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AIMER MIEUX , AIMER PLUS. Sÿn.
L ’idée de. comparailon & de préférence qui eft
commune à ces deux phrafés , les fait quelquefois
confondre comme entièrement fynonymes;cependant
elles ont des différences marquées.
A im e r m ie u x ne marque qu’une préférence d’option,
& ne fùppofe aiicun attachement ; A im e r p lu s
marque une préférence de choix & de goût, & dé-
jîgne un attachement plus grand.
De deux objets dont on aime m ieu x l’un que
l’autre , on préfère le premier pour rejeter le
fécond ; mais de deux objets dont on aime p lu s
l ’un que l’autre , ou n’en rejette aucun ; on eft
attaché à l ’un & à l’autre, mais plus, à l’un qu’à
l’autre.
Une ame. honnête & jufte aimeroit m ieu x
être déshonorée par les calomnies les plus atroces,
que de le déshonorer elle-même par la moindre
des injuftices ; parce qu’elle aime p lu s la juftice
que fôn honneur même ( M . B e a t j z é e . )
* AIR , C m. L it t é r a tu r e , P o é f ie ly r iq u e . En
lifànt & relifànt Y E f fa i f u r l ’un ion de la P o é f ie &
d e la. M u f iq u e , je me fuis fî bien pénétré des idées
dont cet excellent ouvrage eft rempli; & depuis ,
mes réflexions & les lumières que l ’expérience a
pu me donner , fe font fi parfaitement accordées
avec lés principes de l’auteur de Y E J fa i ; qu’eri
écrivant fiir la Poéfie deftinée à être mile en chant.
il ne me féroit pas poflible de diftinguer ce qui eft
de lui ou de moi ; & qu’il vaut mieux tout d’un
coup lui attribuer, (oit que je le copie ou non,
tout ce que je dirai fur l’objet qu’il a fi bien approfondi.
L ’A ir eft une période muficale qui a fôn motif,
Ion deflëin , Ion enfémble , fôn unité , là lÿmmétrie,
& fôuvent aufli Ion retour fur elle-même.
Ainfî, Y A i r eft à la Mufique ce que la période eft
à l’éloquence , c’eft à dire ce qu’il y a de plus
régulier, de plus fini, de plus làtisfaifimt pour
l ’oreille ; & l’interdire au chant théâtral, ce feroit
retrancher du fpedacle lyrique le plus fénfîble de
lès plaifirs. C ’eft furtout le charme de Y A i r qui
dédommage les italiens de la monotonie de leur
récitatif, & de la froideur de leurs fcenes épifô-
diques ; & c’eft ce qui manque à l’opéra françois
pour dfcdifliper la langueur. (C J’écrivois ceci avant
que la Mufique italienne fût établie fiir notre (cène
lyrique : les opéras de M. Piccini n’y laifîènt plus
rien à défirer. )
Mais fi Y A ir doit être admis dans la Mufique théâtrale
, il dpit y être aufli naturellement amené ;
& l’art de le placer à propos n’a pas été aiïéz
connu.
La Mufique vocale a trois procédés differents : le
récitatif fimple , le récitatif obligé, & Y A i r ou le
chant périodique & fuivi. Le premier s’emploie à
tout ce que la fcène a de tranquille & de rapide :
le fécond a lieu dans les fîtuations plus vives ; il
exprime le choc des pallions, les mouvements inter-
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rompus de Famé , l ’égarement de la ration, les
irrélolutions de la penfee , & tout ce qui fé pailè
de tumultueux & d’entrecoupé fur la fcène. Foye£
R é c it a t i f .
Quelle eft donc la place de Y A ir ? la voici. Il
eft aes moments où la fituation de l’ame eft déterminée
& Ion mouvement décidé , ou pat' une
paillon fimple, ou par deux pallions qui fe lucce-
dent , ou par deux pallions qui le combattent &
qui l’emportent tour à tour. Si l’afieâion de l’ame
eft fimpie, Y A ir doit être fimple comme elle ; il
eft alors l ’expreflion d’un mouvement plus lent ou
plus rapide , plus violent ou plus doux , mais qui
qui n’eft point contrarié ; & Y A ir en prend le ça-
radère. Si l’aftedion eft implexe & que l’ame fè
trouve agitée par deux mouvements oppofés , Y A i r
exprimera l'un & l’autre, mais avec cette différence
, que tantôt il n’y aura qu’une luccefliori di-
rede , un paflage , comme de l ’abattement au
tranfport , de la douleur au déféfpoir ; & alors le
premier fentiment. doit être en contrafte avec le
fécond, & celui-ci former fa période particulière :
c’eft là ce qu’on appelle un A i r à deux motifs ,
mais fans retour de l’un à l’autre : tantôt il y aura
un retour de Famé fiir elle-même , & comme une
efpèce de révulfion du fécond mouvement au premier
; & alors Y A i r prendra la forme du rondeau :
il commencera par la colère, à laquelle fuccèdera
un mouvement de pitié, qu’un nouveau mouvement
de dépit fera difparoître., en ramenant avec
p’ftis de violence le premier de ces féndments. Par
cet exemple, on voit que Y A i r en rondeau peut
commencer par le féntiment le plus v if , dont la
féconde partie fôit le relâche, & qui fe réveille
à la fin avec plus de chaleur & de rapidité : c’eft
quelquefois l’amour que le devoir retient , mais
qui lui échappe &_ s’abandonne à toute l’ardeur de
fes défîrs ; e’eft la joie que la-crainte modère, &
qu’un nouveau rayon d’efpérance ranime ; c’eft
la colère que ralentit un mouvement de généro-
fîté , mais que le refléntiment de l’injure vient
ranimer encore avec plus de fureur.
Il peut arriver cependant que la première partie
de Y A i r , quoique la plus douce, ait un. caractère
fi fénfîble, fî gracieux, ou fî touchant, qu’elle
fé falfe défirer à l ’oreille ; & alors c’eft au poète
à prendre foin que le mouvement de Famé l’y ramène
: l’oreille qui demande & qui attend ce retour
, féroit défàgréablement trompée , fi on lui en
dçroboit le plaifîr.
Enfin les révolutions de l’ame , ou fés ofcilla-
tions d’un mouvement à l’autre, peuvent être naturellement
redoublées, & par confequent le retour
de la première partie de Y A i r peut avoir lieu
plus d’une fois.
La marche & la coupe de Y A i r eft donc prifé
dans la nature, loit qu!il exprime un fimple mouvement
de l’ame, une feule afFeétion développée
& variée par fés nuances ; fôit qu’il exprime le
balancement & l ’agitation de l’ame entre deux -ou
©lufietirs
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plufîeurs féntiments oppofés ; fôit qu’il exprime le
' paflage unique d’un fentiment plus modéré à un
léntiment plus rapide, & v ic e v e r fâ : car tout cela
eft conforme aux lois des mouvements du coeur
humain ; & demander alors que la déclamation mu-
fîcalè ne foit pas un A i r , mais un fimple récitatif,
rompu dans fes modulations , fans deflin & fans
unité, c’eft non féulement vouloir que Fart fôit
dépouillé d’un de fis ornements, mais que la nature
elle-même fôit contrariée dans- l’expreflion
qu’elle indique. Un féntiment fimple & continu
demande un chant dont le cercle l ’embraffé, &
dont l’étendue circonfêrite le développe & le termine;
deux féntiments quifé fuccèdent l’un à l’autre
ou qui fé balancent dans l’ame, demandent un chgpt
compote, dont les deflins foient en contrafte ; la re-
prifé même de Y A i r a fon modèle dans la nature ,
car il arrive afléz fôuvent à la réflexion tranquille,
& plus -encore' à la paf l ionde ramener Famé à
l ’idée ou aifcfèntiment qu’elle a quitté. Il y a donc
autant de vérité dans \e \da ca po èn Mufique, que
dans ces répétitions de Molière , L e p a u v r e homme l
Q u d l l o i t - i l f a i r e d a n s ce tte g a lè r e l M a chère c a f-
J è t te !.. & c.
Mais pour que Y A i r fôit naturellement placé ,
il faut Jfàifir avec jufteffe le moment où la vérité ;
de l ’expreflion le fôllicite : Y A i r , dans un moment \
vide ou froid, féra toujours un ornement pofti- :
che. C ’eft le moment le plus v if de la fcène qu’il
faut choifîr pour y attacher l’expreflion la plus
faillante ; & cette expreflion doit être prifé elle-
nfême dans la nature. Ce n’éft ni une image
tirée de loin,, ni une coxnparaifon forcée , ni un
madrigal, artificiellement aiguifé, ni une andthèfé
curieufément arrangée , qui doit être le fùjet de
Y A i r ; l’expreÏÏion la plus fimple de ce qui afféâe
l’ame, eft ce qui lui convient le mieux, parce
que c’eft là ce qui donne lieu aux accents les plus
lenfibles de la parole , & , par imitation, aux accents
les plus touchants de la Mufique.
Quant à la forme que le poète doit donner à la
période deftinée à former un A i r : elle férqjt difficile
à preferire : on doit obférver féulement que
chaque pâme de Y A i r (bit fimple, c’eft à dire , que
les idées ou les féntiments qu’elle réunit, foient
analogues & fulceptibles d’unité dans l’expreflion
qui les embraiïè. C ’eft cette unité d’expreffibn qu’on
appelle motif ou deflin , & qui fait le charme de
Y A i r .
Un talent fans lequel il eft impoflible de bien
écrire dans ce genre, c’eft le prefléntiment du chant,
c’eft ad iré, au cara&ère. que Y A i r doit avoir, de
l ’étendue qu’il demande , & du mouvement qui lui
eft propre.
On a prétendu que la fÿmmétrie des vers étoit
inutile au muficien , & l’on fait dire à celui-ci :
» Compoféz à votre fantaifîe : le mètre, le rhy-
» thme, la phrafé, le ftyîe concis ou périodique,
« to’ut m’eft égal; je trouverai toujours le moyen
» de faire du chant.» O u i, du chant rompu, mu-
Gramm. e t L i t t é r a t , Tome I.
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t ilé , fans deflin & fans fuite, qui fâchera d’étre
expreflif, mais qui,n’étant point mélodieux, n’aura
ni la vérité de la nature ni l’agrément de Fart.
L ’Italie a deux poètes .^lcbres, Zéno & Métaftafé*
Zéno eft dramatique ; il a de la chaleur, de l’intérêt
, du mouvement dans la fcène ; mais fes A ir s
font le plus fôuvent mal compofés ; nul rapport,
nulle intelligence dans la coupe des vers & dans
le choix du rhythme : les muficiens Font prefque
Abandonné. Métaftafe au contraire a difpofé les_phra-
fés , les repos , les nombres , & toutes les parties
de Y A i r , comme s’il l ’eût chanté lui-même : tous les
muficiens fe font donnés à lui.
Ce n’eft pas 'qu’un muficien ne tire quelquefois
parti d’une irrégularité , comme un lapidaire habile
fait profiter de l’accident d’une agate ; mais
ce font les halàrds du‘ génie, &«âes naiards font
fans coïiféquence.
Dans un opéra de Rameau n’a-t-on pas vu ce
mauvais vers ,*•
Brillant Soleil , jamais nos yeux dans ta carrière,
produire un beau deflin de choeur ? L ’homme fans
talent fé fait des règles de toutes les exceptions ,
pour excufér fés mal-adrefiès & fé deguifér à lui-,
même l ’impuiflknce où il eft de faire mieux.
Du refte, ce n’eft point telle forme de vers , ni
leur égalité apparente qui les rend favorables à un
chant me fiir é : ce font les nombres qui les com-
pofént ; c’eft l ’arrangement fymmétrique de ces
nombres dans les differentes parties de la période ;
c’eft la facilité qu’ils donnent à la Mufique d’être
fidèle en même temps à la mefure & à la pro--
fôdie , & de varier le rhythme fans altérer le mouvement
; c’eft l’attention à placer les repos , à me-
fiirer les efpaces, à ménager les fôfpenfîons ou les
cadences au gré'^de l’oreille, & plus encore au gré
du féntiment qui eft le juge de l’expreflion.
Prenez la plus harmonieufé des odes de Malherbe
ou de Roufleau , vous n’y trouverez pas quatre
vers de fuite favorablement difpofes pour une phrafè
de chant : c’eft bien le même nombre de fÿllabes ;
mais nulle correfpondanee , nulle fÿmmétrie ,#iulle
rondeur, nulle aflïmilation entre les membres de
la période, nulle aptitude enfin à recevoir un chant
périodique & mélodieux : le mouvement donné par
le premier vers eft contrarié par le fécond ; la coupe
de Y A i r indiquée par ces deux vers, ne peut plus
aller aux deux autres ; ici la phrafé eft trop concile
, & là elle eft trop prolongée : d’où il arrive
que le muficien eft obligé de faire fur ces vers ua
chant qui n’a point d’unité de motif & de caractère
; ou de mettre le chant dans la lymphome ,
j & d’y ajufter ç à & là les paroles, ou de n’avoir
aucun égard à la profôdie & au fens.
On fait le même reproche aux vers de Quinault,
les plus harmonieux peut-être qui foient dans notre
langue, &.fur lefqueîs il eft rare de pouvoir com^
pofer un A i r : ce qui prouve bien que l’harmonie
l poétique n’eft pas l’harmonie muficale. Quinault a