
» pas une loi prefcrite au langage , c’eft une' ob- '
» jfèrvacion faite après coup : de forte que l'Ana-
» logie ne doit l’exiftence qu’à l’Ufâge » . N ’abu-
fbns pas des termes. C’eft fur l’exemple qu’eft fondé
le caradère de VAnalogie, que fè règlent les .procédés
on ne le contefte pas : mais c’ell fur la raifon
qu’eft fondée fon exiitençe & fon milité j, ce qu’on
.vient d’en dire en eft la preuve. ■ Ce n’efl point
l’Analogie, c’eft la. connoifïànce que nous en
ayons aquifè , qui eft réfultée de l’obfervation faite
après coup; puifqu’en effet l’Analogie a,dû exifter
dans le langage avant qu’on l’y oblêrvât- : elle eft
€çnc véritablement une loi prefcrite au langage ,
puifque le langage s’y eft conformé & a du s’y
conformer ; loi neceffaire , puilqu’elle y porte des
richeffes dont on ne peut fè paffer> qu’elle y répand
une lumière suffi utile qu’éclatante, qu’elle
en facilite l’intelligence & l’ufàge.
. Ne concluons donc pas , fans nous expliquer,
que Y Analogie ne doit fon exiftence qu’à l’Ufàge.
Je l’ai déjà dit & prouvé , elle doit fon exiftence.
dans le langage à celui qui infpira aux hommes
la première langue parce qu e , fans l’efprit èYA-
nalogie , le langage fèroit impraticable , & tout
fyftêmede langue impoffible. Ce qu’elle doit à l’U -
fà g e , ce font, dans chaque langue , les premiers,
exemples qu’elle doit imiter : comme il n’y a aucune
liaifôn néceftàire entre les éléments phyfîques,
de la parole & les parties purement inteîleduelles
& abftraites de là penfée , & que d’ailleurs le
langage eft l’inftrument commun de la fôciabilité ;
c’eft à la multitude à choifir à fon gré les premiers
mots, à en fixer le fêns, à en déterminer
les formes fignificatives relativement à l’efpèce &
à la fÿntaxe ; c’eft également à la multitude qui
doit s’en fervir, à décider à fon gré du nombre,
de la figure,& de la valeur des lignes ou caractères
deftinés à la repréfentation de la parole écrite.
Voilà le véritable fondement de l’autorité de l’U -
fage , ce qui la rend néeeiTaire, imprefcriptible,
légitime ; & il n’y a point là $ Analogie , puifqu’il
n’y a point de comparaifbn. Mais comme le langage
deviendroit bientôt impraticable par la fur-
charge des éléments , fi le tout étoit abandonné
fans méfùre aux décifîons fortuites d’une multitude
aveugle ; comme le langage doit être d’ailleurs
l’inftrument de la raifon, pour être plus fblidement
& plus efficacement celui de la fôciabilité : il eft
jufte & néceftàire que la raifon vienne au fècours
de l ’Ufâge ; & c’eft par l’imitation confiante des
premières décifîons de l’Ufage, comparées à chacune
des circonftances qui les ont ©ccafîonnées,
que la raifon, fécondant & fortifiant l’Ufàge, adapte
le langage à fês propres vues, le rend acceffible à
la mémoire la plus ingrate, & le met à portée de
l’intelligence la plus groffière. Voilà le véritable
titre qui fonde l’autorité de l’Analogie en concurrence
avec celle de l’Ufâge ; autorité également
néceftàire,, également imprefcriptible , également
légitime.
Le droit de l’Ufàge eft , i° . de fournir leS p'fê®3
miers exemples , d’après lefquels doit procéder YA-
nalogie ; z°. d’en confirmer les décifîons par fôn
autorité : le droit de l’Analogie e ft, i° . d’étendre,
par des ; règles générales applicables à tous les cas
fêmblables , les premières décifîons de .l’U fà g e ;-
i°s, de diriger fur cç principe les productions de
l’-Ufage , d‘en empêcher ou d’en arrêter les écarts ,
& de réclamer hautement contre fa tyrannie , s’il
s’obftine à quitter les voies lumineufès & fîmples
de la raifon pour fè fourvoyer dans les fèntiers
obfcurs & difficiles du caprice. Si l’autorité de l’U -
fàge eft entré les mains de la multitude ", qu’il faut
ménager; celle de Y Analogie eft entre les mains
des gens de Lettres & furtout des maîtres de l ’art,
qu’il faut écouter. Loin que ces deux autorités ,
j’ai prefque dit ces deux puiffances, s’entrenuifènt
& fbient incompatibles , elles fè prêtent au contraire
un appui mutuel ; & c’eft de leur concours ,
quand chacune fè tient fcrupuleufèment dans fà
fphère, que naiftènt dans les langues la corredion ,
| la netteté , la lumière.
S’il y a quelque doute fur une décifîon de l’U -
fage, & que ce doute naifte de la rareté des témoignages
ou de celle même de l’Ufàge : on ne peut
alors s’en tirer que par Analogie & par compa-
raifôn; car Y Analogie n’eft véritablement autre
chofe que l’extenfion de l’autorité de i’Ufàge à tous
les cas fêmblables à ceux qu’il a déjà décidés-par
le fait. On doute, par exemple, s’il faut dire &
écrire, Je vous prens tous ci témoin ou à témoins
, au fingulier ou au pluriel : voici comment
Y Analogie lève la difficulté. Il eft certain qu’on
dit & qu’on, écrit, Je vous prens tous apartie ,
& non à parties ; donc par refîemblance il faut
dire & écrire , Je vous prens tous à témoin, &
non à témoins. Le nom témoin, dans ce fécond
exemple , eft un nom abftradif, comme le nom
partie dans le premier ; témoin fîgnifïe ici témoignage
, de même que dans la formule connue
en témoin de quoi , toute fèmblable à cette autre ,
en foi de quoi.
Une autre occurrence où Y Analogie doit fèrvir
■ à terminer les conteftations , c’efb lorfque l’U-
fàge eft partagé. « Faut-il dire , Je p u i s ovl
» J e peux , Je v a is ou Je v a s •, &c. ? C ’eft le
Buffier qui parle ( Gramm. f r . . n°* 37 J. Si l ’un &
» l’autre fè dit par diverfès perfônnes de la cour &
» par d’habiles auteurs ; chacun , félon fôn goût,
» peut employer l’une ou l’autre de ces expref*
» fions ». Mais qu’eft-ce que le goût,-fînon un jugement
déterminé par quelque raifon prépondérante ?
& où faut—if chercher des raifôns prépondérantes,
quand l’autorité de l’Ufage fè trouve également partagée
l Analogie eft l’unique moyen de décider
la préférence en pareil cas ; mais il faut être sûr de
la véritable Analogie, & ne pas fè faire illufîon :
il eft fàge, dans c e cas , de comparer les raifônne-
• ments contraires des grammairiens, pour en tirer la
connoiftànçe de la vraie Analogie & en faire fôn guide.
Pour fè déterminer, par exemple, entre Je vais
ou Je v a s , pour chacun defquels le P. Bouhours
reconnoît ( Rem. nouv. tom. I. pag. 5"8o) qu’il y
a de grands fuffrages ; Ménage donnoit la préférence
à Je vais , par la raifon que les verbes faire &
taire font Je fa is & Je tais. Mais il eft évident
que c’eft ici une fauflè sînalogie, & que, comme
l ’obfèrve Th. Corneille ( note fur la Rem. z 6 de
Vaugelas ) , faire & taire ne tirent point à confé-
quence pour le verbe aller. Le verbe aller '■ n’eft
pas de la même conjugaifôn que faire & taire:
d’ailleurs, fî l’on dit Je f a i s , Je ta is , l’on dit
tu fa i s , tu tais ; & perfônné ji’ofèroit dite Je
v a is , tu vais.
L ’abbé Girard penche pour Je v a s , fondé fur
une autre Analogie. ( f^oye^ A l l er. Rem, 1. )
Il eft évident que le raifônnement de cet académicien
eft mieux fondé : Y Analogie qu’il confulte eft
Vraiment commune à tous les verbes de notre langue
, & il eft plus raifônnable , lorfque l’Ufage eft
partagé , de fè décider pour Y Analogie que pour
l ’Anomalie.
L a même Analogie peut favorifèr encore Je
"peux, à l’exclufîçn de Je puis ; parce qu’à la
féconde pçrfônne on dit toujours tu peux , & non
pas tu p u is , & que .la troifîème , i l peut, ne diffère
alors des deux premières que par le t , qui en eft
le caradère propre.
U Analogie eft l’unique fondement de la diftinc-
tion, par exemple, des conjugaifôns des verbes,
dans toutes les langues qui en admettent plufîeurs.
( Foye\ C onjugaison ). Son premier voeu éioit
que la marche de tous les verbes fût la même :
mais l’Ufàge , par raifon d’euphonie ou autrement,
ayant amené des variétés dans les formations, elle
a eu foin de raflèmbler du moins comme fous un
meme drapeau tous ceux des verbes qui ont fûivi
des procédés fêmblables. L ’uniformité du fyftême
de chaque conjugaifôn , fîippléant à celle d’un fy ftême
général, facilite au moins l’intelligence &
1 exercice de la langue. Pourquoi donc ne rame-
tieroit-on pas , à cette précieufè uniformité, tout
ce^ qu’il eft poffible d’y ramener fans choquer les
lois fondamentales du langage ? On dit Je vais
& Je vas , Je puis & Je peux; le premier dans
chaque exemple eft anomal , le fécond eft dans
\Analogie générale: que les gens de Lettres, naturellement
faits pour donner le ton à la multitude,
donnent donc à la féconde locution une préférence
fî marquée , que la première puiflè infènfî-
blement tomber en deffiiétud« & laifler la vidoire
à Y Analogie.
J ’ofè avancer que les gens de Lettres doivent
également la tavorifer , & font fondés à efpérer le
même fuccès en ce qui concerne l’Orthographe. Les
procédés irréguliers de la nôtre y ont cté introduits
par l ’ignorance ou par le pédantifîne , & s’y font
maintenus par les mêmes caufès ou par l’inattention
& l’incurie de ceux qui auroient pu réclamer
i pourquoi ne le feroit-on pas contre une
routine abufîve, qui eft une fôurce féconde d’in-
confequences & d’embarras ï II eft aifé de juftifier
par le raifônnement les corredions que cenfèille
Y Analogie; & l’exemple des gens de Lettres, qui
auront le courage de les fùivre, malgré les clameurs
& les déclamations des gens attachés refV
pedueufèment à leur routine , fumra pour ramener
l’ordre & la lumière. Effayons.
C ’eft, dans notre Orthographe, un principe afTcm
généralement reçu , de mettre, à la fin d’un mot
radical, une confônne , muette pour la prononciation
, mais qui fè retrouve & fè prononce dans
les dérivés. Ainfî , quoiqu’on ne prononce pas la
confônne finale , nous écrivons
Plomb, plombage, plomber, plombier ;
B o rd , c borclage, border, aborder, déborder ;
F u f i l, fufillade , fufelier, fufiller ;
Drap, 2 drapeau , draperie, drapier, draper ;
Premier, St première , premièrement ;
B o i s , < boifer, boiferie, boifeux ;
Chant, w chanter, chanteur , chantre, chantrerie.
Ce principe eft raifônnable ; & Y Analogie en
montre des confequences qui fèroient très-propres à
Amplifier l’Orthographe.
La première, lèroit de retrancher des mots radicaux
la confônne finale muette, fî elle ne fè retrouve
dans aucun des dérivés. Pourquoi ne pas
écrire Rempar fans t , puifqu’on n’en forme que
remparer, qui n’a point de 1 1 Pourquoi écrire.
noeud.avec un d , puifqu’on n’en forme que nouer,
dénouer, renouer ^ fans d ; comme de voeu, on forme
vouer, dévouer*. -
La deuxième, fèroit d’ajouter aux radicaux une
confônne finale muette, s’il s’en prononce une dans
les dérivés qui puiffe devenir finale. Abri fans t
étoit bien , quand on en formoit le verbe abrier :
l ’euphonie a changé ce verbe en abriter; pourquoi
Y Analogie ne fèroit- elle pas écrire abrit avec
un t \
La troifîème , fèroit de changer la confônne finale
du radical , fôit dans le radical , fôit dans les dérivés
, fî elle n’eft pas la même de part & d’autre,
& que la prononciation reçue ne s’oppofè point à
ce changement.
Il faudroit donc changer 1*| finale du radical
talus & écrire talut, puifqu’on n’en dérive que
taluter , qui exige un t. Il en eft de même des
mots abfûus , dijfous , réfous, dont il eft inconfe-
quent de tirer les féminins abfoute, dijoute, réfoute',
que n’écrit-on au mafculin abfout, dijfout,
réfout ? II eft également d’u.age d’écrire dépôt %
entrepôt , impôt ^fuppôt avec un t inutile, & un
accent qui,réclame, dit-on, une s fùpprimée. Il
vaudroit mieux fupprimer ce t inutile, & rétablir
la lettre s , réclamée d’ailleurs par les dérivés de-
p o f r , déprfitaire, depofixion ; entrcpofer ; im-
pofer , impojition ; fuppofer, fuppojition : & on
Ce rapprocheroit de Y Analogie, de qui nous tenons