
arae, les reproches de la nature plus amers que
ceux de l’amour , l’impatience & la crainte de fè
voir aux genoux d’un père abandonné & d’une
xnaitrelïè outragée ; ce ,tableau dé la renaiflànce de
toutes les vertus dans un coeur que le vice a pu
fouiller, mais n’a pu corrompre, c’eft là ce que
M. de Voltaire a cru digne d’être préiènté aux yeux
des fpedateurs, & non pas des objets qu’on ne rencontre
que trop fbuvent fur (on paffage.
Le mérite du poète, le charme du fpedacle, ne
confident pas feulement à nous offrir des tableaux
dont nous fbyons émus, mais dont nous nous plaidons
à l’être.. Le trivial a beau être touchant: « Je
» ne vais point au fpeâacle, dïfbit un homme de.
» fèns & de goût, pour n’y voir & pour n’y entendre-
» que ce que je vois- & ce que j’entends en me met-
» tant à ma fenêtre. » Il y a donc r même pour le
pathétique, un choix, un attrait de curiofité,. un|défîr
de voir la nature, ou fous de nouveaux points de
v u e , ou revêtue de formes & de couleurs nouvelles.
Des combinaifôns d’intérêts, de caractères-, & d’incidents
, peu communes & pourtant vraifèmblables ;
des nuances de moeurs.que ne préfèntentpas la fbciété
journalière, ou , dans ce .qui s’y pâlie , des fingula-
rités que nous n’aurions pas apperçues'Sc que l’oeil
du peintre afàifies ; un naturel qui. n’a rien de vulgaire,
fbit dans l’expreffion du vice , fbit dans celle
d e là vertu; enfin cet aflèmblage de traks epars fur
la fcène du monde , q u i, recueillis & raproches , forment
un tableau refïemblant, dont rien de fèmblable
n’exifte telle e f t l’imitation poétique.. Voye^ I m i t
a t i o n . .. ... .
Nulle aftion dans la vie ne fèroit théâtrale, fi on
la rendoit fidèlement^ Il y a toujours des vides , des
longueurs, des circonftances fuperflües, des détails
froids & plats , qu’il fèroit puéril de raconter , &
plus puéril de mettre en fcène. L ’art du conteur
eft de réduire l’aéüon à ce qu’elle a d’original ou
d’intéreffant. L ’art du poète dramatique eft de l’étendre
& de l’embellir, d’en élaguer ce qu’elle "a de
commun , & d’y ajouter ce qui peut la rendre plus
fingulière & plus piquante , ou plus vive & plus
animée.. C’eft bien partout l’air de la vérité , fa
seffemblance,: mais jamais- fà copie. Il en eft. du Langage
comme de l’adion.
Le poète qui écrit comme on parle r écrit mal.
Sa didion doit être naturelle ,. mais de ce naturel
que le goût rectifie, où il ne laiffe rien de froid, de
négligé , de diffus, de plat r d’infipide.. L e langage
même du peuple a fa grâce & fbn élégance, comme
H a fa baffeffe & fa grofticreté : il a fès tours .ingé-
nieux& v ifs, fês expreffions pittorefques, & parmi
les figures dont il eft plein, il en eft de très-éloquentes.
I l aura donc aufïtfà pureté", quand le choix
fera fait avec difcernement. L ’operation du goût
dans l’art d’imiter le langage, reffemble à celle-du
crible qui fêpare le grain pur d’avec la paille & le
gravier. # b
Cette théorie eft connue ; mais dans le fÿftême du
J )ram e y il paroît qu’on ne l’admet point. L ’exade
vérité, la nature elle-même eft ce qu’ôn afîede dèt
rendre; & ce fÿftême eft très-commode:, car il difi-
penfè & du goût dan& le choix, & du génie dans»
l ’invention, & du don de. donner aux chofès une-
création nouvelle. Copiée ce qu’on1 voit dire ce
qu’on entend, & donner pour du naturel l’incorrection,
la platitude , l’infipidïte du. langage, comme-
l’oifêufè futilité des petits détails pantomimes qui fè
mêlent à l’adion; c’eft, dans c e genre,ce qu’bn appelle
connoître & peindre la.nature. Le trivial:, le bas, le
dégoûtant, tout fera, hon ; car tout eft. vrai. Amfi ,,
la Farce a profité dela.faveur accordée au Drame y
& en effet la même corruption du goût qui fait-
approuver l’un , doit faire applaudir 1 autre : car fil
tout ce qui fait frémir pu pleurer eft digne de la
fcène, tout ce qui fait, rire en fera digne aufïi; &
de proche en proche les plaifirs du bas.peuple deviendront
ceux de tout le monde..
Ce fÿftême des faifèurs de Drame n’ëft' pas encore^,
jl: eft vrai, celui de nos fculpteurs & de nos peintres ÿ,
mais il eft celui des modeleurs. & enlumineurs dut:
boulevard.. « Quel eft le mérite fublime de la Sculp—
» ture , vous diront cés greffiers, artiftes P n’eft-oe*
pas d’imiter fi fidèlement la nature que l’image*
». fôit prifê pour la réalité ? Hé bien, placez dans-
»' vos jardins ces figures colorées,, d’un payfàn
»• d’un foldat, d’un abbé ; & fi l’on ne s’ÿ méprend!
»- pas-, nous, paflêrons. pour, des- fculpteurs. mé-*-
» diocres
On s’y méprendra ;’ 8c vous: ferez- encore indignes;
du nom de fculpteurs.. On ne fè méprendra point
de même à la Vénus , au Laocoon , à l’Hercule
à l’Antinoiis, à l’Apollon, au Gladiateur antique^
ni au Milon du Pujet, ni au Mercure de Pigal; 8e
ce fêronttoujours les chefs-d’oeuvre de l’àrt. Rendre;
crûment la vérité commune, eft le talent d’un ouvrier;
faire mieux que n’a fait la nature elle-même-
& l’embellir en l’imitant eft l’àrt réfêryé: au;
génie.. | ^ .
Cependant s’il fàlloit en croire'quelques fpécu-
lateurs modernes, tout, dans les arts , devroit concourir
à ce qu’ils appellent l'E f f e t , c’ëft à dire , à-
l’illufion & à l’émotion la plus forte-; & plus l’illu -
fion fèroit complette & le fpedacle pathétique , plus,
il nous fèroit agréable » quelque moyen que l’oit
eût pris pour nous tromper & pour nous émouvoir».
Cette opinion peut être celle d’un peuple fans-
délicateflè, qui ne demande qu’à être ému.. Mais
j pour un monde éclairé , cultivé , & doué d’organes
fènfîbles, Te plaifîf de l’émotion dépend toujours des-
moyens- qu’on y emploie:; & s-’il n’a éprouvé au-,
fpedacle que les angoiïïès d’un intérêt pénible, fans-
aucune de ces jouïlfances de Fefprit & de Famé que
le dèvelopement du coeur humain , l’Eloquence-
dès pallions, les charrnes de la Poéïïe, mêlent à1
l’illufion du théâtre des Racines & des Voltaires ; il
fera peu de . cas d’un Drame q u i, avec l’imitation-
8c l’expreffion triviale de la douleur & de la plainte,
avec des objets pitoyables, avec des cris, des larmes,,
des, fànglots, l’aura physiquement ému.
t,a diflinâîon des deux genres paraîtra pins fen-
ifible dans les vers que voici :
Il eft un art d’imiter la nature,
Que de fes dons le génie a doué ;
Il en eft un qu’il a défavoué ,
Comme une lourde Sc groflîère impofturej
L ’un, plein de force & de facilité ,
Avec mefurej embellit, exagère ;
En imitant, fa main sûre & légère
Joint la richeffe à la (implicite :
Hardi , mais fage, élégant, mais févère,
Et libéral fans prodigalité*
La grâce noble eft fon grand cara&ère.
L’autre , indigent de fon ftérile fonds ,
,Va mendiant les fecours qu il amafïè.
Dans fes fujets , pour les rendre féconds,
C ’eft encor peu de charger, il encaffe.
S’il a deffein d’infpirer la pitié ,
Rien à fes yeux n’eft affez pitoyable |
Si la terreur , rien n’eft trop effroyable,
l e tendre amour, la fenfible amitié,
Et la nature encor plus déchirante,
Et l’innocence , éperdue 0 expirante ,
Et la vertu dans l’excès du malhéur,
N ’ont, à fon gré , qu’une-foible couleur.
v Sous des haillons il nous peint l’indigence ,
11 fait de fan g dégoûter la vengeance,
Et fur la roue il montré la douleur.
Le Cannibale, avec fes barbaries,
N’eft pas encore un objet affez noir :
A fon fpe&acle , il faut, pour émouvoir,
Le parricide entouré de furies.
11 va fouiller jufques dans les tombeaux ^
11 en revient couvert d’affreux lambeaux ;
l e quand d’horreur il voit que l’on friffonne ,
Il s’applaudit du plaifir qu’il nous donne.
*" M. Makmoutel, )
(N . ) DROIT , DEBOUT. Synonymes.
On eft droit y lorfqu’on n’eft ni courbé ni penché.
On eft debout, lorfqu’on eft fur fês pieds.
La bonne grâce veut qu’on fè tienne droit. Le
refpeft fait quelquefois tenir debout. ( L abbt Girard.
)
(N.) D R O IT , JUSTICE, Synonymes.
L e Droit eft l’objet de la Jujîice ; c’eft ce qui eft
dû à chacun. La Jujiice eft la conformité dés actions
avec, le Droit ; c’eft rendre & confèryer a
chacun ce qui lui eft dû. Le premier eft didé par
la. nature, ou établi par l’autorité, fbit divine fb it
humaine ; il peut quelquefois changer félon les
circonftances. La féconde eft la règle qu’il faut toujours
fuivre ; elle ne varie jamais.
Ce n’eft pas aller contre les lois delà Jujiice , que
de fbutenir 8c défendre fés Droits par les mêmes
moyens dont on fè fért pour les attaquer» ( L’abbé
G ir a r d . )
(N .) DUBITATIO N, f.f. Figure de pensée pat
fi&ion, dans laquelle celui qui parle-paroît incertain
du parti qu’il doit prendre , quoiqu’il fâche au fonds
à quoi s’en tenir, ou qu’il n’y ait en effet qu’un parti
qui lui convienne.
Nous avons un bel exemple de Dubitation dan*
la lettre de Tibère au Sénat, que Tacite a confervée
dans fés Annales (VI. 6 .)
Quid feribam vobis,
P„ C. aut quo modo feribam
? aut quid omnino
uon feribam hoc tempore
? Dii me deoeque
pejus perdant quam pe-
rire quotidie JentiOjfi
fcio\
Que vous écrirai - je f
Pères confcrits 7 comment
vous écrirai-je ? ou que ne
vous écrirai-je pas dans
les conjonctures préféntes?
Que les dieux & les dée£
fés me faffent périr plus
cruellement encore que je
ne me fèns périr tous les
jours, fi j’en fais rien !
C’eft l’image de la perplexité réelle où étoit l’empereur
; il n’y a point ici de fiétion, du moins quant
à l’état de fon ame : cependant il fàvoit déjà ce
qu’il fè propofbit d’écrire quand il prit la plume , &
c’eft en feignant de l’ignorer qu’il prend le ton
figuré.
Dans la Zaïre de M. de Voltaire , Orofmane,
ayant fùrpris le billet fatal adreffé à Zaïre par N é -
reftan, s’écrie :
Cours chez elle à l’in flanc ; va , vole , Corafmin ;
Montre-lui cet écric. . . Qu’elle tremble, & foudain
De cent coups de poignard que l’infidèle meure :
Mais avant de fraper.. . Ah! cher Ami, demeure; .
Demeure , il n’eft pas temps : je veux que ce chrétien
Devant elle amené. . . . Non , je ne veux plus rien ;
Je me meurs, je fuecombe à l’excès de ma rage.
Dans le premier exemple , Tibère déclare lui-
même fon incertitude : dans le fécond , Orofmane eft
le jouet de la fienne ; il veut, il ne veut pas ; l’inconG
tance des mouvements de fà paffion pouiïè fés e s prits
de différents côtés ; fbn ame eft fiifpendue dans
fine irréfblution douloureufé , comme les vagues de
la mer agitées par des vents contraires.
La Dubitation y très-fréquente dans les monologues
, y prend quelquefois un air de confùltation ;
la perfonne qui parle , y balance les raifbns pour
8c contre, & finît fbuventpar prendre un parti bon
ou mauvais. Tel eft, dans FAndromaque de Racine-,
le beau monologue qui commence le V. a d e , &
qui peint fi vivement le trouble de l’ame d’Her-
mione après avoir commandé à Orefte de tuer
Pyrrhus :
Où fuis-je? qu’ai-je fait ?" que dois-je faire encore?
Quel traofporc me faifit ? quel chagrin me dévore ?
Errante Sc fans deffein je cours dans ce palais ;
Ah 1 ne puis-je favoir fi j’aime ou fi je hais î
M m mm, %