
c'eft par éette bai fon qu’il reçoit l’article î c’eft aîn/î
qu’on dit le bon, le beau, le .vrai»
Onne s’én eft pas tenu à eès noms /impies abftraits
Spécifiques^ : d'homme on a fait humanité' ; de beau,
beauté ; ainfî des autres.
Les philofophes foholaftiques, qui ont trouvé établis
les uns & les autres de ces noms, ont appelé* con-
: crées ceux que noüs nommons individus fpécifiques,
tels que Vhomme-y le: bon, le beau, le vrai. Ce mot
concret -v>ieilt;du latin concretus , & lignifie qui croît
avec, compôjéy formé de ; parce^ que ces^ concrets
font formésy'difent-ils , de ceiix quils nomment ab-
Jtraits : tels- (ont humanité, beauté, bonté, vérité.
Ces phiîo/bphes ont cru que, comme la lumière vient
du Soleil, comme l’eau ‘ne devient chaude que par le I
feu, de même V hommen-éfôït tel que par Y humanité-, \
que le beau- n'étoit beau que par ia beauté ; le bon, .
par la bonté ; & qu’il n’y^avoit d e v rai que par la
-vérité : ils ont, dit humanité, de là homme \ & de
.meme beauté, en/uite^eaw.
Mais ce n’eft pas-ainfî que la nature nous inftruit ; ;
elle ne nous montre d’abord que le phyfîque. Nous I
avons commencé par voir des hommes avant que de
'comprendre & de nous former le terme abftrait huma- ]
ni té ; nous avons été touchés'du 'beau 8c du bon-avant •
que d’entendre & de foire les mots de beauté 8c de ■
bonté ; & les hommes ont été pénétrés de la réalité des ]
‘chofes & ont fentkune perfoafîon . intérieure, avant ;
que d’introduire le mot de vérité; ils] ont compris, ]
ils ont conçu, avant que de faire le mot de entendement ; il
ils ont voulu, avant que de dire qu’ils avoient une
volonté ; & ils fe font reffouvenu , avant que de former
le mot de mémoire.
On a commencé par faire des obfervatidns for l’u- 1
ïà g e , lefervice, ou l’emploi des mots ; enfoite ona
inventé le mot de Grammaire. Ainfi , Grammaire
*ft comme le centre ou point de réunion, auquel on
rapporte les différentes obforvations que l’on a faites
iùr l ’emploi des mots. Mais Grammaire n’eff qu’un
terme abffrait ; c’eft un nom métaphyfique & d’imitation
: il n’y a pas hors de nous un être réel qui /bit
•la Grammaire ; il n’y a que des grammairiens qui
obfervçnt.
i De même le point auquel nous rapportons les I
obfervations que l’on a faites touchant le bon & le
mauvais u/âge que nous pouvons faire des facultés de
notre entendement, s’appelle Logique. Il en eft de
même de tous les noms de fciences & déarts, aufli
bien que des noms des differentes parties de ees
fciences & de ces arts.
Nous avons vu divers animaux ceflèr de vivre :
nous nous fommes arrêtés à cette confidération inté-
reffànte; nous avons remarqué l’état uniforme d’inaction
où ils Ce trouvent tous en tant qu’ils ne vivent
plus ; nous avons confidéré cet état indépendamment
de toute application particulière ; & comme s’il étoit
en lui - même quelque chofo de réel , nous l ’avons
appelé mort : mais la mort n’eft point un être. C ’eft
ainfi que les differentes privations, & l’abfence des ;
objets dont la préfençe foj/bit for nous des impreliions
agréables ou défagréables, ont excité en 'nous un létt*
liment réfléchi de ces privations & de cette abfence ,
& nous ont donné lieu de nous faire par degrés un
concept abftrait .du néant même : car nous nous entendons
fort bien , quand nous foutenons que le néant
n'a point de propriétés , qu’i/ ne peut être la caufe
de rien, que nous neconnoiffons le néant O les privations
que par Vabjence des réalités qui leur fom
oppofées. La réflexion for cette abfence nous fait recon-
noître que nous ne /entons point; c’eft,pour ainfî dire,
fèntir, que l ’on ne «font point. Nous avons donc concept
du néant, & ce concept eft une abjhaélion, que
,nous exprimons par un nom métaphyfique à la manière
des autres concepts. Ainfi , comme nous difons
-tirer ùn homme de prifon , tirer un écü de fa poche,
-nous, difons par imitation que Dieu a tiré le monde
. du néant. ]
L ’ufoge oà nous fommes tous les jours de donner
des noms aux objets des idées qui nous repréfencent
: .des êtres réels , nous-a portés à en donner aufli par
imitation aux objets métaphyfîques des idées abftraites
dont nous avons cdnnoiffance ; ainfi, nous en parlons
-comme nous faifons des objets réels: -
L ’illufîon , la figure, le menfopge, ,ont un lans
gage commun avec là vérité. L e se xp refilons dont
nous’ nous forvons pour faire connoître aux autres
hommes , ou les idées qui ont hors de noüs des objets
réels, ou celles qui ne font que defîmples ^yZvm-
tions de notre e/prit, ont entre elles une parfaite
analogie. Nous difons la mort , ’ la maladie, l'imagination
, Vidée, &c. comme nous difons' le fo le i l,
“la lune , &c. quoique la mont , la maladie, {'imagination
, Vidée , &c. ne foient point des êtres exifc
tants : & nous prions.duphénix, de la chimère , du
-Jphynx , & de la pierre philofophale, comme nous
parlerions du lion,/ de la panthère ÿ du rhinocéros ,
du Pactole, ou du Pérou.
La pro/èméme, quoiqu’arec moins d’appareil que
la poéfie, perfonnifie.ces êtres abftraits, & féduit également
l’imagination. Si Malherbe a dit que la mort
a des rigueurs, qu'elle fe bouche les oreilles, qu'elle
nous laijfecrier, &c. nos pro/àteurs ne difont-ils pas
tous les jours que la mon ne refpecîeperfonne, attendre
la mort, les martyrs ont bravelamort, ont couru
au devant de la mort, envifagerla mon fans émotion,
Vimage de la mort, affronter la mort, la mort ne fur-
prena point un hommefage ? on dit populairement
que la mort n'a pas fa im , que Va mon n’a jamais
tort.
Les paiens> réalifoient Vamour , la dijeorde , la
peur , le filetiez , la fam é , dea falus , &c. & en
faifoient autant dé divinités. Rien de plus ordinaire
parmi nous, que de réalilèr un emploi, une charge ,
une dignité ; nous perfonnifions la raifon , le goût,
le génie, le naturel, les pajjîons , Vhumeur, les
vertus, les vices, Vefprit, le coeur. , la fortune, le
malheur, la, réputation', la. nature.
Les êtres réels qui. nous environnent font mus &
gouvernés d’une manière qui n’eft connue que de
Dieu feul, &Telon les lois qu’il lui a plu ^’établir
Ior/qu’il a créé l’univers : ainfi, Dieu eft un terme
réel , mais nature n’eft qu’un terme métaphyfique.
’
Quoiqu’un inftrumeht de Mufîque dont les cordes
font touchées, ne reçoite en lui-même qu’une /impie
modification lor/qu’il rend le fon du ré ou celui
du fo l y nous parlons de ces fons comme fi c’exoit
autant d’êtres réels-: & c’eft ainfi que nous parlons
de nos fonges, de nos imaginations , de nos idees ,
de nos plaifirs , &c. en/orte que-nous habitons à
la vérité un pays réel & phyfîque ; mais nous y
parlons , fi j’ofe le dire, le langage du pays des abf-
traclions , & nous difons, f u i faim , f a i envie ,
j ’ai pitié, f a i peur , j ’ai dejfein , & c» comme nous
difons ÿj'ai une montre.
Nous fommes émus, nous fommes affecîés , nous
fommes agités : ainfî , nous /entons , & de plus nous
nous appercevons que nous Zèntons ; & c’eft ce qui
nous fait donner des noms aux differentes e/pèces de
/èn/àtions particulières , & enfoite aux Zèn/àtions générales
de plaifir & de douleur : mais il n’y a point
un être réel qui /bit le plaifir, ni un autre qui /bit
. la douleur.
Pendant que d’un côté les hommes , en punition
du péché, font abandonnés à l’ignorance , d’un autre
côté ils veulent /avoir & connoitre, & fo flattent d’être
parvenus au but quand ils n’ont fait qu’imaginer
des noms , qui à la vérité arrêtent leur curiofîté,
mais qui au fond ne les éclairent point. Ne vaudroit-
il pas mieux demeurer en chemin que de s’égarer ?
l’erreur eft pire que i’ignorance : celle-ci nous laiffè
tels que nous fommes ; fi elle ne nous donne rien , du
moins elle ne nous fait rien perdre; au lieu que l’erreur
féduit l’efprit, éteint les lumières naturelles,
.& influe for la conduite.
Les poètes ont amufé l’imagination en réali/ànt
des termes abftraits; le peuple païen a-été trompé:
mais Platon lui-même, qui banniflbit les poetes de
/à république, n’a-t-il pas été féduit par des idées
qui n’étoient que des abflraclions de fon e/prit ? Les
philofophes , les métaphyfîciens, & , fi je l ’ofe dire,
les géomètres même , ont été foduits par des abflrac-
tions : les uns, par des formes fobftantielles , par
des vertus occultes ; les autres, par des privations
ou par des attrapions. Le point métaphyfique, par
exemple , n’eft qu’une pure abfiraclion , aufli bien
que la longueur. Je puis confîdérer la diftance qu’il
y a d’une ville à une autre , & n’être occupé que de
cette diftance ; je puis confîdérer aufli le terme d’où
je fois parti, & celui où je fois arrivé ; je puis de
même , par imitation & par comparaifon , ne regarder
une ligne droite que comme le plus court cljemin
entre deux points : mais ces deux points ne font que
des extrémités de la ligne même ; & par une abfirac-
tionde mon e/prit, je ne regarde ces extrémités que
eomme teymfj , j’en fépare tout ce;qüi n’eft pas cela :
l’un eft le terme où la ligne commence; l’autre, celui
«où elle finit. Ces termes , je les appelle points ; 8t
.je n’attache à ce concept que l’idée précifo de terme i
j’en écarte toute autre idée j il n’v a içj fojidité ,
ni longueur , ni profondeur ; il n’y a que l’idée abstraite
die terme.
Les noms des objets réels font les premiers noms ;
ce font, pour ainfî dire, les aînés d’entre les noms :
les autres , qui n’énoncent que des concepts de- notre
e/prit, ne font noms que par imitation, par'adoption ;
ce. font les noms de nos concepts métaphyfîques :
ainfî , les noms des objets réels., comme fo le i l , lu n é ,
; terre, pourroient être appelés noms phyfiques ; &
les autres , noms métaphyfiques.
Les noms phyfiques fervent donc à faire entendre
que nous parlons d’objets réels au lieu qu’un nom
métaphyfique marque que nous ne parlons que de
quelque concept particulier de notre e/prit. Or corar
me, lor/que nous di/bns le f o l e i l , la terre, l a mer ,
' cet homme , ce c h e v a l, dette pierre y Sic. notre proe
pre expérience & le concours des motifs les plus légitimes
nous perfoadent qu’il y a hors de nous un objet
réel qui eft f o l e i l , un autre qui eft terre, &c. & que ,
fi ces objets n’étoient point réels, nos pères n’auroient
jamais inventé ces noms,. & nous ne les aurions pas
adoptés ; de même lor/qii’on dit la nature, la fo r tune y
le bonheur, la v ie y . la fa n t é , la maladie , la mort ,
&c. les hommes vulgaires croient par imitation qu’il
y a aufli, indépendamment de leur manière de pen-
fè r , je ne fois quel être qui eft la nature y un autre
qui eft la fo r tu n e , ou le bonheur, ou la v i e , ou la
fa u te ', ou la mort, &c : car ils n’imaginent pas que
tous les hommes pui/Tent dire \a fo r tu n e , la nature,
la v i e , la mort, & qu’il n’y ait pas hors, de leur
e/prit une forte d’être réel qui /bit la nature y la for-*
tune y &c ; comme fi nous ne pouvions avoir des*concepts
ni des imaginations , /ans qufii y eût des objets
réels qui en fuflènt les exemplaire«.
A la vérité, nous ne pouvons avoir de ces concepts,
à moins que quelque chofe de réel ne nous donne lieu
de les former ; mais le mot qui exprime le concept,
n’a pas hors de nous un exemplaire propre. Nous
avons vu de l’or, & nous avons obfervé des montagnes
; fi ces deux repréfentations nous donnentlieu de
notis former l’idée d’une montagne d’or , il ne s’enfuit
nullement de cette image qu’il y ait une pareille
montagne. Un vaiflèau fe trouve arrêté en pleine mer
par quelque banc de Zâble inconnu aux matelots, ils
imaginent que e’eft un petit poiflon qui les arrête 4
cette imagination ne donne aucune réalité au prétendu
petit poi/îon , & n’empêche pas que tout ce que les
anciens ont cru du Rémora ne/bit une fable, comme
ce qu’ils fe font imaginé du p h én ix , & ce qu’ils
ont penfé du Jphynx y de la ckimère , & du cheval
Pégafe. Les perfonnes fen/ées ont de la peine à croire
qu’il y ait eu des hommes aflèi dérai/bnnables pour
réalifèr leurs propres abflraclions ; mais entre-autres
exemples -, on peut les renvoyer à Thiftoire de Valentin,
keréfiarque du fecond fîècle : c’étoit un iphi-
lo/bphe platonicien, qui s’écarta de la fimplicjté de
la foi, & qui imagina des eons, c’eft à dire, des êtres
abftraits qu’il réali/pit, Ye filen c e , la v é r ité , le pro->
pator ou principe; il commença à enfeigner fes er-
teur§ en Egypte , & pafla enfuite à Rome, où il.fe