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5; Très-fou Vent 1* Antithèfe fè préfènte fous toutes
les formes à la fois. En voici quelques exemples ,
dont le premier fera le fameux fonnet de l'Avorton
par Hénault*
Toi qui meurs a v an t que de n a ît r e ,
Affemblage confus de l’être & du néant,
Trifte Avoiton, informe Enfant,
Rebut du néant & de l'être ;
T o i , que l’amour fit par un c r im e , -
£ t que l’ bonneur défait par un crime à fo n tour ;
• Funeftc ouvrage de l’amour,
- De l’honneur funefte vi&ime !
LaifTe moi calmer mon ennui r
Et du fond du néant où tu rentre * aujourdhuï,
Ne trouble point l’horreur dont ma faute eft fuivie.
Deux tyrans oppofes ont décidé ton fort :
L’Amour, malgré l’Honneur, te fit donner la vie ;
L’Honneur , malgré l’Amour , te fit donner la mort.
On ne fera peut être pas fâché de voir ce fônnet
rendu prefque littéralement en vers latins :
T u , qui t nee dum ortus , cadis ipfo in limtne vuct j
jîix ta gerens nihili & naturce injignia Moles,
ïnformis trifii Foetus fuecifus abortu,
Maturoe & nihili fatis male creditus Infans ;
T u , quem infanus arnor furtivo erimine finxit,
Quem pudor infanus furtivo erimine maclat ;
Voe ! nimium infant funeftum pignus amoris ,
Victima, voe ! nimium infani funefta pudoris !
^Temperet a meritis fine mens fibi confcia poenis; ■
i î nihilique finu, quo te feelerata recondo,
Ht feelera & feelerum horrorem non ingéré matri.
Fata per adverfos tua funt diftràclà tyrannos :
T e vitâ donavit Amor , nolente Pudore ;
Te vitâ nolente , Pudor fpoliavit, Amore.
« On voit dans le monde , dit Bourdaloue, des
» hommes d’un mérite diftingué, mais d’un mérite
» borné : des hommes braves, mais dont les autres
» qualités ne répondent pas à la valeur; de grands
» capitainesmais hors de là de petits génies : on
» y voit des efprits élevés, mais en meme temps
» des aines baflès ; de bonnes têtes, mais de mé-
» chants coeurs. ( Oraif fun. de Condè ) . ■
y> Les hommes, dit Maflfîllon , parlent tous les
» jours, fur le néant des chofès humaines , le lan-
». gage de la foi & de la vérité ; & ils n’en firivent
» pas moins les voies de la vanité & du menfonge:
» nous difçns fans cefle que le monde n’eft rien ,
* T u rentre fans s eft une faute de con jug aifon. O n pouv
o ir d ire :
D u néant dans lequel tu rentres aujourdhui :
3c i l me femble cju’il n ’ y a p o in t ou qu’ il y a peu d’ in co n v
én ient ; du mo ins y en a- t - il davantage à conferver le
fo lé cifm c.
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» & nous ne vivons que pour le monde. Sages fèu-
» lement dans les difeours, infènfés dans les oeu*
» vres ; philofôphes dans l’inutilité des converfà-
» tions, peuple dans tout le cours de notre con-
» duite ; toujours éloquents à décrier le monde,
» toujours plus vifs à l’aimer ; nous fléchiflbns le
» genou , avec la multitude, devant l’idole que.
» nous venons de fouler aux pieds; & à nosme-
» pris fuccèdent bientôt de nouveaux hommages ».
( Oraif. fiai, de Conti. )
« M. de Turenne, vainqueur des ennemis de
» l’État, dit Mafcaron, ne caufà jamais à la France
» une joie fi univerfèlle & fi fènfible , que M. de
w Turenne, vaincu par la vérité & fournis au joug
» de la foi. Rome profane lui.eût dreiïé des flatues
» fous l’empire des Céfàrs , & Rome fàinte trouve
» de quoi l’admirer fous les pontifes de la religion
» de J. C . » ( Oraif. fuit, de Turenne. ) -
On recommande fùrtout d’éviter l’Antithèfe dans
les endroits qui demandent du mouvement, de la
gravité , de l’élévation : l’apprêt de Y Antithèfe,
dit-on, fè fait trop fèntir; & l’apprêt, qui fuppofe
du fàng froid , fèroit en contradidion avec le mouvement
des pallions , avec le refped qu’impriment
les vérités les plus fùblimes & les plus importantes.
Ce principe peut être vrai des Antithèfes-r\ qui
ne rouleroient que fur les mots , ou fur des idées
accefïbires prefque étrangères à l’objet principal :
mais faut-il dire la même chofè fans reftridion des
idées efièncielles & principales ? « Quand les chofès
» qu’on dit font naturellement oppofees les unes
» aux autres , dit Fénélon ( II. Dialog. fur
» VEloq. ) , il faut en marquer l’oppofition : ces
» Antiihèfes-Yi font naturelles , & font fans doute
» une beauté fôlide •; alors c’eft la manière la
» plus courte & la plus fimple d'exprimer les
» chofès ». .
L ’exclamation fi pathétique de Phocas , citée ci-
defïas, renferme une Antithèfe qui eft la chofè
même: & loin de nuire à l’énergie du mouvement,
elle en eft la fburce & le principe.
Zénobie , parlant de Rhadamifte fôn époux,
s’écrie :
Ai-je a fiez de vertu pour lui trouver des crimes !
C’eft encore une Antithèfe très-naturelle : cette prîn-
ceflè oppofè, aux crimes de fon mari contre fà famille
& contre lui-même, l’amour qu’elle avoit conçu pour
Arfàme depuis qu’elle fut perfuadée de la mort de
Rhadamifte ; c’eft un trait d’une grande délicateflè
de vertu, qui fùppofè une grande fènfîbilité dans
l’ame qui en eft capable , & par conféquent une
vive émotion à l ’inftant même où elle parle.
Quelques-uns prétendent bannir encore Y Antithèfe
du ftyle fimple, comme contraire à la naïveté
qui en fait le méri'e. « La naivete , dit le P.
» Bouhours ( II. Dial. Man. de bienpenfer), n’eft
» pas ennemie d’une certaine efpèce d.'Antithèfes
I » qui ont de la fimplicité, & qui plaifènt meme
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» d’autant plus qu’elles font plus fimples : elle ne
» hait que les Antithèfes brillantes ».
Les ennemis du pape Alexandre V I I , choqués
de la magnificence qu’il affedoit dans fès habits,
fès meubles, & fès équipages, & de fà foibleflè
ainfi que de fà mefquinerie dans les grandes affaires
, difbient de lui , qu’il étoit minimus in
maximis , maximus in minimis. Une pareille Antithèfe
, en fuppofànt la vérité des faits qui la fondent
, eft l’exprefïion tout à la fois la plus vraie
& la plus fimple du caradère de ce pape.
Boileau ( Sat. viij. ) avoit à peindre les contra-
didions perpétuelles du C'-ur de l’homme : qu’y avoit-
il de plus naturel & de plus fimple, de plus naïf
’même, que de le faire par des Antithèfes !
Cette figure à la vérité eft éclatante , à caufè
du contrafte des oppofitions ; cet éclat y rend l’art
fènfible , ou le fait fôupçonner : on en conclut naturellement
qu’il faut l’employer avec réfèrve &
en éviter le trop fréquent ufàge. On reproche cet
abus de Y Antithèfe au philofophe Sénèque & à
Pline le jeune; & on a raifon : avec beaucoup
d’efprit, ils fè firent une manière d’écrire tout à
fait élpignée du goût auftère qui avoit pris heu-
reüfèment le deffiis depuis un fiècle ; le brillant
de leur ftyle feduifit la Jeuneflè romaine, on voulut
les imiter fàns avoir leurs talents , & tout fut
perdu.
S. Auguftin , Salvien , & quelques autres Pères,
à qui on reproche auftï d’avoir abufe de Y A ntithèfe
y font véritablement répréhenfîbles à cet égard,
mais bien plus excufàbles que Pline & Sénèque ,
quoiqu’il ne faille pas plus imiter les uns que les
autres. Ceux-ci, par vanité, & pour ne pas fuivre
ceux qui les avoient précédés & qui dévoient leur
ïervir de modèles, dans la vûe de devenir eux-
mêmes modèles & originaux, affèâèrent d’abandonner
les routes battues, de fèmer de fleurs les
routes nouvelles qu’ils ouvrirent, & de mettre partout
en faillie l’efprit dont la nature les avoit
pourvus : ceux-là, fàns autre intérêt que celui de
plaire afin de perfuader , prirent Amplement le ton
de leur fiècle , infpirés peut-être par le même Efi-
prit, qui fit parler les prophètes dans leur temps
d’une manière conforme aux idées populaires.
Mais on reproche de nos jours à Fléchier, d’avoir
trop émaillé-fès difeours des fleurs de l’Antithèfe ;
fleurs inodores, fi elles parentde petits objets; fleurs
bientôt dédaignées, fi elles font répandues avec trop
de profufion ; fleurs enfin rebutées , fi elles fatiguent
par leur éclat. M. Langlet, avocat, ( Ide’e des
O ra if fun. pag. 84 & fuiv. ) s’eft chargé à cet
egard de l ’apologie de l’illuftre évêque de Nîmes.
L e goût univerfel, qui place ce prélat parmi nos
premiers orateurs, le juftifie aflèz fàns doute : mais
les raifons de fon défenfèur, en juftifiant l’opinion
générale , peuvent fèrvir à éclairer, à diriger ceux
qu’une noble émulation conduira fur les traces de
Téloquent panégyrifte.
Quelque raifonnable & quelque folide que fbit
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la /unification de Fléchier à laquelle je renvoie,
je fens bien qu’elle n’amènera pas tout le monde
à lui rendre la juftice qui lui eft due. Il n’y a que
trop de ces cenfèurs prévenus & obftinés, qui, plus
tôt que de fàcrifier leur opinion, aimeroient mieux
abandonner les principes les plus folides, les
plus lumineux, les plus autorilês. Eli ! ne s’en
t.ouve-t-il pas qui proferivent abfolument Y Antithèfe
y & la regardent comme un vice plus tôt que
comme un ornement ? Ils attribuent à la chofè ce
qui les a choqués dans l ’abus ; & cet abus, que
leur prévention trouve aifément dans les beautés
naturelles du ftyle orné, les porte à bannir impitoyablement
Y Antithèfe de tout ouvrage férieux.
M. l ’abbé d’Olivet auroit-il eu quelque choie
de cette fîngulière prévention? On va en juger,,
quand j ’aurai mis fous les yeux un pafïàge d»-
Cicéron :
Hoc vero quis ferre
Mais qui pourra voir
poffit , inertes homines
patiemment des lâches
fortiffimis viris infidia-
drefler des embûches aux
ri ,jlultiffmos pruden-
hommes les plus courageux
-tijfimis , ebriojos fo-
; les plus inlènfés,
briis, dormîentes vigi-
lantibus ? ( II. Catil. v.
10.)
aux hommes les plus fàges;
des crapuleux, à ceux qui
font fbbres ; des gens afîôu-
pis dans l’oifiveté , à ceux
qui veillent pour la patrie?
M. l ’abbé d’Olivet le traduit ainfi : c< Mais fouf-
» frira-t-on que des miferables , abrutis par la cra-
» pule , dreflènt perpétuellement des embûches
» aux plus gens d’honneur? » Lui-méme a fènti
l’infidélité de fà tradudion , & il veut la juftifier
dans une note, qu’il eft bon de rapporter. <s.(£ue
» des lâches drejfent des embûches à des hommes
» très-courageux, des infenfés à des hommes très-
» f ig e s , des ivrognes à des gens fobres , ceux
» qui dorment à ceux qui veillent ? Voilà le texte
» rendu littéralement. Mais des figures trop mar-
» quées ne réufïiflent pas toujours en françois*
» Jamais le tradudeur ne fè trouve dans cet em-
» barras avec Démofthène, à ce qu’il me fèmble.
» Quelque admirable que fôit un auteur, il ne doit
» être imité qu’avec précaution & fùivant le génie
» de notre langue ».
Il s’agk ici de tradudion , & non d’imitation.
J’avoue que l’imitation eft très-libre, & n’a pas
befôin d’apologie à l’égard de la littéralité : la
tradudion au contraire ne doit s'écarter du littéral
que le moins qu’il eft pofïible , & autant que
l’exige le génie de la langue dans laquelle on
tranfporte l’original ; une littéralité trop fèrvife
pourroit devenir choquante, & celle que M. d’Olivet
a affedée dans la note en eft la preuve. J’ofè
croire que ma tradudion a confèrvé le fèns littéral
, fàns préfenter dans notre langue des idées
auxquelles elle ne fè prête pas ; je l’ai voulu du
moins, & j’ai dû le vouloir: Y Antithèfe particulièrement
ne m’y parois pas plus offenlànte que