
& fo forme par ce moyen des idées abjîraites. Une
boule s,'offre à mes regards , & repofo fur ma main ;
je m’en forme une idée d’après les imprefïions
qu’elle fait fur mes fèns ; je diftingue ces imprefî
fions , fa rondeur, fà blancheur, fà pefànteur :
chacune de ces idées, ou plus tôt les caufos qui les
font naître en m o i, je les nomme modes de cette
fubftance : ces modes me paroiflènt attachés à cet
individu dont je dis qu’il eft rond , qu’il eft b lan c ,
qu’ il eft pelant ; cet individu me paroit être quelque
chofè à qui ces qualités appartiennent : o r , ce quelque
ch ofe, je le nomme fub jîan ce , & c’eft de cette
fubftance que je dis qu’elle eft ronde, blanche, &
pefànte ; je la touche, je la remue ; je vois qu’il y a
entre elle & moi un rapport qui fait qu’elle agit fur
mes fèns & que j’agis fur elle ; par là je forme l’idée
des relations de lie u , de caufo, d’effèt. D e même
je .fais attention à ce qui fo pafiè en moi : je fèns un
être qui penfè , tantôt à une chofè tantôt à une autre ;
qui éprouve quelquefois du pla ifîr , quelquefois de
la douleur : cet être eft toujours le même : je le
confîdère fou i, & fous cette face qui me le repré-
fènte comme fùbfîftant par lui-même ; je dis que
c’eft UDe fubftance : je confîdère à part fès penfees ,
fès fontiments divers ; je fèns qu’ ils appartiennent à(
cette fobftance, & qu’ils font différentes manières
dont elle exifte ; je les regarde comme des modes de
cette fobftance : je dis qu’elle penfè , qu'elle font du
pla ifîr , de la douleur : je fèns que ces modes fo
fùccèdent, commencent & finifïènt, durent plus ou
moins ; j ’acquiers par là l’idée des relations de temps,
de durée , de focceftion.
Toutes nos idées abjîraites peuvent fo réduire à ces
trois clafTes ; les fobftances , les modes, les relations.
Les idées que nous acquérons par l’abftraâion phy-
fîque peuvent être fîmpjes ou compofoes. Elles font
(impies, lorfqu’elles ne nous repréfontent qu’un foui
& unique objet indivifîble : il n’y a que les idées
abjîraites des modes, iorfqu’pn les confîdère chacun
à part, qui foient des idées Amples ; & elles nous
font fournies, ou par les fèns qui reçoivent l’im-
preflion des objets extérieurs, ou par le fontiment
intime de ce qui fo pafïè en nous. Une couleur , un
fon, le goût, l’étendue, la folidité , le mouvement,
le repos , le plaifîr, la douleur , &c. font des idées
fîmples. Au contraire, les idées abjîraites de fubjlancç
& de relation font toujours des idées compofoes, de
même que celles des modes mixtes, comme la vérité
, La religion , Vhonneur, la fo i , la gloire , la
vertu , &c. .,
Nous pouyons augmenter le nombre des idées
abjîraites que nous fournit un individu, en paufîànt
aufîr loin qu'il eft.poflible la décompofîtion, non fou-
lement de l’idéé totale , qui eft toujours compofoe ,
mais encore de chaque idée partielle, qui peut encore
elle-même être compofoe, & nous offrir di-
yerfos idées diftinétes qu’elle renferme, La figure
fphérique , par exemple, que je confîdère à part
dans une boule d’o r, peut m’offrir les idées de centre
, de circonférence, de rayons, &c«
On a donné le nom de Pénétration à la faculté de
l’efprit qui développe & découvre, dans- chaque
fojet qu’il étudie, toutes les différentes idées qu’il
eft poflible d’y diftinguer \ & le plus haut degré de
la pénétration d’efprit confîfte à réduire toutes les
idées compofées aux idées fîmples qui leur fèrvent
d’éléments. Je dirai avec M Bonnet: «Plus un génie
» a de profondeur , plus il décompofè un fojet. L ’in-
» telligence pour qui la décompofîtion de chaque fo-
» jet fo réduit à l’unité, eft l ’intelligence créatrice >5.
En effet, il n’y a qu’elle pour qui chaque fojet ne
renferme pas des objets d’idées dans le fond defquels
il n’eft pas poflible de pénétrer. Pour elle foule , au
moins, les fobftances ne font pas un myftère impénétrable.
Les idées abjîraites métaphyfîques foppofont les
idées abjîraites individuelles : celles-ci font les éléments
de celles-là. Nous les nommons également
idées générales, idées univerfelles , parce qu’elles
font celles qui ne nous repréfontent que ce qui eft
commun à piufîeurs êtres, faifànt abftraétion de ce
qui eft particulier à chacun d’eux.
Dans toute idée abjlraite métaphyfîque, il faut
confîdérer , i° . la compréhenfîon , l ’étendue de
l’idée ; z?.sfon degré d’àbftraétion plus ou moins
grand.
i °. La compréhenfîon de l’idée abfîraite n^étaphy-
fîque eft l’affemblage des idées partielles que nous
réunifions dans l’idée univerfolle, pour repréfonter,
comme dans un foui tableau, les traits que nous
regardons comme étant communs à tous les êtres
d’une même efpèce, ou que nous voulons rangée
dans la même claflè. Ainfi, quand je dis un être, ou
Amplement Mètre , la compréhenfîon de cette idée fo
borne à la foule idée de l ’exiftence : fî je dis animal,
la compréhenfîon de cette idée renferme tous les
traits qui diftinguent un animal de tout être qui n’eft
pas un animal ; ainfi, il y aura les idées-d’exiftence ,
d’étendue, d’organifàtion , de nutrition , de mouvement,
de fontiment : fî je dis homme , à cette idée
d’animal en général, je joindrai celles d’une certaine
figure, d’un certain arrangement de parties, &d’ame
raifonnable unie à un corps organifo.
L ’extenfîon ou étendue de l’idée abjlraite. métaphyfîque
, eft l’affrmblage ou le total des êtres divers
, des différents individus, auxquels l’idée eft
applicable, Ainfi, l'idée de l'être s’étend à,tous les
êtres , à tout ce qui exifte , de quelque nature qu’il
foit ; c’eft , de toutes les idées, la plus générale , la
plus étendue ; l’idée d’animal s’étend à tous les animaux,
c’eft à dire, à tous les êtres en qui on trouve
l’exiftence, l’étendue, l’organifàtion, le mouvement,
le fontiment, &c : l’idée d’homme s’étend à tous les
hommes qui exiftent.
C'eft en travaillant, par la méditation ,-for la com-i
préhenfîon & l ’étendue des idées abjlraitès métaphyfîques
, que notre efprit range les êtres par
clafTes, genres, efpèces , &c, Plus nous avons approfondi
& décompofë l’idée de divers individus qui
nous font connus, pour y diftinguer toutes les idées
Amples
Amples & diftin&es'qu’ils offrent à floffe Méditation ;
©lus nous fournies en état de rendre exaéfe & pré-
cifo la diftribution que nous en faifons par clafTes,
moins nous courons de rifque de mettre dans le
même genre ou la même efpèce, comme fomblables,
des êtres qui, mieux connus, nous offriroient des
différences allez elîèntielles pour exiger d’en faire
des clafTes à part, ou de les rapporter à d’autres,
La compréhenfîon de l ’idee en refïèrre ou en
étend l’extenfîon, foion qu’elle eft plus ou moins
compofée, c'eft à dire , félon qu’elle renferme un
plus ou moins grand nombre d'idées diftinétes. Qu à
l ’idée de l’être, je n’en joigne aucune autre ; qu’elle
ne renferme que la foule idée de l'exiftence ; j’aurai
l ’idée abjlraite de la plus grande étendue, puifqu’elle
s’appliquera à tout ce qui exifte. Qu’à l ’idée d’e x ï- .
ftencefo joigne celle d’étendue folide, de divifîbilite,
d’impénétrabilité ; j’aurai une idée univerfolle moins
étendue, puifqu’elle ne conviendra qu’aux corps.
Qu’à ces idées renfermées dans la compréhenfîon
de l’idée de corps , je joigne celle de fufîbilité, de
malléabilité, de pefànteur ; je refïèrre l ’étendue de
cette idée en augmentant fà compréhenfîon , elle ne
convient plus qu’à cette forte de corps qu’on nomme
métaux. Que j’y ajoute encore celle d’une plus-''
grande pefànteur, de la couleur jaune & brillante ,
de la fixité ; je reftreins l’idée de métaux à l'idée de
celui-là foui que l’on nomme or. Plus donc, dans
l’idée abjlraite métaphyfîque, je fais entrer d’idées
qui en augmentent la compréhenfîon, plus je reftreins -
par là fon étendue ou extenfîon.
z°./Les idées abjîraites peuvent avoir différents
degrés d’abftradion, foion que ce qu’elles repréfen-
tent à l’efprit s’éloigne plus ou moins de l’idée complexe
d’un individu. Si je ne retranche ou n’abftrais
rien de l’fdée de Louis X V I , mais que dans la compréhenfîon
de l’idée que j’en a i , je rafîèmble fàns
exception tous les traits, toutes les idées diftindes
que m’offre fà perfonne ; j’ai une idée individuelle
qui ne convient qu'à ce foui objet. Si je retranche
de cette idée celle du numéro de' fon nom, pour ne
conforver que ce qu’il a de commun avec tous les
•rois de fà maifon qui fo font nommés Louis \ l'idée
que je me forme par là eft une idée abjiraite , qui
convient à tous les rois de France qui fè font nommés
Louis. Si je retranche de cette idée ce qui n'a
été commun qu’aux rois nommés Lou is, pour ne
garder que ce qui .eft commun aux rois de France
de la race Capétienne ; j’aurai une idée plus abjlraite y
d une compréhenfîon plus reftreinte, mais d’une
plus grande étendue, qui embraflèra tous les rois
qui ont régné en France depuis Hugues Capet. Si je
retranche ou abftrais de cette idée tout ce qui eft
particulier à chaque race, pour ne joindre à l’idée
de roi que celle de la domination fur le royaume
de F rance ; mon idée fora plus abjlraite, & conviendra
a tous les rois de France fàns exception. Que
j abftraye encore de cette-idée, toute idée de domination
(ùr^un pays plus tôt que fur un autre, toute
ïdee du temps ancien ou moderne ; mon idée devient
C ramm. e t JLit t é r a t . Tome I .
toujours plus abjlraite, d’une cotfiÇféhéfifidn moins
compofoe, maïs en même temps d’une étendue1 plus
vafte , puifqu’elle fora applicable à tous les rois qui
ont régné fur la terre depuis le comnftencement, &
qui y régneront jufqu’à la fin. Voilà une première
face fous laquelle on peut envifàger les idées abjlrai-
tes , & qui nous les offre comme plus ou moins
abjîraites , relativement à leur compréhenfîon & à
leur étendue. Plus la compréhenfîon eft reftreinte y
plus l’extenfîon augmente, plus l’idée eft abjlraite.
Les idées métaphyfîques font aufli plus ou moins
abjîraites, relativement à la nature des objets qu’elles
repréfontent.
î °. Les idées métaphyfîques moins abjîraites, font
celles qui repréfontent les diverfos natures communes
des êtres, & qui font formées fur les modèles
des individus exiftants réellement dans la nature z
telles font les idées générales d’homme , de cheval,
de pigeon, de métal, d'efprit. On peut donner à
ces idées le nom d’idées abjîraites corporelles ou
fpirituelles „ fiiivant la nature corporelle ou fpiri-
tuelle des êtres qu’elles comprennent dans leur
extenfîon , quoiqu’elles ne repréfontent pas parfaitement
ces êtres, puifque:, dans leur compréhenfîon,
on ne fait entrer que les idées des traits par iefquels
chacun des individus de l’efpèce fo refîèmble.-
z ° .L On peut placer dans le fécond rang des idées
abjîraites , celles qui ont pour objet les modes , les
propriétés des êtres , envifagées en général & fepa-
rément des fubftances, ouïes fubftances des êtres
confîdérées en général & féparément des qualités
des propriétés , & des modes ; comme font les idées-
abjlraites de figure, de couleur, de mouvement *
de la puifïànce , de l ’aéiïon , de l’exiftence , de l’é-^
tendue, de la penfée, de fubftance , d'ellènce , &c«
3°. Moins les objets des idées abjlrai.es ont de
réalité , & plus eft confîdérable leur degré d’abftrac-
tion : je forai donc autorifë par cette règle, à placée
dans un troifîème rang , & , par là même , d’affigner
un degré plus élevé d’abftraâion aux idées qui n’ont
pour objet que les relations qui fobfiftent ou peuvent
fùbfîfter entre les êtres : je les acquiers en comparant
un être à un autre-, en obforvant les circon-
ftances dans lefquelles un être eft par rapport à l’autre
- & enfin en foparant l'idée de ces relations de
celle des êtres entre Iefquels je les ai apperçues i
telles font les idées de caufo , d’effet, de reffem-
biance , de différence, de tout, de partie, &c.
4°. Si les idées de caufo , de fubftance , de mode ,
font déjà par elles-mêmes des idées abjîraites ; les
idées de caufàlité , de fubftantialité , de modalité ,
feront plus abjîraites encore ; car ces mots ne fîgni-
fient pas la chofè même, mais feulement une manière
de confîdérer une chofè comme caufo, comme
fubftance, comme mode. Dans ce rang on peut
mettre les idées générales de genres , d’efpèces, de
nom , de pronom , de verbe , &c. & une multitude
d’autres idées qui entrent dans le difoours des gens
du commun auffi bien que des (àvants.
R^parquons ici que les idées de caufo, d’effet,