ce qui fait que nous aurions bien de la peine â trouver
le tour pafiif original de tous les verbes, qui n’ayant
été d’aoord que paflifs , quittèrent avec le temps
cette première lignification, & ne furent plus qu’actifs.
Les mots ne lignifient rien par eux-mêmes ; ils
n’ont de valeur que celle que leur donnent ceux qui
les emploient : or il eft certain que les enfants , dans
le temps qu’ils conlervent les mêmes mots dont leurs
pères le fervoient, s’écartent infenfiolement du même
tour d’imagination : quand ie grand-père diloit miror,
il vouloit faire entendre qu’il étoit étonné , qu’il étoit
;afFeâé d’admiration & de furprife par quelque motif
extérieur; & quand le petit-fils dit miror, il croit
a g ir , & dit qu’il admire. Ce foiit ces écarts multipliés
qui font que les defcendants viennent enfin à
ne plus entendre la langue de leurs pères & à s’en
faire une toute différente ; ainlî, le même peuple
paffe inlènfiblement d’une langue à une autre.
M a r s a i s . )
(N.) DÉ PR ÉCATION, f. f. Figure de penfée
par mouvement, qui cônfifte à lùbfiituer au fimple
raifonnement d’inftantes prières, appuyées par tous
les motifs que l’on croit les plus propres à toucher
ceux que l’on prelïè.
. Cicéron , parlant devant Célâr pour le roi Déjo-
tarus-, ( i i j. 8.) emploie cette belle Déprédation.
Quamobrem hoc nos
primummetu , C. Cæ-
f a r , per fidem, & confondant^
& clememiam
tuamj.ibera ; ne refidere
in te ullam partent ira-
cundiÆ fufpicèmur : per
dexteram te iflant oro,
quant régi Dejotaro
hofpes hofpidporrexif-
ti ; iflant , inquam ,
dexteram , non tam in
bellis & in preeliis ,
quam in promiffis &
fié e firmiorem.
bats , qu’on ne puifiè en
pour l’exécution de vos p:
Commencez donc,Célâr,
au nom de votre fidélité,
de votre confiance , de
votre clémence, commencez
par nous délivrer de
cette crainte; ne nous la it
lez pas lôupçonner qu’il
vous refie encore le moindre
refîentiment : je vous
en conjure par cette main,
que vous préfontâtes au
roi Déjotarus comme gage
de l ’holpitalité relpecfcive ;
par cette main, dis-je, qui
n’efi pas fi ferme à la
guerre & dans les corn-
core plus compter lûr elle
romelfes & de votre parole.
Sallufie ( Jugurt. x. ) met une belle Déprécadon
dans la bouche de Miciplâ , qui, près de mourir,
redoute pour lès fils l’ambition de Jugurtha qu’il
avoit adopte :
Nunc quoniam mihi
Dans ce moment où la
natura finemvitcefacity
nature va terminer mes
per hanc dextram , per
jours , je vous lomme &
regni fidem moneo ob-
vous conjure , par le ferment
tefiorque, uti hos , qui
que cette main a
tibi genere propinqui ,
beneficio meo fratres
funt, caros habeas ; neu
malis alienos adjungere
quam fanguine conjunc-
confirmé & par la fidélité
que vous devez à l’État,
de chérir ces princes , qui
font vos proches par la
naifiance & vos frères par
tes retinere. Non exer- mon pur bienfait; 8c dans
ci tus neque thefauri vos lia lions , de ne pas
præjidia regni funt ; préférer des étrangers à
verwn amici, quos ne- ceux qui vous font unis
que armis cogéré neque par le lâng. Ce ne font
auro parare queas : of- ni les armées ni les tré?*
ficio & fi.de pariumur. fors qui font les appuis
ÇJuis autem amicior d’un trône ; ce font les
quam fraterfratril aut amis, qu’on ne peutac-
quem alienumfidum in quérir ni par la force des
ventes , f i tuis hofiis armes ni à prix d’argent :
fueris 2 ils font le fruit des- bons
offices & de la fidélité. Or
entre qui l’amitié doit-elle être plus étroite qu’entre
des frères ƒ & for quel étranger pourrez-vous compter
, fi vous manquez vous-même à vos proches ?
La politiqüe du prince'mourant ne néglige aucun
des motifs , qui peuvent gagner la confiance de fon
neveu ou lui in foirer du moins de la modération.
La Déprécadon eft ennemie furtout d’une b a fi*
lèffe rampante: une noble.fierté, tempérée par une
modefiie naturelle, doit en être ie véritable caractère
; ce n’eft que par là qu’elle peut intérefïèr &
avoir fon effet. Tel eft le ton de la Deprecation
de Mariamne, recommandant fies fils à Hérode ;
{Mariamne, IV. jv.)
Quand vous me condamnez , quand ma more eft certaine J
Que vous importe hélas ! ma tendreflTe ou ma haine ï
Et quel droit déformais avez-vous fur mon coeur t
Vous , qui l’avez rempli d’amertume & d’horreur f
Vous, qui depuis cinq ans in fuirez à mes larmes.
Qui marquez fans pitié mes jours par mes alarmes i
Vous, de tous mes patents deftruâeur odieux ;
Vous , teint du fang d’un père expirant à mes yeux f
Cruel! Ah ! fi du moins.votre fureur jaloufe
N’eût jamais attenté qu’aux jours de votre époufej
Les Cieux me font témoins , que mon coeur coût à vous
Vous chériroit encore en mourant par vos coups.
Mais qu’au moins mon trépas calme votre furie;
N’étendez point mes maux au delà de ma vie :
Prenez foin de mes fils , refpe&ez votre fang,
Ne les puniffez pas d’êcre nés dans mon. flanc ;
Hérode, ayez pour eux des entrailles de père!
Peut- être un jour , hélas : vous connoitrez leur mère.
Vous plaindrez , mais trop tard , ce coeur infortuné,
Que feui dans l’univers vous avez foupçonné }
Ce coeur , qui n’a point fu, trop fuperbe peut-être#
Déguifer fes douleurs & ménager un maître,
Mais qui jufqu’au tombeau conferva fa vertu,
. Et qui vous eût aimé , fi vous l’eulïiez voulu.
Plufieurs donnent à cette figure le nom d’Obfé-
cration , qui a le même fons. Mais ce fécond met
eft inutile , p^ilque le premier eft déjà reçu dans
notre langue , qu’il a d’ailleurs l’analogie convenable
avec le terme d’Imprécation dont le lens eft
tout à fait oppofé, & qu’enfin le Dictionnaire de
l’Académie françoifo (1 7 6%) ne tient compte que
de celui de Déprécadon. {M . B eauzée. )
DÉPRISER , MÉPRISER. Synonymes•
Méprifer, contemnere , eft ne faire- aucun cas
d’une chofe ; Déprifer , depredare dans la balle
latinité , & dans Cicéron déprimére y c’eft ôter du
prix, du mérite , de la valeur d’une choie: Méprifer
dit donc infiniment plus que Déprifer. Un acheteur
peut déprifer une bonne marchandée que le
vendeur prile trop haut. Gtrpeut déprifer les chofes
au delà de l’équité, mais on méprife les vices bas &
honteux*
On ' déprife fou vent les choies les plus efti-
mâbles, mais on ne lâuroit les méprifer. Tout le
monde méprife la fordide avarice , & quelques gens
feulement dépnfent les avantages de la foience; le
premier lèntiment eft fondé dans la nature, l ’autre
eft une folle vengeance de l’ignorance.
En vain une parodie tenteroit de jeter du ridicule
for une belle foène de Corneille ; tous lès traits ne lâu-
roient la déprifer. En vain s’attache-t-on quelquefois à
déprifer certaines perlbnnes, pour faire croire qu’on les
méprife ; cette affedation eft au contraire le langage
de la jaloulîe, un chagrin de ne pouvoir méprifer
ceux contre lelquels on déclame avec hauteur.
La grandeur d’âme méprife la vengeance ; l’envie
s’efforce à déprifer les belles adions ; l’émulation les
prilè, les admire , & tâche de les imiter.
Notre langue dit Efiimer & Efiime , Méprifer &
Mépris ; mais elle ne dit que Déprifer, & n’a point
adopté Dépris. Cependant ce fobftantif nous manque
dans quelques occafîbns, oùillèroit néceffaire pour dé-
lîgner le lèntiment qui tient le milieu entre Y Eflime &
le M é p r i s&pour exprimer cette différence, comme
fait le verbe. Par exemple-, le Dépris des richelïès ,
des honneurs, &c. lèroit un terme plus jùfte, plus
çxaft, que celui de Mépris des richelïès, des honneurs
, &c. que nous employons ; parce que le mot
de Mépris ne doit tomber que for des cholès baffes ,
honteulès, & que ni les richelïès ni les honneurs
ne font point dans ce cas, quoiqu’on puifiè les trop
eftimer & les prilèr au delà de leur valeur.
{ Le'chevalier de J aucourt. )
(N.) D É R IV A T IO N , C. f . Ce mot a , dans le
langage grammatical, deux lèns différents , que l’on
■ peut appeler le lèns étroit & le lèns étendu : mais
avant de développer ni l’un ni l’autre , il eft bon
d en connortre le lèns étymologique. Le mot latin
Rivus (ruilïeâu) en eft la racine; Dériver c’eft De-
rivo fluere ( couler, venir du ruiffeau | : en effet un
mot dérive d un autre eft produit par cet autre, comme
un rumeau eft produit par là lource d’où il découle,
i- J.* Dérivation, dans le lèns étroit, eft donc
fohaifon généalogique d?un mot avec un autre mot,
J A d.<: .a rcfome langue foit d’une autre langue,
ou il tire fon origine. De là vient que les mots
d unf , ™éme famille font refoe&ivement primitifs
ou dérivés.
Un mot eft primitif a l ’égard de ceux qui en font
^<?r^ies » ^ a l ’idée originelle du primitif9
ajoutent quelque idée acceffoire qui la modifie t
ceux-ci font les dérivés, dont le primitif eft comme
la. fource.
Or deux fortes d’idées acceflôires peuvent modifier
une idée primitive. Les unes, prifes dans la
çliofè même, influent tellement for celle qui leur
fort comme de bafo, qu’elles en font une tout autre
idée : les autres viennent, non de la chofo même *
mais des. différents points de vue qu’envilâge l’ordre-
de l’énonciation, en forte que l ’idée primitive demeure
au fond toujours la même. De là deux efoèces
de Dérivation; lu n e , qu’on peut appeler philofo
• phique, parce qu’elle fort à l’expreffion des idées
acceffoires propres; à la nature de l’idée primitive *
& .que la nature des idées eft du reffort de la Philo-
fophie; l’autre , qu’on peut nommer grammaticale y,
parce qu’elle fort à l ’expreffion des points de vue-
. exigés par l’ordre de l’énonciation , & que ces points-
de vue font du relîbrt de la Grammaire.
Dans la Dérivation philolophique , ridée doe
; mot primitif eft radicale à l ’égard des idées àccefi-
: foires qu’y ajoutent les dérivés : telle eft l’idée du;
mot primitif Chant, à l ’égard de celles qui y font:
.. ajoutées dans les mots Chanter, Chanteur, Chantre ^
: Chantre rie y Chanfon, Chanfonnette, Chanfonner
Chanfonnier.
Dans la Dérivation grammaticale ,. l-’idee dt*
mot primitif eft principale à l ’égard des idées acceP-
foires qu’y ajoutent les dérivés : telle eft l’idée du>
mot primitif Chanter y à l’égard de celles qui s’y
trouvent jointes dans les mots Chanté y Chantée y je:
Chante y nous Chantons y je Chantois , nous Chantions
y je Chantai y nous- Chantâmes, je Chanterai
nous Chanterons y je Chanterais y nous Chanterions
je Chantajfe, nous Chamaffions, vous Chantaffie?
ils Chantafjent , Chantant, &c. qui ne diffèrent
entre eux que par les idées acceflôires des nombres ^
des temps , des- modes, des perfonnes, &6V
Pour la facilité du ^commerce des idées- Si dès:
forvices mutuels entre les hommes , il lèroit à-fou—
haiter qu’ils parlaflent tous la même langue , 8é que
la Dérivation , foit philofophique foit grammaticale
, y fut affujettie à des règles invariables 3c
univerfoiies : l ’étude de cette langue , réduite à’,
celle d’un petit nombre de mots- primirifs & de-
règles générales & uniformes , ne déroberoie point:
un temps que l’on pourroit conlâcrer avec plus de-
fruit à l’aquifition des autres connoiflances plus importantes.
C ’eft le but que fomblè fo propofor 1’efprit
d’Analogie, en foggérant toujours l’uniformi té.h'oye^:
S a m s k r e t .
II. La Dérivadón y dans le lèns étendu r eft une
figure de Diâioif par confonnance rationelle ( Foye-p
F i g u r e ) , qu i conlifte à employer, dans la même
période, plufieurs mots- dérivés du même primitif..
Cicéron , dans fon livre de P Amitié: [f. f. ) dit*,
par une double Dérivadon r à propos de fon Ey-se
, de, la. Vieilleffe