
du Roman comique , (àvoit bien ce qu’il faifoit en
traveftiiïànt VÉne'ide : mais il y a de bons & de
mauvais bouffons; & (bus l’enveloppe du JBurlefque,
il peut le Cacher (buvent beaucoup de philofophie
& d’elprit. L e but moral de ce genre d’écrits , eft
de faire voir que tous les objets ont deux faces ; de
déconcerter la vanité humaine, en préfontant les
plus grandes choies & les plus férieufos d’un côté
■ridicule & bas, & en prouvant à l’opinion qu’elle
tient (buvent à des formes. De ce contraûe du grand
au petit, continuellement oppofès l’un à l ’autre,
naît, pour les âmes fofoeptibles de l’impreffion du
ridicule, un mouvement de (ûrprifo & de joie fi vif,
fi (budain , fi rapide, qu’il arrive (buvent à l’homme
le plus mélancolique d’en rire tout foui aux éclats ;
& c’eft quelquefois l’homme du monde qui a le
plus de fons & de g o û t, mais à qui la folie & la
gaieté: du poète font oublier pour un moment
le férieux des bienféances. La preuve que cette
focouffe, que le BurUfque donne à l’ame, vient
au contrafte inattendu dont elle eft fortement frappée
, c’eft que mieux on connoît Virgile & mieux
on en font les beautés, plus on s’amufo à le voir
ïravefti par l’imagination plaifonte & folie de
Scarron.
( f L’Enéide traveftie n’eft autre chofo qu’une mascarade,
comme Scarron le dit lui-même ; & cette
mafcarade n’eft pas auiïi grotelque qu’on le penfo
communément. Ce font des dieux & des héros,
déguifës en bourgeois de Paris, mais tous avec leur
propre caractère , dont Scarron a (àifi le côté ridicule
, avec beaucoup de jufteffe & d’elprit. C’eft
ainfi que de Jupiter, il a fait un bon homme; de
Junon, une commère acariâtre; de Vénus, une mère
eomplailânte & facile; d’Énée, un dévot larmoyant,
un peu timide & un peu niais; de Didon, une veuve
ennuyée de l’être ; d’Anchifo, un vieux bavard ; de
Calchas, un vieux fourbe; de la Sibylle, une devi-
nereffe, une dijeufe de logogryphes ; & de l’oracle
d’Apollon , un faifeur de rébus picards. Quant au
perfonnage qu’il a pris lui-même, e’èft celui d’un
conteur naïf & ignorant, qui confond les temps &
les moeurs, & qui fait parler tout fon monde comme
on parle dans fon quartier. Tel eft ce genre de
comique ; & fi l’on veut en avoir une idée plus
jufte, on peut le voir dans cette réponfo de Jupiter
aux plaintes de Vénus.
Ce dieu donc , des dieux le plus fage ,
Se radoueiflànt le vifâge,
Et la prenant fous le menton
Lui dit : Bon Dieu ! que diroit-on
Si l’on vous voyoit ainfi faire?
N’avez-vous point honte de braire
Ainfi que la mère d'un veau?
Ah ! vraiment cela n’eft pas beau.
Ne pleurez;plus;, la Cythérée,
Et.tenez ponr-chofe affûtée
Tout ce qu’a-prédit le deftin
JD’Ênce & du pays latin.
Ce comique qùi naît: du contrafte du langage & de
la perfonne, a (buvent, il faut l’avouer, le défaut
d’être groflier & bas; mais quelquefois il a plus de
finefîè : & par exemple, d«ins ce Dialogue de Vénus
avec fon fils Énée, après qu’il lui a dit :
Vous fentez la dame divine :
J’en jure roi s fur votre mine»
Quel eft l’homme de goût qui ne fourïroit point en
voyant Vénus faire l’Agnès, & le héros troyen transe
formé en Nieaifo ?
Je ne fuis pas, en vérité,
D’une fi haute qualité ,
Dit Vénus, mais votre fcrvante.
Ah ! vous étés trop obligeante,
Ce dit-il, & j’en fuis' confus.
Et m oi, fi jamais je la fus,
Ce dit-elle. Et lui de fourire,
Difant : Cela vous plaît à dire;
Puis fa tête défafubla.
Ses deux jarrets elle doubla
Pour lui faire la révérence,
il fit une circonférence
Du pied gauche à l’entôur du droit,
Et cela d’un air tant adroit,
Ce pauvre fugitif de Troie,
Que fa mère en pleura de joie.
La première entrevûe d’Énée avec Didon eft du
même tour de plaifonterie.
La reine donc fut étonnée
De l’apparition d’Énéef
Et lui dit, parlant un peu gras,
L’ayant pris par le bout du bras,
{C’eft par la main que je veux dire) :
Comment vous portez-vous, beau Sire?
Moi, lui dit-il, je n’en fois rien :
Si vous êtes bien , je fuis bien ;
Et j’ai, pour le moins , la migraine,
S’il faut que vous foyez mal faine.
Vous vous portez bien , Dieu merci;
Je me porte donc bien auffi.
Scarron eft diffus par négligence ; il eft ce qu’on
appelle Polijjon par gaieté; il a porté trop loin la
licence de fon humeur, le Genio indulgère ; mais
qu’on ne s’étonne pas de m’entendre dire que c ’étoit
un des hommes de fon temps qui avoient le plus de
goût. Les crifiques les plus finçs de VIliade & de
PEnéide, font dans le Virgile travefli. Son génie eft
celui de Marot, appliqué au genre héroïque ; & fi
on les veut comparer l ’un à l’autre, voici deux
morceaux du même genre, où ils Ce rapprochent
allez,. Marot, prifonmer au Châtelet, qu’il appelle
l’Enfer, paffè par l’audience, & demande à fon
guide' ce que c’eft que tous ces gens-là, Son guide
lui répond;
Je te faist affavoir
Que ce mordant, que l’on die fi fort bruire,
De corps & biens veut fon prochain détruire ;
Ce grand criard, qui tant la gueule tord,
Pour le grand gain tient du riche le tort.
Celui qui parle illec, fans éclater ;
Le juge a/fis veut çorropipr^, Sç flatter.
Ami, voilà quelque peu des menées
Qui aux fauxbourgs d’Enfer font démenées
Par nos grands loups raviflànts & famis ,
Qui aiment plus cent fols que cent amis,
Et dont, pour vrai, le moindre & le plus neuf
Trouveroit bien à tondre fur un oeuf.
Enfoite il lui décrit la génération des procès.
En cetui parc , où ton regard épands ,
Un manière il y a de ferpents-
Qui, de petits, viennent grands & félons,
Non pas volants, mais traînants & bien longs ,
Et ne font pas pourtant couleuvres froides,
Ne verds lézards , ne dragons forts & roides J
Ce font ferpents enflés , envenimés ,
Mordants, maudits , ardents , & animés,
Jettanc un feu qu’â peine on peut éteindre,
E t , en piquant, dangereux à l’atteindre.
C’eft la nature au ferpent plein d’excès ,
Qui par fon nom eft appelé Procès.
Celui qui tire ainfi hors fa languette ,
Détruira bref quelqu’un, s’il ne s’en guette;
Celui qui fifflè & a les dents fi drues,
Mordra quelqu’ un qui en courra les rues;
Et ce froid-là, qui lentement fe traîne,
Pat fon venin a bien fu mettre haine
Entre la mère 5c les mauvais enfants :
Car ferpents froids font les plus échauflànts.
Tu dois favoir qu’ifliies font ces bêtes
Du grand ferpent Hydra, qui eut fept têtes,~
Contre lequel Hercule combattoir;
Et quand de lui une tête abattoit,
Pour une morte en revenoient fept vives,
Ainfi eft-il de ces bêtes noifives.
Écoutons à préfont Scarron dans la deforiptioir de
l ’Enfer.
Ceux que pend â tort la Juftice
Par la cruauté du deftin ,
( Qui n’eft fans doute qu’un lutin ,
Qui fait tout fans poids ni mefure,
Et fert ou nuit à l’aventure )
Font mille clameurs fans fuccès ,
Pour faire revoir leur procès;
Us parlent tous à tue-tête.
Minos, qui reçoit leur requête ,
Préfident du Parlement noir ,
Ne fait que placets recevoir ;
E t , ce qui fait crever de tire ,
En les recevant, les déchire.
Maint avocat porte-bonnet,
Qui trahit fon client tout net
En procès ou en arbitrage ,
Reçoit en ce lieu maint outrage :
On le fait ronger par des rats ,
Ou l*on l’aflbmme à coups de facs.. ;
Tout auprès, de pauvres poètes,
Qui rarement ont des manchettes,
Y récitent de pauvres vers :
On les regarde de travers ,
Et rarement on les écoute ;
Ce qui les fâche fort fans doute.
Il décrit ainfi le Tartare :
Flégéton , un fleuve de foufre ,
Court à l’entour, creux comme un gouffre,
Et roule à grand bruit du brafier ,
Au lieu de fable ou de gravier.
Une tour qui flanque la porte, •
Si haute, ou le diable m’emporte ;
Qu’elle atteint au plancher d’enfer,
Eft toute d’airain Sc de fer.
Tifiphone en eft la portière ,
Carrogne auffi fuperbe & fière
Que le portier d’un favori;
La vilaine n’a jamais r i.. . .
Ænéas eut l’ame étonnée
Du bruit de la troupe damnée.,.
Le grand Sc petit châtelet
N’ont rien de funefte Sc de laid
Auprès de ce château terrible,
Aux gens de bien inacceflîble :,
Radatnanthe effroyable à voir, *
En foutanne de bougran noir,
Sur un fiège de fer préfide.
One ne fut juge plus rigide:
Les commiffaires d’aujourdhui
Sont des moutons auprès de lui,
Quoiqu’en matières criminelles
Nous ayons dé do&es cervelles.
Ce juge criminel d’enfer,
Vrai coeur de bronze ou bien de fer,
En veut furtout aux chatemites,
Aux faux béats, aux hypocrites :
Quand il en attrappe quelqu’un ,
De leur chair il fait du petun ; ( tabac a fumer)
Et ce petun le déconftipe ,
N’en eût-il fumé qu’une pipe.
On voit, qu’en badinant, Scarron, ainfi que Marot,
ne laifle pas de tancer les moeurs. C’eft ainfi , qu’en
parcourant les (ùpplices du Tartare , il dit;
Ceux qui haïffent leurs parents,
Les pères & mères tyrans,
Les enfants qui battent leurs pères ;
Rencontrent là des belles-mères j