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tai-toi , approche, va-t-en : ces mots ne font
repréfèntatifs de rien , ils ne peignent rien ; mais
ils fè font entendre avec un g elle.
De ces rudiments informes , il y a un chemin
immenfè pour arriver à la fÿntaxe. Je fuis effrayé
quand je Congé que de ce lèul mot vie«, il faut
parvenir un jour à dire , Je ferois venu , ma Mère ,
avec grand plaifir', & j ’aurais obéi à vos ordres
qui me feront toujours chers, f i , en accourant
vers vous , je n étais pas tombé à la renverfe ;
& f i une épine de votre jardin ne m était pas
entrée dans la jambe gauche.
Il fèmble à mon imagination étonnée qu'il a
fallu des fîècles pour ajufter cette phrafe ; & bien
d’autres fîècles pour la peindre. Ce fèroit ici le
lieu de dire , ou de tâcher de dire, comment on
exprime & comment on prononce dans toutes les
langues du monde père, mère , jo u r , nuit , terre,
eau, boire ,. manger, &c. ; mais il faut éviter le
ridicule autant qu’il eft pofïible.
Les caractères alphabétiques, préfèntant à la
ibis les noms'des chofès , leur nombre , les dates
des événements, les idées des hommes, devinrent
bientôt' des myftères aux yeux même de ceux
qui avoient inventé ces lignes. Les chaldéens , les
fyriens , les égyptiens , attribuèrent quelque choie
de divin à la combinaifôn des lettres, à la manière
de les prononcer ; ils crurent que les noms fîgni-
fioient par eux - mêmes , & qu’ils avoient en eux
une force , une vertu fècrète. Ils alloient jufqu’à
prétendre que le nom qui fîgnifioit Fui (fiance étoit
puiflànt de là nature ; que celiiî qui exprimoit
Ange étoit angélique ; que celui qui donnoit l’idée
de Dieu étoit divin. Cette fcience des caraétères
entra néceffairement dans la magie : point d’opération
magique , làns les lettres de Y Alphabet.
Cette porte de toutes les fciences , devint celle
de toutes les erreurs ; les mages de tous les pays
s’en fèrvirent pour Ce conduire dans le labyrinthe
qu’ils s’étoient conftruit, & où il n’étoit pas permis
aux autres hommes d’entrer. La manière de prononcer
des eonfbnnes & des voyelles, devint le
plus profond des myftères , & fouvent le plus
terrible. 11 y eut une manière de prononcer Jéhova,
nom de Dieu chez les fyriens & les égyptiens ,
par laquelle on faïfôit • tomber un homme roide
mort.
Saifit Clément d’Alexandrie rapporte ( Strom. I.)
que Moïfè fit mourir fur le champ le roi d’Égypte
Néchèphre1 en lui foufflant ce nom dans l’oreille ; &
qu’enfuite il le reflufcita en prononçant le même mot.
S. Clément d'Alexandrie eft exaét, il cite fon
auteur, c’efl le (avant Artapan ; & qui poura récufèr
le témoignage d’Artapan ?
Rien ne retarda plus les progrès de l’efprit
humain, que cette profonde fcience de l’erreur,
née chez les asiatiques avec l’origine des vérités.
L ’univers fut abruti par l ’art même qui devoit
l ’éclairer.
Vous en voyez un grand exemple dans Origène,
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dans Clément d’Alexandrie , dans Tertuîlien , &c.
Origène dit fur tout exprefiement ( Contra Cels.
» n°. 2oz)c » Si, en invoquant Dieu ou en jurant par
» lu i, on le nomme le Dieu d’Abraham , èèlj'aàc,
ai & de Jacob ; on fera par ces noms, des chofès dont
33 la nature & la force font telles, que les démons
33 fè foumettent à ceux qui les prononcent: mais
33 fî on le nomme d’un autre nom, comme D;èu
» de la mer bruyante , Dieu fiupplantateur ; ces
» noms feront fans vertu, le nom èèlfrael traduit
33 en grec nè pourra rien opérer : mais pro-
» noncez-le en hébreu avec les autres mots re-
33 quis , vous opérerez la conjuration. »
Le même Origène dit ces paroles remarquables:
33 II*y a des noms qui ont naturellement de la
» vertu, tels que font ceux dont fè fervent les
>3 (âges parmi les égyptiens, les mages en Perlé,
33 les bracmanés dans' l’Inde. Ce qu’on nomme
>3 Magie, n’eft pas un art vain & chimérique , ainfî
33 que le prétendent les ftoïciens & les épicuriens :
33 ni le nom d e Sabaoth, ni celui èè A d ou a i, n’ont
n' pas été faits pour des êtres créés ; mais ils appar-
33 tiennent à une théologie myftérieufè qui fè
33 rapporte au créateur : ae là vient la vertu de
>3 ces noms quand on les arrange & qu’on les
33 prononce félonies règles,. &c. ce
C ’étoit en prononçant des lettres félon la méthode
magique, qu’on forçoit la lune de defeendre
fur la terre. Il faut pardonner à Virgile d’avoir
cru ces inepties, & d’en avoir parlé sérieufément
dans fà huitième églogue.
Car mina de coelo pojpint deducere lunam.
On fait avec des mots tomber la lune en terre.
Enfin Y Alphabet fut l ’eriginé de toutes les
connoiffances de l’homme & de toutes fés fotifés.
( F ’o l t a îr e . )
ALPHABET , C. m. Grammaire. Par le moyen
des organes naturels de la parole , les hommes
font capables de prononcer plufîeurs fons très-fim-
ples , avec le (quels ils forment enfîiite d’autres
fons compofés. On a profité de cet avantage naturel
: on a deftiné ces fons à être les lignes des
idées, des penfées, & des jugements.
Quand la deftination de chacun de ces fons particuliers,
tant (impies que cômpofés, a été fixée
par l’ufàge , & qü’ainfî chacun d’eux a été le ligne
de quelque idée , on les a appelés mots.
Ces mots, confidérés relativement à la fbciété
. où ils font en ufàge, & regardés comme formant
un enfemble , font ce qu’on appelle la langue de
cette fiociéié.
C ’eft le concours d’un grand nombre de circonf-
tances différentes qui a formé ces diverfés langues:
le climat, l’air, le fo l, les aliments , les vbiïïns ,
les relations, les arts, le commerce , la conftitu-
tion politique d’un État; toutes ces circonftance*
ont eu leur part dans la formation des langues, &
en ont fait la variété.
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C ’étoit beaucoup aue les hommes euffent trouvé*
par l’ufàge naturel des organes de la parole , un
moyen facile de fè communiquer leurs penfées quand
ils étoient en préfénee les uns des autres ; mais ce
n’étoit point encore affez : oh chercha , & l’on
trouva le moyen de parler aux abfénts, & de rappeler
à foi-meme & aux autres .ee qu’on avoit
penfé, ce qu’on avoit d it, 8c ce dont on étoit'convenu.
D’abord les fÿmboles ou figures hiéroglyphiques
fépréféntèrent.àl’efprit : mais ces lignes n’é-
toient ni alfez clairs , ni allez précis , ni allèz univoques
, pour remplir le but qu’on avoit de fixer la
parole & d’en faire un monument plus exprefïif
que l’airain & que le marbre.
Le défîr & le befoin d’accomplir ce defléin ,
firent enfin imaginer ces lignes particuliers qu’on
appelle Lettres, dont chacune fut deftinée à marquer
chacun des fons fimple's qui forment les
mots.
Dès que l’art d’écrire fut porté à un certain
point, on repréfënta en chaque langue , dans une
table féparée , les. fons particuliers qui entrent dans
la formation des mots de cette langue ; & cette
table ou lifte eft ce qu’on appelle Y Alphabet d’une
langue.
Ce nom eft formé des deux premières lettres
grèques \Alpha & Bétha , tirées des deux premières
lettres de Y Alphabet hébreu ou phénicien,
Aleph, Beth, Qiiid enim Aleph ab Alpha magno-
perediffert ? ditJËufébe , (/. AT, de proepar. evang.
c. vj. ) Quid auiem vel Bétha à Beth , &c. Ce qui
fait voir-, en paffant, que les anciens ne donnoient
pas au Bétha des grecs le fon de IV confonde , car
le Beth des'hébreux n’a jamais eu ce fbn-là.
Ainfî, par Alphabet d’une langue , on entend la
table ou lifte des caractères, qui font les lignes
des fons particuliers qui entrent dans la compolition
des mets de cette langue.
Toutes les nations qui écrivent leur langue ,
ont un Alphabet qui leur eft propre , ou qu’elles
ont adopte de quelque autre langue plus ancienne.
' Il fèroit à fbuhaiter que chacun de ces Alphabets
eut été dreffé par des perfbnnes habiles , après un
examen raifonnablè ; il y auroit alors moins de
contradiétions choquantes entre la manière d’écrire
& la manière de prononcer , & l’on apprendroit
plus facilement à lire les langués étrangères : mais
dans le temps de la naiffance des Alphabets, après
je ne fais quelles révolutions, & même avant l ’invention
deT’Imprimerie , les copiftes & les leéteurs
étoient bien moins communs qu’ils ne le font devenus
depuis ; les hommes n’étoient occupés que
de leurs befoins, de leur sûreté , & de leur bien-
être, & ne s’avifbient guère de longer à la per-
feétion& à la jufteffe de l ’art d’écrire; & l ’on peut
dire que cet art ne doit fà naiffance & fés progrès
qu’à cette forte de génie , ou de goût épidémique,
qui produit quelquefois tant d’effets Surprenants parmi
lès hommes.
Je ne m’arrêterai point à faire l’examen des
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Alphabets des principales langues. J’obfèrverai
fe ulement :
! Qu.e Y Alphabet grec me paroît le moins-dé-
Feétueux. Il eft compofé de>4 caraétères qui con-
férvent toujours leur valeür , excepté peut-être le
y qui fè prononce en v devant certaines lettres : par
exemple devant un autre y , ctyfe^oç, qu’on prononce
avyiXoç , & c’eft de là qu’eft venu angélus,
,ange.
Le « , qui répond à notre c ,^a toujours la prononciation
dure de ca , & n’emprunte point celle
du V- ou du ZjiTct ; ainfî des autres.
11 y a plus : les grecs , s’ étant apperçiis qu’ils
avoient un e bref 8c un e long, les diftinguèrent
dans récritiîre , par la raifon que' ces lettres étoient
diftinguées dans la prorionciàtion. Ils obférvèrent
une pareille différence pour Th bref 8c YçAong :
l’un eft appeîlé 0 micron, d’èft à dire petit o' ou
\o bref ; & l’autre , qù’on écrit ainfî «y , eft appellé o
méga, c’eft à dire 0 grand, o long ; \\ a la forme
& la valeur d’un double d.
Ils inventèrent aufli des caraétères particuliers
pour diftinguer le c , le p 8c le^ £ communs , du c ,
du p 8c du £ qui ont une afpiration. Ces trois lettres
X, (p , 5-, font les trois afpirées, qui. ne font que
le c , le p 8c le £ , accompagnés d’une afpiration.
.Elles n’en ont pas moins leur place dans Y Alphabet: . jjHH
On peut blâmer dans cet Alphabet le défaut
d’ordre. Les grecs auroient dû féparer lès 'con-
fonnes des voyelles ; après les voyelles , ils dévoient
placer les diphthongues , puis les cônfonnes , faifànt
fiiivre la confonne foible de la -forte , ^ 3 ^ 3 ^
&c. Ce defaut d ordre eft fî confiderabl’e , que l’a
bref eft la quinzième lettre de Y Alphabet , & le
■grand o ou o long^ eft la vingt-quatrième & der->
niére ; Y e bref eft la cinquième , & 1Y long la fép-
tième, &c.
Pour noiis , nous n’avons pas d’Alphabet qui nous
fôit propre ; il en eft de même des italiens, des
:espagnols, 8c dé quelques autres de nos voifîns*
^Nôus avons tous adopté Y Alphabet des romains.
Or cet Alphabet n’a proprement que 19 lettres i
a , b , c , d , e , ƒ , g , h , z , /, m ,n , o , p , r , s ,
£ , u , car IV? 8c le & ne font que des abréviations.
x eft pour g i : exemple , e x i l , exhorter, examen
, &c. on prononce eg\emple, e g f il, egfiwrter
eg\a%en ,.-&c.
x eft aufli pour es : axiome yfiexe , on prononce
aefiome, fècfe.
Ori fait encore fèrvir; f i ; pour deux f f d ans
Auxerre, F le xe lies , U x e l, & pour une fîmple j f
dans Xainlongè , &c.
L ’éè n’eft qu’une abréviation pour et*
Le k eft une lettre grèque , qui ne fê trouve e n
latin qu’en certains mots.dérivês du grec ; c’eft notre
■ c dur , ca, co, cuè
Le $ n’eft aufïï que le c dur : ainfî ces trois lettres
c k j ne doivent être comptées, que po^gç