
Traite des fe jlin s, ainlî que nous entendons le ton
de Va dans notre interjeétion, hai^ h a i, hai ! Le
ion de Ve ou de l ’i étoit alors très-fbible ; & ceft
à caufe de cela qu’on écrivoit autrefois par ai ce
que depuis on a écrit par ce , M u ft i enfuite Mufoe ;
K a ifa r & Coefar. Foye\ la Méthode latine de
P . R . ( M .du/Marsais. )
A F F E C T A T IO N , C. f. Belles-Lettres. Manière
trop étudiée , trop recherchée de s’exprimer ; vice
ordinaire aux gens qu’on appelle beaux-parleurs•
L ’Affectation eft dans la penfée, dans l’expreffion,
dans le choix des mots, des tours, ou des images.
Quand on a l’idée de VAffectation dans la contenance
, dans la démarche , dans la parure , on a l’idée de
VAffectation dans le ftyle.
ÜAffectation eft quelquefois jufques dans le loin
trop marqué d’être naturel , dans la familiarité s dans
la négligence.
W A f fe c ta t io n de Pline, de Voiture, de Balzac,
de le Maître, de Fontenelle, de la Motte , n’eft pas
la même.
U Voiture, en parlant d’une expreflion recherchée
de Pline le jeune, « Ne m’avoüerez-vous pas, dit-il,
y» que cela eft d’un petit efprit, de refufer un mot
» qui le préfente èc qui eft le meilleur , pour en
» aller chercher , avec loin, un moins bon & plus
» éloigné? »? , .
Cette critique fèmble annoncer l’homme du monde
le plus naturel dans là façon de penfèr & d’écrire.
C ’eft pourtant ce même Voiture qui, écrivant à mà-
demoifelle Paulet, qu’il s’eft émbarqué fur un navire
chargé de lucre, lui dit que, s’il vient a bon port , il
arrivera confit, & que, fi d’aventure il fait naufrage,
il aura du moins là confolation de mourir en eau
douce. L e maréchal de Vivonne difoit a Ion cheval,
au palTage du Rhin : Jean le Blanc, nefoujfrei pas
ait un Général des galèresfoit noyé dans Veau douce,
Mais çeci eft de meilleur goût.
C ’eft ce même Voiture qui écrit à une femme : Je
crois que vous fave\ lafourçe du N il ; & celle d ou
vous tire^ toutes les chofes que vous d ites, eft beaucoup
plus cachée & plus inconnue.
C ’eft lui qui dit de Balzac : I l a inventé un potage
que j ’eftime p lus que le panégyrique de P line, &
que la plus longue harangue d’ Ifoçrate.
C ’eft lui qui, félicitant Godeau des fleurs qui naif
lent dans fon efprit, lui dit qu’il en a reçu un bouquet
fur des bords oit i l ne croît pas un brind'herbe,
Et il ajoute : VAfrique ne néa rien fa it voir déplus
nouveau que vos ouvrages : en les lifant a l ombre
de fe s palmes , j e vous les ai toutes fouhaitées ;
O en même temps que je me confidérois avoir été
plus avant qu*Hercule, j e me fuis vu bien loin
derrière vous. v
C ’eft ce même Voiture qui écrivoit à Coftar , qu’il
vouloit s’abftenir de recevoir de lès lettres , à caufe
qu’on étoit en carême, & que, pour un temps de pénitence
, c’étoient de trop grands fejlins. Pour vous,
vous pouvez^ fans fcrupule recevoir ce que j e vous
envoie, ajoutoit-il ; à peine ai-je de quoi vous
faire une légère collation, . . . . Je ne vous fervirai
que des légumes ; & dans le même lèns figuré,
vous faites des j'auces avec lefquelles on mangeroit
des cailloux.
Comment le même homme qui, dans Ion ftyle ,
employé des tours fi recherchés, des jeux de mots
fi étudiés, des rapports fi finguliers & fi faux entre
les idées, en un mot, une plailànterie fi peu naturelle
& fi froide, comment peut-il être bleffe de
VAffectation de Pline le jeune , mille fois^mpins
affedé que lui ? en voici la raifon.
L ’Affectation de Voiture n’étoit pas celle qu’il
reprochoit à Pline : il ne voyoit dans celui-ci que la
recherche de l’expreftion , là ns même être bleffé
du tour antithétique & artificiellement compafie que
Pline avoit dans Ion éloquence. Mais fi Pline avoit
lu Voiture , il eût été blefie du rapport forcé des
idées & des images qu’il emploie , & lùr tout
de la peine qu’il le donne, pour traiter familièrement
les grands fujets, & plaifàmment les choies les plus
graves.
Balzac , dont VAffectation eft encore d’une autre
forte , car elle confifte dans la recherche d’un ftyle
périodique & lôutenu avec dignité, ou , comme il l’a
dit de lui-même, dans une gravité tendue & corn-
pofée, ou , comme Boileau en a jugé, à n e f avoir
ni direJimplement les chofes ,ni defeendre de fa hauteur
; Balzac ne laiffè pas de donner auffi quelquefois
dans le faux bel-elprit de Voiture. -
Il écrit à un homme affligé; Fotre éloquence rend
votre douleur vraiment contagieufe ; & quelle glace,
je ne dis pas de Lorraine , mais de Norvège & de
Mofcovie, ne fondroit à la chaleur de vos belles
larmes ? Ce n’eft point là de la froide plailànterie
comme dans Voiture, mais un férieux du plus mauvais
goût.
Lorfque Balzac veut être plailant, il eft encore
plus forcé que Voiture. Il écrit à Madame de Rambouillet
, qui lui a envoyé des gants : « Quoique la
» grêle & la gelée aient vendangé nos vignes au mois
» de Mai; quoique les bleds n’aient pas tenu ce qn’ils
» promettoient, & que la belle elperance des moif-
» Ions Ce trouve faufle dans la récolte ; quoique les
» avenues de l ’épargne Ce foient rendues extrêma-
» ment difficiles , & c. tous ces malheurs ne me tou-
m chent point ; & vous êtes caufe ' que je ne, me
,, plains , ni de l’inclémence du ciel , ni de la fté-
» rilité de la terre, ni de l’avarice de l’État. Par
» votre moyen , Madame , jamais année ne me
» fut meilleure ni plus heureufê que celle - ci ».
C ’eft dire avec bien de l’emphafè qu’on eft flatté d’avoir
reçu des gants ; & il faut avouer que le ftyle de
Charleval, d’Hamilton , de M. de Voltaire , dans
le genre léger , eft de meilleur goût que tout cela.
Le faux behefprit n’étoit naturel ni à Balzac ni à
Voiture. Balzac en prenoit le ton par comptai fan ce ;
Voiture , par contagion , par vanité, par habitude ;
l’hôtel de Rambouillet l’avoit gâté. On dit qu’une
lettre leur cüutoit fou vent quinze jours de travail ;
ils
ils auroient mieux fait en un quart-d heure , s ils
avoient bien voulu Ce donner moins de peine.’
Balzac , ftolcien par humeur & par principes ,
avoit de l’élévation dans l’efprit & dans 1 âme. On
trouve dans fes lettres des mots dignes de Montagne.
■ Vous m’avouere^, dit-il à madame des Loges,
que Vabjence qui fe'pare ceux qui vivent de ceux qui
ne vivent p lu s , ejl trop courte pour mériter une
longue plainte. ; ~ 1 . ..
Cela peut être mis à côté de ce grand mot cite
par lui-même : I l n’y a que la première mort y non
plus que la première nuit, qui ait mérité de l étonnement
& de la trifieffe. t
Il ne manquoit à Voiture qu’une focieté moins gatee
du côté du goût, pour faire de lui un-excellent écrivain.
Voyez fa lettre fur la prifè de Corbie, où- d’un
ftyle véhément & fimple , en donnant au cardinal de
Richelieu de grandes louanges, il lui donne encore de
plus grandes leçons. Quelle diftance de cette lettre
' à ce qu’on admirpit de lui dans le cercle de Rambouillet
!
C ’eft le mauvais goût de ce temps-là que Moliere
a tourné en ridicule uans les Vrécieufes & dans les
Femmes Savantes, & dont il a dit dans le Mifan-
thrope :
Ce n’eft que feux de mots , qu’ Affectation pure ;
Et ce n’eft point ainfi que parle la nacure.
U Affectation eft un Prothée dont les métamor-
phofès lè varient à l’infini. Celle del’avocat le Maître
& des orateurs de fon temps , confiftoit à aller chercher,
le plus loin qu’il étoit poflible de leur fujet,
des figures & des exemples. Le Maître , dans fon
plaidoyer pour une fille défavouée, dit que fon
père a été pour elle un ciel d'airain, & fa mère
uneterre de fer. P rendra-t-on , dit-il encore , en
parlant de la jaloufîe du père, pour un aftre du ciel
cette fnnefle comète de Voir, Ji féconde en maux &
en défordres ? 11 dit, en parlant des larmes que la
mère laiffà échapper en défàvouant fà fille, Cette
'partie f i tendre (le coeur ) étant bleffée, pouffe des
larmes comme le fin g de fa plaie. Il dit ae la jeune
fille , que le foleil de la providence s’efi levé fur
elle ; que fe s rayons, qui font comme les mains de
Dieu, l ’ont conduite. Il dit, à propos des moyens
qu’avoit employés un clerc pour feduire une fèr-
vante , Qui ne fa it que Vamour eft le père des inventions
; q u il anime dans VIliade toutes les actions
merveilleufes des héros ,* que ‘ Sapho P appelait
le grand architecte des paroles, & le premier
maître de Rhétorique ,* qu’Agathon le furnom-
moit le plus favant des dieux , & foutenoit qu’ il
ti étoit pas feulement poète, mais qu’i l rendait les
amoureux capables de faire des vers; que Platon
a remarqué qu’Apollon n’a montré aux hommes
à tirer de l ’arc qu’à caufe qu’il étoit bleffé de
la flèche de l’amour, ni enfeigné la Médecine
qu’étant agité de cette violente maladie, ni inventé
la divination que dans l’excès du meme
tranfportl Voye\ Ba r r e a u .
C ramm. e t L it t é r a t , To,me I.
L*Affectation de Marivaux ne reffemble ni à
celle de Pline ," ni à celle de Voiture, ni à celle
de Balzac, ni à celle de le Maître. Elle confifte,
du côté de la penfee, dans des efforts continuels
de difeemement pour faifîr des traits fugitifs ou
des fingularités imperceptibles de la nature; & du
côté de l’expreffion , dans' une attention: curieufè
à donner aux termes les plus communs une place
nouvelle & un fêns imprévu , fôuvent auffi dans
une continuité de métaphores familières & recherchées
où tout eft perfonnifié , jufqu’à un oui qui
a la phyfionomie d’un non. C ’eft un abus continuel
de la finefle & de la fàgacité de l’efprit.
On a été' trop févère lorfqu’on a dit de Marivaux,
qu’i/ s ’ occupoic à p e jè r des riens d a n s d e s b alan-,
c e s de to ile d’ araignée : mais lorfqu’on a dit de
lui q u ’ en obfervant la nature a v e c un m ic r o fc o p e ,
i l f a i f i i t v o ir d e s é c a ille s f u r la p e a u , on n’a dit
que la vérité , & on l’a dite de la manière la plus
ingénieufè. Pour bien peindre la nature aux yeux
des autres, il faut ne la voir qu’avec fes yeux, ni
de trop près , ni de trop loin. C ’eft avoir beaucoup
d’efprit , fans doute, que d’en avoir trop ,*
mais c’eft n’en pas- avoir affez,
L ’ A f fe c ta t io n de Fontenelle , la plus féduifànte
de toutes , confifte à rechercher des tours ingénieux
& finguliers, qui donnent, à la penfee un air de
faufîèté afin qu’elle ait plus de finefle. Ce mot.
de lui-, pour exprimer la reffemblance du portrait
d’un homme taciturne, On d ira it qu ’ i l J e •ta it ; &
celui-ci au cardinal Dubois , F o u s a v e z t r a v a i llé
d i x ans à v o u s rendre in u t ile ; 8c celui-ci , en
louant la Fontaine, I l é to it f i bête qu ’ i l ne fa v o i t
p a s q u ’i l v a lo i t m ieu x q u 'É fb p c -& P h èd r e , font
fèntir ce que je veux dire. Le mot de Charillus
à un îlote , S i j e n’ é to is p a s en colère , j e te f e rais
mourir■ f u r l'h eu r e ; & celui d’un autre la-
cédémomen qui revenoic d’Athènes & à qui ôn de-
mandoit comment tout yàlloit, L e m ieu x d u m onde ,
to u t y e ft h onnête; 8c ce mot de Pyrrhus, après
avoir battu deux fois les romains & vu périr fes
meilleurs capitaines , S i n ou s g a g n o n s encore une
b a ta ille , nous fom m e s 'p e r d u s , font dans le goût
de Fontenelle. On lui a reproché en général le
foin d’aiguifèr les penfees & de brillanter fes discours
, en ménageant pour la fin des périodes un
trait taillant & inattendu. Mais cette A f fe c ta t io n ,
qui n’en étoit plus une , tant l’habitude lui avoit
rendu ce tour d’efprit familier & facile, ne peut
pas être celle de tout le monde ; Marivaux, ave«
bien de l ’efprit, s’étoit gâté lé goût en voulant
l’imiter.
Ce que Fontenelle paroît avoir recherché ave«
tant de foin , c’eft cette fimplicité délicate & fine
qu’on attribuoit à Simonide, & à propos de laquelle
M. le Fèvre a dit : I l fa u t v ié illir dans le m étier
p o u r a r r iv er à ce tte a dmirable , à ce tte b ie n h e u - .
reufe & d iv in e fa c i l i t é . N i H e rm og èn e , n i L o n g in ,
n i Q u in t ilie n , n i D e n i s encore ne fe r o n t cette
g ra n d e a ffaire. I l f a u t que le C ie l s ’ en m ê le , & q ue