
le genre des maladies & la complexïon des malades,
un fâge orateur fait le rendre ou plus doux ou plus
violent.
Enfin fi le talent de l’orateur eft cette force de
raifôn- véhémente & irréfiftible , qui febjugue l’en-
lendement, & contre laquelle le menfonge & l ’erreur
n’ont ni défenfe ni réfuge ; s’il eft l’homme dont le
grand Condé difôit, en voyant Bourdalou© monter
en Chaire. Silence vvoilà Vennemi ; c’eft à lui qu’appartiennent
ces lu jets, où, endifcutant les plus grands
intérêts de l’homme , on lui démontre que fès vices
font de lui un efclave ; fes paffions, une victime ;
& fis. erreurs, un infenfé : que lui-même il forge
les chaînes qui le flétriffènt & qui l’accablent ; que
pour lui ; le plps capricieux , le plus tyrannique des
maîtres, c’eft fa volonté , libre comme il veut qu’elle
le foit, c’eft à dire, fans frein ni loi : que la-nature
& la raifôn font trop fôuvent des guides infidèles;
que le fins intime s’altère & s’obfcurcit j qufe l’opinion
change ; non feulement d’un temps à l’autre
en même lieu, d’un lieu à l’autre en même temps ,
mais dans Un Monde qui vit enfemble., & bien
fôuvent dans le même homme , & d’un jour , d’un
moment à l’autre : que toute règle qui fléchit doit
avoir elle-même uri modèle inflexible pour fè rectifier
, & que ce modèle eft la loi; non pas uniquement
la loi de l ’homme, qui ne peut être que
défechieufè & vacillante comme lui ; mais la loi
d’un être immuable, incorruptible par effènce, qui
ne peut ni tromper ni fè tromper jamais , dont
l ’intelligence eft fagefTe, la volonté juftiçe , la puif
lance vertu, & dont l’unique deiïèin fur l’homme
eft le défîr de le rendre heureux.
Du mélange de ces couleurs primitives de l’Éloquence,
fè formeront, & félon le génie de l ’orateur,
& félon la" nature des fejets qu’il méditera, une
infinité de nuances- L e meilleur même de tous les
genres fera celui qui participera de tous : car |u
. en parlant à un 'feul homme , il eft bon de fâvoir
affeéter fecce Hivernent fôn efprit & (on coeur ; de
fâvoir agir par la raifôn fur fôn entendement, fur
fôn imagination par de vives peintures, (ur fôn ame
par la chaleur & la force du fèntiment ; combien
plus la réunion de ces moyens n’eft-elle pas avantageuse
, lorsque c’eft une multitude aflëmblée qu’il
s’agit de rendre attentive & docile, de défâbufèr &
d’inftruire, d’intéreflfer & d’émouvoir, en un mot
de perfeader ? quel effet un tableau terrible ne fait-
il pas au milieu d’un ràifônneraent Ample & calme ?
quelle chaleur les mouvements de l’ame ne répandent
ils pas dans une fuite d’indu&ions & de
preuves ? quelle forcé que celle de l’interrogation ,
pour convaincre ; de l’accumulation, pour accabler ;
de la gradation pour confondre, de l’indignation, du
reproche, de la menace, pour troubler , pour épouvanter
l’auditeur ? quel attrait que celui d’un intérêt
fènfible, quand l’orateur , après avoir humilié ,
confondu , rempli l’alîèmblée de trouble & de
terreur , fèmble relever, embrâfler , ranimer dans
Ion fein, & préfènter à Dieu le pécheur humble
& repentant? Telles font les viciflîtudes de l’Éloquence
de la Chaire i & celui-là feu 1 en pofsède le
talent dans fâ plénitude, qui eft en état d’en déployer"
& d’en mouvoir tous les relTorts.
Toutefois , dans les grandes chofès , comme'
dans les petites , il faut le fôuvenir du précepte du
fabulifte :
Ne forçons point notre talent.
Rien n’eft plus froid, & bien fôuvent rien n’eft
plus ridicule qu’un pathétique fimulé. Pour paroître
emu , attendez que vous le fe.yez en effet & pour
cela pénétrez-vous d’abord , pénétrez-vous profondément
de la yérité, de l’importance du fejet que
vous méditez ; obfervez, en le méditant, quels font
les endroits où vous êtes vous-même fâifî , troublé
de crainte , attendri de pitié , feffoqué de douleur ,
fôulevé d’indignation : alors laiiïèz parler votre ame,
laifléz couler, de votre plume , à flots rapides, une
Eloquence paflionnée ; la place en eft marquée par;
la nature ; le fùccès en eft sûr : tout ce qui vient
du coeur va au coeur infailliblement. Mais (î vous
avez pris une légère effervefcence d’imagination pour
une émotion réelle, fi vos mouvements oratoires font
recherchés, é tu d ié s& artifterrtent arrangés, vous
ne ferez en Chaire qu’un froid comédien; & le comble
de l’indécence eft d’y paroître exprimer ce
qu’on ne fent pas.
Un autre rapport détermine le caractère de I’Élo-*
quence c’eft le rapport de conyenance avec la
clafFe d’hommes qui formera l’auditoire auquel on
fè propofè de parler.
Je diftingue trois de ces claflès : le Monde , le
Peuple , & la Cour.
Par le Monde , on entend un ordre dé citoyens
d’un efprit cultivé & d’un goût difficile. Pour l’fnP
truire , il faut l’attirerpour l ’a t t i r e r i l faut lui
plairè; pour lui plaire , il faut s’accommoder à la'
délieateflè de ce goût févère & frivole, qui veuf
de l’élégance à tout.
Athéniens, difôit Démofthène, lorfqu ils*agit dit
defiin de la Grèce, qu’importe f i j ’ai employé et
terme-ci ou celui-là , f i fiai porté ma main de
ce côté-ci, ou de Vautre? A plus forte raifôn , un
prédicateur a-t-il le droit de^ dire à fôn auditoire :
» lorfqu’il s’agit de votre fâiut, qu’importe la né-
» gligence ou l’élégance de mon gefte & de mes
>5 difeoûrs? » Mais Démofthène , qui connoiflôit la
légèreté du Public d’Athènes , n’avoit pas laiffe de
former avec le plus grand fein fâ prononciation ,
fôn aéüoh, & fôn ftyle. Le prédicateur, dans nos
villes , doit la même condefeendance à un auditoire
mondain. Hæc duo nohis quærenda, dit
Cicéron : primum, quid ; deinde, quomodo dicamus :
A herum, quod totum artetinchim videtur, tarnetfi
artém requirit, efi prudemiæ mediocris. A herum
efi in quo ôratoris vis ilia divina vïrtusque cer-
nitur, ea quoe dicenda funt ornatè, copiofè, varié-
quedicere. De or; 1. z. La même chofë eft vraie de
l ’orateur chrétien, à l’égard d’un Monde éclairé. Que '
le prédicateur l’accable* des reproches les plus fân-
gîants : qu’il lui préferite le miroir-de la fatyre
la plus cruelle, même la plus humiliante : que,
lâuf l’allufion perfônnelle , qui eft un crime dans
l ’orateur & le plus lâche abus de fôn autorité , il
parle de la calomnie au calomniateur ; a 1 homme
envieux, de l’enviè ; de l’avarice, à l’homme fôrdide;
des plus honteufes diffolutions, à un auditoire fans
moeurs : qu’il leur prononce leur fentence eternelle,
mais en bons termes, avec le gefte & le fôn de
voix qui convient : ils s’en iront tous fàtisfaits. Capue
artis decere : cette maxime de Rofcius eft pour la
Chaire comme pour .le Théâtre : o r la decenCe , à
l ’égard du Monde , eft la conformité d’adion & de
langage avec les ufâges reçus. Il faut donc s y
affujettir feus peine de déplaire & de rebuter, & ,
ce qui eft plus fâcheux encore, de s’expofer au
ridicule, & d’attacher à la parole même la déri-
fion & le mépris qu’auroit excité l ’orateur.
Mais il en eft de ces bienféances po.ur l ’orateur
chrétien, comme des modes pour le fâge : il doit
leur accorder ce qu’il ne peut leur refufer ; & voici ,
ce me fèniblé , la ligne fur laquelle un prédicateur
doit marcher. Grandis & , ut ita dicampudica
oratio non efi maculofa, nec turgida , jed na-
turali pulch'ritudine exürgit. =» Que l’Éloquence
» ait une grandeur & une dignité modefte ; qu’elle
» feit (ans tache & fâns enflure ; qu’elle- s’élève
» ornée de fâ propre beauté ». Il feroit bien honteux
que, tandis que le plus profane des auteurs
exige d’elle la pudeur d’une 'vierge , on la vit
parmi nous , en Chaire, fè parer des atours d’une
çourtifânne , ne s’occuper que du fein de plaire,
& porter cette complaifânce jufques à laproftitution.
, Une diction pure & noble, un gefte fâge & mo-
dé/é , une prononciation diftinéte & naturelle , un
accent vrai, jamais exagéré : ’ voilà ce que l’orateur
doit à lu fâge & aux bienféances : mais du
bel efprit , mais des fleurs,, mais les coquetteries
maniérées d’un langage artificiellement compofé ;
voila ce que le Monde, tout frivole qu’il eft, non
feulement n’exige pas, mais ce qu’il dédaigne &
mépfife , comme une complaifânce indigne au mi-
niftère de l ’orateur : carie Monde eft comme Tibère,
qui lui-même étoit dégoûté des adulations du Sénat.
Une Élo quence douce eft quelquefois placée ; mais
une Eloquence doucereufe & fade ne i’ eft jamais :
ecoutbns le maître de l’art : Sit nohis ornatus &
Juapis orator , ut fiuavitatem habeat aufleram. &
jo li dam , non dulcem atque decpcîam ; De or. I.
4- Cette leçon, donnée à l’orateur profané, eft encore
plus expreffe pour l’orateur chrétien. Quant
au fein d’orner l’Éloquence, j enfuis bien éloigné
de 1 interdire : car une beauté réelle & iolide ajoute
a la force ; & en même temps qu’elle donne à
1a. vente plus d’attrait & de charme , elle lui donne
auffi plus de pouvoir & d’afeendant. Mais ce qui
eft indigne de la Chaire , c’eft d’y paroître difputer
un prix de Rhétorique avec des phrafès élégantes, &
•d’y faire fa cour à l’auditoire en s’étudiant à i’amufer.
L ’ à u d i to i r e d o n t n o u s p a r lo n s e f t c e l u i q u i pré**
fe n te à l ’o r a t e u r l e p lu s d e v i c e s à c o m b a t t r e . C ’ e f t
fu r c e M o n d e , l a c la f f e d ’ h om m e s l a p lu s r i c h e
& l a p lu s o i f î v e , l a p lu s v i c ie u f e & l a p lu s c o r r
om p u e ; f e r c e M o n d e , o ù i l n’ y a p r e fq u e p lu s d e
p è r e s , d e m è r e s , .d ’ e n fa n t s , d e f r è r e s , n i d ’ am is ;
f e r c e M o n d e o ù l e l u x e , & l a c u p id i t é q u i a c c
o m p a g n e l e l u x e , o n t to u t d é p r a v é , to u t p e r d u ;
c ’e ft f e r l u i , d i s - je , q u e l ’É l o q u e n c e r e l ig i e u s e &
m o r a le d o i t p o r t e r f è s g r a n d s .c o u p s . C ’e f t l à qu e l l e
a b e f ô in d e v i g u e u r & d e v é h é m e n c e , p o u r f l é t r i r l a
m o l le f l è , p o u r d é p o u i l l e r l ’ o r g u e i l , p o u r c h â t ie r l e
v i c e , p o u r v e n g e r l a n a tu r e , p o u r f o r c e r a u m o in s
l ’ im p u d e n c e à fe c a c h e r o u - à r o u g i r . E t c e q u i la i f f e
fâ n s e x e u f e l a t im id i t é , l a f o ib le f l è , l e s l â c h e s
c om p la i fà n c e s d e l ’ o r a t e u r q u i n e . f e n g e q u ’à p l a i r e ;
c ’ e f t q u e p lu s i l f e r o i t f é v è r e , a r d e n t à r é p r im é e
l e s d é f e r d r e s d u f i è c l e , p lu s i l e n f e r o i t a p p l a u d i .
L e m o d è le a c c o m p l i d e c e g e n r e d ’É lo q u e n c e , fe r
o i t M a f f i llo n , s ’i l n e m a n q u o i t p a s q u e lq u e fo is ,
d ’ é n e r g ie & d e p r o fo n d e u r : i l c o n n o i f lô i t l e coe u r
d e l ’ h om m e au'ffi b i e n q u e R a c in e ; & l o r fq u ’ o n l u i
d em a n d o i t o ù i l l ’ a v o i t é tu d ié , C’efi en moi-meme y
r é p o n d o i t - i l h u m b lem e n t . C ’ é t o i t t r o p d i r e , & n e
p a s d i r e a l l e z . S it boni oratoris multa auribus
accepijj'e, multa vidijfie, multa animo & cogita-
tione , multa etïam legendo perçut ri f ie . D e O r «
/ . i . C e n ’ e ft p a s a u m i li e u d u to u r b i l lo n d u M o n d e ,
q u ’ o n e n o b f e r v e le s m o u v em e n t s ; c ’ e ft d u d e h o r s
q u ’i l f a u t le v o i r , m a is n ’ e n ê t r e p a s é lo ig n é : c a r
f i d e t r o p p r è s l e c o u p d ’oe i l e f t c o n fu s , d e t ro j ï
l o in i l f e r o i t t r o p v a g u e ; & M a f f i llo n e to i t a l a d i f -
t a n c e q u e l ’ o b f è r v a t io n d em a n d o i t . V e n o n s à l a c-la fîè
d u P e u p l e . .
I l d e v r o i t y a v o i r p o u r l u i , d a n s u n e v i l l e c om m e
P a r i s , u n e m i f f ïo n p e r p é t u e l l e : c a r d an s le s in f -
t r u â io n s q u i l u i fo n t a d r e f fé e s , l ’ É lo q u e n c e q u i
lu i c o n v i e n t n ’ è f t p r e fq u e jam a i s em p lo y é e . : C ’ e f t
a v e c lu i fe r t o u t q u ’ e l l e d o i t ê t r e e n f e n t im e n t s &
e n im a g e s ; c ’e f t a v e c l u i q u e l e p r em ie r t a l e n t d e
l ’ o r a t e u r e f t l ’ a d io n - N o s b e a u x p a r le u r s fo n t v a n i t é ,
d e m é p r i f e r le s m i ll io n n a i r e s ; C ’ e ft d ’e u x p o u r t a n t
q u ’ o n d o i t a p p r e n d r e à p a r le r a u P e u p l e a v e c f r u i t ,
à l ’ a t t i r e r e n f o u le , à l e f r a p p e r d e s v é r i t é s q u i
l ’ in té r e iT e n t , à l e t o u c h e r , à l ’ ém o u v o i r . J e fa is
b ie n q u e c e t t e É lo q u e n c e à fè s e x c è s . & fè s a b u s ;
q u ’ o n n ’ e n a fa i t q u e t r o p fô u v e n t u n e p a n t o m im e
in d é c e n t e . M a is c e n ’ é t o i t p a s lo r fq u e B r id a in e
jo u o i t d e l a flû te e n Chaire, ou q u ’ i l y m o n t r e i t u n
fq u e l e t t e , ( fi to u te fo is i l e f t v r a i , c om m e o n l e
d i t , q u ’ i l a i t em p lo y é c e s m o y e n s ) c e n ’ é to it p a s
a lo r s q u ’ i l é to it u n m o d è l e d e l ’E lo q u e n c e p o p u l
a i r e : c ’ e f t , p a r e x e m p l e , lo r s q u ’ en p r ê c h a n t l a
p a ffio n , i l d ifô it ; ' » J ’ a i lu , m e s P r e r e s , d a n s l e s
» l i v r e s fe in t s q u e , l o r fq u e f e r le s c h em in s o n
» t r o u v o i t u n h om m e a lT a f fm é , o n fa i fô i t a f f è n lb le r
» to u s l e s h a b i t a n t s d ’ a le n to u r , & o n l e s fa i fô i t
» to u s ju r e r ' l ’ u n a p r e s l ’ a u t r e , fu r l e c a d a v r e ^
» q u ’ i ls n ’ é to ie n t n i a u te u r s n i c om p l i c e s d u m e u r -
» t r e ; m e s F r è r e s , v o i l à l ’h om m e q u ’ o n a t r o u v é