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imprefïions que les objets phyfîques font £ûr nos
feus, qui nous font donner à ces objets les qualifications
dont nous venons de parler , nous appellerons
ces fortes à!adjectifs, Adjectifs phyfîques.
Remarquez, qu’il n’y a rien dans les objets qui foit
fomblable au fontiment qu’ils excitent en nous. Seulement
les objets font tels qu’ils excitent en nous telle
fonfotion, ou tel fontiment, folon la difpofition de nos
organes & folon les lois du méchanifme univerfel.
Un aiguille eft telle que, fî la pointe de cette aiguille
eft enfoncée dans ma peau , j’aurai un fonciment de
douleur : mais ce fontiment ne fora qu’en moi, &
nullement dans l ’aiguille. On doit en dire autant de
toutes les autres fonctions.
Outre les adjectifs phyfîques il y a encore les
adjectifs métaphyfîques qui font en très-grand nombre
, & dont on pourroit faire autant de claffes
différentes qu’il y a de fortes de vûes fous Iefquel-
les l’efprit peut confïdérer les êtres phyfîques & les
êtres métaphyfîques.
Comme nous fommes accoutumés à qualifier les
êtres phyfîques en conféquence des impréfïions
immédiates qu’ils font for nous , nous qualifions
aufïi lés êtres métaphyfîques & abfiraits en confe-
quence de quelque confidé ration de notre efprit à leur
égard. Les adjectifs qui expriment ces fortes de
vues ou confidé rations, font ceux que j’appelle A d jectifs
métaphyfîques , ce qui s’entendra mieux par
des exemples.
Suppofons une allée d’arbres au milieu d’une
vafte plaine : deux hommes arrivent à cette allée,
l ’un par un bout*, l’autre par le bout oppofë ; chacun
de ces hommes regardant les arbres de cette allée
d it , voilà, le premier ; de forte que l ’arbre que
chacun de ces hommes appelle le premier efl le
dernier par rapport à l’autre homme. Ainfi ,premier,
dernier, & les autres noms de nombre ordinal,
ne font que des adjectifs métaphyfîques : ce font
des adjeCtifs de relation & de rapport numéral.
Les noms de 'nombre cardinal, tels que deux ,
trois , &c. font aufïi des adjectifs métaphyfîques,
qui qualifient une colledion d’individus.
Mon y ma , ton, ta , fon , fa , &c. font aufïi des
' adjectifs métaphyfîques , qui défîgnent un rapport
d’appartenance ou de propriété, & non une quantité
phynque & permanente des objets,
Grand & petit font encore "des adjectifs métaphy-
fiques : car un corps, quel qu’il foit, n’eft ni grand
ni petit en lui-même ; il n’eft appelé tel que par
rapport à un autre corps Ce à quoi nous avons donné
ie nom àe grand a fait en nous une jmprefïion
differente de celle qûe ce que nous appelons petit
nous a faite ; c’eft la perception de cette différence
qui nous a donné' lieu d’inventer les noms de
grand y de petit/, de moindre , &c.
Différent, pareil y femblable , font aufïi des adjectifs
métaphyfîques qui qualifient les noms fobfo
tarrtifs en conféquence de certaines vûes particulières
de l’efprit. Différent qualifie un nom précifement
pn tant que je fêns que la cjhofo n’a pas fait en moi
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des imprefilons pareilles à celles qu’un autre y a
faites. DeuX objets tels que. j’apperçois que l ’un
n’eft pas l ’autre , font pourtant en moi des imprefo
fions pareilles en certains points: je dis qu’ils font
femblables en ces points-là, parce que je me fons
affedé à cet égard de la même manière; ainfi,
Jemblable eft un tf^VÆ/'métaphyfique.
Je me promène tout autour de cette ville de
guerre , que je vois enfermée dans fos remparts :
j ’apperçois cette campagne bornée d’un côté par une
rivière & d’un autre par une forêt : je vois ce tableau
enfermé dans fon cadre, dont je puis même meforer
l’etendue & dont je vois les bornes : je mets for ma table
un livre, un ecu ; je vois qu’ils n’occupent qu’une
petite étendue de ma table, que ma table même ne
remplit qu’un petit efpace de ma chambre, & que
ma chambre eft renfermée par des murailles : enfin
tout corps me paroît borné par d’autres corps , &
je vois une étendue au delà. Je dis donc que ces
corps font bornés , terminés y finis ; ainfi borné y
terminé y f in i , ne foppofènt que des bornes & la
connoifîance d’une étendue ultérieure.
D’un autre côté , fi je me mets à compter quelque
nombre que ce puiffe être , fût-ce le nombre des
grains de fable de la mer & des feuilles de tous les
arbres qui font for la forface de la terre, je trouve
que je puis encore y ajouter, tant qu’enfin, las de
ces additions toujours poffibles , je dis que ce nombre
eft infini y'C eft à dire, qu’il eft te l, que je n’en
apperçois pas les bornes & que je puis toujours
en augmenter la fomme totale. J’en dis autant de tout
corps étendu, dont notre imagination peut toujours
écarter les bornes & venir enfin à l’étendue infinie,
Ainfi, infini n’eft qu’un adjectif refitaphy fîque.
Parfait eft encore un adjectif rnttc^hyCicpie. L ’u-
foge de la vie nous fait voir qu’il y a des êtres qui
ont des avantages que d’autres n’ont pas : nous trouvons
qu’à cet égard ceux-ci valent mieux que ceux-»
là. Les plantes, les fleurs , les arbres , valent mieux
que les pierres : les animaux ont encore des qualités
préférables à celles des plantes ; & l’homme a des
connoifiances qui l’élèvent au defîus des animaux#;
D’ailleurs ne fontons-nous pas tous les jours qu’il
vaut mieux avoir que de n’avoir pas ? Si l’on nous
montre deux portraits de la même perfonne, &
qu’il y en ait un qui nous rappelle avec plus d’exactitude
& de vérité l’image de cette perfonne ; nous
difons que le portrait eft parlant, qu’il eft. parfait t
p’eft à dire, qu’il eft tel qu’il doit être.
Tout ce qui nous paroît tel que nous n’apperce-
vpns pas qu’il puifïç avoir un degré de bonté &
d’excellence au delà , nous l’appelons parfait.
Ce qui «eft parfait par rapport à certaines per-
fonnes , ne l’eft pas par rapport à d’autres, qui
ont acquis des idées plusjuftes & plus étendues.
Nous acquérons ces idées infonfîblement par l’u-
foge de la vie ; car dès notre enfance, à mefore
que nous vivons , nous appercevons des plus ou des
moins , des bien 8c des mieux , des mal & des
pis t mais dans ces premiers temps nous ne fommes
pas
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pas en état de réfléchir for la înà'htèr'e- dont ces
idées fo forment par degrés dans notre efprit ; &
dans la foite, comme Ton trouve ces connoifiances
toutes formées, quelques philofophes fo font imaginé
qu’elles naifîoient avec nous : ce qui veut dire
qu’en venant an monde nous fovons Ce que, c’eft que
l ’infini;, le beau', le p a r f a i t& c . ce qui eft également
contraire à l’expérience & à la raifon. Toutes
oes idées abflraites foppofènt un grand nombre
.d’idées particulières que ces mêmes philofophes
comptent parmi les idées acquifos : par exemple ,
comment peut-on fovoir qu ’ ilfa u t rendre à chacun
ce qui lui eft du, fi l ’on ne fait pas encore ce
que c’eft que rendre , ce que c’eft que chacun , 8C
qu’il y a des biens & des chofos particulières , qui,
en vertu des lois de la fociété , appartiennent aux
uns plus tôt qu’aux autres ? Cependant fans ces connoifiances
particulières3|iâe ces philofophes même
comptent parmi les idées acquifos , peut-on comprendre
le principe général l ( M . du M ars a ïs, )
Les AdjeÇtifsy étant deftinés à être joints aux
noms pour en modifier la lignification , n’ont un fons
bien décidé, qu’autant qu’ils font effèdivement appliqués
à quelque nom appeilatif, qu’ils foppofènt
effenciéllement. Or il n’y a que deux chofos qui
puiffent être modifiées dans la fignification des noms
appellatifs, fovoir la compréhenfîon & l ’étendue.
fo y e r ces mots. De là deux efpèces générales
d adjectifs : les uns, deftinés à modifier l’étendue
des noms appellatifs, fans rien ajouter à la corn-
préhènfion , indiquent pofitivement l’application du
nom aux individus auxquels il peut convenir dans
les circonftançes aduelles ; le , la , le s , tout y n u l,
aucun y chaque Jy quelque y un y deux , trois y. mon,
ton y fon , c e , c e t, qui, &c. ( voye\ l’addition au
mot A r t ic le ) ; & je donne à cette efpèce le nom
d’Articles : les autres, deftinés à modifier la compréhenfîon
des noms appellatifs , fans rien déterminer
fur l’étendue , ajoûtent à cette compréhenfîon
une idée acceflbire qui devient partie de la nature
totale énoncée par la réunion du nom & de Y adject
i f ; comme blanc y rouge, quarré, rond y doux y
amer y dur, mou yfec, humide , chaud y froid y prochain
y éloigné y grand y petit y premier y fécond y
dernier , différent, pareil , femblable , parfait,
beau y néceffaire , utile , poffible , nouveau, dangereux
r mien y tienyfieny &c. & je donne à cette
efpece le nom d’Adjectifs phyfîques.
Par la dénomination d''Adjectifs phyfîques , je
ri*entends donc pas les mêmes que M. du Mariais
a distingués par ce nom ; il ne le donne qu’à ceux
qui énoncent l’idée précifo de, quelqu’une des imprefo
fions que font immédiatement for nos fons les objets
phyfîques ; comme blanc , rond y amer, dur , f e c ,
chaud y &c : par oppofition il nomme métaphyfi-
ques les adjectifs qui énoncent une qualité qui
a eft qjue le refoltat de quelque confîdération de
notre efprit à l’égard des êtres, comme premier,
pareil, grand y nouveau, dangereux y &c.
Une forte de Phîlofophie peut s’accommoder peut-
Gramm. e t L it t é r a t • Tome /,
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être de cétte diftinâion; mais je . ne crois pas qu’elle
puiflè être d’aucune utilité'dans la Logique grammaticale
, ni forvir en aucun cas à rendre raifon des
ufàges des adjectifs. Tous ceux qui fervent à ajouter
une idée acceflbire à la compréhenfîon du nom
appeilatif auquel on les joint, font pour moi des
adjeétifs phyfîques, parce qu’en effet ils influent
fiir la nature ( (pla-iç ) de l’objet nommé : je
ne diftingue ces adjectifs que de ceux qui, fons
modifier la compréhenfîon , déterminent foulement
l’étendue d’une manière ou d’une autre. On doit
fontir que cette diftinâion tient à la nature des
noms appellatifs , pour lefquels font faits les adjectifs
: & l ’avantage qu’elle a de fournir, for la doctrine
des Articles , ( voye-[ l’addition au mot A r-
t i c l b ) , des principes lumineux qui font difpa-
roître les doutes , les incertitudes, & les exceptions,
montre évidemment qu’elle n’eft point inutile. ( M #
B eauzée. )
Voici encore d’autres adjectifs métaphyfîques qui
demandent de l ’attention.
Un nom eft adjectif quand il qualifie un nom
fobftaatif : or qualifier un nom fubjiantif, ce n’eft
pas foulement dire qu’il eft rouge ou bleu y grand
ou petit ; c’eft en fixer l ’étendue, la valeur, l ’acception
, étendre cette acception ou la reflreindre ,
en forte pourtant que toujours Y adjectif & le fobfo
tantif, pris enfomble, ne préfontent qu’un même
objet à l’elprlt. Ç M . d u M ars a ïs . )
( ^ ce Un nom eft adjectif y dit M. du Marfois
m quand il qualifie un nom fobftantif ». Il avoit dit
un peu auparavant : « JJ adjectif eft un mot qui
» donne une qualification au fobftantif», M. l’abbé
d’Olivet , dans fos Effais de Grammaire ( Ed.
*767 j Pag- 148) dit pareillement : « On appelle
» adjeCtif ie nom qui s’ajoute au fobftantif pour le
qualifier, c’eft à dire, pour marquer ce qu’il a
» de propre & d’accidentel ».
Indépendamment de ce que j’ai déjà remarqué'
ci-devant, qu’on ne doit pas regarder le fobftantif &
Y adjectif comme deux efpèces de nom ; cette manière
de parler de nos deux grammairiens , qui
d’ailleurs leur eft commune avec prefqué tous les
autres , eft entièrement fauflè & abufîve. En effet,
un mot peut qualifier l’objet nommé, ou le nom
I même de l’objet ; & il eft confiant que ce font deux
chofos fort différentes :• aufïi en réfolte-t-îl deux
efpèces différentes de qualification d'adjectifs ,
que MM. du Marfois & d’Olivet confondent ici.
- « Qualifier un nom fobftantif, dit le premier , ce
» n’eft pas foulement dire qu’il eft rouge ou bleiiy
» grand ou petit ; c’eft en fixer l’étendue, la valeur,
» l’acception , étendre cette acception ou la refi*
» treindre ». O r , il me fombie 1 °. que les qualifications
de rouge ou de b Leu, de grand ou de petit,
ne peuvent tomber que for les objets nommés, 8c
qu’il y auroit du faux 8c. même du ridicule à vouloir
faire entendre qu’un nom eft rouge ou bleu , grand
ou petit :x ° . que la détermination de l’étendue , de
la valeur ? dç l’acception d’un nom, tombe effeç-
L