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On prétend que les romains ne firent de pareils
établiflements que fur la fin de leur empire : quoi
qu’il en fbit, il y avoit plufieurs Collèges fondés
par leurs empereurs, & principalement dans les
Gaules, tels que ceux de Marfèille , de Lyon ,
de Befànçon, de Bordeaux, &c.
Lès juifs & les égyptiens avoient aufii leurs
Collèges. Les principaux de ceux des juifs étoient
établis à Jérufalem, à Tibériade , à Babyione : on 1
prétend que ce dernier avoit été inftitué par Ézéohiel,
& qu’il a fiibfiftë jufqu’au temps de Mahomet.
L a plupart de ces établiflèments deftînés à l ’inf-
truéiion de la Jeuneflè ont toujours été confiés aux
perfônnes confàcrées à la Religion : les mages dans
la Perfè, les gymnofôphiftes dans les Indes , les
druides dans les Gaules & dans la Bretagne , étoient
ceux à qui l’on avoit donné le loin des ecoles publiques.
Après l’établiflèment du Chriftianifme , il y eut
autant de Collèges que de monaftères. Charlemagne ,
dans fes Capitulaires , enjoint aux moines d’èlever
les jeunes gens , & de leur enfèigner la Mufîque ,
la Grammaire ,■ & l’Arithmétique : mais fbit que
Cette occupation détournât trop les moines de la
contemplation & leur enlevât trop de temps, fôît
dégoût pour l’honorable mais pénible fonftion d’inf-
truire les autres , ils la négligèrent ; & le foin des
iCollèges qui furent alors fondés , fut confié à des
perfônnes uniquement occupées de cet emploi. Tre'v.
Moréry , & Chambers. ( U abbé Mallet. )
Nous n’entrerons point ici dans le détail hifto-
rîque de l’établiflèment des différents Collèges de
Paris; ce détail n’eft point de l’objet de notre ouvrage
& d’ailleurs intérefïèroit aflèz peu le Public : il eft
un autre objet bien plus important dont nous voulons
ici nous occuper ; c’eft celui de l ’éducation
qu’on y donne à la Jeuneflè..
Quintilien, un des hommes de l’Antiquité qui
ont eu le plus de fèns & le plus de goût, examine,
dans les Infiitutions oratoires, fi l’éducation publique
doit être préférée à l’éducation privée ; &
51 conclut en faveur de la première. Prefque tous
les modernes qui ont traité le même fujet depuis
ce grand homme, ont été de {on avis. Je n’examinerai
point fi la plupart d’entre eux n’étoient point
intérefTés par leur état à défendre cette opinion ,
ou déterminés à la fuivre par' une admiration trop
fôuvent aveugle pour ce que les anciens ont penfé :
Il s’agit ici de raifôn , & non pas d’autorité; &
la queflion vaut bien la peine d’être examinée en
elle-même.
J’obfèrve d’abord que nous avons a fiez peu de
connoiffance de la manière dont fè faifôit chez les
.anciens l ’éducation, tant publique que privée ; •&
qu’ainfi , ne pouvant à cet égard comparer la méthode
dès anciens à la nôtre, l’opinion de Quintilien,
quoique peut-être bien fondée, ne fàuroit
être ici d’un grand poids. Il eft donc néceflàire de
Tpjr en quoi confîfte l’éducatioû de nos Collèges ^
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& de la comparer à l’éducation domeftîque ; c’efï
d’après ces faits que nous devons prononcer.
Mais avant que de traiter un fujet' fi impor-*
tant, je dois prévenir les ledeurs défintéreffés , que
cet article pourra choquer quelques perfônnes, quoique
ce ne fait pas mon intention : je n’ai pas plus
de fujet de hair cèux dont je vais parler, que de
les craindre ; il en efl même plufieurs que j’efc
time , & quelques-uns que j’aime & que je ref-
pefte : ce n’efl point aux hommes que je fais la
guerre ; c’efî aux abus, à.des abus qui choquent &
qui affligent comme moi la plupart même de ceux
qui contribuent à les entretenir ', parce qu’ils craignent
de s’oppofèr au torrent. La matière dont je
vais parler intéreftè le Gouvernement & 1» Religion,-
& mérite bien qu’on en parle avec liberté, fans
que cela puiflè offenfer perfônne : après cette précaution
, j’entre en matière.
On peut réduire à cinq chefs l’éducation publia
que ï les Humanités, la Rhétorique, la Philofôphie ,
les Moeurs, & la Religion.
Humanité. On appelle ainfi le temps qu’on emploie
dans les Collèges à s’inftruire. des préceptes de la
langue latine.„ Ce temps efl d’environt fix ans:,
on y .joint vers la fin quelque connoiffance très-
fiiperfjcielle du grec; on y explique, tant.bien que
mal, les auteurs de l’Antiquité les plus faciles a
entendre; on y apprènd aufi itant bien que mal ,
à compofer en latin ; je ne fâche pas qu’on y enfèigne
autre chofè. Il faut pourtant convenir qne
dans l’univerfîté de Paris, où chaque profeflèur efl
attaché à une claflè |particulière, les Humanités
font plus fortes que dans les Collèges de réguliers,
où'les profeflèurs montent de claflè en claflè, & s’inf-
truifènt avec leurs difciples en apprenant avec eux
ce qu’ils devro/ent leur enfèigner, Ce n’eft point
la faute des maîtres ; c’eft , encore une fois , la
faute de l’ufage.
Rhétorique. Quand ou fait ou qu’on croît favoie
afièz de latin, on paffe en Rhétorique : c’eft alors
qu’on commence à produire quelque chofè de foi-
même; car jufqu’alors on n’a fait que traduire ,
fôit de latin en françois/, fôït de françois en latin.
En Rhétorique on apprend d’abord à étendre Une
penfée , àcirconduire & allongeriez périodes;
& peu à peu l’on en vient enfin à des difcours en
forme , toujours ou prefque toujours en langue
latine. On donne à ces difcours lé nom üAmplifications
; nom très-convenable en effèt, puisqu’ils
confiftent pour l’ordinaire à noyer, dans deux feuilles
de verbiage, ce qu’on pourroit & ce qù’on devroit
dire en deux lignes. Je ne patrie point de ces figures
de Rhétorique, fi chères à qnelques pédants
modernes, & dont le nom même eft dévenu fi ridicule
, que les profeflèurs les plus fènfes les ont
entièrement bannies de leurs leçons. Il en eft pourtant
' encore ' qui en font grand cas , & il eft afièz
ordinaire d’interroger fur ce fujet important^ ceux
qui afpirent à la maitrifè es arts.
Philofôphie. Après avoir pafié fèpt ou huit ansà
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à apprendre des mots-, ou à parler fans rien^dire,
on commence- enfin ou on croit commencer 1 etude
des chofès ; car-c’eft la vraie définition de la Philofôphie.
Mais il s’en faut bien que ee\\e ies^ Collèges
mente ce nom: elle ouvre pour l’ordinaire
par un Compendium, qui eft, fi on peut parler ainfi,
le rendez-vous d’une infinité de queftions inutiles fur
l ’exiftence de la Philofephie, fur la Philoiôphie
d’Adam, &c. On paffe de là en Logique : celle
qu’on enfèigne , du moins dans un grand nombre
de Collèges, eft à peu près celle que le maître
de Philofôphie fepropofe d’apprendre au Bourgeois
gentil-homme. On y enfèigne a bien concevoir par
le moyen des univerfaux, à bien juger par le mçyen
des catégories , & à bien conftruire un fyllogiime
par le moyen des figures , barbara , celarent, da-
rü , ferio , baralipton, &c. On y demande fi la
logique eft un art ou une fèience ; fi la conclufion
eft de l’effènce du fyllôgifîne , &c. &c. &c. Toutes
queftions qu’on ne trouvera point dan s i 'Art de p enfer,
ouvrage excellent, mais auquel on a peut etre reproché
avec quelque raifon d’avoir fait des règles de
la Logique un trop gros volume. La Métaphyfïque
eft à peu près dans, le même goût ; on y mêle aux .
plus importantes vérités les difcufiions les plus futiles
: avant & après avoir démontré l’exiftence de
Dieu, on traite avec le même foin les grandes queftions
de la diftindion formelle ou virtuelle , de l’uni-
verfèl de la part de la chofe , & une infinité d’au- -
très ; n’efFce pas outrager & blafphémer en quelque
forte la plus grande des vérités , que de lui
donner un fi ridicule & fi miferâble voifinage ? Enfin
dans la Phyfique on bâtit à fa mode un fyftême du
monde; on y explique tout ou prefque tout; on y
fuit ou on y réfute à tort & à travers Ariftote,
Defcartes, & Newton. On termine ce cours de deux
années par quelques pages fur la Morale, qu on
rejette pour l’ordinaire à la fin , fans doute comme
la partie la moins importante.
Moeurs & Religion. Nonsj-endrons fur le premier
de ces deux articles la juftice qui eft due aux
foins de la plupart des maîtres ; mais nous en appelons
en même temps à leur témoignage , & nous
gémirons d’autant plus volontiers avec eux fur la
corruption dont on ne peut juftifier la Jeuneflè des
Collèges , que cette corruption ne fauroit leur être
imputée. A l’égard de la Religion, on tombe fur
ce point dans deux excès également à craindre:
le premier & le plus commun , eft de réduire tout
en pratiques extérieures, & d’attacher a ces pratiques
une vertu qu’elles n’ont, afsûrément pas : le
fécond eft au contraire de vouloir obliger les enfants
à s’occuper uniquement de cet objet, & de leur
faire négliger pour cela leurs autres études, par
lefquelles ils doivent un jour fe rendre utiles à leur
patrie. Sous prétexte que Jefûs-Chrift a dit qu’il
faut toujours prier, quelques maîtres , & furtout
ceux qui font dans certains principes de rigorifme,
voudroient que prefque tout le temps deftiné à l’étude
fe pàfsât en méditations & en catéchifmes ; comme fi
Gramm, et LïTTéRAT, Tome l. Partie II,
c o L 409
le travail & l’exaâitude à remplir les devoirs de
lôn état, n’étoient pas la prière la plus agréable a
Dieu. Aufii les difciples q u i, foit par tempérament
, foit par pareffe, foit par docilité, fe. conforment
fur; ce point aux idées de leurs maîtres ,
fôrtent pour l ’ordinaire du Collège avec un degre
d’imbéçilité & d’ignorance de plus.
Ilréfulte de ce détail, qu’un jeune homme, apres
avoir pafte dans un Collège dix années , qu’on doit
mettre au nombre des plus précieufes de fa vie ,
en fort, lorfqu’il a le mieux employé fon temps,
avec la connoiffance très-imparfaite d’une langue
morte ; avec des préceptes de Rhétorique & des
principes de Philofôphie, qu’il'doit tacher d ouolier ;
fôuvent avec une corruption de moeurs, dont 1
ration de la fànté eft la moindre fuite; quelquefois
avec des principes d’une dévotion mal entendue;
mais plus ordinairement avec: une connoiffance ^ de
la Religion fi füperficielle , quelle fuccombe à la
première converfàtion impie ou à la première leen
ture dangereufè. , . f ,
J e fa is q u e l e s m a î t r e s l e s p lu s fè n fe s d é p lo r e n t
c e s a b u s , a v e c e n c o r e p lu s d e f o r c e q u e n o u s^ n e
! fa ifô n s i c i ; p r e fq u e to u s d é f i r e n t p a f î io n n em e n t q u ont
| d o n n e à l ’ é d u c a t io n d e s Collèges u n e a u t r e fo rm e :
| n o u s n e fa ifô n s q u ’ e x p o f è r i c i c e q u ’i l s p e n f è n t ,
• c e / q u e p e r fô n n e d ’ e n t r e e u x n ’ o fè é c r i r e : m a is l e
t r a in u n e fo is é t a b l i a fu r e u x u n p o u v o i r d o n t i l s
n e fa u r o ie n t ■ s’ a f f r a n c h i r ; & e n m a t iè r e d u f à g e ,
c e fo n t l e s g e n s d ’ e fp r i t q u i r e ç o iv e n t l a l o i d e s
fô t s . J e n ’ a i d o n c g a r d e , d a n s c e s r e f le x io n s fu r
l ’ é d u c a t io n p u b liq u e , d e fa i r e l a fa t y r e d e c e u x
q u i e n f e i g n e n t ; c e s le n t im e n t s fè r o i e n t b i e n é lo i g
n é s d e l a r e c o n n o i f là n c e d o n t je fa is p r o fe f f lo n p o u r
m e s m a î t r e s : je c o n v ie n s a v e c e u x q u e l ’ a u to r ité
fùpérieure du Gouvernement eft fèule capable d arrêter
les progrès d’un fi grand mal ; je dois meme
avouer que plufieurs profeflèurs de l’univerfité de
Paris s’y oppofènt autant qu’il leur eft poffible , &
qu’ils ofènt s’écarter en quelque chofè de la routine
ordinaire, au rifque d’être blâmes par le plus
grand nombre. S’ils ofôient encore davantage, &
fi leur exemple étoit fiiivi, nous verrions peut-être
enfin les études changer de face parmi nous : mais
c’eft un avantage qu’il ne faut attendre que du temps,
fi même le temps eft capable de nous le procurer.
L a vraie Philofôphie a beau fe répandre en France
de jour en jour , il lui eft bien plus difficile de
pénétrer chez lès corps que chez les particuliers :
ici elle ne trouve qu’une tête à forcer, fi on peut
parler ainfi , là elle en trouve mille. L ’univerfîté
de Paris, compofée de particuliers qui ne forment
d’ailleurs entre eux aucun corps régulier ni ecclé-
fîaftique, aura moins de peine à fecouer le joug
des préjugés dont les écoles font encore pleines.
P a rm i l e s d if f é r e n te s in u t i li t é s q u ’ o n a p p r e n d a u x
en fan t s d a n s le s Collèges , j ’ a i n é g l i g é d e f a i r e m e n - I tio.n d e s t r a g é d i e s , p a r c e q u ’ i l m e ( èm b le q u e , 1 uni-
v e r f î t é d e P a r i s c om m e n c e à le s p r o f e r i r e p r e fq u e I e n t iè r em e n t : o n e n a l ’ o b l ig a t io n a fe u M» R o l l i n ,
F f f