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l'attribua à deux perfonnes qui travaillèrent en-
femble; mais on peut afeûrer qu'ils ne l’ont point
du tout traduit fidèlement. Nous l’avons déjà fait
voir, & U n'y a qu’à jeter les yeux fur le début
du Poème pour en être convaincu.
» Je chante la défobéiffance du premier homme ,
» & les fini elles effets du fruit défendu. La perte
» d’un paradis, & le mal de la mort triomphant
» fur la terre, jufqu’à ce qu’un Dieu-homme vienne
» juger les nations & nous rétabliffe dans le féjojtr
» bienheureux. « ,
Il n’y a pas un mot dans l’original qui reponde
exactement à cette traduftion. Il faut d’abord confi-
dcrer qu’on fe permet dans la langue angleile. des
inverfions que nous lôuffrons rarement dans la nôtre.
Voici mot à mot le commencement de ce Poème
de Milton. „
» La première defobemaoce de 1 homme, 8c
» le fruit de l ’arbre défendu , dont le goût porta
» là mort dans le mande, & . toutes nos milères
» avec la perte d’Éden, jufqu’ à ce qu’un plus
m grand homme nous rétablît (d) & reconquit notre
B demeureheureufe ; Mufe célefte , c’eft là ce qu’il
» faut chanter. «
Il y a de très-beaux morceaux fans doute dans
ce Poème iîn-gulier ; & j’en reviens toujours à ma
grande preuve , c’eft qu’ils font retenus en Angleterre
par quiconque fe pique d’un peu de littérature.
T e l eft ce monologue de Satan, lorlque s’échapant
du fond des enfers, & voyant. pour la première
fois notre foleil lôrtant des mains du créateur , il
ss’éçrie :
» To i ». fur qui mon. tyran prodigue fes bienfaits ,
» Soleil, aftre de feu , jour heureux que je hais,
M Jour qui fais mon fupplice, & donc mes yeux s’étonnent,
» Toi qui fembles le Dieu des deux qui t’environnent,
» Devant qui tout éclat difparoît & s'enfuir,
„ Qui fais pâlir le front des affres de la nuit ;
„ image du Très-Haut qui régla ta carrière ;
» Hélas ! j’ eufie autrefois ' éclipfé ta lumière.
» Sur la vpute des deux élevé plus que toi,
as Le trône où tu r’affieds s’abaifioit devant moi ;
» je fuis tombé, l’orgueil m’a plongé dans l’abîme.
» Hélas l je fus ingrat , c’eft là mon plus grand crime.
» J’ofai me révolter contre mon créateur.
Ç’eft peu de me créer, il fur mon bienfaiteur j
11 m’aimoic : j’ai forcé fa juftice éternelle
» D’appefantir fon bras fur ma tête rebelle ;
w Je l’ai rendu barbare en fa févérité ;
» Il punit à jamais , & je l’ai mérité.
f Mais fi le repentir pouvoit obtenir grâce !,»-■ • »
ff Non , rien ne fléchira ma haine & mon audace $
(O) Il y a dans plufieurs éditions , Rejiore us and
repa'tnd. J’ai choifi cette leçon comme la plus naturelle.
Il y a dans l’original, La première défobéiffance de l homme,
f r e . Chante* , M u fe célefte. Mais cette inverfion ne peut
Ifrg adoptée dans notre langue.
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» Non , je détefte un maître, & fans doute il vaut mieux
33 Régner dans les enfers qu’obéir dans les deux.
Les amours d'Adam & d'Eve font traites avec
une mole (Te élégante & même attendriffante ,
qu’on n’attendroit pas du génie un peu dur , 8c du
Hile (bavent raboteux de Milton.
jDu reproche de Plagiat fa it à Milton.
Quelques-uns l’ont accufé d’avoiT pris (bn Poème
dans la tragédie du B annißement df Adam de
Grotius, & dans la Sarcotis du jéSuite Mazénius >
imprimée à Cologne en 16^4 & en \66i , long temps
avant que Milton donnât fon Paradis perdu.
Pour Grotius , on fàvoit allez en Angleterre
que Milton avoit tranfporté dans lôn Poème épique
anglois quelques vers latins de la tragédie d'Adam.
Ce n’eft point du tout être plagiaire \ c’eft enrichir
(à langue des beautés d’une langue étrangère. On
n’accufà point Euripide de plagiat pour avoir imité
dans un choeur d’Iphigénie le fécond livre de l’Iliade
; au contraire, on lui lut très-bon gré de cette
imitation- , qu’on regarda comme un hommage
rendu à Homère (ùr le théâtre d’Athènes.
Virgile n’elîiiyâ jamais de reproche pour^ avoir
I heureulèment imité dans l’Énéide une centaine de
vers d-u premier des poètes grecs.
On a pouffé i’accuSàtion un peu plus loin contre
Milton. Un écoffois nommé M. Lauder , très-
attaché à la mémoire de Charles I , que Milton
avoit inlultée avec l’acharnement le plus groflier %
fê crut en droit d e flétrir la mémoire de l’accu-
fateur de ce monarque. On prétendoît que Milton
avoit fait une infâme fourberie pour ravir à Charles I
la trifte gloire d’être l’auteur de Y Eikon Bafilicke ;
livre long temps cher aux royaliftes, &que Charles I
avoit, dit-on , compofé dans Sa pri(bn pour Servir
de confolation à fa déplorable infortune.
Lauder voulut donc vers l’année i 75a commencer
par prouver que Milton n’étoit qu’un plagiaire,
avant de prouver qu’il avoit agi eh fauflâire contre
la .mémoire du plus malheureux des rois ; il fè
procura des éditions du Poème de Sarcotis. Il pa-
roiffoit évident que Milton en avoit imité quelques
morceaux, comme il avoit imité Grotius & le Taffe.
Mais Lauder ne s’en tint paajjlà ; il déterra une
mauvaife traduâion en vers latins du Paradis perdu
du poète anglois ; & joignant pluiîeurs vers de
cette traduâion à ceux de Mazénius, il crut rendre
par là l’accuSâtion plus grave, & la honte de Milton
plus complette. Ce fut en quoi il Ce trompa.lourdement
; fa fraude fut découverte. Il vouloit faire
paffer Milton pour un fauffaire, & lui-même fut
convaincu de l’être. On n’examina point le Poème
de Mazénius., dont il n’y avoit alors que très-peu
d’exemplaires en’Europe. Toute l’Angleterre, convaincue
du mauvais artifice de l’ecoffois, n’en
demanda pas davantage. L ’accuSàteur confondu fut
obligé de défàyouer Sa manoeuvre & d’en demander
cardon. _
Depuis
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Depuis ce temps on imprima une nouvelle édition
de Mazénius en 17 5 7. Le Public littéraire fut furpris
du grand nombre de très-beaux vers dont la Sarcotis
étoit parSèmée. Ce n’eft à la vérité qu une
longue déclamation de collège flir la chute.de 1 homme.
Mais l’exorde , l’invocation , la description
du jardin d’Éden, le portrait d’Ève , celui du diable
, (ont précisément les mêmes que dans Milton.
Il y a bien plus, c’eft le même Sujet, le meme
noeud , la même cataftrophe. Si le diable veut dans.
Milton Sè venger Sur l’homme du niai que Dieu
lui a fa it , il a précisément le même deffein chez
le jéluite Mazénius ; & il le manifefte dans des
vers dignes peut-être du Siècle d’Augufte.
Semel excidimus crudelibus aftris,
E t conjuratas involvit terra cohortes.
Fata manent, tènet & fuperos oblivio noftri ;
Indecort premimur, vulgi toïluntur inertes
y4 c viles anima , colloque fruuntur aperto.
' Nos divAm fêboles , patriâquein fede locandi ,
Fellimur exilio , moeftoque Acheronte tenemur.
Heu ! dolor & fuperüm décréta indigna ! fatifeat
Orbis & antiqüo turbentur cuncta tumültu,
Ac redeat déformé chaos ; Styx atra ruinam
. Terrarum éxcipiat, fatoque impellat eodem
E t calum & ceelï cives; ut inulta cadamus
Turba , nec umbrarum pariter caligine raptâm
5 ar coteam, invifum caput, involvamusi ut aftris
Rsgnantem , & nobis dominâ cervice minantem
' Tgnavi patïamur ? adhuc tameri, improbâ , vivit !
Vivit.adhuc , fruiturque Dei fecura favorem'.
Cernimits ! & quicquam furiarum abfconditur orco ?
Y ah ! pudor , -aternumque probrum ftygis , oecidat, amens
Ôccidat, & noftrce fubeat confortia cùlpa.
Hac mihi, feclufo coelis , folatï\a tantum
Excidii reftant ; juvat.hâc conforte malorum
Poffefrui , juvat ad noftram feducere panam
Fruftra exultantem, patriâque ex forte fuperbam. ^
ftErufr.nas exempta levantminor ilia ruina eft,
Qua capui adverft labens opprefferit hoftis.
On trouve dans. Mazénius & dans , Milton de
petits épifodes , de légères excurfions absolument
Semblables ; l’un & l’autre parlent de >Xerxès qui |
couvrit’ la mer de Ses vaiffeaux.
Quantus érat Xerxes medium qui contraint orbem
Urbis in excidium«
Tous deux parlent fur le même ton de la tour
de Babel ; tous deux font la même description du
luxe , de l’orgueil, de l ’avarice, de la gourmandise.
Ce qui a le plus perSùadé le commun des lecteurs
du plagiat de Milton , c’eft la parfaite reffem-
blance du commencement des deux Poèmes. Plufieurs
fréteurs étrangers, après avoir lu l ’exorde, n’ont
pas douté que tout lé refte du Poème de Milton ne
fût pris de Mazénius. C ’eft une erreur bien grande,
6 aifée à reconnoître. _
Cramm. et L jttêrat. Tome L Part, IL
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Je ne crois pas que le poète anglois ait imité ea
tout plus de deux-cents vers du jéluite de Cologne;
& j’oSè dire qu’il n’a imité que ce qui meritoit de
l’être. Ces deux-cents vers Sont fort beaux ; ceux de
Milton le font auffi ; & le total du Poème de Mazénius
, malgré cés deux-cents beaux vers , ne vaut
rien du tout. ,1 .
Molière prit deux Scènes entières dans la ridicule
comédie du Pédant joué de Cyrano de Bergerac.
Ces deux Scènes Sont bonnes , diSoit-il en plaisantant
avec Ses amis, elles m’appartiennent de droit, je
reprends mon bien. On aurolt ete apres cela
mal reçu à traiter de plagiaire l’auteur du Tartuffe
& du MiSântrope.
Il eft certain qu’en général Milton , dans Soit
Paradis, a volé de fes propres ailes en imitant;
il faut convenir que, s’il a emprunte tant de traits de
Gfotius-& du jéfuite de Cologne , ils Sont confondus
dans la fouie des chofes originales qui. Sont à lui ;
il eft toujours regardé en Angleterre comme uu
très-grand poète. , .
Il eft vrai qu’il auroit dû avouer qu il avoit traduit
deux-cents vers d’un ‘jeSuite ; mais de Son temps ^
dans la Cour de Charles I I , on ne fe^foucioit n*
des jéfuites, ni de Milton-, ni du Paradis perdu >
ni du Paradis retrouve. Tout cela, etoit ou bafoué
ou inconnu. ( V oltaire. )
(N.) ÉQUIVOQUE, adj. Qui eft fufceptible de
plufieurs Sens, de plufieurs interprétations. Une ac*
tion équivoque. Une vertu équivoque. Une conduite-
équivoque. Une naijffance équivoque. Un gefid
, équivoque. Un mot équivoque. Une expreßion
équivoque.,, '
Cet adjeétif fe dit plus fouvent des mots & des
phrafes ; & alors il s’emploie prefque toujours. fubC
tantivement. D ’abord ce fut un nom mafeulin 9
parce qu’apparemment on SbuSèntendoit mot : peut-
être penfa-t-on depuis qu’il y avoit auffi des phraSès
équivoques, & alors on fe partagea, les uns fefant
le nom Équivoque maSculin & les autres féminin |
, d’où vient ce défeut de la Satyre XII. de Boileau ;
Du langage François bizarre hermaphrodite,
De. quel genre te faire , Équivoque maudite ,
Ou maudit? car fans peine aux rimeurs hafardeur
L’ufage encor , je crois, lai fie le choix des deux.
Aujourdhui l’ufage ne laiffe plus à perSbnne U
liberté de choifir , & le nom Équivoque eft exclufî-s
vement féminin. # . .
Le goût qu’eurent autrefois nos écrivains pou-c
les Subtilités infidieuSês de l’Équivoque , eft heureu-
fement paffé de mode ; & la raifon Semble l’avoir
appréciée & bannie à perpétuité. » A parler en géné-
» ra l, dit le P. Bouhours , ( Man. de bien penfer.
» Dial. I. pag. x8. ) il n’ y a point d’efprit dans
» Y Équivoque, ou il y en afort peu ; rien ne^ coûte
» moins & ne Sè trouve plus facilement. L ’ambî-
» gui té, en quoi confifte fon caraéfère , eft moins>un
» ©rnemèïit du diScours qu’un d e f a u t c e f t çc