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modernes nous ont donnébeaucoup d'ouvrages didactiques
, nonleulement en proie, mais encore en vers.
Du nombre de ces derniers font le Poème de Lucrèce
De rerum naturâ ; les Géorgiques de Virgile;
l’Art poétique d’Horace, imité par Boileau; l’Eflai fur
la Critique, & l’Effai fur l’homme de Pope, &c.On
peut ranger dans cette clafle les Poèmes moraux,
comme les Difcours de Voltaire qui font fi philofo-
phiques , les Satyres de Boileau qui fouvent le font
fi peu , &c.
M. Racine, de l ’académie des Belles - Lettres,
fils du grand Racine, dans des Réflexions for la
Foéfîe données au Public depuis la mort de fon
père, examine cette queftion : fi les ouvrages -didactiques
en vers méritent le nom de Poème, que
plufîeurs auteurs leur conteftent ; il décide pour l’affirmative
, & foutient fon fontiment par des raifons
dont nous donnerons le précis. Les poètes ne font
vraiment eftimables qu’autant qu’ils font utiles, &
l’on ne peut pas contefter cette dernière qualité aux
poètes didactiques. Parmi Jes anciens , Hérodote,
Lucrèce , V irg ile , ont été regardés comme poètes,
& le dernier furtout, pour fos Géorgiques , indépendamment
de fon Énéide & de fos Églogues. On n’a
•pas refusé le même titre au P. Rapin pour fon Poème
for les jardins , ni à Defpréaux pour fon Art
poétique. Mais, dit-on, les plus excellents ouvrages
en ce genre ne peuvent palier pour de vrais Poèmes
, ou parce que le flyle en eft trop uniforme , ou
parce qu’ils font dénués de fi&ions qui font l’effènce
de la Poéfie. A cela M. Racine répond ,!i° . que l’uniformité
peut être ou dans les chofos ou dans le flyle ;
que la première peut fè rencontrer dans les Poèmes
dont les fojets font trop bornés, mais non dans ceux
qui préfontentfocceffivementdes objets variés, tels
que les Géorgiques & la Poétique de Defpréaux,
dans lelquels l’uniformité du flyle eft évitée avec
autant de foecès que de foin : i° . qu’il fout distinguer
deux fortes de fi fiions , les unes de récit &
les autres de flyle. Par fiction de récit., il entend
les merveilles opérées par des perfonnages qui n’ont
de réalité que dans l’imagination des poètes ; & par
fiction de flyle , ces images & ces figures hardies,
par leîquelles le poète anime tout cé qu’il décrit^
Que le Poème didactique & même toute autre Poéfie
, peut fobfifler fans les fixions de la première
efpèce ; que Virgile, s’il les y avoit crues nécefïàires,
pouvoit dans fos Géorgiques introduire Cérès , les
Faunes, Bacchus , les Dryades ; que Boileau pouvoit
de même faire parler les Mufos & Apollon ; & que ni
l ’un ni l’autre n’ayant usé de la liberté qu’ils avoient
à cet égard, c’eft une preuve que le Poème didactique
.n.a pas befoin de ce premier genre de fidion
pour être caraftérisë Poème; que quant aux fi&ions
de flyle , elles lui font eflencieîles , & que les deux
grands auteurs for lesquels il s’appuie, en ont répandu
une infinité dans leurs ouvrages. D?où il conclut
que les Poèmes didactiques n’en méritent pas moins
îè nom de Poèmes ; & leurs auteurs, celui de Poètes. X L’abbé Mallet. )
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Il y a une façon plus naturelle de décider cette
queftion : c’eft de nier abfolument que la fidion foit
effencielle à la Poéfie. La Poéfie eft l ’art de peindre
à l’efprit. Ou la Poéfie peint les objets fonfibles , ou
elle peint l’ame elle-même , ou elle peint les idées
abftraites qu’elle revêt de forme & de couleur. Ce
dernier cas eft le foui où la Poéfie foit obligée de
feindre; dans les deux autres, elle ne fait qu'imiter.
Ce principe inconteftable une fois établi | tout difcours
en vers qui peint mérite le nom de Poème. Or le
Poème didactique flreft qu’un tiflii. de tableaux d’après
nature , lorlqu*îl remplit fo deftination. La froideur
eft le vice radical de ce genre ; il n’eft fortout
rien de plus infoutenable qu’un foje-t foblime en lui-
même didactiquement traité, par un verfificateur foi-
ble & lâche , qui glace tout ce qu’il touche , qui met
de l’efprit où il faut du génie, & qui raifonne au lieu
de fentir.
(5 La première règle du Poème didactique eft de
lui donner un fond folide & intéreiïant.
C ’eft une chofo déplorable de voir dans le Poème
de Lucrèce for la nature , dans l’Elïài for l’homme
de Pope, tant & de fi belle Poéfie employée à dève-
loper le mauvais fÿftéme d’Épicure & l’optimifîne
de Léibnits. Mais heureufoment l’un & Paùtre poète
a un mérite indépendant de la chimère du philofo-
phe : l’un', d’avoir combattu la foperftition ; l’autre,
d’avoir fondé le coeur humain ; & d’avoir ainfi tous
les deux confocré en beaux vers des vérités du premier
ordre.
Virgile , plus modefte dans le choix de fon fojet,
fomble n’avoir voulu qu’inftruire le cultivateur ;
mais il l’a honoré., & il a élevé à l’Agriculture le
plus beau monument que le premier des arts agréables
put élever au premier dès arts néceflaires.
Deux mille ans après Virgile un poète philofophe
a voulu infpirer l ’amour de la campagne aux
triftes habitants des villes , réconcilier avec la nature
l’homme livré aux goûts fantaftiques du luxe
& de fa vanité. 11 falloit un foge pour former
ce deflein, un poète pour le remplir; & il eft rare
que dans le même homme fo rencontre un pareil
accord. C’eft cet accord qui allure au Poème
des Saifons une réputation durable.
Quoique de tous les arts celui dont, fos préceptes
font le plus naturellement fofoeptibfos des ornements
de la -Poéfie , ce foit la Poéfie elle-même ,
Horace n’y a mis cependant qu’une raifon faine &
folide. En traçant aux Pifons les règles de fon art, il
a pris le ftyle des lois , un ftyle fini pie , clair, &
précis. Lui qui a monté dans les Odes le ton de la
couleur jufqu’au plus haut degré , femble n’avoir
voulu répandre dans l’Art poétique qu’une lumière
pure. Des idées élémentaires , fouvent neuves, toujours
fécondes , font la richefïe de ce bel ouvrage.
Jamais poète n’a renfermé tant de fens en fi peu de
mots. Auflï tant que la Poéfie aura du charme pour
les hommes, ce code abrégé de fos lois leur fora
précieux , & devra la durée à là folidité.
Mais apres ce mérite, il en eft un que les poètes,
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eu moins les poètes modernes, ne doivent jamais
^ floflan gue s n’ont pas l’harmonie & la prccifion
des langues anciennes.Notre Poéfie n’efl prelque plus
de la Poéfie lorfqu’eUe manque de coloris,, Horace
a dédaigné d’en mettre dans un fujet qui avoit lui-
même la couleur, & dont la théorie ne pouvoit etre
aride. Mais Defpréaux, à qui Horace & Artftote
n’avoient guère laîlTé de nouvelles choies à dire, &
qui dans l’Art poétique ne nous a pas donné une idée
qui foit de lu i, le judicieux Defpréaux a fentt que
la précilîon , la jufteffe, l’indultaeux méchamlme
du vers, ne lui fuffiroient pas pour fatre^ lire avec
intérêt des préceptes déjà connus : il y a mêle tout ce
que la Poéfie de détail a d’agrément & d elegance.
Il a fuivi Horace & imité V irgile , en homme de
goût qu’il étoit, & en artifte ingénieux. C ’efl, je crois,
la méthode que doivent obferver tous nos poètes didactiques;
& moins leur fcjetaura d’importance &
d’intérêt, plus il aura befoin des charmes de l’expref-
fion & des ornements acceffoires.
Parmi ces ornements, les épilbdes font les plus
connus ; & lorlqu’ils font intéreffants & naturellement
placés, ils délaflènt agréablement le lefteur
de la longueur des préceptes. Mais rares , ils Ce font
attendre ; fréquents, ils interrompent trop fouvent
l’attention. La véritable fource des beautés poétiques
devroit être le lùjet même ; & à cet egard, c eft, par
exemple, un heureux fujet de Poème didactique, que
celui.de l’Elfai lùr la manière de traduire en vers, par
le comte de Rolcommon. L ’Art d’orner la nature
dans les jardins,-qu’enlèigne 1 un de nos poetes, pre-
fènte auffi une richelle variée & inepuilable ; mais
dans ce nouveau Poème, qui ne paroit point encore,
on trouvera, ainfi que dans le Poeme des foifons ,
d’autres moyens d’animer , d’attendrir , de varier ,
de rendre intéreffante la Poéfie didactique.
On a fouvent parlé du coloris de la Poefîe, on
n’a prefque jamais parlé de fos mouvements ; & c eft-
là cependant le fecret de la rendre affe&ueufo & pathétique.
Le coloris ne plaît qu’à l’imagination , le
mouvement de l’ame affeéte l’ame : un louvenir que
l’objet réveille, une réflexion qu’il amené, un moment
de mélancolie où il plonge l’ame du poète, un
regret, un défir , un mouvement de joie, d’attendrif
foment ou de pitié, un élan d’enthoufîafine ou d’indignation
; en un mot, tous les fontiments que peut inspirer
la nature , que peut déployer l’Éloquence,
ménagés, placés avec goût, fans que l’art fomble
s’en mêler, animeront le Poème didactique, fi le fujet
en eft intéreffant pour l’homme, s’il le touche de
près & peut avoir* fur lui une sérieufo influence.
Tel foroit, par exemple, le fujet du Commerce ou de
la Navigation : car il foroit à fouhaiter que les principes
des arts d’une grande importance fufler.t tous
rédigés en vers. C’eft ainfi qu’à la naifïànce des
Lettres, toutes les vérités utiles furent cohfignées
dans la mémoire des hommes : le Poème didactique
fut la première leçon écrite, la première école des
moeurs, le premier regiftre des lois. Le ramener à
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fon utilité , à fa dignité primitive, devroit être l’objet
de l’émulation des poètes d’un fiècle de^ lumière.
Aux divers mouvements de Parue doivent repondre
les mouvements de l’Élocution poétique^:
ceux-ci fe varient, non feulement au gré du fontiment
, mais de l’image ; & le caraftère des deferip-
tions, des peintures, comme celui de l’Éloquence
des paflions, décidera du rhythme & de la cadence du
vers. Pope en a donné la leçon. Voye\ Éloquence
P o é t iq u e , H a rm o n ie .
Enfin, plus la marche du Poème didaétique^ paroi<
unie & monotone, plus le poète doit s’appliquer à
le varier dans fos formes , à l ’enrichir dans^ fos details
, à y répandre la chaleur de la v ie , & à rendre
au moins élégant, rapide , & facile ce qui ne peut
être animé. |
Mais il me fomble qu’un excès opposé à la langueur
& à la sècherelfe , foroit d’y employer le ton
& le langage de l ’Épopée, de l’Ode,, ou de la Tragédie.
L ’Éloquence en doit être du genre tempere,
la Poéfie d’un caradère noble , mais foge & modefte ,
au defîus de l’Épitre, au deflous du Poème infpire.
Dans le Didactique , le rôle du poète eft celui d un
foge dont on écoute les leçons ,* mais la différence
du ftyle de l’Énéide & des Géorgiques fera fontir ce
que je veux dire mieux que je ne puis l ’exprimer.
( M. M a r m o n t r l . ) !
DIÉRÈSE, C. f. Figure de diétion. Ce mot eft
grec, & GgniûeDiviJîon : Ctetlpenç, divifio; de JWf «a»,
divido. La Diérè/e eft donc une figure qui fè fait
lorfque par une liberté autorisée par l’ufoge d’une
langue, un poète qui a befoin d’une lyliabe de plus
pour faire fon vers , divife fons façon en deux fylla-
bes les lettres qui, dans le langage ordinaire, n en
font qu’une. O vous qui afpirez à l’honneur de bien '
foander les vers latins, dit le do&e Depiautère,
apprenez bien ce que c’eft que la Diérejè, cette
figure, qui, d’une foule lÿllabe, a la vertu d en faire
deux : hé, n’eft-ce pas par la puiffance de cette fi^ui»
qu’Horace a fait trois fÿllabes de filvce , qui régu- .
fièrement n’eft que de deux t
Aurarum & fi-lu-a metu. Hor. I. OL xxiij. 4 *
Nutic mare , nunc fi-lu-at
Threicio Aquilone fonanu Hor. V'. Od. xiij.
Voici les vers de Delpautere :
Scandere f i bene vis , tu no fcc Diærefm apti ,
Ex unà per quam duplex fit fyllaba femper.
Sic fi-lu-æ vates lyricus trifylldbon cjfert.
Plaute , dans le prologue de l’Afînaire, a fait un
diflyllabe du monolÿllabe , jam
Hoc agite, fultis , fpeclatores nunc i-am.
Ce qui fait un vers ïambe trimètre.
C ’eft une Diérèfe quand on trouve dans les auteurs
aula-i pour aulce, vitet-i au fieu de vitre . &
dans Tibulle dif-fo-lurenda pour difolvenda.
l i i i x