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ouvrage. Dans notre langue le mot Emblème ne
fignifie qu’une peinture , une image, un bas-relief,
qui renferme un fèns moral ou politique.
Ce qui diftingue Y Emblème de la Devifè , c’eft
que les paroles de Y Emblème ont toutes.. feules un
fèns plein & achevé , & même tout le fens & toute
la lignification qu’elles peuvent avoir jointes avec la
figure. On ajoute encore cette différence, que la
Devifè eft un fÿmbole déterminé à une perlonne, ou
qui exprime quelque choie qui la concerne en particulier
; au lieu que Y Emblème eft un lymbole plus
général. Ces différences deviendront plus fènfibles,
pour peu qu’on veuille comparer Y Emblème que
nous avons cité avec une Devifè ; par exemple ,
celle qui repréfénte une bougie allumée, avec ces
mots , Juvando confumor (J e me confùme en fèr-
vant) : il eft clair que ce dernier lymbole eft beaucoup
moins.général que le premier.
L ’image de Scévola tenant là main fur un foyer
embrasé, avec ces mots au deffôus , Agere & pati
fortin romanum eft ( Il eft' d’un romain d’agir & de
lôuffrir avec courage ) ; c’eft un Emblème, où la
maxime générale eft appuyée d’un exemple particulier.
Une bougie allumée, avec ces mots , Juvando
confumor ( Je me conlùme en fèrvant) \ c’eft une
Devife-^ où un phénomène phyfique devient par
comparailôn l’image du caraâère de quelque particulier,
qui le conlàcre julqu’à la fin à l’utilité
publique. Il eft clair que ce dernier lymbole eft
beaucoup moins général que le premier. ( U Abbé
-jfyÎALLET. )
(NV)E mblème. BellesÆettres. Qn n’apas affez■
nettement diftinguéle Symbole, la Devilè, & Y Emblème.
-
Le Symbole eft un ligne relatif à l’objet dont on
Teut réveiller l ’idée ; & cette relation eft, tantôt
réelle , tantôt- fi&ve & de convention. La faucille
eft le Symbole des moiflbns, la balance eft le Symbole
de la juftice. Voye\ S ym b o l e .
La Devifè eft l’exprefïion fi m pie ou figurée du
earadère, du génie, de la conduite habituelle d’une
perfônne, d’une famille, d’une nation, d’un corps
politique, militaire, civil, littéraire, &% & tantôt
elle ne s’êhonce que par des mots, comme celle du
chevalier Bayard, Sans peur & fans reprocher tantôt
elle joint-à ces mots une figure allégorique dont
elle exprime le rapport, comme celle du prince
Eugène , un aigle regardant le fôleil, avec, ces
mots , Natus ad fuhlimia ; ou comme celle de
Maximilien de Béthune, grand-maître de l’artillerie
, inventée par Robert Etienne, & le chef-
d’oeuvre des Devifès, un aigle portant la foudre,,
avec ces mots, Quo jujfâ jovis. Voyez Devise.
U Emblème eft un petit tableau, qui èxprime
allégoriquement une penfee morale ou politique ,
comme lorfqu’on a fait de la fortune une'fémme
fvelte & légère, un pied en l’air, touchant à peine
du bout, de l’autre pied.-un point d’une roue ou d’un
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globe-v & tenant dans fès. mains un voile enfle patte
vent.
On voit par cet exemple que ,. lorfque la penfee
eft clairement & diftinâement exprimée par le tableau
, elle peut fè palier du fecours des paroles;
& c’eft alors que Y Emblème eft parfait. Telles font
ces deux figures antiques de l’Amour, l’une fur un
centaure qu’il a dompté, l’autre fur un char attelé
de deux lions qu’il a fournis au frein. Telle eft encore
, pour exprimer l’Envie, l’image d’une femme
sèche & hideutè qui ronge des, fèrpents.
M-us lorfque le rapport de l’image à l’idée n’eft
pas allez ftnfiole, on l’indique par quelques mots ;
& c’eft ce qu’on appelle Lemme. La figure de Janus.
. à deux vifages exprimera diftinéfement la réunion
de la prévoyance & du fouvenir, fi fous YEmblême
on met un mot qui. éveille l ’idée de la prudence,.
L ’imprudence au contraire fera vifiblement carac-
térifée dans, l’image de la chèvre qui allaite un petit
loup, & n’aura pas befoin de Lemme.
Le mérite du Lemme eft d’ëtre laconique, & de ns
jeter qu’un fèul trait de lumière fur la figure dont
il s’agit d’éclairer le fens ; de: manière qu'on lai-ffè
encore à l’efprit le plaifir d’un travail léger pour
achever d’entendre cette efpèce d’Énigme ou d’Apo-
logue..En effet, Y Emblème ne diffère de 1 Énigme
qu’en ce qu’il eft moins abfcur, & ne diffère, de
l’Apologue qu’en ce qu’il eft moins dèveîopé..
\J Emblème eft un apologue dont le fùjet peut fè
peindre aux yeux dans une feule image. Ainfî, dès
que l’adion de l’Apologue eft fîmple & n’a qu’un
inftant, on peut le réduire en Emblème. Telle eft,.
par exemple , la fable du fèrpent qui ronge la lime.
Ti n’en eft pas de même de la fable du lion & du
rat, ou de la colombe & déjà fourmi ; parce que
l’adion a deux moments, & que, fi l’on ne peint que
l’un des deux, il n’y aplus aucun fens moral: Ainfi,.
nulle adion fùcceffive ne peut convenir-à Y Emblème;
St de là vient qu’il eft plus difficile de trouver
pour YEmblême. que pour l ’Apologue, des fujèts dont
un efprit jufte 8t délicat fôit fatisfait. La grande difficulté
de Y Emblème y c’eft qu’il doit dire quelque
chofe d’ingénieux St ne le dire qu’à demi. Il n’aura
= plus rien de piquant, fi la penfee e.ft-commune ou
cemplettement exprimée. Il doit préfenter un rapport
éloigné, mais jufte St qui mérite d’être apperqu.
Rien de plus agréable, par exemple, pour exprimer
les douceurs de la paix, que l’image de la colombe
faifànt fon nid dans un cafque, ou celle des
abeilles y dépofànt leur miel. L ’image du ftatuaire,.
le cifèau à la main, effrayé de fon propre ouvrage,
celle des-enfants qui redoutent la chute des boules
de favon qu’ils ont foufflées en l ’air, ont à la fois
cette jufteffè 8t cette nouveauté piquante : le fens en
eft myftérieux, mais pourtant facile à fàifîr.
Plus l’objet de YEmblême fera noble, plus il donnera
d’élévation 8t de grandeur à la penfee. Ainfi,
l’image du dragon qui planant au milieu des airs
étouffe un fèrpent dans fès griffes, eft l’expreffion-
'■■ la plus fybUuie du. mérite vainqueur, de l’envie».
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Mais lors meme que l’image eft humble, elle doit
avoir fa nobleffe, & fcrtout ne lien préfenter de
^rebutant pour l’imagination. ÿ
Une autre qualité tres-defirâble dans 1 Emblème,
c ’eft que le tableau en foit facile à exécuter , non
feulement par le pinceau , mais par le cifèau & le
burin ; & pour cela il faut que l’objet en fôit d’une
iorme diftinâe, indépendamment des couleurs. Cette
règle eft prife dans la deftination des Emblèmes,
au’on exécute le plus fouvertt en gravure ou en bas- -
relief. Ainfi, rien de confus, de compliqué dans ce
petit tableau, rien qu’un trait de crayon ne puiffè
rendre fenfible aux yeux. C ’eft ce qu’on a le moins
obfèrvé dans ce nombre infini ti Emblèmes dont on
nous a fait des recueils. :j ,
Enfin, YEmblême n’eft jamais qu une Métaphore
qui parle aux yeux; & pour.en bien connoître l ’artifice
& les règle?, foit quant à la jufteffè, foit pour
les convenances, voye\ Image & Métaphore.
On fait du refte que les anciens appeloient E m blèm
es ornements qu’on ajoutoit aux vafès, aux
•lambris, aux colonnes, & qui pouvoient s en détacher.
Cicéron reproche à Verrès d’avoir enleve
les Em b lèm e s des vafès qu’il avoit trouvés en Sicile.
C ’étoientdes feftons, des guirlandes, des bas-reliefs
en or & en argent. L e fèns du mot a été reftraint
aux figures allégoriques que l’imagination des àr-
tiftes inventoit pour ces ornements.
On appelle auffi9 par extenfîon , Em b lèm e s , les
figures allégoriques dont on fait le corps des De-
yifès; & en effet c’èft la même efpèce d’images ,
mais relatives dans la Devifè à un caradère particulier
, & dans Y Em b lêm e à une idée générale.
V o y e \ D evise . ( M . M a r m o n t e l . )
(N .) E mblème. Tout eft Em b lèm e & Figure
•d a n s l’Antiquité. On commence en Chaldée par
mettre un bélier , deux chevreaux, un taureau
dans le ciel pour marquer les p r o d u c t i o n s de la
terre au printems. Le feu eft le Symbole de la divinité
dans la Perfe ; le chien célefte avertit les
égyptiens de l ’ in o n d a t i o n d ù Nil; le fèrpent q u i cache
f à queue dans fà tête, devient l’image de l’éternité.
La nature entière eft peinte & déguifee.
Vous retrouvez encore dans l’Inde plusieurs de
ces anciennes ftatues effrayantes & groflières, qui.
repréfentent la vertu munie de dix grands bras
avec lefquels elle doit combattre les vices, & que
nos pauvres millionnaires ont prifès pour le, portrait
du diable, ne doutant pas que tous ceux qui ne
parloieot pas franqois ou italien n’adoraffent le
diable.
Mettez tous ces fÿmboles de l’Antiquité fôus les
yeux de l’homme du fèns le plus droit qui n’en aura
jamais entendu parler , il n’y comprendra rien; c’eft
une langue' qu’il faut apprendre.
Les-, anciens poètes théologiens furent dans la né-
ceffité de donner à Diett des yeux , des. mains , des
pieds, de l’annoncer fôus la figure d’un homme.
Saint Clément d’Alexandrie ( Scrornâtes 9 liv, $.)
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rapporte ces vers de Xénophanès le colûphonien,
dignes de toute nôtr'é attention :
Grand Dieu, quoi que l’on fafTe, & quoi qu’on ofe fe-inck®.
On ne peut te comprendre , & moins encor te peindre.
Chacun figure en toi fes attributs divers ;
Les oifeauxte feroient voltiger dans les airs,
Le-s boeufs te prêteroiënt leurs cornes menaçantes ;
L es fions c’armeroient de leurs dents déchirantes,
Les chevaux dans les champs te feroient galoper.
L ’ancien Orphée de Thrace, ce’premier théologien
des grecs, fort antérieur à Homère , s’exprime
ainfi, félon le meme Clément d’Alexandrie :
Sur fon trône éternel aflîs dans les nuages /
Immobile, il régit les vents & les orages ;
Ses pieds preflent l’a terre ; & du vague des airs
Sa main touche à' la fois aux rives, des deux mers ;
Il eft principe, fin , milieu de coures çhofes.
Tout eft donc Figure & Emblème :les philofôphes,,
& fùrtout ceux qui avoient voyagé dans l’Inde, employèrent
cette méthode ; leurs préceptes étoient des
Emblèmes, des Énigmes.
N'a(tife\ pas le feu avec une épée, c’eft à dire ,
n’irritez point dés hommes en colere.
Ne mette^ point la lampe fous léboiffeau. — Ne
cachez point la vérité-aux hommes.
Abflene\-vous de fèves, — Fuyez fôuvent les afc
fèmblées publiques dans lefquelles on donnoit fôn
fùffrage avec des fèves blanches ou noires.
N'ayeipoint J hirondelle dans votre- mai fon.-*-
Qu’elle ne fôit point remplie de babillards.
Dans la tempête adore\ Y écho. —- Dans les troubles
civils retirez-vous à la campagne.
N 'é c r iv ep o in t fu r la neige. — N^énfeignez
point les efprirs mous & foibles.
Ne mange\ ni votre coeur, ni votre cervelle. —4
Ne vous livrez ni au chagrin ni à des entreprifès-
trop difficiles-, &c.
Telles font les maximes de Pythagore ^ dont le
fens n’eft pas difficile à comprendre.
Le plus beau de tous les Emblèmes eft celui de
Dieu . que Timée de Locre figure par cette idée s
Un cercle dont le centre eft partout, & la circonférence
nulle part. Platon adopta cet- Emblème ;
Pafcal l’avoit inséré parmi les matériaux dont il
vouloit faire ufàge, & qu’on a intitulé fès Penfées.
En Métaphyfîque, en Morale, les anciens ont
tout dit. Nous nous rencontrons avec eux, ou nous
les répétons. Tous les livres modernes de ce genre
ne font que dès redites.
‘ Plus vous avancez dans l’Orient, plus vous trou-'
vez cet ufàge des Emblèmes & des.Figures établi ;
mais plus auffi ces imagés font-elles éloignées de
nos moeurs & de nos coutumes.
C’eft furtout chez lès indiens, les égyptiens , les
fyrîens, que les Emblèmes qui nous paroilfent les plus
étranges, étoient confàcrés. C ’eft là qu’on portoit
en proçeffion avec le plus profond refpeétles deux
V v v v 1
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