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la nature d’une Defcription que d’une Définition pM*
prement dite.
Il y a differentes fortes de Définitions oratoires.
L a première fè fait par l’énumération des parties
d’une choie ; comme lorfqu’on dit, que VÉloquence
efi un art qui confijle dans l'invention , la difpofi-
tion , l'élocution , & la prononciation. La féconde
définit une chofè par fès effets : ainfî, l’on peut dire
que la guerre efi un monfire cruel qui traîne fur fies
pas l'injujlice, la violence, & la fureur ; qui fe
repaît du fang des malheureux , f e plaît dans les
larmes & dans le carnage y & compte parmi fes
plaijîrs, la défolaùon des campagnes , l'incendie
des villes, le ravage des provinces , &c. La troisième
efpèce efi comme un amas de diverfès notions
pour en donner une plus magnifique de la chofè
dont on parle, & c’eft ce que les rhéteurs nomment
Defthitiones conglobatce : ainfî, Cicéron définit ie
fenat romain , Temp-lum fanclitatis, caput urbis ,
ara fociorum , portus omnium gentium. La quatrième
confîfie dans la négation & l’affirmation , c’efi
à dire , à défîgner d’abord ce qu’une chofè n’eft pas,
pour faire enfuite mieux cohcevoir ce qu’elle efi.
Cicéron , par exemple, voulant définir le Confùlat,
dit que cette dignité n’eft point .caractérisée par les
haches & les faifceaux, les licteurs, la robe prétexte,
ni tout l’appareil extérieur qui l’accompagne , mais
par l’adivité, la fàgeflè , la vigilance, l’amour de
la patrie; & il en efi eonclud que Pifôn , qui n’a aucune
de ces qualités , n’eft point véritablement con-
ful, quoiqu’il en porte le nom & qu’il en occupe la
place. La cinquième définit une chofè par ce qui
l ’accompagne ; ainfî , l’on a dit de l’Alchimie , que
c'ejl un art infenfé', dont là fourberie efi le commencement
, qui a.pour milieu U travail, & pour
fin l'indigence. Enfin la fîxième définit par des fîmi-
litudes des métaphores : on d it, par exemple ,
que la mort efi une chute dans les ténèbres, &
qu'elle n'efi pour certaines gens qu'un fommeil
paifible.
On peut rapporter à cette dernière claflè des Définitions
métaphoriques, cinq Définitions de l’Homme
aftèz fîngulières pour trouver place ici. Les poètes
feignent que les Sciences s’affemblèrent un jour
par l ’ordre de Minerve pour définir l’Homme. La
Logique le définit, Uji court enthymême dont la naif-
fance efi Vantécédent, <$• la mort le conféquent :
i ’Aft ronomie , Une lune changeante , qui ne refie
jamais dans le même état: la Géométrie, Une figure
fphérique, qui commencé au même point où elle
finit : enfin la Rhétorique le définit, Un difcour s
dont l'exor de efi la naiffancé, dont la narration
efi le trouble , dont la péroraifon efida mort, &
dont les figures font la trifieffe, les larmes, ou une
joie pire que la trifieffe. Peut-être par cette fiéfion
ont-ils voulu nous donner à entendre que chaque
a r t , chaque fcience , a fès termes propres & confà-
çrés pour définir fès objets. [L'abbé M allet.')
{ J La Définition oratoire efi un vafte champ pour
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l’Éloquence. C’eft par elle que fè difcutent prefque
toutes les queflions de droit : car lotfqu’on efi d’accord
fur l’exiftence du fait & fur fà caufe ; il ne s’agit
plus que d’examiner quelle en efi la nature , & d’en
déterminer la qualité relativement à la loi.
Clodius a été tué par les enclaves de Milon; mais
eft-ce là un meurtre prémédité & volontaire, ou feulement
le cas de la défenfè perfonnelle? Le fait eft
convenu. La qualité du fait eft la queftion qui s’agite.
Mitréna s’eft rendu agréable au peuple ; mais Ce
qu’il a fait pour lui plaire , eft-ce le crime d'Am-
bitus ? Eft-ce là briguer les fuffrages ? C’eft ce qui
refte à décider.
Ce fut à Rome une caufè célèbre que celle que
plaida Carbon pour la défenfè de L . Optimius , accusé
, après fon confùlat,-du meurtre de C. Gracchus.
L ’adion étoit notoire ; mais lorfqu’il s’agiftoit du falut
de la république, le conïùl , en vertu d’un décret du.
sénat, n’avoit-il pas eu droit d’ordonner qu’on fit
mainbafïè fur un féditieux ? ou dans ce péril même,
devoit-il refpëder la loi qui protégeoit tout citoyen
qu’elle n’avoitpas condanné ? Licuerit ne ex fenatus
confulto, fervandæ reipublicoe caufâ ? C’étoit là lé
point contefté. Il s’agifloit de définir le droit de la
sûreté perfonnelle, & ce que le conftil appeloit le
danger , le fàlut de la république, •& l ’autorité du
sénat, & le devoir du conful lui - même entre un
décret du sénat & la loi.
Une caufè non moins fameufe fut celle dü tribun
C. Norbanus , plaidée par Antoine. Ce tribun étoit
accusé d’avoir excité une sédition contre Servilius
Coepio, lequel, après s’être fait battre par les cim-
bres & chaffer de fon camp , avoit perdu dans fa déroute
le refte de l’armée romaine. L ’orateur foute-
noit, non fèulementqué dans la douleur & l’indignation
où étoit le peuple , la sédition avoit été fî violente
f qu’il n’avoit pas étépoffible au tribun de la
réprimer ; mais que toutes les séditions n’étoient pas
puniffables, qu’il y en avoit de légitimes, & que celle-
ci étoit du nombre. Ainfî y la caufè du tribun deve-
noit la caufè du peuple. C’eft cet endroit du plaidoyer
d’Antoine que l’orateur Crafîùs vantoit comme un
prodige d’Éloquence : Potuit hic locus , tam an-
ceps , tam inaiulitus, tam lubricus, tam novus ,
fine quiidam incredibili vi acfacultaie ilicendi trac-
tari ? ( II. De orat. x xv iij. 12 $. )f
Antoine va lui-même expliquer comment la caufe
fut plaidée : » Ni Servilius ( fon adverfaire) ni moi,
» dit-il, ne nous attachâmes à définir à la manière
» des philofophes, lucidè breviierque ', nous expli-
» quâmes l ’un & l’autre le plus amplement qu’il nous
» fut poffible ce que c’étoit que porter atteinte à la
» majefté publique, a ( Car e’étoit le crime en queftion.
) Quantum uterque noflrûmpotuit, omni copia
dicendi dilatavit quid effet majefiatem manière.
C’eft ainfî en effet, dit-il, que l’orateur doit définir
: carfî dans une Définition précifè l.’adverfàire
trouve un feul mot à reprendre, à ajouter, à retrancher,
c’eft une arme brisée qu’il nous arrache
de la main, Etenim Définitiaprimum repreherfo ver-
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to wi° , aut addito, aut dempto, foepi extofquetur
i manilms. (Ibid. x x v . .. . . : >
Que fit donc Antoine , apres avoir touche légers
ment & en peu de mots la 1er Majefiatis 1 envi
tonna fa Définition, fi j’ofe m’exprimer ainfi , d ouvrages
extérieurs qu’il falloir forcer pour arriver au
corps de la place : Omnium feduionum gmera, w-
tia fièricidu collegi , eumque orauomm ex omni
reipublicoe noftroe 'lemporum varietate repeiivi ; con-
clufique itii ut dicerem , et f i omnes moleftoe Jemper
feditionesfuiffent, juflus tamen fmfie nonnullas O
prope neceffarUs... Heque reges ex hac civaate exe-
g i \ ne que .Lribuiios plebis crean , neque plebijctus
loties confularempotefiatem numu . nequeprovoca-
tionem, patronqm illam ciyitatis acvtndicem liber-
tatis populo, romano darifine nobdium dtjjenjione
pôtuiffe. Ilb.'xlviij. 199-) Alors il ajouta, que il tant
de séditions avaient été permifes pour le lalut de la
république , il ne falloirpas faire un c^me au tn-
bun Norbanus d’un (bulèvement qui n’avott:eu qu une
trop jufte caufe. De là les mouvements d indigna'-
tion & de douleur qu’il reveilla dans^ 1 ame de tous
les citoyens , à qui la défaite de Csepion avoit coûte
la perte de leurs enfants & de. leurs proches ; de là
cette révolution dans l’auditoire & dans les juges ,
que les fupplications, la douleur, & les larmes d’un
orateur pénétré lui -- meme , achevèrent de décider.
( Tfoyez P a t h é t iq u e . )
En Éloquence, Définir c’eft donc amplifier, accumuler
les traits, les exemples , les circonftances qui
caradérifènt la chofe ; la préfenter du côté favorable
à l ’opinion qu’on en veut donner , & animer le
tableau qu’on en fait, non feulement des couleurs les
plus vives , mais de tout ce que le mélange des ombres
& de la lumière peut ajouter à leur éclat, f^oye^
- A m p l i f i c a t i o n . .
Je ne dis pas qu’une Définition ngoureule ne
foit quelquefois un moyen tranchant ; mais il faut
pour cela qu’elle foit évidemment jufte , & inattaquable
dans tous les points. Encore a-t-elle , par
fa brièveté même , l’inconvénient d’échaper aux
juges, fi on ne prend pas foin de l’appuyer, au
moins pour lui donner le temps de fè graver dans
les efprits. In fenfum & in mentem judicis intrare
non potefl : ante enim prceterlabitur quampercepta
efi. (Ibid. x xv . 1 0 9 . ) ' .
Au refte, tous les genres d’Éloquence n’exigent
pas les mêmes précautions que le plaidoyer , ou 1 à-
greffeur & le défenfèur doivent être fans celle en
garde, & frapper & parer prefque d’un même temps.
Ainfî, la Définition , qui dans le genre judiciaire
eft le centre de l’adion, & qu’il faut munir de tous
côtés de toutes les forces de l’Éloquence, eft moins
critique & moins périlleufè dans le genre de l’eloge
ou de la délibération. Mais lors meme qu’elle n’eft
pas le centre d’une place forte, elle eft au moins
le frontifpice ou le veftibule d’un palais ou d’un
temple ; & l’Éloquence y doit réunir la pompe & la
folidité.
Dans l’oraifon pour Marcellus, Cicéron, en par-
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lant à Céfar de fes devoirs, après avoir défini M
gloire : Gloria eft illuftns ac pervagata multorum Cf
magnorum), velinfuos ,vel inpatriam, vel tnomne
penus homïnum famameriiorum ;(Pro Marcel, vttj.
%6 . ) dcvelope ainfi fa Définition, en l’appliquant a
Céfar lui- même. Nec vero hoec tua viia duccnda eft,
quoe corpore & fpiritu continetur. l lh i , inquam ,
ilia vint eft tua, quoe vigebit memorià foeculorum
omnium, quant pàfteritas a le t, quant ipfa oeternttas
femper tuebiiur. Voilà pour l’étendue & la perpétuité
; voici pour. la folidité & la purete de la gloire.
Cbdupefccrit po/leri certè imperia , provincias ,
Ritenum, Oceanum, Nilum, pugnasinnumcrabUes,
incredibiles victorias , monumenta , mimera , trtum-
p/ws audientes & legentes mos. Sednifi hoec urbs
flabilita luis'conjiüis.& infthutis e n t , vagabttur
modo nomen tuum longé atqùe talé ; fieiem qm-
dem Jlabiltni & domicilium certum non habeblt.
(Ibid. jx . 2 « , M>. ) Voilà ce qui s'appelle définir
magnifiquement. ,, , ,
Nos orateurs modernes ont connu 1 art de rendre
les Définitions éloquentes,. Je vais; en citer deux
exemples , pris tous les deux de cette oraifon funèbre
de Turenv.c, qui fait la gloire de Flechier. Voici
comment; il définit la valeur véritable , celle de ton
héros.
» N’entendez pas par ce mot (de Valeur) une
» hardie®: vaine , indiferète emportée, qui cher-
» che le danger p*ir le danger même; qui s ex-
» pofe fans fruit, & qui n’a pour but que la repu-
» tation & les vains applaudiffements des hommes.
» Je parle d’une hardie®: (âge & réglée , qui s ant-
» me à la vue des ennemis, qui dans le péril meme
» pourvoit à tout, prend tous tes avantages.; mais
» qui fe mefure avec fes forces ; qui entreprend les
» chofes difficiles & ne tente pas les impofîibles ;
» qui n’abandonne rien' au hafard de ce qui peut
„ être conduit par la prudence : capable enfin de
» tout ofer quand le confeil eft inutile , & prête a
» mourir dans la viftoire, ou à furvivre a fon maU
» heur en ascompliffant fes devoirs. »
L ’autre Définition eft celle d’une armée.
» Q u ’ e f t - c e q u ’ u n e a rm é e , dit l ’o r a t e u r ? C ’eft un
» corps animé d’une infinité de paffilons différentes
„ qu>un homme habile fait mouvoir pour la defenfe
» de fa patrie : c’eft une troupe d’hommes armés»
» qui luivent aveuglément les ordres d'un Cenêral
„ dont ils ne connoiffientpas les intentions : te l l une
„ multitude d’ames, pour la plupart viles & mercc^
» naires, qui,fans fonger à leur propre réputation ,
» travaillent à celle des rois & des 'conquérants : e el8
„ un affemblage confus de libertins , qu il faut at-
» fujétir à l’obéiffance ; de lâches , qu’il faut mener
» au combat ; de téméraires, qu’il faut retenir î
» d’impatients , qu’il faut accoutumer à la conl-
» tance. »
Avec moins de dèvelopement & d’étendue le
poète ne laiffe pas de définir le plus Couvent a la
manière de l’orateur.
l a