
Q J O ±L JL JZi
Le point eflènciel & difficile, eft de concilier Y É -
légance avec le naturel. Élégance feppofe le choix
de l’expreffion : or le moyen de choiïïr, quand
i ’expreffion naturelle eft unique ? le moyen d’accorder
cette vérité, Jcè naturel, avec toutes les convenances
des moeurs, de l’ufège, &du goût; avec
ces idées fadtces de' bienfêance & de nobleffe , qui
varient d’un (îècle à l’autre , & qui font loi dans tous
les temps ? comment faire parler naturellement un
villageois, un homme du peuple, (ans blelTër la dé-
tica telle d’un homme poli, cultivé ?
C’eft là (ans doute une des plus grandes difficultés
de l’art, & peu d’écrivains ont fela vaincre. Toutefois
il y en a deux moyens : le choix des idées &
des choies , &.le talent de placer les mots. Le ftyle
îTeft le . plus feuventbas & commun que par les
Idées. Dire comme tout le monde, ce que tout le
monde a penfé , ce tTeft pas la peine d’écrire; vouloir
dire des choies communes d’une façon nouvelle
& qui n’appartienne qu’à nous, c’eft courir le ri(que
d’être précieux, affèâé, peu naturel ; dire des choies
que nous avons tous confusément dans l’ame, mais
que perlônne n’a pris loin encore.de démêler, d’ex-
primeF, de placer à propos; les dire dans les termes
les plus (impies, & en apparence les moins recherchés
; c’eft le moyen d’être à la fois naturel &
ingénieux.
JLe fage eft ménager du temps & des paroles;
Qui ne l’eût pas dit comme la Fontaine ? Qui ne
h’eût pas dit comme lui,
Qu’un ami véritable eft une douce chofe ;
Qu’il cherche nos befoins au fond de notre coeur !
ou plus tôt qui l’eût dit avec cette vérité lî touchante
î
Le moyen le plus sûr devoir un ftyle à loi, ce
feroit de s’exprimer comme la nature, & le poète
que je viens de citer en eft la preuve & l’exemple;
mais G le vrai feul e jl aimable, il faut avouer qu’il
ne l’eft pas toujours. Il eft donc important de choifir
dans la nature des détails dignes de plaire, & dont
Texpreffion naïve & (impie n’ait rien de groffièr ni
de bas : par exemple, tout ce qu’on peint aes moeurs
des villageois doit être vrai (ans être dégoûtant; &
îl y a moyen de donner à ces détails de Ta grâce &
jde 1« noblelïë.
Il en eft du moral comme dit phyfîque; 8e G la
nature eft cheîfle avec goût, les mots qui doivent
l ’exprimer, feront décents & gracieux comme elle.
L ’art de placer, d’afTortir les mots, de les relever l’Un
par l’autre, de ménager à celui qui manque de clarté,
de couleur, de nobleflè, le reflet d’un terme plus
noble, plus lumineux, plus coloré; cet art, dis-je,
ne peut fe preferîre ; c’eft l’étude & l’exercice qui
le donnent, fécondés du talent, (ans lequel l’exemple
eft infruâueux, & le travail même inutile.
On demande pourquoi il eft des auteurs dont le
jftyle à moins vieilli que celui de leurs çontempo-»
rains ; en voici la caufe : il eft rare que l’ufage retranche
d’une langue les termes qui réunifient l’harmonie
, le coloris, & la clarté : quoique bizarre dans
Ces décidons, l’ufege ne laifl’e pas de prendre affez
(ôuvent confeil de T’elprit, & (urtout de l’oreille :
on peut donc compter affez fur le pouvoir du fen-
timent & de la raifen, pour garantir qu’à ifiérite
égal, celui des poètes qui dans le choix des termes
aura le plus d’égard à la clarté, au coloris, à l’harmonie
, fera celui qui vieillira le moins.
Un fert oppo(é attend ces écrivains qui s’empref-
fent à (àifîr les mots, dès qu’ils viennent d’éclore
& avant même qu’ils (oient reçus. Ces mots que la
Bruyère appelle aventuriers, qui font d’abord
quelque fortune dans le monde, & qui s’éclipfent
au bout de (ix mois, fent dans le ftyle, comme
dans les tableaux ces couleurs brillantes & fragiles,
qui, après'nous avoir féduits quelque temps , noir-
ciftent & font une tache. Le fecret de Pafeal eft
d’avoir bien choifî (es couleurs.
Le diftionnaire d’un écrivain, ce fent les poètes,
les hiftoriens, les orateurs qui ont excellé dans l’art
d’écrire. C’eft là qu’il doit étudier les fineffes , les
délicateflès, les richefles de (à langue; non pas à
mefere qu’il en a befeîn, mais avant de prendre
la plume; non pas pour fe faire un ftyle des d é .-
bris de leurs phrafès & de leurs vers mutilés, mais
pour (àifîr avec précifïoii le (èns des termes & leurs
rapports, leur oppofîtion, leur analogie, leur caractère
& leurs nuances, l’étendue & les limites
des idées qu’on y attache, l’art de les placer, de
les combiner, de les faire valoir Tün par l’autre,
en un mot d’en former yn tiflu où la nature vienne
fe^ peindre comme fer la toile, (ans que l’art pa-
roiflè y avoir mîs la maim Pour cela ce n’eft pas
affez- d’une ledure indolente & (uperficielîe, il faut
une étude férieufe & profondément réfléchie. Cette
étude feroit pénible autant qu’ennuyeufefî elle étotè
ifelée: mais en étudiant les modèles, on étudie tout
l’art à la fois ; & ce qu’il y a de fec & d’abftrait
s’apprend (ans qu’on s’en apperçoive, dans le temps
même qu’on admire ce qu’il y a de plus raviffanK
( M* M a rm on te l. )
(N.) ÉLÉGANCE, ÉLOQUENCE. Syn on .
Je crois que YÉLégancc confîfte à donner à la
penfëe un tour noble & poli, & àla rendre par des ex-
preffions châtiées, coulantes, & gracîeufes à l’oreiller
que ce qui fait Y Éloquence eft un tour vif & per-
feafîf, rendu par des expreffions hardies , brillantes >
& figurées (ans ceffer d'être juftes & naturelles..
L Elégance s’applique plus à la beauté des mots
& à l’arrangement de la phrafe. U Éloquence s’attache
plus a la force du terme 8c à l’ordre des idées.
La première , contente de plaire , ne cherche que
les grâces de l’Élocution. La féconde , voulant per-
feader, met du véhément & du feblime dans le
difeours. L ’une fait les beaux parleurs; & l’autre,
les grands orateurs. Voye\ D is e r t , É loqven.x *.
Syn, ( U abbé Girard. J
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ÉLÉGIAQUE, ad]. Selles-Lettres. II fe dit de
ce qui appartient à l’Élégie , & s’applique plus particulièrement
à l’efpèce de vers qui entrotent dans
l'Élégie des anciens, & qui confîftoient dans une
fuite de diftiques formés d’un hexamètre & d’un pentamètre.
Foyeq les mots É lé g ie , DrSTiQUE , etc.
Cette forme de vers a été en ufage de très-bonne
heure dans les Élégies, & Horace du qu’on en ignore
l’auteur,
Quis tameti exiguos Elegos emiferit autor^
Grammatici certant, & adhuc fut judice lis eft.
I l àvoit dît auparavant que la forme du diftique
»voit d’abord été employée pour exprimer la plainte,
St qu’elle le fut enfuite aufli pour exprimer la fous-
faétion & la joie ;
Verfibus impariter junebis quarïmonïa primum ,
Pojî etiam inclufa eft voti fententia compos.
Sur quoi nous propofens aux (avants les queftions
feivantes : i°. Pourquoi les anciens avoient-îls pris
d’abord cette forme de vers pour les Élégies triftes ?
Eft-ce parce que l’uniformité des diftiques, les.repos
qui fe feccèdent à intervalles égaux, & l’elpèce
de monotonie qui y règne, rendoient cette forme
propre à exprimer l’abattement & la langueur qu in£-
pire la trifteffe? z°. Pourquoi ces mêmes vers ont-
ils enfeiie été employés à exprimer les (èntiments
d’un ame contente ? Seroit-ce que cette même forme ,
ou du moins le vers pentamètre qui y entre, auroit
une forte de légèreté & de facilité propres à exprimer
la joie? (èroit-ce qu’à mefere que les hommes
fe fent corrompus, Texpreffion des fentiments tendres
& vrais eft devenue moins commune & moins
touchante, & qu’en conféquence la forme des vers
confàerés à la trifteffe, a été employée par les poètes
( bien ou mal à propos ) à exprimer un fèntiment
contraire, par une bizarrerie à peu près femblable
à celle qui a porté nos mufîciens modernes à com-
pofer des fenates pour la flûte, inftrument dont le
caractère fembloit être d’exprimer la tendreffe & la
- trifteffe ? ( M. d’Alembert, )
M. Marmontel nous a communiqué fer ce fejet
les réflexions feivantes. L ’inégalité des vers élégia-
ques les diftingue , dit-il, des vers héroïques, dont
la marche feutenue caraâérife la majefté :
u4rma, gravi numéro, violtntaqne bella parabam
Hdere , materiel conveniente jnodis.
Par erat inferior verfus : rtjïjfe Cupido
jPicitur t fltque unum fubripuiffe pedemt
Ovid. Am. lib. L eZ. *»
Mats comment cette mefere pouvoit-elle peindre
également deux affeétions de l’aine oppofees ? c eft
ce qui eft encore fenfible pour nos oreilles, continue
M. Marmontel, malgré l’altération de la Pro-
fcdie latine dans notre prononciation.
La trifteffe & la joie ont çela de commun x que
E L E
leurs mouvements font inégaux 8c fréquemment interrompus
: l’une & l’autre futpendentla refpiration,
coupent la v o ix , rompent la mefiire : l’une ^’affaiblit
, expire, & tombe ; l’autre s’anime , treifaiilit, &
s’élance. Or le vers pentamètre a cette propriété ,
que fes interruptions peuvent être ou des chutes.out
des élans, fuivant l’exprédïon qu’on lui donne : la
mefiire en eft donc également docile à pemdfe les,
mouvements de la trifteffe & de !a joie. Mais contma
dans la nature les mouvemens de l’une & de l’autra
ne font pas aufli fréquemment interrompus que ceux
du vers pentamètre, on y a joint, pour les fuLpendre
& les fcmenir, la mefure ferme du vers héroïque :
de là le mélange alternatif de ces deux vers dans
l’Élégie. . .
Cependant le pathétique en general je peint encore
mieux dans le vers ïambe, dont' la mefure
(impie & variée approche de la nature , autant que
l’art du vers peut en approcher ; & il eft vratfèm-
blable que, G ce vers n’a pas eu la préférence dans le
genre éle^itt^ue eoname dans le dratnatique, c effc
que l’Élégie étoit mile en chant. : .
Quintilien regarde Tibulle comme le premier de*
poètes^eUeiatjues, mais il ne parle que du ftyle;.
Mihi terjus atque elegans màx'miviiétur. Pline
le jeune préfère Catulle , fans doute pour des Elégies
qui ne font point parvenues jufqu’à nous. Ce
que nous connoiffons de lui de plus délicat & de
plus touchant, ne peut guère être mis que-dans la
claire des Madrigaux. Voye\ Madrigal. Nous n’a-,
vons d’Élégies de Catulle, qùe quelque vers à Or-
talus fur la mort de fon frère ; l à ‘chevelure de Bé-'
rénice, Élégie faible , imitée de Callimaquè ; une
épitte à Mallius, où fà douleur, là reçonnoifTance ,
& fès amours font comme entreladés de rhiftoire'
de Laodamie, avec affez peu d’art & de ^out ; enfin
l’aventure d’Ariane & de Théfée, épifede enchaftë
dans fon Poème fiir les noces de Th étis, ' contre
toutes, les règles de l’ordonnance , des proportions ,
& du deffin. Tous ces morceaux font des modèles
du ftyle élégiaque ; mais par le fond des choEes,
ils ne méritent pas même, à notre a vis, que l’on
nomme Catulle à côté de Tibulle S f de Properce si
aufli M. l’abbé Souchai ne l’a - t - i l pas Compté
parmi les élegiages latins. ( jt/em'i de Vacad. des
Inscriptions % Selles-Lettres, tome FIL ) Le
même auteur dit que Tibulle eft le fèul qui ait
connu & exprimé parfaitement le vrai’ caraôère de
l’Élégie, en quoinousofons n’êfré pas;dè fô n a v is;
plus éloignés encore du fentiment de ceux qui donnent
la préférence à Ovide. Foyeg Élégie. Le
fèul avantage qu’Ovide ait fîrr fis rivaux, eft celui
de l’invention ; car ils n’ont fait le plus (ôuvent
qu’imiter les grecs, tels que Mimnerme Sr Calii-
maque. Mais O v ide, quoiqu’inventeur, avoit pour
guides & pour exemples Tibulle & Properce f qui
venoient d’écrire avant lui.
Si l’on demande quel eft Tordre dans lequel ces
poètes fi font fiiccêdé's, ri eft marqué dans cas
d’Ovide. Trijl. lii.LF, el, i-o»