès traq
vers de l’efprit, dans les circonftanees humiliantes t
qui les expofènt à la rifeè & au mépris des fpeda-
teurs. Tel eft, dans l ’Avare de Molière, la rencontre
d’Harpagon avec fon fils , lorfque, fans fè
connoître, ils viennent traiter enfèmble, l’un comme
ufîirier, l ’autre comme diffipateur.
Il eft des caradères trop peu marqués pour fournir
une adion fôutenue : les habiles peintres les ont
groupés avec des caradères dominants ; c’eft l ’art de
Molière : ou ils ont fait contrafter plufîeurs de ces
petits caradères entre eux; c’eft la manière de Du-
fréni, qui, quoique moins heureux dans l’économie
de l’intrigue , eft celui de nos auteurs comiques ,
après Molière, qui a le mieux fàifi la nature ; avec
cette différence, que nous croyons tous avoir apperçu
les traits que nous peint Moliere., & que nous nous
étonnons de n’avoir pas remarqué ceux que Du-
fréni nous fait ap percevoir.
Mais combien Molière n’eft-il pas au deffiis de
tous ceux qui l’ont précédé ou qui l’ont fùivi ?
Qu’on lifè le parallèle qu’en a fait, avec Térence,
l’auteur du fiècle de Louis X IV le plus digne de
les juger, la Bruyere. I l n'a , dit-il , manqué à
Térence que d'être moins froid : quelle pureté J
quelle exactitude ! quellepolitejfel quelle élégance !
quels caractères ! I l n a manqué' à Molière que
d'éviter le jargon, & d'écrire purement : quel feu !
quelle ndiveté ! quelle fource de la bonne plaïfan-
terie / quelle imitation des moeurs l & quel fléau,
du ridicule ! Mais quel homme on auroit pu faire
de ces deux comiques !
La difficulté de fâifir, comme eux , les ridicules &
les vices, a fait dire qu’il n’étoit plus poffible de
faire des Comédies de caradères. On prétend que
les grands traits ont été rendus, & qu’il ne refte plus
que des nuances imperceptibles ; c’eft avoir bien
peu~ étudié les moeurs du fiècle, que de n’y voir
aucun nouveau caradère à -peindre. L ’hypocrifie
de la vertu eft-elle moins facile à démafquer que
l’hypocrifie de la dévotion? Le mifànthrope j a r air
eft-il moins ridicule que le mifanthrope par principes?
Le fat modefte, le petit feigneur , le faux magnifique
, le défiant, l’ami de Cour, & tant d autres,
viennent s’offrir en foule à qui aura le talent & le
courage de les traiter. La., politefïè gafè les vices ;
mais c’eft une efpèce de draperie légère, à travers
laquelle les grands maîtres favent bien deffiner
le mud.
Quant à l’utilité de la Comédie morale & décente,
Comme elle l’eft aujourd’hui fur notre théâtre
, la révoquer en doute, c’eft prétendre que les
hommes foient infènfibles au mépris & à la honte ;
c’eft fùppofêr, ou qu’ils ne peuvent rougir, ou
qu’ils ne peuvent Ce corriger des defauts^ dont ils
rougiffent ; c’eft rendre les caradères indépendants
de l’amour propre qui en eft l’ame, & nous mettre
au deffus de l’opinion publique , dopt la foiblefle &
l’orgueil font les efclaves, & dont la vertu meme
a tant de peine à s’affranchir^
Les hommes, dit-on, ne Ce recotinoHTent pas a
leur image : c’ eft ce qu’on peut nier hardiment. On
croit tromper les autres, mais on ne fè trompe jamais
; & tel prétend à l’eftime publique, qui n’o-
(èroit Ce montrer., s’il croyoit être connu comme il
Ce connaît lui-même.
Perfonne ne le corrige, dit-on encore : malheur
à ceux pour qui ce principe eft une vérité de fen-
timent; mais fi en effet le fond du naturel eft incorrigible
, du moins le dehors ne 1 eft pas. Les
hommes ne fè touchent que par la furface ; & tout
fèroit dans l’ordre, fi on pou voit réduire ceux qui
font nés vicieux-, ridicules, ou méchants, a ne l’être
qu’au dedans d’eux-mêmes. C ’eft le but que fè pro-
pofè.Ia Comédie / & le théâtre eft pour le vice &
le ridicule, ce que font pour le crime les tribunaux
où il eft jugé , & les échafauds où il eft
ipuni.
On pourroit encore divifèr la Comédie relativement
aux états ; & on verroit naître de cette division,
la Comédie dont nous venons de parler dans cet
article, la Pajlorak, & la Féerie,: mais la Paftorale
& la Féerie ne méritent guère le nom de Comédie
que par une forte d’abus, oye\ les articles F é e r i e
Ct Pastorale. (M . M a r m o n t e l . ) .
Comédie. Hijloire ancienne. La Comédie des
anciens prit différents noms, relativement à différentes
circonftanees dont nous allons faire mention.
Ils eurent les Comédies atellanes ; ainfi nommées
d’Atella dans la Campanie : c’étoit un tiffu de plai-
fànteries ; la langue en étoit ofeique ; elle étoit di-
vifée en ades ; il y avoit de la mufîque, de la pantomime
, & de la danfe ; de jeunes romains en étoient
les adieu rs.
L es-Comédies mixtes, où une partie fè paffoit
en récit, une autre en action ; ils difoient qu’elles
étoient partim Jîatdrié, partim motoriæ, & ils
citoient en exemple VEunuque de Térence.
Les Comédies appelées motoriæ, celles où tout
étoit en adion , comme dans Y Amphitryon de
Plaute.
Les Comédies appelées palliâtes, où le fujet Sî
les perfoilnage!. étoient grecs, où les habits étoient
grecs, ou l’on fè fèrvoit du pallium : on les appeloit
auffi srepidæ, chauffure commune des grecs.
Les, Comédies appelées planipedice , qui fè
jouoient à pieds nuds , ou plus tôt fur un théâtre de
plain-pied avec le rez-de-chauflée.
Les Comédies appelées prétextâtes, où le fujet
& les perfonnages étoient pris dans l’état de la No-
bleffe & de ceux qui portoient les toges p r é textes.
Les Comédies appelées rhintonicez, ou Comique
larmoyant, qui s’appelôit encore hilaro-Tretgoedia,
ou latina Cotnoedia , ou Comoedia italica. L ’inventeur
fut un bouffon de Tarente nommé Rhintone.
Les Comédies appelées Jlatarioe , où il y a beaucoup
de dialogue & peu “ d’adion, telles que l'He-
fiyre de Térence & 1 'Ajinaire de Plaute.
CramMi et L ittérat« Tome /« Partie IL
Les Comédies appelées tabernariee, dont le fujet
& les perfonnages étoient pris du bas peuple &
tirés des tavernes. Les adeurs y jouoient en robes
lohgues, togis, fans manteaux à la grecque,palliis.
Afranius & Ennius fè diftinguèrent dans ce genre.
Les Comédies appelées togates, où les adeurs
étoient habillés de la toge. Stéphanius fit les premières
j on les fùbdivifà en togatee proprement dites ,
proeiextaié , tabernarié, & Atellaiié. Les togatoe .
tenoient proprement le milieu entre les prétextâtes
& les tabernariee: c’étoient les oppofées dss p a l-
li'àté.
Les Comédies appelées trabeatæ : on en attribue
l’invention à Caius-Méliflùs. Les adeurs paroiffoient
in trobéis, & y jouoient des triomphateurs, des
chevaliers. La dignité de ces perfonnages, fi peu propres
au comique, a répandu bien de l’obfcurite fur la
nature de ce fpedacle. ( M , D id e r o t . )
Mettons fous les yeux du lecteur les obfervations
de M. Suider fu r le même J'ujet. : cet écrivain , auffi
judicieux qùélégant, rend tout es qu'il traite trop
intéreffant pour'être omis.
S i , fans s’attacher ni à la nature de la Comédie
grèque, ni aux differentes formes de la Comédie
moderne, on veut fè faire la notion la plus generale
de ce qui peut être compris fous ce nom ; on définira
la Comédie, en difant que c’eft la repréfanation
d'une action qui amufe & injlruit le fpectateùr ,
tant parla variété des évènements , que par le caractère
, les moeurs, & U conduite des perfonnagesv
On entend fouvent dire que le but de la Comédie
eft de tourner en ridicule les folies des hommes ;
mais cela n’eft vrai ni de la Comédie ancienne, ni
de celle d’aujourdhui. Combien ne voit-on pas de
bonnes Comédies, qui font très-amufântes, & qui
néanmoins n’ont point ce but-la ? Dans plufieurs
pièces de Plaute, ce qu’elles ont de rifible roule
plus tôt fur les idées comiques & quelquefois gigan-
tefques du poète, que fur le fujet même : & f îi’on
raffemble les traits les plus amufants de Térence ,
on trouvera que. cet excellent comique n a eu que
bien rarement en vûe de jouer les ridicules. C e peut
être là un des objets de la Comédie, fouvent elle a
amufé les fpeâateurs aux dépens des fous ou des
perfônnes que le poète n’aimeit pas ; mais cet objet
n’eft pas effencie! à la bonne Comédie.
P lo n f a t i s e f i r i fu d id u c e r e r ictum
A u d i t o r i s ; & e f i qu a d am tam en h i c q u o q u e v ir tu s
( Ho rat. I . S e rm . 7.)
Toute adion mife fur la fcène, qui peut^amufèr
agréablement des perfônnes d’efprit & de goût, fans
remuer le fèntiment avec trop de véhémence, ni
exciter fortement des paffions férieufès, eft une bonne
; Comédie. Plus enfuite l’auteur aura fu traiter cette
adion d’uné manière fine, fpirituelle, & inftrudiye,
plus fà pièce fèra eftimée des connoiffèurs. ^
Pour déterminer donc avec plus de préçifîon le
caradère & la nature de la Comédie, il faut examiner
attentivement ce qu’il peut y avoir d’amufànt *
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