
ao  B O
la difficulté d'aÇ>£réndre, de retenir, & d’apprécier
tant de termes différents, auroit, d’une manière
encore plus défâgtéable, tous les inconvénients
de l ’indigence la plus étroite.
Mais ce que nous ne pouvons .exprimer par un
foui mot, nous pouvons toujours le rendre par
plufîeurs ; & c’eft la refïburce de tous les idiomes
en pareil cas. Si quelquefois , dans une compofîtion
foignée, nous (entons le befoin qu’il y auroit de
rendre fonfîble, par un terme unique & propre ,
une idée principale, qui court le rifque d’être en
quelque forte délayée & perdue dans la foule des
mots raflêmblés pour l’énoncer ; pourquoi , en prenant
les précautions indiquées par Horace & par
le bon fêns dont il n’eft en cela que l’interprète,
ne rifqueroit-on pas ces termes néceflâires , dont
l ’emploi fur le champ juftifieroit le befoin ! « Je
» ne vois pas, dit Quintilien , ce qui nous les feroit
» fi fort dédaigner; fi ce n’eft que nous ne nous
» fai ions pas juftice à nous-mêmes, & que nous
» contribuons ainfî à la pauvreté de notre langue.
» Il eft néanmoins de ces mots rifqués qui fo fbu-
« tiennent : car premièrement il y en a qui font
« anciens aujourd’hui, qui autrefois ont été nou-
« veaux ^ & il en eft d’autres qui font en ufàge
» depuis fort peu de temps i l II cite ici plufîeurs
exemples des deux efpèees, par rapport à fâ langue ;
puis il tire fâ conclufion : « Il faut donc avoir la
si même hardiefîê : car je ne fois pas de l ’avis de
st- Celfos, qui ne veut pas que l’orateur faffe des -
» mots nouveaux. En effet, parmi les mots, les
.»» uns étant -, comme dit Cicéron { III. de O rat.
a xxxvij. 149 ). primordiaux, c’eft-à-dire , fixés
ot au fêns de la première inftitution , les autres
st ayant été trouvés depuis & formés de ceux-là ;
st quoique nous n’ayons pas le pouvoir d’en employer
ss d’autres à la place de ceux qu’ont fabriqués ces
» groffiers fondateurs du langage ; toutefois le pri-
si vilège accordé à leurs delcendants, de faire des 1
a 1 mots nouveaux par dérivation , par inflexion ,
si par compofîtion , en quel temps a-t-il été aboli ?
st Et fî un terme paroît un peu trop hafârdé, il
» faut le préfênter avec des précautions qui l ’ap-
si puyent ; pour ainfi dire, s 'il eft permis de le
si dire, en quelque manière , permet te\-moi ce
t terme, Oc.'».’
Quoe cur tantoque afpernemur, n ïh il video ;
riifi quod iniqui ju dices adverfiis nos fumus. ideà-
que poupenatefermonis laboramus. Quoedani tamen
perdurant : nam & quoe vetera maie fu n t , fuerunt
olim nova; & quoedam ih ufuperquam recentia, . .
jduderulum itaqiie : neque enim accedo C e lfo , qui ■
ab oratore ver b a fingi vetat. Nam quum fine eorum
a lia , ut dicit Cicero, n a tiv a , id efl , quoe f i -
gnificata fu n t primo fen fu ; aiia reperta , quoe e x
his fa c ta J une : ut jam nobis ponere alia , quam
quoe illi rudes homines primique fecerunt , f a s non
f i t ; a t derivare , flectere , conjungere , quod natis .
pofiea conceffum e ft, quando defiit licere? E t f i
quid periculofiüs f in x ijje videbimur, q u ihfd am . I
A B O
ttmediis proemuniendum efl ; Ut Itâ dxcafh, fi Iîcet
dicere, quodam modo, permitte mihi fie , Oc,
( Inftit. VIII. iij:). ( M. JJeauzée. )
* A BO N D AN C E , f, £ ( Belles-'Lettres, ) II y
a dans leftyle une abondance qui en fait la Tichefîe
& la beauté : c’eft une affluence de mots & de tours
heureux, pour exprimer les nuances des idées, des
fêntiments , & des images.
Il y a aufli une abondances aine, qui ne fait que
déguifor la ftérilité de l’efprit & la difotte des pen-
fées, par l ’oftentation des paroles.
Soit qu’on veuille toucher ou plaire, ou même
inftruire Amplement, Y abondance du ftyle fuppofe
Y abondance des fêntiments & des idées que produit
un fojet fécond, digne d’être développé. C’eff alors
que la penfée & l’exprefïion coulent enfèmble à
pleine fburce: rentra enim copia verborum copiant
gignit. Cic. I I I , De or. I. 3.
La peine qu’on fê donne pour enrichir des fojets
ftériles, pour agrandir de petits objets, efl au moins
inutile & fouvent importune.
Chapelain, qu’on a voulu donner pour un homme
de goût en fait de Poéfie, & qui n’a voit pas même
l’idée de la grâce & de la beauté poétique, emploie,
à décrire les charmes & la parure d’Agnès Sorel,
quarante vers dans le goût de ceux-ci :
On voit hors des deux bouts de Tes deux courtes manches
Sortir à découvert deux mains longues & blanches „
Dont les doigts inégaux , mais tous ronds & menus,
Imitent l’embonpoint des bras longs & charnus.
L ’art de peindre en Poéfie , eft l ’art de toucher
avec efprit ; & Y abondance confîfte alors à faire beau-*-
coup avec peu , c’eft à dire , à donner à l’imagina-
. tion , par quelques traits légèrement jetés, à quoi
s’exercer elle-même.
Voyez dans trois vers de Virgile, comme Vénus
eft peinte en chafîêrefîê :
Namque humeris, de more, habilem fujpendcrat arcum
Venatrix , dederatqu« comam dijfundtre vends ,
Fudagenu , nudofqueJinus collecta fluentes.
( f Cependant, lorfque la Poéfie eft du genre de
ces petits tableaux qui veulent être vus de près, &
que le mérite effentiel en eft dans les détails , comme
dans les métamorphofês d’Ovide & les fbnnets de
Pétrarque, Yabondance du ftyle peut s’y.répandre.
Il en eft de même dans l’Épopée, quand le fojet &
l’a&ion principale n’attachent pas aflez pour exclure
l ’amufêment d’une defeription déraillée : ainfi, dans
fon poème folâtre , l ’Ariofte s’eft permis une peinture
de la beauté d’Alcine , que le Taflè & Virgile
n’ont pas ofé , ou n’ont pas daigné faire de la beauté
d’Armide & de Didon. Il faut avouer que dans fon
genre;c’eft un chef-d’oeuvre d’élégance, & que, dans
un poème férieux, fî la fîtuation etoit tranquille, on
auroit bien de la peine à blâmer un luxe fi vo-i
luptueux.
A B O
Di peffona era tanto ben formata,
Quarito me’finger fan pittori induftri :
Con bionda chioma^ lungà ed annodata |
Oro non è ehe più rifplenda e luftri.
Spargeafi per la guancia deJicata
Mifto color di rofe , e di liguftri.
Di terfo àvorio era la fronce lieca,
Cbe Jo fpazio finia con giufla meta.
Sotto duo negri e fottiliflimi archi,
Son duo negri occhi } anzi duo chiari foli,
Pietofi a riguardare, a moYer parchi :
Incorno a cui par ch’amor feherzi c yoü,
E ch’indi tuera la faretra fearebi,
E ehe vifibilmente i corf involi.
Quindi il nafo per mezzo il vifo feende,
Che non trova l’Invidiâ ove Fem«nde.
Sotto quel ftà j quali fra due vallette,
La bocca fparfa di natio cinabro :
Quivi due filze fon di perle elette,
Che chiude ed âpre un bello e dolce labro.
Quindi efeon le cortefi parolette,
Da render molle ogni cor rozzo e feabro l
Quivi fi forma quel foave rifo,
Ch’apre a fua porta in terra il paradifo.
Bianca neve è il bel collo, e’1 petto latte £
Il collo è rondo, il petto è çolmo e largo :
Due pome acetbe, e pur d’avorio fatte ,
Vengono, e van , corne onda al primo margo,
Quando piracevol’aüra il mar combatte.
Non ^potria l’altre parti veder Argo j
Ben fi puô giudicar che corrilpond'e
A quel che appar di fuor, quel cbe s’afeonde.
Mais, quoique, dans tous ces détails, la délicateffe
du pinceau (bit au plus haut point, la vérité , pourtant
, eft qu’ils fêrôient placés dans un conte de la
Fontaine, & déplacés dans la Henriade. )
Une fage abondance a lieu non iêulement dans
la poéfie descriptive , mais dans l’expreffion des fêntiments
où lame fê répand, dans les réflexions où
elle fê repofê. Virgile, & Racine fon r iv al, en ont
mille exemples.
C’eft une précieufè abondance que celle qui,
Téunie avec la précifîon, dont on la croiroit ennemie
, raffèmble dans le plus petit efpace tous les
traits d’un riche tableau, comme dans ces vers d’Ho-
race, qu’on ne traduira jamais :
Qiia pintts ingens albaque popiiluS
TJmbram hojpitalem confociare amant
JR. amis, & oblique labo rat
Lymphe, fitgax trepidare rivo.
Un nouveau charme de Y abondance, c’eft l’air de
négligence & de facilité dans celui qui prodigue les
licnefTes du ftyle avec celles du genie. Cette rare
félicité , fi j’olé m’exprimer ainfî, règne dans le
ftyle de la Fontaine & dans celui d’Ovide. Mais
 B O 2ï
Y abondance de la Fontaine eft celle de la nature
dans fâ beauté fîmple, naïve, & variée à l’infini :
elle eft d’autant plus merveilleufê , qu’elle naît de
fojets que l’on croiroit ftériles, & qu’elle en naît fans
l’effort du travail : celle d’Ovide, fans être plus pénible
, tient de l’art, & va jufqu’au luxe. Des différentes
faces fous lefquelles Ovide préfênte une
penfée, ou des nuances variées qu’il démêle dans
un fêntiment, chacune plairoit, fi elle étoit foule s
mais ,1a foule en eft fatiguante ; & à côté de la ri-
cheffe on apperçoit enfin l’épuifoment.
La poéfie allemande forabonde en détails, dans
les peintures phyfîques ; la poéfie italienne , dans
l’analyfo des fêntiments, donne fouvent dans le même
excès.
La paflïon donne lieu à Y abondance du ftyle ,
dans les moments où l’ame fo détend & fo foulage
par des plaintes:
Les foibles déplaifirs s’amufenc i parler.
Mais, lorfque le coeur eft fàifî de douleur, enflé
d’orgueil ou de colère , la précifîon & l ’énergie en
font l’éxpreffion naturellé. Il arrive cependant quelquefois
que Y abondance contribue à l’énergie %
comme dans ces vers de Didon :
Sed mihivel tellus optem priùs ima dehificat,
Vel pater omnipotens adïgat me fulmine ad umbras ,
Patientes umbras JErebi T noclemqueprofiundam ,
Ante , Pudor , quam te vïolo , aut tua jura refiolvo.
On voit là une femme qui font fâ foibleffe , &
qui., tâchant de s’affermir par un nouveau forment ,
le fait le plus inviolable & le plus effrayant qu’il
lui eft poflîble : ainfi , cette rédondance de.ftyle ,
Pallentes umbras Erebi, noclemque profiundam ,
efî l’expreflion très-naturelle de la crainte qu’elle a
de manquer à fâ foi.
Il en eft de même toutes les fois que la paflïon
s’accroît à mefore qu’elle s’exhale : comme dans
les imprécations de Didon , & de Camille dans les
Horaces ; comme dans les proteftations que fait
Achille au f livre de l ’Iliade, de ne jamais fe
laiffer fléchir.
Quand le caraâère de celui qui parle eft auftère
& grave, l ’expreftïon doit être pleine, forte, & pré-
cife. Fernand Cortès, à fon retour du Mexique ,
rebuté par les miniftres de Philippe I I , & n’ayant
pu approcher de lu i , fo préfonte fur fon pafïâge &
lui dit : Je n i appelle Fernand Cortès ; f a l conquis
plus de terres à Votre majefié, quelle rien a hérité
de l'empereur Charles-Quint fon père ; & je meurs
de faim. Voilà de l’éloquence.
L ’entretien de Caton & de Brutus, dans la Phar-
fâle, feroit fublime s’il n’étoît pas diffus. Lucain
étoit jeune ; & l’ambition d’un jeune homme eft
d’étonner en renchériflànt for lui-même. Le comble
de l’art eft de s’arrêter où s’arrêteroit la nature.