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parmi les intonations différentes que produifoîent
ces accents, on n’ait fait choix de celles qui parurent
les plus propres à concourir, avec toutes les
autres parties du langage, à flatter l ’oreille & à
peindre les objets qu’on le propofo d’imiter. Les
inflruments, en s’uniifont au chant des vers, ne firent
que rendre ces intonations plus fonfïbles , & leur
ôter ce qu’elles pouvoient avoir d’incertain & d’ar-
bitarire làns porter aucune atteinte aux loix des accents.
Mais lorfque dans les jeux que les habitants
de Delphes inftituèrent après la guerre de Criflee,
les amphidions joignirent au combat des citharèdes,
c’eft à dire , des poètes qui chantoient en s’accompagnant
avec la cithare, celui des cithariftes &
des Auteurs, ou de ceux qui, (ans chanter , jouoient
Amplement de la cithare ou de la flûte, les choies
changèrent entièrement de face ; privés d’un moyen
aufli puiffànt que celui de la parole , mais en
même temps affranchis des lois que leur prefori-
voient Je rhythme & l 'accent de la langue , ces
mufîciens augmentèrent confîdérablement le nombre
des cordes dé la cithare & des fons de la flûte ; ils
ïntroduifirent des mouvements plus compofos, des
formes plus variées, de nouveaux intervalles, &
des modulations jufqu’alors inufitées. Phrynis &
L a fus tranfportèrent les premiers toutes < ces har-
dieffes au chant ; ils en furent même les auteurs ,
s’il faut s?en rapporter à Plutarque. Quoiqu’il en
fo it, ils ne purent y être conduits que par l’ufoge
& l’exercice de la mufîque inftrumentale, infiniment
plus libre que la yocale, fortout dans la
langue grèque dont les mouvements & les fbns
Ctoient fournis à des lois fi précifès & A févères.
La Mufîque, à force de fê figureF, fournit & les
accents & le rhythme , & ne mettant plus de bornes
à fon audace, elle perdit entièrement fôn ancien
caractère. Il réfùlte du fyftême dont nojus venons
de donner l’extrait: i° . que n’y ayant point de
(yllabes dans la langue grèque, qui n’eût fês fôns
ainfî que fês temps propres, l’art de la Poëfîe & de
la Mufîque confîftoit uniquement à prefcrire à ces
temps & à ces fbns, inhérents au langage même ,
des proportions & des rapports agréables. Tant que
ces temps & ces fôns erroient, fî l’on peut s’exprimer
ainfî, dans le corps delà langue, ils pouvoient
bien rendre l’élocution chantante & nombreufè,
mais ce n’étoit pa6 encore là le nombre & le chant
même ; il ne fo montroient l’un & l’autre que dans
cette efpèce de didion figurée à laquelle on donna le
nom de vers. On conçoit dès lors fans peine quelle
étoit cette forte de chant, & comment la Mufîque
devoit être & étoit réellement inféparable de la
Poëfîe.
. i ° . Il eft évident par ce qu’on a dit du çaradère
de la langue grèque , que les vers ne pouvoient
pas plus fobfîfter fjyis le chant ou fans l’ordre des
tons, que fans le rhythme, ou fans l’ordre des
mouvements. Lors donc qu’au fojet <fos différents
moyens dont la Poëfîe fe fervoit pour faire fôn
imitation 9 Arifîote. fombje donner à entendre qu’elle
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ÿ parvenoit quelquefois au moyen dü Vers tout
foui, privé des ornements &: des richeffes de la
Mufîque ; ce n’eft pas qu’il ait prétendu exclure du
vers toute efpèce de mélodie : mais il ne regar-
doit point comme chant celui que le vers recevoit
néceflàirement de Vaccent ; & , en effet, il ne devoit
point le regarder comme te l, relativement à la
Mufiqûe artificielle & figurée qu’on employoit dans
les hymnes , les dithyrambes, & les choeurs de la
Tragédie, où le vers prenoit un çaradère beaucoup
plus élevé & entièrement lyrique.
3°. On expofè clairement l ’origine des changements
que fùbit la Mufîque des grecs ; cette Mufîque
dut être d’autant plus fîmple & plus facile,
dans les commencements , que les tons & les mouvements
étoient preforits par la langue même; mais
lorfqu’il fut permis d’exercer les inflruments fans
y mêler le chant de la voix, la Voix ne tarda pas
a s’approprier les formes & les modulations qui
naquirent de cet exercice. On peut remarquer
que chez tous les peuples qui ont cultivé les arts ,
toujours la Mufîque vocale fut fùbjuguée par l’info.
trumentale.
Enfin, fî l’on veut defcendre à toutes les confe-
quences qui naifïènt de ce fyftême, on comprendra
fans peine comment les anciens , s’étant fur tout attachés
à connoître l’énergie des fôns, des modes ,
des rhythmes, & en ayant tellement fixé les propriétés
qu’il n’étoit jamais permis de les confondre,
ni de les foire fêrvir à toute autre expreflion que
celle qui leur étoit prefcrite, la Mufîque devint
nécefTairement une langue de convention : ce qu£
fùffit pour expliquer en grande partie , d’une maniéré
fîmple & naturelle, les effets prodigieux de la,
Myfîque ancienne. (Article de L'Editeur.)
* A ccent , fi m. Belles-Lettres. I l y a dans la
parole une efpèce de chant, dit Cicéron. Mais ce
chant étoit—il noté par la Profôdie des langues anciennes
? On nous le dit ; on nous aflure que, dans
le grec & le latin , l'accent marquoit l’intonation
de la voix fur telle & fur telle fyllabe ; & c’eft
ce qu’on appelle Y accent profodique , diftinéi de
Y accent oratoire , ou des inflexions données à la
parole par la penfée & par le fontiment, H efl
pourtant bien difficile de concevoir cet accent prô-
fodique adhérant aux fyllabes, à moins que dans
la prononciation, animée par les mouvements de
l ’éloquence , il ne cédât la place à Y accent oratoire
; & voici la difficulté.
Qu’on donne à un mufîcien des paroles- déjà
notées par Y accent de la langue : il efl évident
que, s’il veut laiflèr aux fyllabes leurs intonations
profôdiques , il fera dans l’impoffibilité de donner
du naturel & du çaradère à fôn chant ; & que,
s’il veut au contraire plier le fôn des paroles à
l’expreflion que l ’idée ou le fentiment fôllicite,
il faut qu'il les dégage de Y accent profodique &
fê donne la liberté de les moduler à fon gré. Or
il en efl de la prononciation oratoire comme de
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!a Mufîque ; E ft in dicendo etiam quidam cantus.
(CiCr ) M g . . . V ,» VI / •*
Vaccent profodique qui nuiroit a 1 une , s il etoit
invariable, nuiroit donc également à l’.iutre :/„des
paroles , déjà notées par la Profôdie,, fupplieroient
& menaceroient avec les mêmes inflexions. ^
Il ne fout pas confondre ici la quantité avec
Yaccent. La durée relative des fyllabes peut etre
fixe & immuable dans une langue , fans que 1 expreffion
en foit gênée, au moins fenfiblement. Par
exemple, que fon prolonge la pénultième, fou
qu’on appuyé fur la derniere, la différence n eft
que dans les temps , & non pas dans les tons. La
quantité peut donc être fixe & prefcrite ; mais les
intonations, les inflexions de la parole doivent être
libres, & au choix de cehfi cpii parle; fans quoi
il ne fourbit y avoir de vérité dans l’élocution.
Dans la langue françoife , telle qu’on la parle
à Paris , il n’y a point d'accent profodique. Il ^ eft
vrai que la finale muette n’eft jamais fùfceptible
de l’élévation de la v oix , & qufon eft obligé ou
de l’abaiffer, ou de la tenir à Punition : mais c’eft
la foule voyelle qui de fo nature gêne la liberté
de Yaccent oratoire. C’eft le repos, le fons fufi-
pendu, le ton fuppliant, menaçant, celui de la
furpriiê , de la plainte, de la frayeur, &c. qui
décide de l’élévation ou de l’abaiffement de la
voix for telle ou telle fyllabe ; & quelquefois Ile
même fontiment eft fufceptible de différentes inflexions.
Je n’en citerai qu’un exemple, pris du
rôle de Phèdre, dans la tragédie de Racine;
Màlheureufe ! quel mot eft forti de ta bouche î
Ce vers peut fê déclamer de foçon que la voix
élevée for la première fyllabe de màlheureufe, s’a-
baiffe for les trois dernièfes ; que la voix fe relève
fur la première de quel mot , & defoende for la
fécondé ; qu’elle remonte for la troifième de ce
nombre , eft fo r t i, & retombe for la fin du vers.
Màlheureufe ! quel mot eft forti de-ta bouche ?
On peut auffi , & peut-être aufli bien , le déclamer
dans unè modulation contraire , en abaifî-
font les fyllabes que nous venons d’èlever , & en
élevant celles que nous avons abaiffées.
Màlheureufe ! quel mot eft sorti de ta bouche ?
Le choix de ces intonations fait partie de Part
de la prononciation théâtrale & oratoire ; & l ’on
font bien que s’il y avoit dans la langue un accent
profodique déterminé & invariable , le choix des
intonations n’auroit plus lieu, ou foroit fons ceffe
contrarié par Yaccent.
Quimilienmo fomble inintelligible pour nous,
lorfqu’il parle de l’accentuation de la langue. Mais
ce que j’y vois clairement c’eft que Yaccent grave
& Yaccent' aigù ehangeoient fouvent de place,
pour fovorifor l’expreflion. Elans les mots quale &
quantum, par exemple, l’accentuation étoit différente
pour l’interrogation ou l’exclamation, &
pour la comparaifon fîmple, C ’eft ce qui arrive dans
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notre langue, toutes les fois que, fons altérer la
Profôdie, la prononciation peut indifféremment appuyer
ou gliflèr, élever ou baiflèr le ton for telle
où telle autre fyllabe ; comme, par exemple , elle
appuie for la première du mot cruel, dans 1 accent
du reproche tendre ; & for la dernière, dans l’accent
de l ’effroi : crùel que t'ai- je fa it l cruèl l que
dites-vous ?
Cette facilité nous eft donnée prefque par tout
où l’une des voyelles n’eft pas muette ou abfolu-
ment brève ; comme l ’eft la première des mots,
défir9 douleur, mourir, retour, dont la dernière
foule peut être accentuée. Mais alors même rien
n’empêche de les tenir toutes les deux a l’unifîôn ,
& de placer l’accent ou en deçà for le mot qui
précède , ou au delà for le mot foivant, comme
dans ces exemples ; impa.tiènts défits , mes bonté
u f es douleurs | j e lè perds fans retour ? mourir
fans me venger ! )
Ce qu’on appelle Yaccent des provinces con-
fîfte, en partie, dans la quantité profodique; le
normand prolonge la fyllabe que le gafoon abrège.
Il confîfte encore plus dans les inflexions attachées 9
non pas aux fyllabes des mots, mais aux mouvements
du langage : par exemple, dans Yaccent du
gafoon , du picard , du normand, l’inflexion de la
forprife, de la plainte , de la prière , de l ’ironie
n’eft pas’la même. Un gafoon vous demande, comment
vous portez-vous i d’un ton gai, vif, & animé,
qui fe relève for la fin de la phrafo ; le normand
dit la même chofe d’un fôn de voix languifiant ,
qui s’élève for la pénultième & retombe for la
dernière , à peu près du même ton que le gafoon
fo plaindroit.
Ce que nous difons de la langue françoifo, doit
s’entendre de toutes les langues vivantes ; leur Profôdie
eft dans la durée relative des fyllabes ; leur
accent eft darîs les inflexions de la parole, dans le
fort & le foible de la voix ,-fes gliflèments & fies
appuis, félon l’idée, le fontiment, ou la paflion qu’elle
exprime , le mouvement de Famé qu’elle imite ;
mais d'accent profodique adhérant aux fons, immobile
& invariable , aucune langue n’en peut avoir
fans renoncer à toutes les nuances de l’exprpflion ,
- qui doit pouvoir fons ceffe varier & fo plier dans
tous les Cens.
- ( ^ L ’art de bien parler , de bien réciter , foit
pour l’aâeur, foit pour l’orateur, confîfte fîngu-
fièrement à accentuer plus ou moins la parole,
félon le genre d’élocution, & à Faccentuer tou-
t jours avec jufteffe & fobriété.
C ’eft Yaccent qui donne du caradère à l’exprefo
lion, de l ’efprit, de la vérité, de la variété à la
ledure , de la vie & de Famé à la déclamation ;
mais il faut prendre garde de n’y pas mettre une
fauffe fineffe, une faulfe chaleur, ou une emphafè
déplacée ; rien n’eft plus ridicule que l ’affedation
qui fait un contre-fons.
C’eft au barreau , dans la chaire , au théâtre
que ces défauts fo font le plus fomir. Les juges