Lorfqu’îl n’y a que la fimple prépofition de , fans
l’Article , la prépofition & Ton complément font pris
adjectivement ; un palais de roi, eft équivalent à
an palais royal ; fine valeur de héros , équivaut a
une valeur héroïque ; c’eft un fèns (pecifique, ou
de forte : mais quand il y a un fens individuel ou
perfbnnel, (oit univerfèl, foit fingulier, c’eft à dire,
quand, on veut parler de tous les rois perfbnnelle-
nifnt, comme fi l ’on difbit \ intérêt des rois, ou de
quelque roi particulier , la gloire du roi , la valeur
du héros que j'aime ; alors on ajoute l’Article à la
préposition ; car des rois, c’eft de les rois ; & du
héros, c'e& de le héros.
A l’égard de notre à , il vient le plus Souvent de
la prépofition latine a d , dont les italiens fè fervent ,
encore aujourdhui devant une voyelle : ad uomo d in-
telletto , à un homme d’efprit ; uno ad uno, un à
un ; ( S .L u c , ch .jx . v. 13. ) pour dire que Jéfus-
Chrift dit à Ses dilciples , &c. fe Sert de la prepofi-
tion ad, A it ad illos. Les latins difoient également
loqui alicui, & loqui ad aliquem, parler à quelqu’un
; afferre aliquid alicui , ou ad aliquem , apporter
quelque chofè à quelqu’un , &c. .Si de ces
deux manières de s’exprimer nous avons choifî celle
qui s’énonce par la prépofition, c’eft que nous n avons
point de datif.
1 Les latins difoient auffi pertinere ad ; nous
difbns de même , avec la prépofition , appartenir
à: , , • • - ' .
2,0, Notre prépofition à vient auffi quelquefois de
la prépofition latine à ou ai.; auferre aliquid^ alicui
ou ah aliquo , ôter quelque chofe à quelqu’un : on
dit auffi, eripere aliquid alicui ou ah aliquo ;petere
veniam d Z>*o , demander pardon à Dieu.
Tout ce que dit M. l’abbé Regnier pour faire voir
que nous avons des datifs, me paroît bien mal aflorti
avec tant d’obfêrvations judicieufès qui font répandues
dans fà Grammaire. Selon ce célèbre académicien
{pag. 23S. ) quand on dit v_pila un chien qui
s’ejl donné à moi, à moi eft àu datif : mais fi 1 on dit
un chien qui s’ejl adonné à moi , cet à moi ne fera
plus alors un datif; c’eft, dit-il, la prépofition latine
ad. J’avoue que je ne fàurois reconnoître la prépo*-
fition latine dans adonné a , fans la voir auffi dans
donné à , & que dans l’une & dans l’autre de ces
phrafes les deux -d me paroiffent de même efpèce ,
& avoir la même, origine. En un mot, puifque ad
aliquem ou ab aliquo né font point des datifs en
latin , je ne vois pas.pourquoi d quelqu'un pourroit
être un datif en françois.
Je regarde donc de & d comme de fimples préposions
, auffi bien que par, pour, avec, &c. les unes
& .les autres fervent à faire connoître en françois les
Rapports particuliers que l’Ufage lésa chargés de marquer
, fàuf à la langue latine à exprimer autrement
ces mêmes rapports.' ' ' ^ ‘
A l’égard de le , la , les, je n’en fais pas une claiFe
particulière de mots'Sus le nom d"Article; je les
place avec les adjeâifs prépofitifs, qui ne fe mettent
jamais que devant leurs fubflantifs, & qui ont chacun
un lervice qui leur eft propre. On pourroit les ap-
peller Prénoms. . \
Comme la fbciété civile ne fàuroit employer trop
de moyens pour faire naître dans le coeur des h ouïmes
des fèntiments, qui d’une part les portent à éviter
le mal qui eft contraire d cette fbciété , & de 1 autre
les engagent à pratiquer le bien qui fèrt à la
maintenir & a la rendre floriflante ; de même 1 art
de la parole ne fàürôit nous donner trop de fecours ,
pour nous faire éviter l ’obfcurité & l ’amphibologie,
ni inventer, un affèz grand nombre de mots, pour
énoncer, non feulement les diverfès idées que nous
avons dans l’efprit, mais encore pour exprimer les
différentes faces fous lefqüelles nous confidéroris les
objets de ces idées.1 « J ' .
Telle eft la deftination des prénoms ou adjeâifs
métaphyfiques , qui marquent , non des qualités
phyfiques des objets, mais feulement des points de
vue de l’efprit, ou des faces différentes fous lesquelles
l’efprit confîdère le même mot ; tels font
tout y chaque, nul, aucun, quelque , certain ( dans
le fèns de quidam ) un, ce , cet, cette, ces, le, la ,
le s , auxquels oh peut joindre encore les adjeâifs
poffeffifs tirés des pronoms perfbnnels ; tels font mon,
ma, mes, .& les noms de nombre cardinal, un, deux,
trois, &c. •
Ainfî, je mats/*, la , le s , au rang de ces prénoms
ou adjeâifs métaphyfiques. Pourquoi les ôter de la
claffe de c«s autres adjeâifs ?
Ils font adjeâifs puifqu’ils modifient leurs fùbftan-
tifs , & qu’ils le font prendre dans une acception particulière
, individuelle, & perfbnnelle. Ce font des
adjeâifs métaphyfiques , pùifqu’ils marquent, non
des qualités phyfiques, mais une fimple vue particulière
de l’efprit.
Prefque tous nos grammairiens (Regnier ,/?. 141 -
Reftaut, p. 64. ) nous difènt que le , la , les, fervent
à faire connoitre le genre des noms, comme fi c ecoit
là une propriété qui fût particulière à ces petits motsf‘
Quand on a un adjeâif à joindre à un nom , on
donne à cet adjeâif, ou la terminaifon mafculine,
ou la féminine , félon ce que l ’ufage nous en a appris.
Si nous difons le foleil plus tôt que la jb le il, comme
les allemands, c’eft que nous fàvons qu’en françois
foleil eft du genre mafculin , c’eft à dire, qu’il eft
dans la claffe des noms des chofès inanimées auxquels
l’Ufâge a confâcréla terminaifon des adjeâifs déjà
deftinée aux noms de mâles, quand il s’agit des animaux.
Ainfi , lorfque nous parlons du foJeil, nous'
difbns le foleil, plus tôt que la , par la même raifon
que nous dirions beau fo le il, brillant fo le il, plus
tôt que belle ou brillante.
Au refte , quelques grammairiens mettent le , la ,
les au rang des pronoms : mais fi le pronom eft un
mot qui fe mette à la place du nom dont il rappelle
ridée; /*, la , les, ne feront pronoms que lorfqu’ils
ferontJcette» fonârori : alors ces mots vb'nt tous feuls
& ne fè trouvent point avec le nom qu’ils repré-
fèntént. L a vertu eft aimable; aime\-la. Le premier
la eft adjeâif métaphyfique, ou, comme on
dit, Article; il précède fbn fubfahtifvertu ; il per-
fonnifie la vertu ; il la fait regarder comme un indi-
; vidu métaphyfique : mais le fécond la , qui eft après
aime^, rappelle la vertu, & c’eft pour cela qu’il eft
pronom, & qu’il va tout fêul ; alors la vient de illam,
è!4e.
C ’eft la différence du fervice ou emploi des mots,
& non la différence matérielle du fbn, qui lés fait
placer en différentes clafles : c’eft ainfi que 1 infinitif
•des verues: eft fbuv.ent nom, le boire, le manger.^
Mais fans quitter nos mots, ce même fbn la n’eft-il
pas aufii quelquefois un adverbe qui répond aux adverbes
latins ibi, hâc , ijldc, illâ c , il demeure là ,
il va Jà l &c. N ’eft-ii pas encore un nom fubftantif
quand il fignifie une note de Mufique f Enfin n’eft-il
pas auffi une particule expiétive qui fèrt à l’énergie',
ce jeune homme-là , cette femme-là, &c l
A l’égard de un, une, dans le fens de quelque ou
certain, en latin quidam, c’eft encore un adjeâif
prépofitif qui défigne un individu particulier, tiré
d’une efpèce , mais fans déterminer fingüüèrement
quel eft cet individu , fi c’eft Pierre ou Paul. Ce
mot nous vient auffi du latin : Quis ejl is homo,
unus-ne amatori (Plaut. Truc. 1. i j . 3 2 . ) quel eft
c e t homme, eft-ce là un amoureux f Hic ejl unus
fervus violentijfimus , (Plaut. ibid. II. 1. 39.) c’èft
uaefclave très-emporté ; Sicut unus paterfamilias,
( Cic, de orat. 1. 29. ) comme un père de famille.
Qui^variare cupit rem prodigialiter unam , ( Hor.
A n . poét. v. 29. ) celui qui croit embellir Hn fûjet,
unam rem , en y faifànt entrer du merveilleux.
■ Forte, unam qdfpicio adolefcentulam , ( Ter. And.
acl. 1. fc , I. v, 9 1 .) j’apperçois par hafàrd une jeune
fille. Donat, qui a commenté Térence dans le temps
que la langue latine étoit encpre une langue vivante, 1
dit fur ce paflage, que Térence a parlé félon l’Ufàge, j
& que s’il a dit unam , une, au lieu de quamdam,
certaine , c’eft que telle éteit, dit-il, & que telle eft
encore la manière de parler. E x Confuetudine dicit
unam, ut dicimus , unus ejl adolefcens : unam ergo
tco lê'ianta-f^oi) d ix it, vel unampro quamdam. Ainfi , ,
ce mot n’efi en françois que ce qu’il étoit en latin.
La Grammaire générale de P. R. pag. 33. dit j
que un eft Article indéfini. Ce mot ne me paroît
pas ' f ms'Article indéfini, que tout, Article univerfçl,
ou c e , cette, ces, Articles définis. L ’auteur ajoute,
qu’on croit d'ordinaire que un n'a point de plurier ;
qu'il ejl vrai qu'il nen a point qui fo it formé de
lui-même: (on dit pourtant, les uns, quelques-wnj,•
& les latins ont dit au pluriel, uni, unes, &c.) E x
unis geminas mihi conjîciet nuptias. (’Tér. And.
acl. IF . fc . i. v. 31. ) Aderit una in unis ædibus.
fT é r . Eun. aél. II, fc . iij. v. 7 5 . & félon
Md* Dacier, acl. II. fc . jv . v. 9 4 .) Mais revenons
à la Grammaire générale. Je dis , pourfuit
l ’aufeur, que un a un pluriel pris d'un autre mot,
qui ejl des , avanç les fubjlantifs , des animaux ;
& de, quand Vddjeétif précède, de beaux lits. JJe
un pluriel ! cela eft nouveau..
Nous avons déjà obfécvé que des.eft pour cU les,
& què de eft une, prépofition, qui par conféquent
fûppofé un mot exprimé ou fouféntendu, avec lequel
elle puifie mettre fbn complément en rapport ;
qu’ainfî ,1 il y a ellipfé dans ces façons de parler : &
l ’analogie s’oppofé à ce que des ou de fbient le
nominatif pluriel d’«n ou d'une.
L ’auteur de cette Grammaire générale me paroît
bien au deffous de fà réputation quand il, parle de ce
mot des à, la page 55 : il dit que cette particule eft
quelquefois nominatif ; quelquefois accufàtif, ou
génitif, ou datif, ou enfin ablatif de \ Article un. Il
ne lui manque donc que de marquer le vocatif pour
être la particule de tous les cas. N ’eft-ce pas là indiquer
bien nettement l’ufàge que l’on doit faire de
cette prépofition î
-Ce qu’il y a de plus fûrprenant encore, c’eft que
èet auteur foutient, page 5 5 , que, comme on dit au
datifJingulier à un, 6 au d a tif pluriel à des, on
deyr oit dire au génitif pluriel de des: puifque des
e j l, d it-il, le pluriel d'un : que f i on ne Va pas
f h i t , c’e j l, pourfuit-il, par une, raifon qui fa it la.
plupart des irrégularités des langues, qui ejl la
cacophonie ; ainfi , dit-il , félon la parole d’un
ancien, impetratum ejl à ratione ut peccare fuavi-
tatis causa liceret ; & cette remarque a été adoptée
par M. Reftaut, pag. 73. & 75.
Au refte, Cicéron dit, ( Orator, n. xlvij. ) que
impetratum eft à Confuetudine , & non à ratione, ut
peccare fuavitatis causa liceret : mais foit qu’on
lifè à Coifuetudine, avec Cicéron , ou à ratione,
félon la Grammaire générale, il ne faut pas croire
que les pieux folitaires de P. R. ayent voulu étendre
cette permiffion au delà de la Grammaire.
Mais revenons à notre fùjet. Si l’on veut bien faire
attention que des eft pour de les ; que, quand on dit
à des hommes, c’eft à de les hommes ; que de ne
fàuroit alors déterminerà , qu’ainfî il y a ellipfé; à
des hommes, c’eft à dire à quelques-uns de les
hommes, quibufdam ex hominibus : qu’au contraire,
quand on dit le Sauveur des hommes, la conftruc-
tion eft toute fimple ; on dit au fînguiier, le Sauveur
de l'homme, & au pluriel le Sauveur de les hommes ;
il n’y a de différence que de le à le s , 8c non à la
prépofition. Il ferojt inutile & ridicule de la répéter ;
il en eft de des comme de a u x , l’un eft de le s ,
& l ’autre à les : or comme lorfque le fèns n’eft pas
partitif;- on dit aux hommes fans ellipfé ; on dit
auffi des hommes dans le même fens général,
Vignorance des hommes, la vanité des hommes.
Ainfî, regardons i°. le , la , les, comme de fimples
adjeâifs indicatifs & métaphyfiques, auffi bien que
ce , ce t, cette , un , quelque , certain , &c.
2°. Confidérons de comme une prépofition, qui,
ainfi que par, pour, en , avec, fans , & c. fert à
tourner l ’efprit vers deux objets, & à faire apper-
cevoir le rapport que l ’on veut indiquer entre l’un
& l’autre.
30. Enfin décompofbns, au, a u x , du, des, faifànr
attention à la deftination & à la nature de chacun des
mots décompofés, k tout fè ttouvera applani.
Gg »
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