
’éloge d’HercuIe on demandoit ; Qui e jl-c e qui le
blâme ? Mais que le même homme le vantât de prouver
ce jour-là une choie, & le lendemain le contraire;
les athéniens, ce peuple écouteur, alloient en foule
à fbn école. La lagelfe de Socrate fut l’écueil de la
vanité des fophiftes ; il oppofà à leur Déclamation
une- dialectique plus laine & auffi fùbtile que la leur.
Il les attira de piège en piège jufqu’à les faire tomber
dans l ’ablurde ; & fbn plus grand crime- peut-
Être fut de les avoir confondus, & d’avoir appris
aux athéniens , longtemps séduits par des paroles , le
digne ufâge de la raifon, l’art de douter, & d’apprendre
à connoitre ce qu’il importoit de (avoir, le vrai,
le bien , le beau moral, le jufte, l ’honnête, & l ’utile.
Chez les romains la Déclamation n’étoit pas fo-
phiftique, mais pathétique ; & au lieu de séduire
l ’efprit & la raifon , c’étoit l ’ame qu’elle eiïàyoit
d’intérefler & d’émouvoir. Ce n’eft pas que dans des
ouvrages de Morale , comme les Paradoxes de Cicéron
& fon Traité fur la vieilleffe, oh n’employât,
comme chez les grecs , une dialeéUque très-déliée ,
à rendre populaires des vérités (ubtiles & (cuvent
opposées aiix préjugés reçus ; c’étoit même ainfî que
Caton avoit coutume d’opiner dans Je .Sénat fur des
queftions épineufès : mais cette (ubtiKté étoit celle
de la bonne foi ingénieufè & éloquente ; .c’étoit la
dialedique de Socrate , & non pas celle des charlatans
dont Socrate s'étojt joué:
La Déclamation étoit à Rome l’apprentiffage des 1
orateurs ; & d’abord rien de plus utile. Mais quand
le goût dans tous les genres fe corrompit, l ’Éloquence
éprouva la révolution générale. Pétrone nous
donne une idée de cette école d’Éloquence , & des
lujets fùr lefquels les jeunes orateurs s’exerçoient
dans (on temps : JP ai reçu ces plaies pour la. défenfe.
de la liberté publique ; f a i perdu, cet oeil en combattant
pour vous ; donnez-moi un guide pour me
mener vers mes enfants, car mes jambes affoiblj.es
nepeuventplus me foutenir. Ces Déclamations, qui
(embloient fi ridicules à Pétrone, pouvoient, félon
Perrault, avoir leur utilité. » Comme il faut rom-
» pre , dit-il, le corps des jeunes gens par les ëxer-
» cices violents du manège, pour leur apprendre à
» bièn manier un cheval dans une marche ordinaire
» ou dans un carrouzel ; il ne faut pas moins rom-
>•> pre, en quelque forte, Pefprit des jeunes ora-
» teurs, par des fùjets extraordinaires & plus grands
» que nature , qui les obligent à faire des efforts
» d’imagination Çc qui leur donnent la facilité de
m traiter enfuite des fùjets communs & ordinaires :
» car rien ne difpofè davantage à bien faire ce qui
» eft aisé , que l’habitude à faire les chofês diffici-
x> îçs, « Ce rationnement de Perrault eft lui-même
un fùphifine : car un jeune deffinateur qui n’auroit
jamais copié que des modèles d’académie dans des
attitudes contraintes & des mouvements convulfifs ,
fèroit très-loin de fàvçir modeler ou peindre la Vénus
pudique, ou l’Apollon, ou le Gladiateur mourant
; & quand il s’agit de palier de la nature forcée i
A la nature fimple & n a ïv e , c’eft abuser des- mots i
I que de dire, qui peut le plus peut le moins. Dan*
tous les arts, en Eloquence & en Poéfie comme en
Peinture, l ’exagération eft le moins ; & le plus ,
c’èft la vérité , la convenance, la décence : c’eft cette
ligne dont parle Horace au delà & en deçà de la*
quelle rien ne peut être bien.
Il eft donc vrai qu’à Rome la Déclamation corrompit
l’Éloquence ; il eft encore vrai qu’elle l’au-
roit décréditée quand même elle ne l’auroit pas corrompue.
Elle la corrompit en ce que l ’orateur exercé
à des mouvements extraordinaires , les employoit à
tous propos , pour ufèr de fes avantages : il accora-
modoit fbn fujet à fbn Éloquence , au lieu de proportionner
fon Éloquence à fbn fùjet. Mais cet exercice
de Part oratoire tendoit fùrtout à le décréditer;
car un peuple accoutumé à ce jeu des DéclaJ
mations, où il fàvoit bien que rien n’étoit fincère ,
devoit aller entendre fes orateurs comme autant de
cpmédiens habiles à lui en impofêr & à l’émouvoir,
par artifice : ce qui devoit naturellement lui ôter
cette confiance sérieufè qui feule difpofè & conduit
à une pleine perfùafîon.
Nos avocats ont long temps imité les déclama-
teurs : c’eft le grand défaut de le Maître , & ce qui
corrompt dans: fès plaidoyers le don de la vraie Éloquence.
Jufqu’à Patru & à Péliflon , les avocats eurent
le défaut de le Maître, & n’en eurent pas le
talent. Les Plaideurs de Racine furent pour le Barreau
une utile & forte leçon ; & le ridicule attaché
à la faufïè Éloquence, en préfèrva du moins ceux qui,
nés avec une raifôn droite & ferme, une fènfîbilité ;
profonde, & le don naturel de la parole , fë fentir
rent doués du vrai talent de l’orateur.
Le goût de la Déclamation n’eft pourtant pas encore
abfblument banni de l’Éloquence moderne; 8c
l’éducation des collèges ne fait que le perpétuer.
Rien de plus ridicule dans nos livres de Rhétorique ,
que les formules d’Éloquence qu’on y donne fous le
nom dé Amplification, de Chrie, &c. & les exercices
qu’on y fait faire aux jeunes gens refîèmblent fort à
ceux dont fê moque. Pétrone. Il y auroit, je crois ,
pour former des orateurs , une méthode plus raifôn-
nable à fuivre que de faire déclamer des enfants fur
des fùjets bifàrres ou abfôlument étrangers auxmoeurs
& aux affaires d’à préfènt t ce ferojt de prendre parmi
nos çaufès célèbres celles qui ont été plaidées avec
le plus d’Éloquence, & de n’en donner aux jeunes
gens que les matériaux, c’eft à dire ,* les faits, les
cîrconftances , & les moyens ; en leur laiffant le foin
de les ranger , de les difpofèr à leur gré , de les
enchaîner l’un à l’autre, d’y mêler , en les expo-
fant, les couleurs & les mouvements d’une Éloquence
naturelle, & de prêter à la vérité toutes les forces
de la raifon. Ce travail achevé, on n’auroit plus
qu’à mettre feus les yeux du jeune homme la même
caufê plaidée éloquemment par un homme célèbre ;
& la comparaifbn qu’il feroit lui- même de fon plaidoyer
avec celui d’un Cochin, d’un le Normand ,
d’un de Gènes , fèroit peur lui la meilleure leçon :
au lieu que le thème d’un régent de collège donné
pour modèle à fes' écoliers , eft bien Couvent d’auffi
mauvais goût, de plus mauvais goût que le leur.
y o y e z Rh é t o r iq u e . •
Déclamation Ce prend auffi en mauvaife part dans
l’Éloquence poétique ; elle confîfte dans des moyens
forcés qu’on emploie pour émouvoir ou dans un
pathétique qui n’eft point à fà place : c’eft le vice le
plus commun de la haute Poéfie, & fur tout du genre
tragique. Il vient communément de ce. que le poète
r ’oublie pas aflèz que l’aétion a des fpeâateurs,; car.
toutes les fois que, malgré la foîbleflè de fbn fujet,
on veut exciter de grands mouvements dans 1 auditoire
, on farce la nature & on donne dans la Déclamation.
Si au contraire on pouvoit fe perfuader
que les perfbnnages en aétion feront fèuls , on ne
leur feroit dire que ce qu ils auroiëut dit eux-me-
mes , d’après leur caradère & leur fituation. Il n’y
auroit alors rien de recherché , rien d’çxagére , rien
de forcément amené dans leurs defcriptions , dans j
leurs récits , dans leurs peintures , dans l’expreftion
de leurs fèntiments, dans les mouvements de leur
Éloquence, en un mot il n’y auroit plus de D é clamation.
Mais lorfqu’on fènt du vide ou de la foiblefïè dans
lbn fujet, & qu’on fe repréfènte une multitude at- ;
tentive & impatiente d’être émue , on veüt tâcher
de la remuer par une véhémence, une force, &une
chaleur artificielles- ; & comme tout cela porte a
faux, l’ame des .ïpedateùrs s’y refùfè tout paroît
animé fùr la (cène ; & dans l’amphithéâtre tout eft
tranquile & froid.
Le fiyle , dit Plutarque, doit être comme le f e u ,
léger & véhément, félon la matière.. Telle efi La
chofe, telle doit être la parole, difoit Cleomène ,
roi de Sparte. Voilà les règles de l’Éloquence ; &
tout ce qui s’en éloigne ,, eft: de la 'Déclamation. (M* JkfARMOHTEL,}.
D éc lam a t io n n o t é e . Littéral. Cet article a.été
comuniqué par M. Duclos, fècrétaire perpétuel de
l ’Académie françoifè, membre de l’Académie royale
des Infcriptions & Belles-Lettres , & hiftorfographe
de France. On y reconnaîtra la pénétration, les. con-
noiflànces, & la droiture d’efprit que cet objet épineux
exigeoit, & qui fè font remarquer danstous les ouvrages
que M. Duclos a publiés : elles y font fbuvent
réunies, à beaucoup d’autres qualités qui paroitroient
déplacées dans cet article ; car il eft un ton propre à
chaque matière..
L ’éclairciffement que- je vas donner à la Déclamation
notée , dépend de l’examen de plufieurs
points ; &■ pour procéder avec plus de méthode &
de clarté,, i l eflnécefïàire de définir & d’analyfèr
tout ce qui y avoit rapport.
La Déclamation théâtrale étant une imitation-de
ïa Déclamation, naturelle, jè définirai fèulement
celle-ci., C’eft une affeèhon ou modification que la
Voix reçoit, lorfque nous femmes émus dè quelque
paffion , & qui annonce cette émotion à ceux qui
»nus. écoutent y de la. même manière que la. difpo.-
fition des traits de notre vifâge l’annonce à ceux qui
nous regardent.
Cette expreffion de nos fentiments eft de toutes lei
langues; & pour tâcher d’en connoîtrela nature, il
faut, pour ainfi dire, decompofèr la voix humaine,
& la confidérer fous divers afpeds.
,i°. Comme un fimple fbn , tel que le cri ded
enfants.
z°. Comme un fbn articulé, tel qu’il eft dans U
parole.
3°. Dans le chant, qui ajoute à la parole la modulation
& la vérité des tons.
4°. Dans la Déclamation, qui paroît dépendre
d’une nouvelle modification dans le fbn & dans la
fùbftance même de la voix ; modification differente
de celle du chant & de cëllç de la parole, puisqu’elle
peut s’unir à l’une & à l’autre , ou en être
retranchée.
La voix confîdérée comme un fbn fimple, eft produite
par l’air chaffé des poumons, & qui .fort du
larynx par la fente de la glotte ; & il eft encore
augmenté par les vibrations des fibr'es qui tapiffent
l ’intérieur de la bouche & ïe canal du nez.
L a voix qui ne fèroit qu’un fimple c r i, reçoit
en fortant de la bouche deux efpèces de modifications
qui la rendent articulée, & font ce qu’on nomme
la parole.
Les. modifications de la première efpèce produi-
fènt les voyelles , qui dans la prononciation dépendent
d’une difpofition fixe & permanente de la langu
e , des lèvres, & des dents. Ces organes‘modifient
par leur pofition, l ’air fbnore qui fort de las
bouche ; & fans diminuer fa viteffe, changent la
nature du fbn. Comme cette fituation des organes delà
bouche, propre à former les voyelles , efl permanente,
les fons voyelles font fùlceptibles. d’une durée
| plus ou moins longue , & peuvent recevoir tous les;
degrés d’élévation & d’abaiflèment poflïbles tils font
meme leslèuls qui les reçoivent ;. & toutes les variétés.,
(bit d’accents dans la prononciation fimple v
(bit d’intonation muficale dans le chant, ne peuvent
tomber que fùr les voyelles..
Les modifications de la fécondé efpèce , font celles;
que reçoivent les voyelles par le mouvement fùbit.
& inflantané: des organes mobiles de la voix , c’eft:
à dire, de la langue vers le palais ou vers les dents ,,
& par celui des.lèvres. Ces mouvements produifènte
les confbnnes,. qui ne font que de (impies modifica--
. tions des voyelles, & toujours en les précédant.
’ C’eft l’aflèmblage des voyelles* & des eonfonnesr-
mélées fùivant un certain o r d r e q u i conftitue la.
parole ou la voix articulée. Voye\ C onsonne , &<?«.
, La parole eft fufceptible d’une nouvelle modification
qui en fait la voix de chant. Celle-ci dépend
. de quelque chofè dè différent du plus ou du moins;
de viteffè, & dü plus ou moins de force de l'a ir
qui fort de k glotte & pafle4 parla bouche. On ne?
doit pas non plus confondre la voix de chant avec:
: le plus ou le moins d’élévation des tons, puifijue cettcs
• variété, fè remarque, dans iez açceius. de la. pronom