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des penfées recherchées , dans des images pom-
peufes , ou dans des traits d’efont quand ils ’agiflbit
de peindre le fèntiment.- Les autres ont imaginé de
plaire, & d’émouvoir par des louanges de leurs
maitreflès, qui ne font que des flatteries extravagantes;
par des gémiflèments, dont la feinte faute
aux yeux ; par des douleurs étudiées, & par des
défèfpoirs de fàng froid. C’eft à ces derniers poètes
que s’adreflènt les vers foivants de Defpréaux :
Je hais ces vains auteurs / dont la Mufe forcée
M’entrerient de fes feux, toujours froide & glacée;
Qui s’affligent par art, & foux de fens raflis,
S’érigent, pour rimer , en amoureux tranfîs : ,
Leurs tranfports les plus doux ne font quephrafes vaines.
Ils ne favent jamais que fe charger de chaînes ,
. Que bénir leur martyre, adorer leur prifon ,
Et faire quereller le fens & la raifon.
Ce n’étoit pas jadis fur ce ton ridicule
Qu'Amour dictoic les vers que foupiroit Tibulle.
Art.pqét. chant. II. y. 45.
Aufli les anglois, dégoûtés des fadeurs de YÉlégie
plaintive &r amoureufè, ont pris le parti de contacter
quelquefois' ce Poème à l’éloge de l’efprit, de
la valeur, & des talents ; on en verra des exemples
dans Waller. Je ne déciderai point s’ils-ont eu tort
ou raifon ; cet examen me meneroit trop loin.
Je finis par une récapitulation. L 'É lé g i e doit
fon origine aux plaintes ufitées de tout temps dans
les funérailles. Après avoir long temps gémi for
un cercueil, elle pleura les difgrâces de l’amour;
ce paflàge fut naturel. Les plaintes continuelles des
amants font une efpèce de mort ; & pour parler
leur langage , ils vivent uniquement dans l’objet
de leur paflîon. Soit qu’ils louent les plaifîrs de la
vie champêtre, foit qu’ils déplorent les maux que
la guerre entraîne après elle, ce n’eft pas par
rapport a eux qu’ils louent ces plaifîrs & qu’ils
déplorent ces maux ^ c’eft par rapport à -leurs maitreflès:
a Ah, pourvu feulement que j’eufTe le bon-
» heur d’être auprès de vous ! » •., dit Tibulle à
Délie.
Ainfî, Y Élégie , deftinée dans fâ première infti-
tution aux gémiflèments & aux larmes, ne s’occupa
que de fès infortunes ; elle n’exprima d’autres fèn-
timents , elle ne parla d’autre langage que celui
de la douleur : négligée comme il fied aux për-
fonnes affligées, elle chercha moins à plaire qu’à
toucher ; elle voulut exciter la pitié, & non pas
l’admiration. Elle retint ce même eara&ère dans
les plaintes des amants, & jufques dans leurs chants
'de triomphe elle fè fouvint de fa première origine, j
Enfin , dans toutes fès viciflitudes, fès penlées I
forent toujours vives & naturelles ; fès fèritiments > 1
tendres & délicats ; fès expreflions, Amples & faciles;
& toujours elle confèrva cette marche inégale dont
Ovide lui fait.un fi grand mérite, & qui * pour le
dire en paflànt, donne à la Poéfie élégiaque des
anciens tant d’avantage for la nôtre.
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Cependant je m’apperçois qu’en traitant ce fojet,
qui a été fi bien approfondi dans plusieurs ouvrages,
& en particulier dans les Mémoires de l’Académie
des Inforiptions , je me fois peut-être trop étendu ■,
entraîné par la matière même & par les charmes
de Tibulle & de Properce. Mais le genre élégiaque
a mille attraits, parce qu’il émeut nos pallions,
parce qu’il eft l ’imitation des objets qui nous inté-
reffent, parce qu’il nous fait entendre des hommes
touchés , & qui nous rendent tcès-fènfîbles à leurs
peines comme à leurs plaifîrs , en nous en entretenant
eux-mêmes.
Nous aimons beaucoup à être émus ( E'oye^
É motion) ; nous ne pouvons entendre les hommes
déplorer. leurs infortunes fans en être affligés, fans
chercher enfoite à . en parler aux autres, fans pro-<
fiter delà première occafion qui s’offre de décharger
notre coeur, fpje parler ainfî, d’un poids qui
l’accable.
Voilà pourquoi de fous les Poèmes, comme l’a
dit avant moi M. l’abbé Souchai, il n’en eft point
après le dramatique qui foit plus attrayant que
YÉlégie. Aufïi a-t on vu dans tous les temps.des
génies du premier ordre faire leurs délices de ce
genre de Poéfie. Indépendamment de ceux que nous
avons cités , élégiographes de profeflion, les Euripide
& les Sophocle ne crurent point, en s’y appliquant
, déshonorer les lauriers qu’ils avoîent cueillis
for la fcène.
Plufîeurs poètes modernes fe font aufli eonfàcrés
à YÉlégie : heureux, s’ils n’avoient pas fobftitué
d’ordinaire , le faux au vrai, le pompeux au fîm-
ple, & le langage de l’efprit à celui de la nature !
Quoi .qu’il en foit, ce genre de Poéfie a dés beautés
fans nombre ; & c’eft ce qui m’a fait efpérer d’obtenir
quelque indulgence , quand j’ai cru pouvoir
les détailler ici d’après les grands maîtres de l’art.
( Le chevalier, d e Jaucourt. )
* ÉLÈVE, DISCIPLE, ÉCOLIER. Synonymes.
Ces trais mots s’appliquent en général à celui
qui prend des leçons de quelqu’un voici les
nuances qui les diftinguent.
\Jn Élève eft celui qui prend des leçons de la
bouche même du maître. Un Difciple eft celui
qui en prend des leçons en lifânt fès ouvrages, ou
qui s’attacha à fès fèntiments. Écolier ne fe dit,
lorfqu’il eft foui , que des enfants qui étudient
dans des collèges : il fo dit aufli de ceux qui étudient
fous un maître un art qui n’eft pas mis au
nombre des arts libéraux, comme la Danfo , l’Efo
crime, &c ; mais alors il doit être joint à quelque’
autre mot qui défîgne l’art ou le maître.
Un maître d’armes a des Écoliers un peintre
a des Élèves ; Newton & Defoartes ont eu des
D ifc ip le smême après leur mort.
Élève eft du ftyle noble ; Difciple l’eft moins „
fortout en Poéfie ; Écolier ne l’eft jamais.
( M . d ’A l e m b e r t . )
( J Le terme d’Écolier frppofo, que l’on reçoit des
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leçons réglées ou que l’on a befoin d’en recevoir ,
Amplement pour apprendre ce que l’on ne. fait pas ;
ainfî, tous’ceux quionc des maîtres, pour en rece^
voir des leçons iuivies..,for quelque objet , font
Écàliers , Page n’y fait rien. Le terme d'ELeye
foppofè' que l ’on reçoit ou que l’on a_ reçu des
inftrudions plus détaillées , pour pouvoir exercer
enfoite la même profeflion , foit en la pratiquant
foit en Fenfeignant: ainfî, les maîtres 4 e Danfe,
d’Efcrime , d’Équitatîon , &c. ont <|es Ecoliers , a
qui ils enfeignent de leur art.ce qui eft juge convenable
à une belle éducation; mais ceux qu ils
forment pour devenir maîtres commev eux , font
leurs Élèves, Le terme de Difciple ne foppofè
qu’une adhéfîon aux fentimentS du maître , fans
rien indiquer de la manière dont on en a pris con-
noiflance. .
On en feigne des Ecoliers ,- on forme des ELevés,
on fo fait des Difciples., __ , j .
L’état; $ Écolier eft ‘ momentané ; celui d’Elève
eft permanent ; celui de Difciple petit changer. On
n’eft plus Écolier, quand on fait ce que l’on voulait
apprendre, ou meme quand on ne fait plus
profeflion de l’étudier. On eft jÉlève. non feulement
tandis que Ton eft dirigé par des' leçons
expreflès pour un état qui en eft la fin, mais meme
après que l ’inflitution eft confommée ainfî, les,
jeunes gentils-hommes que l’on inftruit a 1 école
royale militaire, font des Élèves pour Tétât militaire,
& parvinffent-ils au grade de maréchal de
France , ils feront toujours Elèves de cette école.
On n'eft Difciple que par adhéfîon aux fentiments
d’autrui ; on ceflè de l’être y en renonçant ces
fèritiments t ainfî , S. Paul , après avoir été Un
Difciple très-zélé de la fÿnagogue , l’abandonna
& devint un Difciple encore plus zélé de J. C.
Des hommes d’efprit, diflîngués par leur Éloquence
, fè font donnés pour de fublimes plrUofo-
phes ; par des peinturesTafoives & pleines d’art, ils
ont allumé le feu des paflions ; pour les flater , ils
en ont déguifé les dangers ; pour les divinifèr en
quelque forte, ils en ont montré Forigrne dans la
nature, fans en indiquer l’intention , qui les aflu-
jettït à des lois pour le bien commun ; ils ont ridi-
culifé la Religion , qui prétend les régler : & quoiqu’ils
en parlaflènt en Écoliers peu inftruits , Tafsû-
rance de leur ion a perfoadé les jeunes gens dont
Ils avoient féduitle coeur ; ils ont fait des Difciples
enthoufîàfinés, qui ne connoîflènt plus la Religion
que fous'le nom de Fanatifme , & qui ne .regardent
plus ceux qui la refpeâent ou qui la défendent que
comme des hypocrites ou dès-imbéciles. Le comble
de ce fanatifîne philofophique, ( car il y a fanatifme
partout où il y a chaleur, préoccupation , aveuglement
, injuftice) ; ce fèroit qu’ils euflènt fait des Elèves
qui ofàflènt leur foccéder. Beauzè 'e.)
(N.) ÉLIDER, v. a. Retrancher dans la prononciation
, & quelquefois dans l’écritureune lettre
pêceflairç à l’intégrité du mot> par exemple ïame *
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| V h o n n eu r , d 'é c r itu r e , d 'h u m i l i t é , q u i l , au lieu
de la am e , Le honneur", de é c r itu r e , d e h um il i t é -9
q ue i l . .(•V ’oye-^ É lis ion . ) Nous é lid o n s fouvent
' iâns’ nous én douter au milieu des mots ; commé
quand nous prononçons fe r r em e n t , p u r e t é , ca le ç o n y
de même que s’ils étbient écrit f e rm e n t , p û r t é 9
ca lç on , f M . M e a u z è e . ) , '
ÉLISION , C. f. Belles-Lettres. Dans la Pro-
fodie latine , figure par ^laquelle la eônfonne m 8c
toutes: lès voyelles & diphthongues qui fe trouvent
à la fin d’un mot, fè retranchent lorfque le mot
foivant commence par une voyelle ou diphthongue ,
comme dans ce vers : •
Quod niji & ajjiduis terrain. injeclaberc rajlpis,
qu’on fcande de la forte ;
Quôd nié & \ ajjidu- | is ter- [ r’infec-1 tabere] rajlris.
Quelquefois Y É t if io n fè fait de la fin d’un vers au
commêncernent de l ’autre , comme dans ceux-ci ;
Qiùm non inéufavi amens hominumque deorumque ,
Aut quid in everfa. vidi crudelius urbe y
qu’on fcande ainfî :
Ouern non | tncu- | fav’a- fmens hami- \numque de- [orum
Qu’aut quid in\ever-\fâ, &c.
On doit éviter les É d ifio n s dures , & elles le
font ordinairement au premier & au fîxième pied.
Quelques-uns prétendent que Y Ê l f i o n eft une
licence poétique ;. & d’autres, qu’elle eft abfolu-
ment néceflaire pour l’harmonie.
Les anciens latins retranchoient aufli Fr qui pré-
cédoit une confonne , comme dans ce vers d’Ennius î
Cuxvolito vtvti ( pout vtyus ) per oravirum.-
L ’r 8c Ym leur paroiflèient durès & rudes dans h;
prononciation, aufli les retranchèrent-ils quand leur
Poéfie commença à fè polir. La même raifon a
déterminé les français à ne pas faire fon tir leur e
féminin, ou , pour mieux dire, muét, devant les.
mots qui commencent par une voyelle, afin d’éviter
les hiatus. Voye\ H ia tu s & Bâ il lem en t . (L’abbé:
M a l l e t . )
' Dans notre Poéfie françoiïè nous n’avons d’autre-
É l f i o n que celle de Fe muet devant une voyelle v
tout autre concours de deux voyelles y eft interdit^
règle qui peut paroître affez bizarre , pour deux:
raifons : la première, parce qu’il y a une grande-
quantité de mots au milieu defquels il y a concours
de deux voyelles, & qu’il fàudroit donc aufli parla
même raifon interdire ces mots à la Poéfie , puisqu’on
ne fàuroit les couper en deux : la féconde ^
c’eft que le concours de deux voyelles eft permis;
dans notre Poéfie, quand la féconde eft précédée?
d’une h afpirêe-, comme dans ce héros , la.hau teur f
c’eft à dire que Y hiatus- nrëft permis que dans le?
cas où H eft le plus rude à Foreiile. On peut rev
marquer aufli que Vhiatus eft permis- lorfque Ye:
mues-, eft précédé d’une- voyelle „ çomme dans,
r , |
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