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dans l ’original. Démofthène, quoi qu’en dite le
{avant académicien , préfente à fès traducteurs le
même embarras ; il l ’a éprouvé lui-même, & s’en
eft tiré comme on le doit, en traduifànt avec fidélité
, ainfî qu’il a fait dans d’autres endroits de Cicéron
: le traduéteup convient allez clairement,
dans la préface de les Philippiques de Démojlhène,
que , fans cette fidélité , on ne rendrait pas le
caraCtère de l’éloquence propre de l’original.^
Quand M. d’Oiivet traduifit l ’endroit de l ’orateur
romain dont il s’agit ic i , -il avoit donc, je
ne lais ni comment ni pourquoi , un accès d’humeur
contre Y Antithèfe \ mais le fréquent & bel ulàge
qu’en a fait Cicéron , aurait dû le réconcilier avec
cette figure ; Cicéron , dis-je , qu’il a tant aimé ,
dont il s’eft tant occupé , dont le nom eft devenu
avec juftice le'nom de l’Eloquence même, & dont
le traducteur rappelle avec complailànce, à la fin
des Penfées qu’il èn a -extraites,. ce qu’en a dit Vel -
léius-Paterculus { ll.x x x v ij. 66.) : Citlies inmundo
gervus hominum, quam ea ( laus Ciceronis ), cadet.
Le mot Antithèfe eft grec, A’vrlôio-tç ( Contrapo-
Jitio, Oppojitio), RR. ot'/Ti ( contra) & ùtrts (pojitio)
de' rtiipi C pono j. Ce nom , pris ainfî , caraCtérilè
très-bien -la figure dont on vient de rendre compte:
mais il paraît que les anciens la défîgnoient feulement
par le nom fingulier a ’vt/ôétov ( Contrapofi-
tuni ) , ou par le pluriel A’vr/ôer« ( Contrapojitd) ;
Cicéron & Quintilien n’en parlent pas autrement.
On donnoit au mot A’vTtôtns une autre lignification,
tirée de ce que wrfi lignifie quelquefois pro
( pour) ; & voici comment S. Ifîdore de Séville explique
les deux lêns : A n t ith e s is , contraria po-
fido litterce pro alla litterâ ; impeto pro impetu ,
& olli pro iili. Ç Origin. I. x x x jv . ) A ntithe ta ,
quoe latinè Contrapofîta appellantur ; quæ, dum
e x adverjo ponuntur , fententioe pulchritudinem
faeiunt , & in ornamento locutionis decentifjïma
exiflunt. ( Origin. II. x x j . )
L ’tJfàge a tellement prévalu aujourdhui , pour
donner à la figure de pensée le nom d’Antithèfe ,
qû’il n’eft pas poflible de le changer. Mais on le
conlêrveroit abufîvement à la figure de Diction qui
met une lettre à la place d’une autre; & comme
on en parle moins que de la première, il eft plus
facile de changer l ’ufàge à cet égard : je propolê
aux gens de l’art de l’appeler Commutation. Voy.
ce mot. ) ( M. P e a u z é e . )
(N.)ANTITHÉTIQUE, adj. Qui tient de l ’Anti-
thefè. Style antithétique. ( M. B eauzéeQ
(N.) AN TO N OM A SE , C. f. Avant de fixer à
quelle claffe on doit rapporter cette figure, commençons
par examiner en quoi elle confîfte& à quelle
fin on l ’emploie.
L e nom A ’yrovopccm'ec eft compofe de ùvt) ( qui
fîgnifie ic i pour & marque un é ch an g e ), & du
verbe otofth^a { je nomme) tiré du mot (nom) ; le
nom Antonomafe fîgnifie douç en latin Pronomina-
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tio , échange d’une dénomination contre une autre.
U Antonomafe eft en effet une figure qui emploie
une dénomination commune ou appellative au lieu'
d’un nom propre, ou au contraire un nom propre
au lieu d’une dénomination commune ou appella-
tive ; ce qui peut faire diftinguer Y Antonomafe
en deux efpècës.
C ’eft par une Antonomafe de la première efpèce que
les grecs & les latins difôient VOrateur pour défigner,
les uns Démojthène, & les autres Cicéron ; qu’ils di-
foient le Poète, les uns pour Homère , & les autres
pour Virgile; que nous ditôns nous-mêmes VApôtre
des gentils ou Amplement Y Apôtre pour S. P a u l, le
Prophète roi ou le Prophète royal pour D a v id ,
le Docteur de la grâce pour S. Augujlin, le Docteur
angélique ou VAnge de VÉcole pour S. Thomas
d’Aquin, le Docteur fe'raphique pour S. Bo~
naventure , le vainqueur de Darius pour Alexandre
le grand, le deflructeur de Carthage & de Numance
pour Scipion Èmilien, Vauteur du Télémaque pour
M . de Fénelon , le Père de la Tragédie françoife
pour P , Corneille j le Fabulijîe français pour la
Fontaine, &c.
Quand on dit Amplement le Roi , on entend individuellement
le roi du pays où l’on eft, ou du pays
dont on parle : le nom général de Ville défîgne individuellement
la capitale de l’Empire, du royaume,
de la province, ou même du canton où l’on eft, ou l’on
demeure, ou dont on parle ; les grecs dans le même
fèns difôient «<sv , & ce mot a été confêrvé matériellement
dans Térençe &dansCornélius-Népos,
qui difent AJlu relativement aux grecs ; les latins
difôient Zfrbs par rapport à eux, &c.
C ’eft par une Antonomafe de la féconde efpèce ,
qu’on donne, à un débauché, le nom de Sarda-
napale , dernier roi des aflyriens, qui, félon l’opinion
commune vivoit dans une molleflé extreme :
à un prince cruel, le nom de Néron, empereur
romain qui s’eft déshonoré par fés cruautés : à un
homme fàge, le nom de Caton, qui s’eft diftin-
güé par la régularité de fés moeurs & par l’aufte-
rité de fés principes : à un homme puiflant qui
protège les gens de Lettres, le nom de Mécène,
favori de l’empereur Augufte , qui s?eft rendu recommandable
par la prote&ion qu’il accordoit aux gens
de Lettres de fôn temps : à un homme extrêmement
pauvre, le nom dTrus , pauvre de l’ile d’Itaque ,
qui étoit à la fuite des amants de Pénélope ; & à
un homme très-riche, le nom de C ré fis, roi de
L y d ie , renommé pour fés richelîés : à une femme
d’une vertu éprouvée & courageufé , le nom de
Pénélope ou de Lucrèce , qui paflént l’une & l’autre.
pour avoir été des modèles en ce genre ; & à
une femme débauchée, le nom de Phryné ou de
Lais, célèbres courtifànes de l’ancienne Grèce : à,un
Critique paflionné & jaloux, le nom de Z o ile ,
qui a montré ces défauts en critiquant Homère ; &
à un Critique judicieux & impartial, le nom d’A r if-
turque , dont le fàge difeernement, dans la cen-
fure qu’il a faite du prince des poètes , l’a fait
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regarder comme le modèle des Critiques. Nous donnons
de même aujourdhui, à ceux qui fè diftin-
guent dans la carrière de l ’Éloquence, les noms
de Démojthène, d’Ifocrate , de Cicéron , félon la
conformité du caraétère de leur éloquence avec celui
de ces orateurs anciens ; le nom de Mentor, à
un inftituteur ou gouverneur, dont la fàgefie a de
l’analogie avec celle du condufteur de Télémaque;
le nom de Tartuffe, à un méchant homme caché
'fôus le voile trompeur de l’hypocrifîe , comme le
perfonnage que Molière a défîgné par ce nom ; le
nom èYApelle , de Phidias , de Raphaël, de Gi •
rardon , ou de quelque autre artifte célèbre , à un
artifte moderne du même genre, dont le faire approche
de celui de l’artifte plus ancien ; &c.
Nous difôns dans les mêmes vues Y Alexandre du
Nord ; le Salomon d’Angleterre , le Térence français
, l ’Efope moderne , & c. pour défîgner Charles
X I I , rai de Suède, Henri V il , roi d’Angleterre
, Molière, la. Fontaine , par la refTemblance
qu’ils ont avec le conquérant macédonien, avec le
plus fàge des rois de Juda, avec le poète comique
latin le plus diftingué, & avec le philofôphe efclave
qui déguifôit fi adroitement fés leçons fous le voile
de l’Apologue.
Si Y Antonomafe de la première efpèce fè fait par
la fîmple fùbftitution d’un nom appellatif à la place
d’un nom propre ; fôn intention eft de faire entendre
, que la perfônne ou la chofé défignée par cette
figure , excelle par deffùs les autres qui partagent
la même dénomination : fi Y Antonomafe Ce fait par
la défîgnation individuelle d’un ouvrage d’une action,
d’un trait quelconque ; elle prétend tirer de la
foule la perfônne ou la chofé dont il s’a g it, & lui
donner pour caraétère diftinétif ce qu’elle met à la
place du nom propre. Dans l’un & dans l’autre cas
on pourroit dire que Y Antonomafe eft dijîinctive.
Ainfî, lorfqu’au lieu de nommer Amplement S. Paul,
on dit V Apôtre , c’eft comme fi l’on difôit, S. P a u l,
le plus diftingué des apôtres ; & fi on le nomme
VApôtre des gentils , c’eft comme fi l’on difôit, S .
Paul diftingué entre les apôtres par la vocation
des gentils qui ont été le principal objet de fa
prédication : la première exprefîion le met au deftus
des autres apôtres, Ja féconde ne fait que lui afïi-
gner entre eux un caraétère individuel.
L’Antonomafe de la féconde efpèce.fé propofé de
caraétérifér la perfônne ou la chofe dont il s’agit par
comparaifon avec celle dont on lui donne le nom
propre ; & dans ce cas, on pourroit dire que Y A n tonomafe
eft comparative. Ainfî , lorfque Boileau
(Sat. jx. 64 . ) a dit ,
Aux Saumaifes futurs préparer des tortures /
c eft comme s il avoit d it, Préparer des tortures à
ceux qui, comme Saumaife, fameux commentateur
du XVIIe fîecle, s’occuperont à deviner, à
développer, à interpréter , en un mot à commenter
les penfées des écrivains qui les auront précédés,
& à juftifier leurs commentaires par une érudition,
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fôuvent plus propre à embrouiller qu’à éclaircir la
matière.
De tout ce qui vient d’être d it, il réfùlte que
les deux Antonomafes font deux branches de la
figure nommée Synecdoche d’individu. Voye\ S y-
necdochb.
Entre les traits caraéiériftiques de l’individu dont
on fûpprime le nom propre dans Y Antonomafe dif-
tinclive, il faut choifîr celui qui a plus de rapport
à la fin qu’on Ce propofé par ce détour, & qui peut
devenir , en quelque manière, .une preuve ou un
motif. C’eft ainfî que le Pfàlinifte (P f.x c iij. 9 , 1 0 .)
fubftitue , au nom de Dieu, trois Antonomafes dif-
tincîives adaptées à la fin qu’il Ce propofé , de per-
fùader les pécheurs de l’attention de la Providencè.
fur toutes leurs aéHons & de la juftice qu’elle en
fera ; & ces trois Antonomafes deviennent trois
preuves de cette grande vérité, ou du moins trois
motifs de la croire : Qui plantavit aurcm, non au-
diet ? aut quijînxit oculum non confiderai ? Qui
corripit gentes , non argue t ? Le poète Roi fléau
n’a eu garde d’en rien perdre dans l’Ode fàcrée
qu’il a tirée de ce pfèaume : ( I. Ode x .)
Celui qui forma votre oreille,
Sera fans oreilles pour vous ?
Celui qui fit vos yeux, ne verra point vos crimes ?
Et celui qui punit les rois les plus-füblimés,
Pour vous feul retiendra fes coups ?
Dans la tragédie d’A tha lie , le chef-d’oeuvre ,
fans contredit, de tous les théâtres , Joad aurait pu
dire Amplement à Abner , Dieu fa it bien des méchants
arrêter les complots : mais , au moyen d’une
Antonomafe fûhftituée au nom de Dieu , Racine
'met dans la bouche du grand prêtre la maxime &
la preuve , qu’il puifé dans l’idée magnifique d’un
miracle connu de fà toute puiftànce ; (A c l. I .fc . ].)
Celui qui met un frein à la fureur des flots a ' '
Sait aufli des méchants arrêter les complots.
Si le trait individuel, exprimé par Y Antonomafe ,
s’y montrait fans utilité, la figure y deviendrait
alors une pure battologie ( voye% Ba t t o lo g ie ) ; &
fi elle y étoit à contretemps, la figure y ferait une
véritable abfùrdité.
Il eft bien de dire, par exemple, L ’auteur du
Télémaque a donné d’excellentes leçons à tous les
états j parce que c’eft dans le Télémaque même
qu’il donne ces leçons, & que c’eft pour les donner
qu’il a compofe cet ouvrage.
Maisce fèroit une pure battologie, de dire, L ’auteur
du Télémaque naquit dans le> Périgord en
1651 , fu t fa it précepteur des enfants de France
en 1689 , archevêque de Cambrai en 1695 , & mourut
à Cambrai en 17 15 ; parce que l’idée du Télémaque
, qui n’a aucun rapport à la fuite chronologique
de tous ces évènements , eft insérée ici fins
caufe & fans utilité.
Que féroic-ce , fi l’on difôit L ’auteur du Téléma