
un des hommes qui ont travaillé le plus utilement
pour l’éducation de la Jeuneflè : à ces déclamations
de vers il a fobftitué les exercices, qui font au
moins beaucoup plus utiles , quoiqu’ils puffent l’être
encore davantage. On convient aujourdhui allez
généralement, que ces tragédies font une perte de
temps pour les écoliers & pour les maîtres: c’eft
pis encore, quand on les multiplie au point d’en re-
préfonter plu fleurs pendant l’année, & quand on y
joint d’autres appendices encore plus ridicules,
comme des explications d’énigmes , des ballets , &
des comédies triftement ou ridiculement plaçantes.
Nous avons fous les yeux un ouvrage de cette dernière
efpèce , intitulé La défaite du Solécifme par
DeJ'pautère, repréfontée plufîeurs fois dans un Collège
de Paris : le chevalier Prétérit , le chevalier
Supin, le marquis des Cônjugaifbns , & d’autres
perfonnages de la même trempe , font les lieutenants
généraux de Defpautère, auquel deux grands princes
, appelés Solécifme & JBarbarifme, déclarent
une guerre mortelle. Nous faifons grâce à nos lecteurs
d’un plus grand détail, & nous ne doutons
point que ceux qui préfident aujourdhui- à ce Collège
^ ne fiflènt main-baflè, s’ils en étoient les maîtres
, for des puérilités fi pédantefques & de fl
mauvais goût : ils font trop éclairés pour ne pas
ïentir que le précieux temps de la j euneflè ne doit
point être employé à de pareilles inepties. Je ne
parle point ici dés ballets où la Religion peut être
intéreifée : je fais que cet inconvénient eft rare,
grâce à la vigilance des fopérieurs ; mais je fois
auffique, malgré toute cette vigilance, il ne laiflè pas
de fo faire fontir quelquefois. Proye\ dans lejourn.
de Trév. nouv. litt. fept. 17^0 , la critique de ces
ballets, très-édifiante à tous égards. Je conclus du
moins de tout ce détail, qu’il n’y a rien de bon
à gagner dans ces fortes d’exercices , & beaucoup
de mal à en craindre.
11 me femble qu’il ne for oit pas impoffible de
donner une autre forme à l ’éducation des Collèges,
Pourquoi pafTer fîx ans à apprendre, tant bien que
mal, une langue morte ? Je fois bien éloigné de
défopprouver l’étude d’une langue dans laquelle les
Horaces & les Tacites ont écrit ; cette étude eft
abfolument néceflàire pour connoître leurs admirables
ouvrages : mais je crois qu’on devroit fo borner
à les entendre, &• que le temps qu’on emploie à
compofor en latin eft un temps perdu. Ce temps fo-
jroit bien mieux employé à apprendre par principes
fo propre langue, qu’on ignore toujours au fbrtir
du Collège, & qu’on ignore au point de la parler
très-mal. Une bonne Grammaire françoifo fo-
roit tout à la fois une excellente Métaphyflque ,
& vaudrait bien les rapfbdies qu’on lui fobftitué.
D’ailleurs, quel latin que celui de certains Collèges
! nous en appelons au jugement des con-
noiffèurs.
Un rhéteur moderne, le P. Porée , très-refo
peétable d’ailleurs par fos qualités perfonnelles, mais à qui nous ne devons que la vérité, puifqu’il n’eft
plus, eft le premier qui ait ofé fo faire un jargon
bien différent de la langue que parloient autrefois
les Herfon , les Marin , les Grenan, les Gom-
mire, les Coflàrt, & les Jouvenci, & que parlent
encore quelques profeflèurs célèbres de l ’uni-
verfîté. Les fuccefieurs du rhéteur dont je parle
ne fouroient trop s’éloigner de fes traces. - .
Je fois que le latin étant une langue morte, dont
prefque toutes lesfineflès nous échappent, ceux qui
paffent aujourdhui pour écrire le mieux en cette
langue, écrivent peut-être fort mal : mais du moins
les vices de leur didion nous échappent auffi ; &
combien doit être ridicule une latinité qui nous fait
rire? Certainement un étranger peu verfé dans la
langue françoifo , s’appercevroit facilement que la
didion de Montagne , c’eft à dire du foizième
fiècle, approche plus de celle des bons écrivains
du fiècle de Louis XIV , que celle de Geoffroy
de Ville-hardouin, quiécrivoit dans le treizième
fiècle.
Au refte, quelque eftime que j’aye pour quelques-
uns de nos hùmaniftes modernes , je les plains d’être
forcés à fo donner tant de peine pour parler fort
élégamment une autre langue que la leur. Ils fo
trompent, s’ils s’imaginent en cela avoir le mérite
de la difficulté vaincue : il eft plus difficile d’écrire
& de parler bien fo langue, que de parler & d’écrire
bien une langue morte 3 la preuve en eft frappante.
Je vois que les grecs & les romains , dans le
temps que leur langue étoit vivante, n’ont pas eu
plus de bons écrivains que nous n’en avons dans
la nôtre ; je vois qu’ils n’ont eu, ainfi que nous,
qu’un très-petit nombre d’excellents poètes, & qu’il
en eft de même de toutes les nations. Je vois au
contraire que le renouvellement des Lettres a pro-
doit une quantité prodigieufo de poètes latins, que
nous avons la bonté d’admirer: d’où peut venir
cette différence? & fi Virgile ou Horace revenoient
au monde pour juger ces héros modernes du Par-
nafle latiri , ne devrions-nous pas avoir grand’peur
pour eux ? Pourquoi, comme l’a remarqué un auteur
moderne, telle compagnie, fort eftimabie d’ailleurs,
qui a produit une nuee de verfificateurs latins, n’a-
t-elle pas un foui poète françoisjqu’on pui-ffe lire ?
Pourquoi les recueils de vers françois qui s’échappent
par malheur de nos Collèges ont-ils fi peu de
foccès , tandis que plufîeurs gens de Lettres eftiment
les vers latins qui en fortent ? Je dois au refte avouer
ici que l’univerfité de Paris eft très-circonfpede &
très-réforvée for la verfification françoifo, & je ne
fourois l’en blâmer.
Concluons de ces réflexions, que les compofî-
tion.s latines font fojettes à de grands inconvénients ,
& qu’on feroit beaucoup mieux d’y fobftituer des
compofîtions françoifos ; c’eft ce qu’on commence à
faire dans l’univerfité de Paris : on y tient^ cependant
encore au latin par préférence , mais enfin
on„ commence à ÿ enfoigner le françois. •
J’ai entendu quelquefois regretter les thèfos qu’on
■ foutenoit autrefois en grec : j’ai bien plus de re-
C O L
gret qu’on ne les foutienne pas en françois ; on
feroit obligé d’y parler raifon, ou de fo taire.
Les langues étrangères dans lefquelles nous avons
un grand nombre de bons auteurs, comme l’anglois
& l’italien , & peut-être l ’allemand & l’efpagnol ,
devraient auffi entrer dans l’éducation des Collèges ;
la plupart foraient plus utiles à fovoir que des langues
mortes, dont les fovants fouis font à portée défaire
ufoge.
J ’en dis autant de l’Hiftoire & de toutes les fciences
qui s’y rapportent , comme la Chronologie & la
Géographie. Malgré le peu de^Cïs que 1 on parait
faire°dans les Collèges de l’éfude de l’Hiftoire , c’eft
peut-être l’enfance qui ef£ le temps le plus propre
à l’apprendre. L ’Hiftoire, aflèz inutile au commun
des hommes , eft fort utile aux enfants , par
les exemples qu’elle leur préfonte & les leçons
vivantes de vertu qu’elle peut leur donner, dans
un âge où ils n’ont point encore de principes fixes,
ni bons ni mauvais. Ce n’eft pas à trente ans qu’il
faut commencer à l’apprendre , à moins que ce ne
foit pour la fîmplé curiofîté; parce qu’à trente ans
refont & le coeur font ce qu’ils forant pour toute
la vie. Au refte , un homme d’efprit de ma con-
noifîànce voudrait qu’on étudiât & qu’on enfoignât
l ’Hiftoire à rebours, c’eft à dire , en commençant
par notre temps, & remontant de là aux fiècles palïés.
Cette idée me paraît très-jufte, & très-philofophiquè:
à quoi bon ennuyer d’abord un enfant de l ’hifo
toire de Pharamond, de Clovis , de Charlemagne,
de Céfor, & d’Alexandre, & lui laifîèr ignorer celle
de fon temps, comme il arrive prefque toujours,
par le dégoût que les commencements lui infpirent ?
A l ’égard de la Rhétorique, on voudrait qu’elle
confîftât beaucoup plus en exemples qu’en préceptes ;
qu’on ne fo bornât pas à lire des auteurs anciens,
& à les faire admirer quelquefois aflèz mal à propos ;
qu’on eût le courage de les critiquer fouvent, de les
comparer avec les auteurs modernes , & de faire
voir en quoi nous avons de l’avantage-ou du défo-
vantage for les romains & for les grecs. Peut-
être même devroit on faire précéder la Rhétorique
par la Philofophie ; car enfin , il,faut apprendre
à penfor avant que' d’écrire.
Dans la Philofophie , on bornerait la Logique à
quelques «dignes; la Métaphyflque, à un abrégé de
Locke ; la Morale purement philofophique , aux
ouvrages de Séneque & d’Épidete ; la Morale chrétienne
, au formon de Jefus-Chrift for la montagne;
la Phyfîque , aux expériences & à la Géométrie
, qui eft de toutes les Logiques & Phyfî-
q 11 es la meilleure.
On voudrait enfin qu’on joignît, à ces différentes
études, celle des beaux arts , & furtout de la Mufî-
que, étude fi propre pour former le goût & pour
adoucir les moeurs, & dont on peut bien dire avec
Cicéron : Iicec fh u lia Adolefcehtiam alunt, Senec-
fuient obleélant , fecundas re s ornant, adverfis
per/ugiitm & folatium prsebent.
Ce plan d’études irait, je l’avoue, à multiplier
C O L 4 1 1
les maîtres &' le temps de l’éducation. Mais i° .
il me fomble que les jeunes-gens en fortant du Collège
, y gagneraient de toutes manières, s’ils en
fortoient plus inftruits. z°. Les enfants font plus
capables d’application & d’intelligence qu’on ne
le croit communément ; j’en appelle à l’expérience :
& fi, par exemple, on leur apprenoit de bonne heure
la Géométrie , je ne doute point que les prodiges
& les talents précoces en ce genre ne fulfent beaucoup
plus fréquents : il n’eft guère de foience dont
on ne puiflè inftruire l ’efprit le plus borné, avec
beaucoup d’ordre & de méthode ; mais c’eft là pour
l ’ordinaire par où l’on pèche. 30. Il ne forait pas
néceflàire d’appliquer tous lès enfants à tous ces ob-
jets à la fois : on pourrait ne les montrer que foc-
ceffivement ; quelques-uns pourraient fo borner à
un certain genre ; & dans cette quantité pcodigieufo f
il forait bien difficile qu’un jeune homme n’eût du
goût pour aucun. Au refte ,.c’eft au Gouvernemeni,
comme je l’ai d it , à faire changer là-defliis la routine
& l’ufâge ; qu’il parie, & il fo trouvera aflèz
de Bons citoyens pour prbpôfor un excellent plan
d’études. Mais en attendant cette réforme , dont
nos neveux auront peut-être le bonheur de jouir ,
je ne balance point à croire que l’éducation des
Collèges, telle qu’elle eft , eft fojette. à beaucoup
plus d’inconvénients qu’une éducation privée , où il
eft beaucoup plus facile de fo procurer les diverfos
corinoiflances dont je viens de faire le détail.
Je fais’ qu’on fait fonner très-haut deux grands
avantages en faveur de l’éducation des Collèges ,
la fociétc & l’émulation : mais il me fomble qu’il
ne feroit pas impoffible de fo lès procurer dans
l ’éducation privée, en liant enfemble quelques enfants
à peu près de la même force & du même âge.
D’ailleurs , j’en prens à témoin les maîtres, l’émulation
dans les Collèges eft- bien rare ; & à l’égard
de la fociété , elle n’eft pas fans de grands inconvénients.
J’ai déjà touché ceux qui en réfoltentpar
rapport aux moeurs ; mais je veux parler ici d un
autre qui n’eft que trop commun, fortout dans les
lieux où on élève beaucoup de jeune Nobleflè : on
On exhorte ceux qui préfident à l’infiriuftion de la
Jeuneiïe , à s’examiner- foigneufement for un point
de fi grande importance.
Un autre inconvénient de l’éducation des Collèges y
eft que le maître fo trouve obligé de proportionner
fo marche au plus grand nombre de lès dilciples ,
c’eft à dire , aux génies médiocres ; ce qui entraîne
pour les génies plus heureux une perte de temps
confîdérablé. ' '< * .
Je ne puis m’empêcher non plus de faire fontir
à cette occàfîon les inconvénients de l’inftruéHois.
gratuite, & je fois afsûré d’avoir ici pour moi tous
les profeflèurs les plus éclairés & les plus célèbres:
fi cet étabiiflèment a fait quelque bien aux
difciples, il a fait encore plus de mal aux maîtres«
■ F f f *